Institut Destrée - The Destree Institute

               Accueil

Organisation

Recherche scientifique

Education permanente

Conseil

Action

Evénements

 

 

Cette section propose la liste des notices contenues sur le cédérom de l'Encyclopédie du Mouvement wallon. Les notices accessibles en ligne sont datées : le carré jaune indique les mises à jour, le carré rouge signale les nouvelles notices.

Notices biographiques

Notices thématiques

Presse d’action wallonne

Congrès,associations et partis

A

B

C

D

E

F

G

H

I

J

K

L

M

N

O

P

Q

R

S

T

U

V

W

X

Y

Z

 

   

 Namur, capitale de la Wallonie

Liège, capitale historique de la Wallonie ?

Une Wallonie sans capitale ?

Namur, « ville la plus centrale de la région wallonne »

Namur capitale géographique de la Wallonie

Namur, siège du Conseil culturel ?

Namur, capitale régionale

 

Officiellement, c’est le 11 décembre 1986 que Namur est devenue capitale de la Région wallonne, lorsque l’Exécutif régional wallon sanctionne et promulgue le décret adopté par le Conseil régional wallon en sa séance du 19 novembre 1986. Était ainsi officialisé un rôle institutionnel que Namur jouait dans les faits d’une manière croissante depuis une quinzaine d’années déjà.

Liège, capitale historique de la Wallonie ?

Ce choix de Namur aurait sans doute surpris les militants wallons du début du xxe siècle. À l’époque, Liège, première ville de Wallonie, métropole industrielle, ne manquait pas de rappeler régulièrement son prestigieux passé culturel, économique et politique d’ancienne capitale d’une Principauté autonome et indépendante, la plus libre du monde (Publicité officielle pour l’Exposition universelle de Liège de 1905, dans Wallonia, années 1904-1905), suivant en cela une constante de l’historiographie liégeoise. Liège était par ailleurs devenue à la fin du xixe siècle le centre moteur du Mouvement wallon, dès la deuxième phase de celui-ci (transition vers une affirmation positive de la Wallonie : 1897, création de la Ligue wallonne de Liège – 1905 et 1912, Congrès wallons à Liège), phase préparée par le renouveau culturel wallon dont Liège était le pôle principal depuis le milieu du xixe siècle (fondation en 1856 de la Société liégeoise de Littérature wallonne notamment).

Cette primauté de Liège est par exemple reconnue, non sans quelques réticences des Hennuyers principalement, lors de l’adoption par l’Assemblée wallonne en 1913 des couleurs liégeoises rouge et jaune pour le drapeau wallon, avérant ainsi la volonté du pays de rendre hommage à la plus wallonne des terres wallonnes, et de marquer par les couleurs du drapeau, ce que la Wallonie devait au pays de Liége. Il nous paraît qu’il y aurait injustice à oublier que (…) c’est à Liége que s’est formée la conscience wallonne. C’est là que, depuis soixante ans, les bases du mouvement wallon ont été patiemment et laborieusement établies, et le rapporteur Richard Dupierreux d’énumérer longuement tous les signes de l’affirmation wallonne nés à Liège (La Défense wallonne, mars 1913, p. 155 et avril 1913, p. 245-246).

Si bien que Liège, qui au cours de son histoire avait déjà reçu plusieurs titres prestigieux, depuis L’Athènes du Nord au xie siècle jusqu’à La Cité ardente en 1905 (suite au roman historique éponyme de Henry Carton de Wiart), et qui est déjà considérée comme le foyer de la Wallonnie (sic) par Célestin Demblon (Le Wallon, 10 mai 1885), comme centre, cœur, cerveau de la Wallonnie (sic) par Édouard Termonia (3e Congrès wallon, 20 novembre 1892), ou encore comme la cité ardente où bat le cœur vaillant et léger, le cœur chaud de la Wallonie par Jules Destrée (Wallonia, janvier 1913), va jusqu’à recevoir le titre de capitale de la Wallonie, comme en témoignent les diverses revues wallonnes de l’époque, à partir de la dernière décennie du xixe siècle.

Ainsi, il suffit de parcourir la revue mensuelle Wallonia, de 1902 (date de son intérêt pour l’actualité wallonne) à 1914, pour voir assez régulièrement Liège qualifiée de capitale wallonne ou de capitale de la Wallonie : soit sous la plume de son directeur Oscar Colson et de ses collaborateurs liégeois Charles Delchevalerie, Jean Roger, Félix Magnette, Fernand Mallieux, etc., généralement dans les pages de sa Chronique wallonne créée pour recenser les publications et rendre compte des événements mondains ou culturels intéressant la Wallonie ; par exemple, cette conclusion du compte rendu d’un festival liégeois où furent jouées des œuvres de César Franck et Henri Vieuxtemps : Qu’à Liége, la capitale de la Wallonie, on ne donne plus de concert sans que la musique wallonne y soit représentée par un de ses maîtres ! (Wallonia, avril 1912, p. 205) ; soit dans divers discours ou écrits auxquels la revue fait écho : des édiles liégeois, des militants wallons liégeois (notamment au Congrès wallon de 1905), le député liégeois Charles Van Marcke à la Chambre le 28 novembre 1911 et même le ministre bruxellois Henry Carton de Wiart, à l’occasion de la Joyeuse Entrée du couple royal à Liège en 1913 : Combien votre belle capitale wallonne était vibrante et séduisante, écrivait à « Wallonia » l’auteur de « La Cité ardente », au lendemain du 13 juillet (Wallonia, septembre-octobre 1913, p. 614).

De nombreuses occurrences semblables apparaissent dans les revues L’Âme wallonne (1898-1900), dont un exemple en wallon, repris de Li Clabot : Lige – li capitâle dè l’Wallonneie – va aveûr si Thèâte Wallon officiel ! Bravo ! (18 juin 1898), le Moniteur officiel du mouvement wallon (1909-1914), La Lutte wallonne (1911-1914), La Défense wallonne (1913-1914, 1920-1940), L’Action wallonne (1933-1940), etc., mais aussi dans des quotidiens liégeois comme La Meuse ou L’Express, et jusqu’à la très conservatrice Gazette de Liége, pourtant peu favorable à la cause wallonne, qui prétend intervenir au nom de la capitale de la Wallonnie (sic) dans une polémique en 1892 quant à la nécessité d’un référendum sur la monarchie (20-21 février 1892). Liège, Capitale de la Wallonie est même le titre d’un ouvrage collectif de près de 400 pages publié en 1924, à l’occasion du 48e Congrès, à Liège, de l’Association française pour l’Avancement des Sciences, avec une trentaine de contributions, notamment d’Olympe Gilbart, Félix Magnette, Jules Feller et Émile Jennissen, présentant les divers aspects de la ville et de sa province, mais sans que soit justifié explicitement ce titre.

Au sujet de toutes ces expressions Liège capitale de la Wallonie, il importe d’observer qu’il s’agissait d’emplois du sens figuré du mot capitale, sans aucun aspect politique ou administratif concret. La quasi-totalité de ces emplois relevait par ailleurs de l’ordre non du souhait ou de la revendication mais bien de la traduction d’un simple constat : la primauté de la cité ardente en Wallonie selon leurs utilisateurs, essentiellement liégeois, mais toujours au détour d’une phrase traitant d’un autre sujet et sans que cela soit l’objet d’une réflexion ou d’un débat visant à faire entériner cet état de fait par l’ensemble du Mouvement wallon.

Une Wallonie sans capitale ?

Au contraire, dès que les militants wallons formulent des propositions plus ou moins élaborées de réforme de l’État belge dans un esprit fédéraliste, voire autonomiste, ils sont muets sur la question du choix d’une capitale pour la Wallonie, ou plus simplement de la fixation d’un siège en Wallonie pour les nouvelles institutions qu’ils souhaitent créer. Parfois, il n’est même pas certain qu’ils veuillent installer celles-ci en Wallonie : une assemblée « de » ou « pour la » Wallonie n’est pas nécessairement « en » Wallonie.

Ainsi, Albert Mockel, en avril 1897 dans le Mercure de France, lors de la toute première revendication wallonne en faveur de la séparation administrative de la Flandre et de la Wallonie, ne suggère qu’un parlement pour chacune d’elles. Certes, en mars 1911 dans Wallonia, il reformule brièvement une proposition fédéraliste en ces termes : au-dessus (des Conseils provinciaux), il y aurait deux assemblées, l’une en Flandre, l’autre en Wallonie. Mais dans son projet plus élaboré de 1919 pour l’Assemblée wallonne, Esquisse d’une organisation fédéraliste de la Belgique, il redevient imprécis : Dédoublement de la Chambre des Représentants, formant désormais deux Assemblées régionales, celle de Flandre et celle de Wallonie, ou ambigu : Presque toute l’activité politique et une grande partie de l’activité administrative seraient donc concentrées dans la Région. Par contre, il y précise bien que La Wallonie aurait (…) deux Cours d’appel, une à Liège, une à Mons et que Bruxelles est résidence du Roi et des ministres, siège du Sénat et de la Cour de Cassation, capitale du Royaume.

Cette étonnante dualité – imprécision voire silence pour la fixation du siège des institutions politiques wallonnes à créer, précision pour la localisation des autres institutions, judiciaires ou politiques des autres niveaux de pouvoir – semble bien être une constante dans les projets wallons d’inspiration fédéraliste.

En 1911, Émile Jennissen, dans Wallons - Flamands : pour la séparation politique et administrative, prévoit que deux Conseils généraux l’un wallon, l’autre flamand reprendront la plupart des attributions au Parlement de Bruxelles sans précision quant à leur implantation. Par contre, il veut créer en plus de la Cour d’Appel de Liège une Cour d’Appel en Hainaut.

L’Étude d’un régime séparatiste en Belgique présentée par Julien Delaite au Congrès wallon de 1912 est totalement silencieuse sur le siège des trois Conseils régionaux envisagés par son Projet de revision de la constitution. Par contre, il adapte l’article 95 de la Constitution en créant deux cours de cassation, l’une en Wallonie, l’autre dans la région flamande, il fait des trois Cours d’Appel prévues à l’article 104 un minimum en précisant une par région et en maintenant que la loi détermine leur ressort et les lieux où elles sont établies, enfin il conserve l’article 126 qui fait de Bruxelles la capitale de la Belgique et le siège du gouvernement. Ce silence sur la localisation du Conseil régional wallon constitue même une régression par rapport à son premier bref projet de décembre 1898 pour la Ligue wallonne de Liège : Quelle difficulté de principe voit-on à l’établissement d’un « conseil régional », pour ne pas dire « parlement provincial », en Wallonie et d’un autre en Flandre.

Enfin, dans le Résumé du projet de réorganisation politique et administrative de la Belgique présenté en 1919 à l’Assemblée wallonne par Léon Troclet, chacune des trois provinces, bruxelloise, wallonne et flamande, de la Belgique ainsi réorganisée dispose d’une Chambre des députés provinciaux et d’un Collège provincial dont la localisation n’est en rien évoquée. Il est précisé par contre que la province bruxelloise a le titre de capitale. Seul Raymond Colleye, dans son Projet de revision de la Constitution (inséré dans La Wallonie en péril en 1919 et republié en 1924 et 1928), prévoit explicitement un parlement wallon à Liége, un parlement flamand à Gand. Mais R. Colleye était alors un militant de plus en plus en marge des organisations wallonnes importantes.

Seuls ont été considérés comme pertinents pour l’analyse les projets de fédéralisme « à deux », « à deux et demi » ou « à trois », c’est-à-dire envisageant tous une seule entité wallonne. Sont donc écartés les projets de réforme où, par principe, ne peut se poser la question d’un éventuel « centre » pour la Wallonie, morcelée qu’elle serait en deux États wallons (la Sambre et la Meuse) comme dans le projet régionaliste d’Émile Buisset, ou en quatre ou cinq provinces à l’autonomie renforcée comme dans les projets provincialistes (Paul Pastur, François André, etc.).

Ainsi donc, en cette période, le Mouvement wallon lance divers débats et procédures pour le choix d’un chant national (concours en 1899 et 1900 par la Ligue wallonne de Liège et en 1910 par le Cercle verviétois de Bruxelles ; question débattue par l’Assemblée wallonne en 1913, 1924 et 1935) et pour l’adoption des insignes par lesquels il convient d’affirmer l’unité wallonne, selon les termes du décret de l’Assemblée wallonne de 1913, à savoir drapeau, insigne héraldique, cri, devise et fête nationale (questionnaire et débats de la Commission de l’Intérieur de l’Assemblée wallonne en 1912-1913, accompagnés d’une polémique dans La Lutte wallonne en 1913 et précédés de diverses propositions au Congrès wallon de 1905, dans Le Réveil wallon en 1907-1908, La Lutte wallonne en 1911 et Pourquoi pas ? en 1912). Par contre, c’est un remarquable silence quant au choix éventuel par tous les Wallons d’une capitale, symbolique dans l’immédiat, politique et administrative dans le futur : crainte ? inhibition ?

Crainte de déchirements entre Wallons, à l’unité encore trop fragile face aux particularismes locaux et méfiants envers le misérable chauvinisme liégeois, selon la forte expression d’Arille Carlier (La Lutte wallonne, 11 mai 1913, p. 2) ? Inhibition due au poids de l’inextricable problématique bruxelloise et de cet ambivalent rapport de fascination/répulsion des Wallons envers la capitale belge ? En effet, ils considèrent alors Bruxelles tout à la fois comme la plus grande ville wallonne, une capitale centralisatrice nuisible, le lieu de mémoire des glorieuses journées libératrices de septembre 1830, l’incarnation d’un pouvoir belge de plus en plus défavorable à la Wallonie, un foyer prestigieux de culture française à défendre contre les visées flamingantes, ou encore la cité des métis où les Wallons exilés perdent leur âme.

Quoi qu’il en soit, les constatations faites pour les premiers projets fédéralistes wallons continuent à se vérifier dans les projets ultérieurs, dont les principaux sont : L’État fédéral en Belgique de Georges Truffaut et Fernand Dehousse en 1938, qui devient la Proposition de revision de la Constitution déposée à la Chambre la même année par Georges Truffaut, Joseph Martel et François Van Belle ; le Projet d’instauration du fédéralisme en Belgique de la Fédération liégeoise du PSB en 1944, dit projet Dehousse-Troclet ; le Projet d’organisation d’un régime fédéral en Belgique de la Commission des Questions constitutionnelles, présidée par Fernand Dehousse, du Congrès national wallon en 1946, lequel projet inspirera la Proposition de revision de la Constitution déposée en 1947 à la Chambre par Marcel-Hubert Grégoire, Jean Rey et consorts. Quant à la Proposition de revision de la Constitution déposée à la Chambre en 1952 par François Van Belle et Joseph Merlot, et reprise par Simon Paque et consorts en 1961, elle ne présente aucun projet de nouvelle Constitution, mais une simple liste d’articles à réviser, précédée de quelques considérations et principes généraux.

La prudence des projets de cette période connaît une exception : en mai 1943, le directoire de La Wallonie libre clandestine prépare un plan d’action de type révolutionnaire pour mettre en place à la Libération un gouvernement wallon provisoire et rédige un projet de décret dont le premier article proclame : À dater de ce jour, la Wallonie forme une République démocratique indépendante, dont Liège est la capitale (FHMW, Fonds F. Van Belle, Wallonie libre, Rapport sur les moyens propres à réaliser le but poursuivi). Mais cette prise de position claire reste sous le boisseau dans les archives, sans même être publiée dans le périodique clandestin La Wallonie libre ou diffusée par les circulaires du secrétariat du directoire et, en 1944, le mouvement reviendra à son intention initiale de 1942 en préparant le grand Congrès national wallon, qui se tiendra à Liège les 20 et 21 octobre 1945, après avoir d’abord été annoncé pour les 29 et 30 septembre.

À l’occasion de celui-ci, on retrouve la qualification de capitale pour Liège, de nouveau au détour de phrases dont les expressions capitale de la Wallonie ou équivalentes ne constituent jamais le prédicat : Le Congrès se tiendra à Liège, notre capitale, les 29 et 30 septembre prochains (Maurice Bologne, La Wallonie libre, août 1945), La Wallonie est réveillée et les yeux de tous ceux de ses enfants qui songent à son avenir sont tournés vers Liège, la capitale de la future Wallonie libérée (le comité du Congrès, La Wallonie libre, août 1945), ou encore (Le Congrès) se tiendra le samedi 20 et le dimanche 21 octobre, à Liège, capitale morale de la Wallonie (Léopold Levaux, Forces nouvelles, 15 septembre 1945).

On remarque ici l’adjonction d’un qualificatif, morale. Au début de 1942, traitant de L’avenir économique de la Wallonie, La Wallonie libre clandestine entrevoyait un rôle de nœud de communications central pour Liège, notre capitale morale et intellectuelle (n° 89, s.d.). En 1958, Fernand Schreurs justifie le choix fait en 1942 du lieu du Congrès d’après la Libération en ces termes : Le Congrès se tiendrait à Liège, considérée comme la capitale spirituelle et morale du pays wallon (Contribution à l’histoire du mouvement wallon : 1919-1945, dans La Nouvelle Revue wallonne, avril-septembre 1958, p. 116). Les nuances restrictives introduites par ces adjectifs révèlent désormais explicitement le statut de sens figuré du mot capitale appliqué à Liège depuis un demi-siècle.

Par ailleurs, c’est à l’occasion des trois premiers congrès du Congrès national wallon que la question du choix d’une capitale pour la Wallonie est enfin formellement posée, mais sans recevoir de réponse positive. Lors de la réception des congressistes à l’hôtel de ville de Liège le 21 octobre 1945, le député-bourgmestre Paul Gruselin demande pour sa ville l’honneur d’être désignée au prochain congrès comme capitale de la Wallonie. MM. Thône, au nom de Charleroi, et Pieltain, au nom de Namur, promirent l’appui de leur province (La Dernière Heure, 22 octobre 1945 ; voir aussi Le Soir, 23 octobre 1945). Mais le sujet reste absent des débats du congrès de Charleroi en mai 1946.

Au lendemain de celui-ci, Fernand Schreurs développe dans La Wallonie libre, sous un pseudonyme, une longue réflexion sur le choix d’une capitale par la Wallonie (Langlois J., Propos d’un Liégeois, dans La Wallonie libre, juin 1946, p. 2). Il lui semble tout d’abord qu’il y a accord des militants wallons pour reconnaître à Liège le titre et le rang de métropole wallonne, ce qui ne peut qu’émouvoir profondément les Liégeois. Mais aussitôt Fernand Schreurs affirme nettement que la question de savoir quelle cité sera demain la capitale de l’État wallon est secondaire et, je dirai même, inopportune, craignant des rivalités particularistes et des discussions prématurées qui détourneraient les Wallons du combat qui (les) dresse contre la forme unitaire de la Belgique et contre la centralisation bruxelloise, combat qui est loin d’être gagné. Mais nous pouvons, tous ensemble, nous accorder sur un point : la capitale de la Wallonie doit être en Wallonie et non à Bruxelles. D’autre part, la capitale de la Wallonie ne pourra, quelle qu’elle soit, opérer une centralisation à son profit et Fernand Schreurs de proposer une répartition de l’administration wallonne selon ses compétences le long de la transversale Verviers-Tournai, à Liège, Namur et Charleroi. Ce n’est que 25 ans plus tard que ces réflexions visionnaires seront reprises.

Enfin, lors du troisième congrès national wallon de mai 1947 à Namur, le rapport introductif du secrétaire général Fernand Schreurs se conclut sur le regret que la Wallonie manque de symboles officiels admis par tous : drapeau, chant, fête et capitale spirituelle. C’est pourquoi, il est indispensable que nous mettions tout en œuvre, dès à présent, pour doter la Wallonie de ces attributs qui lui donneront les premiers caractères d’un État : une association des bourgmestres de Wallonie pourrait y pourvoir, notamment pour désigner la ville qui représenterait moralement la Wallonie et vers laquelle nos regards pourraient converger dans les heures de lutte difficile (Débats et résolutions, p. 28). Mais cette proposition, contradictoire d’ailleurs avec sa volonté un an plus tôt de report de toute décision quant au choix d’une capitale wallonne, ne rencontre aucun écho dans les débats du Congrès de 1947, ni dans les suivants.

Namur, « ville la plus centrale de la région wallonne »

Entre-temps, loin des sens figurés et des qualifications symboliques, une nouvelle préoccupation est apparue parallèlement sur le plan pratique : le choix, non d’une capitale ou d’un siège pour des institutions à créer, mais simplement d’un lieu régulier de réunion pour l’ensemble des militants wallons.

Déjà au Congrès wallon d’octobre 1905, le Rapport sur l’extension à donner aux organismes de propagande wallonne, préparé par Henry Odekerke, prônait la fédération des Ligues wallonnes locales existantes en une Ligue nationale, dont le siège pourrait être fixé à Liége, comme capitale de la Wallonie. La direction serait confiée à un Comité central, composé d’une vingtaine de membres et d’un président, nommés par un Congrès annuel, lequel se tiendrait chaque fois dans une ville différente (Compte rendu officiel, p. 98). La question fut encommissionnée et resta sans suite pratique.

Changement de cap au Congrès wallon du 7 juillet 1912 : Jean Roger, liégeois pourtant comme Henry Odekerke, propose la création d’un comité d’action wallonne composé des délégués des provinces wallonnes, qui au moins une fois par an, (…) convoquera et organisera le Congrès wallon dans l’une ou l’autre des grandes cités de la Wallonie et tiendra ses séances à Namur qui est la ville la plus centrale de la région wallonne (Compte rendu, p. 36). Cette proposition est adoptée comme corollaire de la motion de Jules Destrée en faveur de la séparation de la Wallonie et de la Flandre selon des modalités restant à étudier : l’Assemblée wallonne est ainsi en gestation.

Mais seule une première séance de travail se tient à Namur, le 21 juillet 1912, sous la forme d’une réunion élargie du Comité d’étude pour la sauvegarde de l’autonomie des provinces wallonnes créé en 1910 par la Ligue wallonne de Liège. Pourtant, dans sa réponse à l’enquête lancée le 25 juillet 1912 par Pourquoi pas ? sur le choix d’une fête nationale wallonne, Émile Jennissen souhaite une décision par l’assemblée wallonne qui doit se réunir régulièrement à Namur dès octobre prochain (Pourquoi pas ?, 12 septembre 1912, p. 340). Manque de salles adéquates à Namur ? Toujours est-il que c’est à l’Université du Travail de Charleroi qu’a lieu la séance constitutive de l’Assemblée wallonne le 20 octobre 1912. Ensuite, les instances permanentes mises en place au cours de celle-ci – un comité central composé du secrétaire général et du collège des présidents des 9 (puis 10) Commissions – se réunissent chaque fois, selon les comptes rendus de La Défense wallonne, à Bruxelles. Seules les séances plénières de l’Assemblée wallonne se tiennent généralement en Wallonie : en effet, après Charleroi, c’est au tour de Mons, Ixelles, Liège et Namur (le 29 mars 1914).

Après la Première Guerre mondiale, l’Assemblée wallonne est réorganisée avec désormais un bureau permanent de 14 membres élus, quatre sections provinciales et une section centrale : pour cette dernière, le nouveau règlement adopté le 15 février 1920 prévoit explicitement ses réunions à Bruxelles (art. 9) ; quant au bureau permanent, lorsque le lieu de ses réunions est précisé par La Défense wallonne, il s’agit toujours de Bruxelles. D’autre part, est créée une Union nationale wallonne, dont le secrétariat général est installé à Liège.

La motion de Jean Roger en faveur de Namur est donc bien oubliée !

Il est vrai qu’un regrettable événement, extérieur à la vie du Mouvement wallon, a pu affaiblir l’attractivité de la ville la plus centrale de la région wallonne. Le 21 mars 1917, le général baron von Bissing, gouverneur général allemand en Belgique occupée, qui développe une Flamenpolitik depuis 1915, s’appuyant sur la fraction dite activiste du Mouvement flamand, a décrété la séparation administrative de la Belgique. Son arrêté créant deux régions administratives, la flamande (qui englobe Bruxelles) et la wallonne, précise : L’administration de la première de ces deux régions sera dirigée de Bruxelles ; celle de la deuxième, de Namur (Pasinomie, 1917, p. 25).

Les ministères qui peuvent l’être commencent donc à être dédoublés par différents arrêtés (du 5 mai au 13 septembre 1917) et chaque ministère spécial pour la région administrative wallonne installé à Namur (Pasinomie, 1917, p. 38-39, 41, 51-52, 211). Devant le refus de la plupart des fonctionnaires francophones d’être transférés de Bruxelles vers Namur, le Verwaltungschef für Wallonien von Haniel, nommé par l’arrêté du 4 juillet 1917, connaît quelques difficultés pour remplir les locaux aménagés au Palais de Justice et à l’École des cadets. Des recrutements portent péniblement à un peu plus de 300, semble-t-il, le nombre de fonctionnaires en poste à Namur, des opportunistes en grande majorité, parfois venus de Flandre. Un seul militant wallon s’y fourvoie, en janvier 1918 : Oscar Colson, celui-là même dont la revue qu’il avait dirigée qualifiait régulièrement Liège de capitale de la Wallonie ! Il est lourdement condamné, avec une vingtaine de ses collègues, au procès de Namur en décembre 1919.

Si les Allemands ne décrètent nulle part expressément Namur capitale de la Wallonie, l’expression est rapidement utilisée dans le langage courant. Par exemple en France, en octobre 1917, Fernand Passelecq écrit que von Bissing a donné au pays deux capitales, Bruxelles pour la Flandre, Namur pour la Wallonie (Passelecq, p. 179). Ou en Belgique occupée, l’hebdomadaire L’Avenir wallon de Franz Foulon, l’un des quelques activistes wallons, après avoir ardemment prôné le choix de Liège comme capitale de la Wallonie les 8 et 15 février 1917, prend acte en mars de l’arrêté de von Bissing en ces termes : Le choix de Liége que nous avions indiqué pour la capitale administrative de la Wallonie, a été mis en balance avec celui de Namur dont on a apprécié la position plus centrale avec les avantages naturels qui en découlent. Nous avions nous-même prévu les inconvénients que pouvait offrir la situation un peu excentrique de Liége (…). Le choix de Namur résout cette difficulté, sans compter que cette jolie ville constitue un terrain neutre entre les deux particularismes hainuyer et liégeois dont les objections éventuelles viennent ainsi à tomber (Les deux capitales, dans L’Avenir wallon, 22 mars 1917, p. 3). Par la suite, le journal se désintéressera quasi totalement de Namur.

À la différence de ce qui s’est passé en Flandre, l’activisme wallon n’a été le fait que d’une poignée d’isolés et la séparation administrative n’a été en Wallonie – à Namur en particulier – qu’une création artificielle de l’occupant allemand. Mais dans la période d’exaltation patriotique d’après l’Armistice et face à la mauvaise foi de certains amalgames entre l’activisme flamand et le Mouvement wallon, celui-ci se doit d’être prudent, d’autant plus que l’expression Namur capitale de la Wallonie est parfois utilisée avec une connotation infamante. Ainsi en 1929 encore : Durant l’occupation allemande, la tenue de (la province de Namur) fut parfaite. (…) L’Allemand eut beau faire de Namur la capitale de la Wallonie, il n’y trouva pas d’allié. Ceux qui trahirent n’étaient pas de chez nous (Mélot, p. 348).

Si bien qu’il faut attendre 1945 pour que Namur puisse enfin jouer pleinement ce rôle annoncé en 1912 de ville la plus centrale de la région wallonne, en accueillant alors plusieurs organes permanents du Mouvement wallon, et non plus occasionnellement des assemblées ou congrès ponctuels au même titre que les autres villes de Wallonie, tels que la 2e session du Congrès wallon les 25 et 26 décembre 1891, les 5e et 11e sessions plénières de l’Assemblée wallonne les 29 mars 1914 et 19 octobre 1919, les 3e, 9e et 10e congrès de la Concentration wallonne les 4 septembre 1932, 18 décembre 1938 et 17 décembre 1939, ainsi que son congrès extraordinaire du 9 mars 1939 approuvant la création du Parti wallon indépendant, ou encore la fondation de l’Entente libérale wallonne, à Jambes, le 27 juin 1937 et la séance constitutive de la Société historique pour la défense et l’illustration de la Wallonie, ancêtre de l’Institut Jules Destrée, le 11 juin 1938.

Certes, pendant l’Entre-deux-Guerres, il y eut une douzaine de réunions à Namur du conseil général créé par la Concentration wallonne lors de son deuxième congrès d’octobre 1931 : d’une part, la première réunion du nouvel organe le 20 décembre 1931, à Namur, centre géographique de la Wallonie, vu la difficulté de certains délégués à venir à Liège, selon la proposition du président François Van Belle (Compte rendu officiel, p. 33) ; d’autre part, après l’adoption des statuts de la Concentration wallonne lors de son troisième congrès en septembre 1932, de la quatrième (13 novembre 1932) à la quatorzième réunion (4 octobre 1936). Mais le conseil général quitte Namur pour se réunir alternativement à Charleroi et à Liège après la révision des statuts adoptée au septième congrès en décembre 1936. Quant au bureau du conseil général, c’est à Liège qu’il se réunit, en moyenne une fois par mois, puis à Charleroi à partir de 1937. Si en 1939, le secrétariat général de la Concentration wallonne est transféré de Liège à Namur (au domicile de Gustave Guiot) et si quelques réunions se tiennent dans la cité du Bia bouquet, la Concentration wallonne n’est plus alors que l’ombre d’elle-même, paralysée par les dissensions et les défections.

Par ailleurs, est à signaler l’initiative en 1933 d’un mouvement adhérent à la Concentration wallonne, la Fédération des Universitaires wallons du Pays de Namur animée par Luc Javaux : la création à Namur, centre géographique du pays wallon, de la Bibliothèque publique de Wallonie, premier rassemblement d’ouvrages et revues consacrés à tous les aspects passés et actuels de la Wallonie (L’Étudiant wallon, n° 1, 11 février 1933). Ce fonds, par une convention passée avec la Ville, est mis en dépôt à la Bibliothèque communale mais semble avoir été dispersé lors de la Seconde Guerre mondiale.

Après la Libération, ce sont les deux plus importantes organisations du Mouvement wallon d’alors qui réunissent leurs organes permanents à Namur : le directoire de la Wallonie libre (en principe le premier dimanche de chaque mois) et le Comité permanent du Congrès national wallon (au moins une fois par trimestre, selon l’article 7 des statuts). Pendant la Grande Grève de l’hiver 60-’61, c’est à Namur et à Saint-Servais que se constitue (le 23 décembre 1960) puis se réunit régulièrement le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB, ménageant ainsi les susceptibilités syndicales liégeoises et hennuyères. Dans la foulée, c’est à Namur (rue Pépin) que s’installe le Mouvement populaire wallon créé en février-mars 1961 par André Renard. C’est à Namur encore qu’est installé en juillet 1963 le Collège exécutif de Wallonie qui organise le grand pétitionnement d’octobre-novembre 1963. Pour pallier la paralysie croissante du Collège exécutif de Wallonie au cours de l’année 1964, c’est généralement à Namur que se réunissent, de manière informelle, les quatre organisations Mouvement populaire wallon, Wallonie libre, Rénovation wallonne et Mouvement libéral wallon, puis la Délégation permanente des quatre mouvements wallons qu’ils formeront à partir de mars 1965. Il est piquant de noter que nombre de ces réunions wallonnes se sont tenues, en face de la gare de Namur, à l’Hôtel de … Flandre !

Ensuite, le relais des mouvements wallons en déclin est repris par de nouveaux partis politiques et c’est à Namur, le 26 juin 1965, que fusionnent en un Parti wallon le Front wallon (Charleroi), le Parti wallon des Travailleurs (Liège), le Rassemblement démocratique wallon (Namur) et le Front démocratique wallon (Brabant wallon). Le Parti wallon devient au début de 1968 le Rassemblement wallon, dont le bureau fédéral et les diverses commissions fédérales se réunissent généralement à Namur, tandis que le conseil général du FDF-RW (union décidée le 11 mai 1968 à Namur) siège (en principe une fois par mois) à Namur quand ce n’est pas à Bruxelles.

Namur, lieu de convocation régulier des militants wallons ; Namur, lieu de publication récurrent de nombreux communiqués, repris par la presse d’action wallonne mais aussi la presse quotidienne générale, et cela pendant plus d’une vingtaine d’années : on ne peut en négliger l’impact psychologique. Ce n’est certes pas le glorieux titre symbolique de capitale wallonne de Liège au début du siècle, mais c’est sans doute plus efficace pour ancrer peu à peu dans les esprits l’idée de Namur comme siège possible des nouvelles institutions à créer par la réforme de l’État, que l’on commence enfin à envisager sérieusement à partir de 1962 (Groupe de travail mis en place par le Gouvernement, d’octobre 1962 à octobre 1963, puis Table ronde de janvier 1964 à janvier 1965).

D’autant plus que Namur (ou Saint-Servais ou Jambes, qui seront fusionnés dans le Grand Namur au 1er janvier 1977) a continué entre-temps à accueillir diverses manifestations wallonnes ponctuelles, dont les plus marquantes ont été le troisième congrès national wallon les 3 et 4 mai 1947 (qui instaure le Comité (central) d’Action wallonne), la première assemblée générale des comités régionaux d’Action wallonne le 9 septembre 1951, un important congrès des socialistes wallons les 6 et 7 juin 1959 (qui marque une nouvelle prise de conscience wallonne), la constitution du Comité permanent des Fédérations wallonnes du PSB le 2 janvier 1961, l’Assemblée des Élus socialistes de Wallonie le 13 janvier 1961 à Saint-Servais (qui envoie une adresse au roi), les premier et deuxième congrès de Rénovation wallonne les 27 mai 1961 et 13 janvier 1962, le premier congrès du Mouvement populaire wallon les 18 et 19 novembre 1961, le grand congrès d’Action wallonne le 23 mars 1963, les congrès constitutif et doctrinal du Rassemblement wallon le 9 juin 1968 et les 22-23 mars 1969, le congrès des quatre Mouvements wallons le 22 février 1969 à Jambes, ainsi que divers conseils généraux ou congrès de Wallonie libre et de Rénovation wallonne, plusieurs congrès du Mouvement populaire wallon et du Rassemblement wallon.

Par ailleurs, c’est à Namur que s’est installé en 1966 le très actif CACEF, Centre d’action culturelle de la communauté d’expression française, asbl créée par les députations permanentes des provinces wallonnes et du Brabant.

Namur capitale géographique de la Wallonie

Dans la décennie précédant la réforme de l’État de 1970-1971, vont donc apparaître diverses suggestions d’installer les futures institutions wallonnes à Namur, qui est même pour la première fois, mis à part l’épisode de 1917, qualifiée occasionnellement de capitale.

Félix Rousseau a subtilement transmis le témoin de relais entre Liège et Namur en accueillant le 77e congrès de l’Association française pour l’Avancement des Sciences, le 15 juillet 1958 à Namur : Ici, vous êtes au cœur de la Wallonie. Si Liège est la capitale spirituelle de la Wallonie, Namur en est la capitale géographique (Le Guetteur wallon, 1959, n° 1, p. 1. On se souviendra que c’est à l’occasion du 48e Congrès, à Liège, de cette même AFAS en 1924 qu’avait été publié l’ouvrage Liège, Capitale de la Wallonie).

En 1962, Wallonie libre titre Namur  capitale de Wallonie son écho d’une déclaration en ce sens de l’évêque auxiliaire de Namur, Mgr Musty : Sa position géographique désigne naturellement Namur comme la capitale de la Wallonie (septembre 1962, p. 6). Dans une publication électorale du PLP de Liège en vue des élections communales d’octobre 1964, Jean Lejeune, avant de répondre Liège à la question quelle ville authentiquement wallonne pourrait être la capitale des Wallons ?, réfute les arguments en faveur de Namur, signe que l’idée commence à prendre corps (FHMW, documents électoraux). En 1965, une importante réunion d’élus wallons, organisée à Namur le 11 janvier par les députations permanentes des provinces wallonnes sur la problématique de l’eau et des barrages, est commentée par Combat en ces termes : Namur apparaît doucement comme le lieu de rencontre des Wallons (d’aucuns disent « la capitale ») (21 janvier 1965, p. 2).

En septembre 1966, lors du traditionnel Hommage à la Terre wallonne de la fête de la Wallonie à Bruxelles, Jean Duvieusart lance un vibrant appel à la conscience et à l’unité des Wallons et, interpellant ceux-ci tour à tour, s’adresse ainsi aux Namurois : Je fais appel à vous, à vous surtout, Namurois, à qui la Wallonie demandera et apportera beaucoup, car vous êtes le centre de la Wallonie, sur lequel devra s’effectuer une importante partie de la décentralisation que nous réclamons (Rénovation, octobre 1966, p. 3 ; repris dans L’Ethnie française, novembre-décembre 1966, p. 313). En octobre 1968, à propos d’une Assemblée des parlementaires wallons envisagée pour discuter d’un mémorandum du Conseil économique wallon, Robert Moreau affirme qu’elle doit se tenir rapidement et à Namur, ville destinée à devenir le centre administratif de la Wallonie (La Libre Belgique, 3 octobre 1968).

Cette assemblée s’étant finalement tenue le 5 novembre 1968 à Bruxelles, Maurice V. Willam, secrétaire général de la Fondation Charles Plisnier et rédacteur en chef de sa revue, termine un long et vigoureux éditorial déplorant Les luttes tribales wallonnes par cette réflexion : Autre drame de la conscience wallonne : le manque de soutien psychologique externe. Un exemple : la Wallonie n’a pas de capitale ! N’est-il pas étrange que les élus wallons – sans les Bruxellois – aient dû se réunir à Bruxelles ? Pourquoi ne décrète-t-on pas enfin Namur comme capitale de la Wallonie ? Il ne pourrait y avoir à ce sujet d’autres discussions que celles suscitées par un bas égoïsme localiste, car c’est la seule ville en position, tant géographique, que démographique et culturelle, d’être admise par tous (L’Ethnie française, novembre-décembre 1968, p. 3).

Début 1969, en réponse au questionnaire Qu’est-ce que la Wallonie ? du Bulletin trimestriel des Amis de l’Université de Louvain, Willy Lassance, conservateur du Fourneau Saint-Michel et cadre du Rassemblement wallon, écrit : À la question de savoir quelle sera demain la capitale de la Wallonie, je réponds sans hésiter : Namur, futur poste de commandes routières et ferroviaires, centre de tourisme et de culture et cœur de la Wallonie, cette terre de nos espoirs à la recherche de son nouveau destin … (Louvain, n° 1, 1969, p. 35 ; repris dans L’Ethnie française, mars-avril 1969, p. 27-28). En avril 1969, lors de la 51e Semaine sociale wallonne du Mouvement ouvrier chrétien à Liège, le sociologue Marc Delbovier affirme que la position centrale (de Namur) en fait une capitale régionale toute désignée, de vocation essentiellement administrative, commerciale et tertiaire, ajoutant que de ce point de vue, il est urgent que le Namurois sorte d’un certain attentisme (Une Wallonie pour les travailleurs, Bruxelles, Éd. Vie ouvrière, 1969, p. 30). Cet appel sera entendu, puisque pour les élections communales du 11 octobre 1970, plusieurs listes namuroises, surtout la libérale conduite par Jean-Marie Ledoux, font campagne sur le thème Namur capitale de la Wallonie (FHMW, documents électoraux).

Cependant, Liège, qui est restée après la Seconde Guerre mondiale un des centres moteurs les plus actifs du Mouvement wallon (siège du Congrès national wallon, du Conseil économique wallon, de l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, etc. ; lieu de nombreuses assemblées et manifestations wallonnes de masse) et à laquelle on a pensé pour accueillir dans son Hôtel de ville les États généraux de Wallonie envisagés fin juillet 1950 au plus fort de la crise de la Question royale, n’a pas abdiqué ses prétentions. Ainsi l’asbl Le Grand Liège, fondée en 1937, se donne explicitement en 1949 l’objectif de rendre à Liège le rôle et les avantages d’une capitale (Lejeune, p. 55). Pour les élections communales de 1964, plusieurs tracts électoraux, du PLP, du PSB ou du Front wallon, insistent sur le rôle de capitale de la Wallonie que Liège doit jouer pleinement (FHMW, documents électoraux). La cité ardente séduit même des Hennuyers : par exemple, en février 1956, elle est qualifiée par le poète Willy Bal de vaisseau amiral des villes wallonnes (remise du Prix biennal de la Ville de Liège) et par Arille Carlier de La Mecque vers laquelle les Wallons conscients se rendent pieusement en pèlerinage (inauguration du FHMW). Le gaumais Jean Fosty, dans la chronique À bâtons rompus qu’il tient sous le pseudonyme de Jean de Mâdy dans la Revue du Conseil économique wallon, exprime son admiration fervente et son attachement pour Liège capitale historique de la Wallonie, autour de laquelle doit se réaliser l’union de la Wallonie malgré sa position excentrique car sans Liège la Wallonie serait dépourvue de tête et d’âme et le pays wallon n’existerait pas (n° 77, novembre 1965, p. 40 ; n° 100, juillet 1971, p. 53). Liège est même présentée, sans aucun commentaire restrictif quant au sens figuré de l’expression, comme la capitale de la Wallonie par le Grand Larousse encyclopédique en dix volumes (vol. 10, 1964, p. 917) et le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (vol. 10, 1985, p. 10.887) dans leur notice Wallonie.

L’impulsion décisive en faveur de Namur est donnée début 1971 par Jacques Hoyaux, qui, après l’avoir déjà suggéré au congrès de la Fédération de Charleroi du PSB le 16 janvier (Namur, capitale de la Wallonie, dans Wallonie libre, 15 février 1971, p. 2), propose en mars 1971, sur trois pleines pages de Wallonie libre, cartes à l’appui, une mesure limitée, efficace, réalisable à moyen terme : la création d’un centre administratif wallon en implantant les sections françaises des quatre ministères déjà dédoublés à Namur, ville la mieux située pour desservir la totalité de la Wallonie et future capitale de l’État wallon (La Wallonie a besoin d’un centre administratif propre : Namur et les environs ont une vocation wallonne évidente, dans Wallonie libre, 15 mars 1971, p. 1, 6 et 7 ; une Édition spéciale Namur de 4 pages est par ailleurs diffusée). Des arguments géographiques, économiques et sociaux y sont développés, repris et complétés par d’autres, psychologiques et historiques, dans une longue interview à l’hebdomadaire Rénovation (Namur, centre administratif wallon : un projet concret de « Wallonie libre », dans Rénovation pour l’union des progressistes, n° 49, 21 avril 1971, p. 8-9). La presse quotidienne accorde un certain écho à cette proposition.

Un appel ayant été lancé aux lecteurs, Wallonie libre revient sur le sujet en avril et en juin, en publiant des réactions, toutes favorables à Namur (sauf une, très courte, en faveur de Paris et Liège à la fois) alors que, par exemple, le comité de la Fédération liégeoise de la Wallonie libre a énergiquement protesté contre cette initiative, comme en témoigne un communiqué du 11 mai 1971 (FHMW, Fonds R. VanHam). Jacques Hoyaux, en présentant les courriers publiés, reconnaît d’ailleurs que le choix de Namur a soulevé certaines réserves. Chacun – c’est bien compréhensible – voudrait défendre sa ville, surtout si elle s’appelle Liège  Et pourtant nous n’avons fait que suivre l’exemple de maints groupements. Où donc se réunissaient ou se réunissent le Comité permanent du Congrès National Wallon, les instances dirigeantes du MPW, la délégation permanente des mouvements wallons, le Directoire de la Wallonie libre, sinon à Namur. Cette reconnaissance de fait et les avantages géographiques sont des raisons suffisantes pour opter en faveur de la région namuroise. Par ailleurs, Jacques Hoyaux apporte une précision importante : Certains ont cru pouvoir nous accuser « de centraliser » à nouveau. Il semble qu’une phrase de l’article n’ait pas retenu l’attention souhaitable : (État wallon) que nous souhaitons largement décentralisé en direction de toutes ses composantes (Wallonie libre, 15 avril 1971, p. 6).

Namur, siège du Conseil culturel ?

Lorsque, après sa traditionnelle pause de l’été, Wallonie libre reprend le sujet en septembre 1971, le contexte a radicalement changé : la loi du 21 juillet 1971 – qui concrétise l’existence des Conseils culturels pour les deux Communautés culturelles, française et néerlandaise – convoque ceux-ci pour leur installation officielle le 1er décembre 1971 (art. 26), mais sans rien dire de la localisation de leur siège. Le Soir du 30 juillet 1971 avait posé la question à la une : Les Conseils culturels seront installés au 1er décembre : le siège des deux nouvelles assemblées sera-t-il à Bruxelles ou dans une « capitale » régionale ?

Naît aussitôt une violente polémique, qui durera sept mois et sera même une des causes de la crise politique entraînant dissolution des Chambres le 24 septembre et élections anticipées le 7 novembre 1971. Diverses conceptions de la Belgique nouvelle s’affrontent. Les partisans du choix de Bruxelles estiment que, tout comme pour le Parlement, il était inutile de déterminer explicitement le siège des Conseils culturels puisqu’ils seraient de simples branches du pouvoir législatif central et donc eux aussi intimement liés au pouvoir exécutif dont le siège est fixé à Bruxelles par l’article 126 de la Constitution. Ils avancent en outre des arguments pratiques et financiers, ainsi que stratégiques : ne pas abandonner la Capitale aux Flamands. Il est vrai que ceux-ci délaisseront rapidement, pour le siège de leur Conseil culturel, les propositions d’Anvers, Gand, Bruges ou Malines au profit de Bruxelles qui a toujours été une ville flamande (De Standaard, 2 août 1971). Le sophisme du repli de la Wallonie sur elle-même, qui y perdrait en se coupant de Bruxelles, était ainsi lancé avec succès dans les milieux unitaristes (La Libre Belgique, 6 août 1971 ; Pourquoi pas ?, 2 septembre 1971).

L’autre camp est favorable à une installation du Conseil culturel français hors de Bruxelles, en vue d’une décentralisation nécessaire, ou d’une rupture psychologique indispensable, ou d’une autonomie wallonne à concrétiser, ou encore d’un fédéralisme à préparer. Il faut noter que, dans la fièvre des débats, les arguments wallons confondent régulièrement les deux dimensions du nouvel État communautaire et régional issu de la réforme constitutionnelle de 1970. En témoigne l’emploi fréquent de l’inadéquate expression Conseil culturel wallon, y compris par le ministre des Relations communautaires Fernand Dehousse lui-même, pourtant fin juriste. Il est vrai que les Wallons aspiraient plus à l’autonomie régionale, qui s’éloigne (l’article 107quater est en train alors d’entrer au frigo pour dix ans) qu’à l’autonomie culturelle, qui se réalise, chère aux Flamands.

Coup de théâtre le 7 août 1971 avec la révélation par un communiqué du gouvernement provincial de Namur que le gouverneur René Close et la députation permanente avaient discrètement proposé au gouvernement national Namur comme siège du Conseil culturel français dès le 8 juillet ! Mis devant le fait accompli, l’ensemble des forces wallonnes va se mobiliser, bon gré mal gré, autour de la candidature de Namur. Les arguments avancés par Jacques Hoyaux au début de 1971 dans Wallonie libre seront souvent explicitement repris.

Même les Liégeois soutiennent Namur, au nom de la nécessaire unité des Wallons : Joseph Coppé, l’éditorialiste de La Wallonie, dès le 7 août, Fernand Dehousse, en tant que sénateur socialiste de Liège, dans une interview à La Wallonie le 10 septembre, le Conseil communal de Liège le 13 septembre, l’asbl Le Grand Liège dans une résolution adoptée le 9 septembre et diffusée le 17, le bourgmestre Maurice Destenay dans son discours des Fêtes de Wallonie le 26 septembre, le nouveau Gouverneur de la Province de Liège Gilbert Mottard dans une interview à Vers l’Avenir le 22 septembre, ou encore Jean-Maurice Dehousse dans La Wallonie le 9 octobre. Toutefois, Fernand Dehousse, le Conseil communal liégeois, Maurice Destenay ou Gilbert Mottard réservent leur opinion pour les autres institutions à venir, revendiquant plus ou moins clairement leur installation à Liège ou à tout le moins une concertation entre Wallons pour les choix futurs.

Sont ainsi reprises par le monde politique, certes non sans arrière-pensées localistes, les propositions du Mouvement wallon, celles du précurseur Fernand Schreurs en 1946, de Jacques Hoyaux refusant en avril 1971 une nouvelle centralisation, ou encore du Comité permanent du Congrès national wallon, le 18 septembre 1971, qui, certain que l’intérêt de la Wallonie postule la répartition des administrations décentralisées et des institutions nouvelles entre les principales villes de Wallonie, émet le souhait que les mandataires du peuple wallon se concertent afin de fixer les conditions de cette indispensable régionalisation (La Nouvelle Revue wallonne, juillet-décembre 1971, p. 107).

La problématique faisant l’objet de la présente notice passait ainsi du Mouvement wallon au monde politique, sortant donc du cadre de cette Encyclopédie. C’est pourquoi ne seront qu’esquissées les grandes étapes ultérieures de la concrétisation du statut de Namur capitale régionale, en remarquant que ses quatre acteurs principaux sont issus du Mouvement wallon : Jacques Hoyaux, Robert Moreau, Jean-Maurice Dehousse et Bernard Anselme.

Namur, capitale régionale

C’est finalement le 7 décembre 1971 qu’est installé le Conseil culturel français, dans les locaux du Sénat, et la polémique concernant son siège ne cessera qu’avec le vote, en sa 3e séance le 7 mars 1972, du choix définitif de Bruxelles. Les débats sont houleux et le malaise est grand chez les parlementaires wallons du PSC et surtout du PSB, soumis à de strictes consignes de discipline de vote, sauf pour les socialistes namurois.

Parallèlement à la révision de la Constitution, dont seul le volet communautaire est alors concrétisé, a été adoptée, à défaut de la véritable régionalisation chère aux Wallons, la loi du 15 juillet 1970 (dite Loi Terwagne) portant organisation de la planification et de la décentralisation économique. Trois institutions issues de cette loi sont installées à Namur : le 16 octobre 1971 le Conseil économique régional pour la Wallonie (CERW, devenu en 1984 le Conseil économique et social de la Région wallonne, CESRW), le 17 septembre 1973 la Société de Développement régional pour la Wallonie (SDRW, qui ne pourra vraiment fonctionner qu’à partir de la fin 1975) et en juin 1974 la section wallonne du Bureau du plan.

D’autre part, la loi du 1er août 1974 (dite loi Perin-Vandekerckhove) crée des institutions régionales, à titre préparatoire à l’application de l’article 107quater de la Constitution. Le Comité ministériel des Affaires wallonnes, présidé par Alfred Califice, choisit symboliquement Namur pour sa première réunion le 25 novembre 1974 (puis retourne siéger à Bruxelles). Le Conseil régional wallon est installé à Namur le lendemain, 26 novembre, en la salle du Conseil provincial et y siégera jusqu’en mars 1977, ses services administratifs occupant le château de la Plante. Mais cet organe purement consultatif, boycotté par l’opposition socialiste, sera supprimé par la loi du 19 juillet 1977.

Enfin, le 22 octobre 1979, est officiellement constituée à Namur la Société régionale d’investissement de Wallonie, créée par la loi du 4 août 1978 de réorientation économique et par l’arrêté royal du 15 décembre 1978, qui en fixe le siège à Namur. La SRIW commence à fonctionner effectivement à partir du 1er mars 1980, au château de la Plante provisoirement puis à Jambes.

Toutefois, ces choix successifs en faveur de Namur n’ont pas désarmé les partisans de Liège, dont la candidature a été avancée les 3 et 5 décembre 1971 respectivement par le Conseil provincial liégeois et par Wallonie libre pour accueillir la SDRW, puis le 28 octobre 1974 par le Conseil communal de Liège, soutenu le 21 novembre par la députation permanente liégeoise, pour être le siège des services régionaux à venir. En vain. Si bien que, à l’occasion des discours des Fêtes de Wallonie en septembre 1977, le ton monte entre Namur et Liège, toutes deux revendiquant le titre et le rôle de capitale.

Pendant ce temps, Jacques Hoyaux et Robert Moreau – qui en 1974 deviendront l’un sénateur, l’autre secrétaire d’État – répètent de 1973 à 1977 des prises de position en faveur d’une répartition concertée entre les grandes villes wallonnes des administrations à décentraliser ou à régionaliser. J. Hoyaux suggère même, en octobre 1974, de choisir Charleroi pour les Affaires sociales et R. Moreau, en septembre 1976, de répartir économie régionale à Liège, institutions politiques à Namur, affaires culturelles à Mons et affaires sociales wallonnes à Charleroi (Forces wallonnes, 25 septembre 1976, p. 5).

Ils finiront par être entendus par les bourgmestres des quatre grandes villes wallonnes, le liégeois Édouard Close, le carolorégien Lucien Harmegnies, le montois Abel Dubois et le namurois Louis Namèche. Ceux-ci, en relation avec J. Hoyaux, devenu secrétaire d’État à la Réforme des Institutions, se concertent en 1978 au cours de cinq réunions (dont celle, décisive, du 27 juin à Wépion) pour proposer au gouvernement une répartition des fonctions : politique à Namur, économique à Liège, sociale à Charleroi et culturelle à Mons. Le 3 février 1983, cet accord sera rappelé avec détermination par les quatre villes à l’Exécutif régional wallon.

En 1979-1980, la régionalisation prévue par l’article 107quater se concrétise enfin. Le premier Exécutif régional wallon, créé à titre provisoire dès avril 1979 au sein du Gouvernement Martens I et présidé par Jean-Maurice Dehousse, choisit symboliquement Namur pour y réunir le 14 mai 1979, afin d’entendre sa première Déclaration de politique régionale, une informelle « Assemblée des Parlementaires de la Région wallonne », en attendant l’officiel Conseil régional wallon. Celui-ci se réunit pour la première fois le 15 octobre 1980 au Sofitel de Wépion, dont la ville de Namur louait une moitié dans ce but depuis mars 1978. À partir du 23 décembre 1981, c’est à l’ancienne Bourse de commerce de Namur que le CRW tient ses séances, puis à partir du 21 octobre 1998 au Saint-Gilles, ancien hospice rénové. Les services de son greffe s’installent rue Saint-Nicolas en janvier 1981.

Quant à l’Exécutif régional wallon, après n’avoir pu pendant plus de trois ans que répéter le leitmotiv ni nouvelle centralisation, ni éparpillement, c’est le 12 juillet 1983 qu’il confirme enfin et précise le principe qu’il avait dégagé le 27 octobre 1982 : selon sa décision, adoptée difficilement par 4 voix contre 2, d’une part le siège de l’Exécutif régional wallon et celui de ses services centraux sont fixés à Namur (Moniteur belge, 26 août 1983, p. 10.703 ; une décision sur ce point ne pouvait plus attendre, étant réglementairement imposée par le processus de création des nouvelles administrations communautaires et régionales) ; d’autre part le transfert – le rapatriement dira J-M. Dehousse – de Bruxelles à Namur devra se faire en 1985 au plus tard, la localisation actuelle des services décentralisés (dits aussi « services extérieurs ») étant maintenue. Enfin les sièges de la SRIW et du CESRW sont fixés à Liège, ceux des futurs pararégionaux de l’emploi et du logement à Charleroi, et de l’eau à Verviers.

C’est ainsi que devront déménager de Namur à Liège la SRIW (en 1993) et le CESRW (en 1994), et que seront installés à Charleroi la Société régionale wallonne du logement (SRWL) et le FOREm, à Verviers la Société wallonne des distributions d’eau (SWDE).

Deux ministres de l’Exécutif régional wallon installent leur Cabinet à Jambes : à la rue Van Opré en décembre 1984 Valmy Féaux, chez qui se tient la première réunion namuroise officielle de l’ERW le 13 mars 1985, et à l’avenue Prince de Liège en septembre 1985 le Ministre-Président J-M. Dehousse, qui ira fleurir la tombe de François Bovesse.

Le ministère de la Région wallonne, créé à partir de 1983 en intégrant des fonctionnaires de huit départements nationaux et le personnel de la SDRW dissoute, transfère en 1985 ses premiers agents de Bruxelles à Jambes ou Namur, où ils rejoignent leurs collègues de l’ex-SDRW, déjà sur place. Les projets d’implantations provisoires ou définitives se multiplient. C’est que le temps presse : le PRL veut, après les élections du 13 octobre 1985, fusionner la Communauté française et la Région wallonne et donc abandonner Namur pour Bruxelles. J-M. Dehousse s’insurge : L’opposition à la Wallonie commence. Des intellectuels wallons, proche du manifeste pour la culture wallonne de 1983, se disent inquiets et choqués. L’agitation wallonne s’intensifie (Hiernaux, 2002-a, p. 28).

Le nouvel Exécutif, PRL-PSC, présidé par Melchior Wathelet, décide, dès sa constitution le 11 décembre 1985, de retourner à Bruxelles et de suspendre les transferts de fonctionnaires vers Namur. La polémique fait rage. Il est finalement décidé le 6 mars 1986 de, quand même, localiser 650 fonctionnaires wallons à Namur, ravalée au rôle de simple centre de services, les 250 autres et l’Exécutif restant à Bruxelles, où doit s’affirmer l’ancrage politique.

Pour tenter de parer cette grave menace à l’encontre de la Wallonie et de Namur, Bernard Anselme, conseiller régional du PS rejeté dans l’opposition, avait déposé dès le 28 novembre 1985, avec 5 collègues PS et Écolo, une Proposition de décret instituant Namur capitale de la Région wallonne (Article unique. Namur est la capitale de la Région wallonne et le siège de l’Exécutif.) et une Proposition de décision fixant le siège du Conseil régional wallon à Namur (en application de l’article 10 du Règlement d’ordre intérieur du Conseil). Ces deux propositions, suivies le 5 décembre de deux autres, plus modérées, du PSC, déboucheront finalement, après une longue bataille d’amendements en Commission de mars à novembre 1986, émaillée d’incidents de procédure, sur le vote du Décret instituant Namur capitale de la Région wallonne, qui ne disait plus rien de l’ERW : Article unique. Namur, capitale de la Région wallonne, est le siège du Conseil régional Wallon. Le Conseil pourra tenir des réunions en un autre lieu, s’il en décide ainsi (Moniteur belge, 17 février 1987, p. 2.211). On remarquera que pour ce décret, fruit de laborieux compromis, son intitulé ne correspond pas aux prédicats de ses deux phrases : tout comme pour Liège au début du siècle, Namur n’est ici qualifiée de capitale qu’au détour d’une phrase traitant d’un autre sujet, en l’occurrence le siège du CRW. Décidément, de non-dits en détours, singulière genèse que celle du choix de la capitale wallonne.

Quoi qu’il en soit, avec l’Exécutif suivant, PS-PSC, présidé par Guy Coëme brièvement (février-mai 1988) puis par Bernard Anselme lui-même, le décret Anselme trouve sa pleine signification et Namur la plénitude de son statut officiel. Le ministre Amand Dalem installe une partie de son Cabinet à Jambes dès le mois de mars 1988 (à la rue Van Opré), suivi par André Cools en avril (à l’avenue Bovesse) et par Bernard Anselme en septembre, à l’ancien hôtel de ville de Namur rue de Fer, où se tiendront désormais les réunions hebdomadaires de l’Exécutif, jusqu’à l’installation en mai-juin 1991 du Ministre-Président à la Maison jamboise (rapidement surnommée L’Élysette après la prise de fonctions de Guy Spitaels en janvier 1992). Le ministre André Baudson rejoint Jambes en septembre 1989 (à l’avenue Bovesse), mais les trois Cabinets ministériels et demi restant à Bruxelles s’abstiennent de faire de même ; ce sont les Cabinets PSC qui résisteront le plus longtemps : le dernier transfert à Namur est celui de Guy Lutgen en mars 1998 ; quant à William Ancion, successeur de Jean-Pierre Grafé, il demeure à Bruxelles jusqu’à la fin de son mandat en 1999. C’est le Gouvernement PS-PRL-Écolo présidé par Elio Di Rupo à partir de juillet 1999 qui sera le premier à voir tous les ministres wallons installés en Wallonie. D’autre part, les fonctionnaires wallons restés à Bruxelles ou nouvellement régionalisés – création du ministère wallon de l’Équipement et des Transports en 1989‑1990 – commencent à partir de 1988 à être transférés à Namur ou à Jambes service par service, dans un premier temps souvent dans des locaux loués provisoirement. Les achats ou les constructions d’immeubles se multiplient : Namur, une capitale qui se construit peut affirmer l’exposition organisée en septembre 1990 par Bernard Anselme pour présenter les divers chantiers en cours ou en projet.

Celui-ci reçoit, le 21 novembre 1991, la reconnaissance du Mouvement wallon avec le prix de la Fondation Maurice Bologne-Lemaire : la capitale de la Wallonie est enfin, de manière concrète et irréversible, ancrée en terre wallonne, au confluent de la Sambre et de la Meuse, dans la ville chère à François Bovesse, Félix Rousseau, Fernand Danhaive, Fernand Massart … et Joseph Grandgagnage, le créateur du mot Wallonie.

Jean-Pol Hiernaux

 

 

L'Institut Destrée L'Institut Destrée,
ONG partenaire officiel de l'UNESCO (statut de consultation) et 
en statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social
des Nations Unies (ECOSOC) depuis 2012
  The Destree Institute The Destrée Institute,
NGO official partner of UNESCO (consultative status) and 
in Special consultative status with the United Nations Economic
and Social Council (ECOSOC) since 2012 

www.institut-destree.eu  -  www.institut-destree.org  -  www.wallonie-en-ligne.net   ©   Institut Destrée  -  The Destree Institute