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Après les essais infructueux de création d’une union douanière entre petites puissances entre 1930 et 1932, qui procédait d’une intention analogue à celle de la politique d’indépendance, le Benelux voit le jour, à Londres, en pleine guerre. La convention d’union douanière signée le 5 septembre 1944 entre les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique constitue l’acte originel de la création du Benelux. Elle fut précédée d’un accord monétaire belgo-néerlandais en 1943 et entra en vigueur le 1er janvier 1948. Dès le départ, l’opinion wallonne fut divisée sur cette union économique à trois. Si certains y voient une belle occasion d’élargir le marché intérieur dans l’optique d’une Europe unifiée, d’autres y perçoivent tout de suite un risque pour l’économie du pays, notamment en raison des différences salariales entre les Pays-Bas et la Belgique qui génèrent une situation de concurrence dont la Hollande tire tout le profit. Par ailleurs, beaucoup s’interrogent sur le véritable dessein de cette tripartite. Dans Wallonie 70, naissance d’un Peuple, André Patris souligne que l’éclipse temporaire de la France, la dispersion du Parlement belge laissaient les coudées franches au gouvernement Pierlot qui mit l’opinion publique devant le fait accompli. En optant, à la faveur des circonstances, pour un rapprochement sur toute la ligne avec les Pays-Bas, en entrant résolument dans le sillage des Anglo-saxons, les dirigeants belges consacraient la prééminence des vues flamandes dans le secteur vital des affaires étrangères.

En fait, Le Mouvement wallon est le premier, et quasi le seul, à mettre l’opinion publique en garde contre les implications de Benelux et à réclamer, en contrepartie ou en complément, un rapprochement économique et culturel avec la France. Favorable à la construction européenne, le Mouvement wallon souhaite inscrire la Wallonie dans une vision internationale et développer son infrastructure en conséquence. Lors du Congrès wallon de 1906, déjà, Achille Chainaye s’était opposé à un projet d’entente hollando-belge que préconisaient à l’époque quelques propagandistes et hommes de lettres flamands. Selon lui, la Belgique n’avait nullement besoin du concours des Pays-Bas pour continuer à prospérer. En outre, cette entente n’aurait pas manqué de minoriser davantage l’élément wallon au sein de l’État belge. Il ne s’agissait évidemment pas encore d’une critique du Benelux mais les arguments d’opposition au Benelux étaient déjà fixés. On les retrouvera avec régularité dans les numéros du journal Le Réveil wallon, en 1907 et 1908, qui défendait ainsi une des résolutions adoptées par le Congrès wallon de 1906. Dans le journal L’Action wallonne, une enquête sur la question sera présentée en 1907.

Lors de la journée d’études consacrée aux Relations extérieures de la Belgique et organisée par le Comité permanent du Congrès national wallon (Dinant, 4 juillet 1948), le rapporteur général, Fernand Dehousse, fait remarquer que le Benelux mérite mieux que sa réputation. Selon lui, le Benelux est un “ paradoxe politique ” : sentimentalement, ce sont les Flamands qui le souhaitent et les Wallons qui y sont réfractaires. Économiquement, ce sont les Wallons qui devraient y souscrire tandis que les Flamands devraient se montrer réticents. Pour affirmer les effets positifs qu’il entrevoit dans cette union, il s’appuie sur une enquête réalisée par le Conseil économique wallon en juin 1947 auprès de personnalités économiques wallonnes qui semblent adhérer de manière unanime au Benelux.

Cette analyse se voulant positive ne récoltera que peu d’adhérents. Au Congrès national wallon de 1949, les militants wallons manifestent une inquiétude évidente vis-à-vis des Pays-Bas, frère de sang de la Flandre. Qualifié de version moderne de l’orangisme, le Benelux peut servir une certaine politique flamande. D’après Georges Dotreppe, membre du directoire de la Wallonie libre, le Benelux, né en terre anglaise et tourné vers la Grande-Bretagne et les États-Unis, favorise la politique anglo-saxonne anti-française, ce qui ne sert en rien la Wallonie, sœur de la France.

Il ressort des débats que le système pourrait être intéressant s’il n’était pas limité à ces trois pays. Le souhait de voir le Benelux s’étendre à la France est clairement exprimé. Jean Terfve fait aussi remarquer que le Benelux n’est que l’embryon d’un bloc occidental voulu par l’Angleterre. En conclusion, le Congrès national wallon exprime clairement que le Benelux ne doit pas aboutir à la réalisation d’une unité politique sous peine de voir la Wallonie complètement minorisée : quatre millions de francophones perdus au milieu de vingt millions de néerlandophones.

Les années suivantes voient l’opinion wallonne se durcir dès lors que le Benelux tend vers une union qui n’est plus seulement économique mais aussi culturelle, juridique et politique : réunion économique le 15 octobre 1949, politique commerciale commune le 9 décembre 1953, conseil interparlementaire à compétence économique, culturelle et juridique le 7 novembre 1955, union économique décidée le 3 février 1958 et appliquée en 1960 avec instauration d’un Conseil interparlementaire beneluxien. Les 49 membres de ce Conseil se divisent en 21 parlementaires hollandais, 21 belges, dont sept wallons, et sept grands-ducaux. La minorisation de la Wallonie est évidente au sein des instances beneluxiennes.

Les milieux wallons s’inquiètent. De plus en plus, ils ressentent le Benelux comme une tentative de reconstruction de l’unité des anciens Pays-Bas. Ils en veulent pour preuve les fastes du 500e anniversaire des États généraux, le 29 mai 1964 ; cette commémoration décidée par le Conseil interparlementaire consultatif du Benelux est considérée comme scandaleuse et provoque de vives réactions wallonnes, dont celles de Maurice Bologne et de François Perin. Dans Combat (21 mai 1964), le futur ministre de la Réforme des Institutions écrit que l’opinion wallonne n’acceptera jamais que Benelux soit un instrument politique au sein de l’Europe. De plus, les défenseurs du Benelux versent dans un anti-gaullisme qui ne pouvait que heurter certains militants wallons. La coupe déborde lorsque, au lendemain du retrait de la France de l’Otan, Pierre Harmel s’empresse de briguer pour la Belgique le siège de l’organisation militaire (Patris, Wallonie 70, p. 65). En mai 1967, le député Perin interpelle le ministre des Affaires européennes et de la Culture, Renaat Van Elslande, sur les effets anti-européens du Benelux. Pour le Mouvement wallon, la politique du Los van Frankrijk ! réapparaît sous les formes du Benelux. L’argument le plus souvent utilisé pour dénoncer le Benelux est qu’il correspond à un retour à 1815. Dans l’éditorial du Soir du 28 décembre 1968, l’Académicien Marcel Thiry le dénonce comme une tentative de vassalisation de la Belgique à l’égard de la Hollande, tout comme il le fera encore en 1978 au Sénat.

En avril 1969, se tient une réunion intergouvernementale des trois pays dont les objectifs affichés sont : donner une nouvelle impulsion à l’union économique, poursuivre la collaboration dans certains domaines qui ne relèvent pas de cette union économique et étudier un rapport sur la manière de renforcer la coopération dans les domaines de la politique étrangère, de la culture, de la législation, etc. De plus, le baron Van Lynden, hollandais, secrétaire général du Benelux, annonce le projet de créer des institutions supranationales au Middengebied (Campine et Brabant néerlandais). Les milieux wallons comprennent ces deux événements comme une réelle tentative d’unification sociale, culturelle et politique du Benelux. Guy Galand, dans Wallonie libre, tire la sonnette d’alarme et invite les Wallons, parlementaires et le peuple à quitter Benelux de leur propre mouvement.

La sortie de l’ouvrage de Gallus (pseudonyme d’André Patris), préfacé par Lucien Outers, Benelux : 20 millions de Néerlandais ? chez Desclée-Debrouwer en 1969, ne fera que confirmer la méfiance des Wallons. Le Benelux est véritablement ressenti comme un frein à l’intégration de la Wallonie à l’Europe. La Wallonie est étouffée au sein du Benelux qui est considéré non seulement comme un instrument anti-français mais aussi comme anti-wallon (juin 1979 – Wallonie libre). Au nom des socialistes wallons, Fernand Delmotte affirmera la nécessaire construction rapide de la Communauté européenne afin d’y dissoudre le Benelux.

 Marie-Paule Bouvy

 

 

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