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Une sorte de Parlement wallon informel

Sa mission : étudier la séparation administrative

Les déchirements de l’après-guerre

 

 

Qualifiée tour à tour de Centre d’étude, d’organe de coordination du Mouvement wallon, voire de Parlement wallon (informel) par l’historiographie traditionnelle, l’Assemblée wallonne n’a pas encore révélé tous ses secrets en raison d’une cruelle absence d’archives pour ses premières années d’existence. L’Assemblée wallonne a vu le jour durant l’été 1912, au lendemain de l’important Congrès wallon de Liège (juillet) qui réclame une étude sérieuse de la séparation administrative, d’une part, et de la fameuse Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre que signe Jules Destrée (15 août), d’autre part. Elle se réunit pour la première fois à Charleroi, le 20 octobre 1912 et fonctionne, jusqu’à la guerre, en s’inspirant du modèle et du règlement de la Chambre des représentants. A peine née, elle s’impose cependant un silence forcé quand éclate la Première Guerre mondiale. Ainsi se refuse-t-elle d’entrer dans le jeu de l’occupant allemand qui décrète, en mars 1917, la séparation administrative et sollicite les dirigeants de l’Assemblée wallonne pour qu’ils forment un Conseil wallon qui serait le pendant du Raad van Vlaanderen. Le refus de collaborer n’empêche pas de réfléchir à la manière de mieux défendre les intérêts wallons dans une Belgique libérée.

Quelques semaines après l’Armistice, l’Assemblée wallonne reprend ses activités et dispose d’une petite dizaine de projets de réorganisation des institutions belges. Dans le même temps, elle exerce une grande influence sur l’opinion quand sont discutés les projets de loi linguistique sur l’emploi du flamand dans l’administration et de flamandisation de l’Université de Gand. Ces dossiers attisent cependant les divergences internes et l’Assemblée wallonne n’évite pas l’implosion durant l’été 1923, quand les fédéralistes abandonnent l’Assemblée wallonne aux mains des unionistes.

L’instance wallonne perd alors peu à peu sa représentativité et sa crédibilité est entachée dans les années trente par son aspect un peu trop académique. Au lendemain du départ des fédéralistes, elle se contente de défendre un programme unioniste, qui revendique le droit de défendre la langue française en Flandre, mais qui rejette la création de parlements régionaux, et la création de ministères wallons et flamands ; née pour définir un projet de séparation administrative, elle ne parvient pas à faire la synthèse des courants qui la traversent. Son organe de presse s’intitule La Défense wallonne.

Une sorte de Parlement wallon informel

C’est la Ligue wallonne de Liège qui prend l’initiative, dès 1909, de créer un Comité d’Études pour la Sauvegarde de l’Autonomie des Provinces wallonnes. (On trouve aussi, de façon irrégulière, l’orthographe Comité d’Étude…).  Essentiellement liégeois dans un premier temps, le comité s’élargit et compte en ses rangs des Carolorégiens et des Wallons de Bruxelles, libéraux et socialistes, parlementaires actifs, anciens ou futurs. Présentée dès la fin des années 1890 par Julien Delaite et la Ligue wallonne de Liège, l’idée de la séparation administrative est régulièrement avancée. Elle fait référence aux événements de 1830, mais ne constitue pas un appel résolu à la séparation définitive de la Wallonie et de la Flandre, et à la fin de la Belgique. Il s’agit avant tout de provoquer une rupture dans la manière de gouverner l’État. Depuis 1884, il n’y a plus d’alternance politique, un seul parti dirige le pays ; les réformes demandées (enseignement obligatoire, suffrage universel, législation sociale, etc.) sont freinées ou empêchées ; une législation linguistique est progressivement introduite ; la centralisation étouffe les autonomies locales et provinciales ; enfin, par-dessus tout, la discipline imposée par la direction des partis à leurs mandataires rend impossible le débat démocratique. Du côté des parlementaires socialistes et libéraux essentiellement wallons, on essaye de convaincre les mandataires catholiques wallons de se démarquer des directives du parti et, dans les ligues wallonnes, par des formulaires présentés aux candidats avant les scrutins, on tente d’obtenir des promesses sur des principes qui sont présentés comme primordiaux. Les diverses démarches entreprises s’avèrent infructueuses quand se profilent à l’horizon les élections complètes de juin 1912. Le parti catholique paraît affaibli par des querelles internes et l’occasion semble idéale : en cartel, libéraux et socialistes doivent pourtant déchanter. Bien que majoritaires dans les arrondissements wallons, ils ne progressent pas en Flandre et le Parti catholique renforce sa majorité nationale. La colère s’exprime de diverses manières au lendemain du scrutin et la revendication de la séparation administrative est brandie à de multiples reprises.

L’organisation, programmée de longue date, d’un Congrès wallon, à Liège, le 7 juillet 1912, est l’occasion de réaffirmer cette revendication et d’en débattre. Quatre projets sont avancés, mais les 300 congressistes n’entrent pas dans le vif du sujet, car tous ne sont pas d’accord avec le principe même de discuter de la séparation administrative. Les débats sont animés, les échanges vifs et le consensus ne parvient à se faire que sur la motion proposée par Jules Destrée : le congrès se prononce en effet en faveur de la séparation de la Wallonie et de la Flandre, mais désigne une Commission pour en étudier les modalités. Cette commission sera composée d’un membre par 40.000 habitants, ce qui est le critère qui définit la composition de la Chambre des représentants.

Le Congrès,

– toutes réserves faites au sujet des formes à donner à l’idée séparatiste ;

– émet le vœu de voir la Wallonie séparée de la Flandre en vue de l’exten­sion de son indépendance vis-à-vis du pouvoir central et de la libre expansion de son activité propre ;

– désigne aux fins d’étudier la question une Commission, à raison d’un membre par quarante mille habitants.

 

Pour constituer la Commission, se réunissent à Namur dès le 21 juillet 1912 les membres du Comité d’Étude(s) pour la Sauvegarde de l’Autonomie des Provinces wallonnes, auxquels se joignent des représentants de ligues wallonnes. On s’entend sur quelques principes puis c’est Jules Destrée qui se charge, quasiment seul, de donner naissance à l’Assemblée wallonne. Alors qu’il publie sa Lettre au roi, il rédige les statuts et le programme de la future Assemblée, invite des adhérents potentiels, les interroge sur les objectifs et les modalités de fonctionnement qu’il propose, avant de faire lancer les convocations. La séance constitutive se tient à Charleroi, le 20 octobre 1912, dans les locaux de l’Université du Travail. Ce jour-là, Jules Destrée a convoqué « tous les parlementaires nommés dans les arrondissements wallons, ainsi qu’un certain nombre de personnes s’étant déjà occupées de la question wallonne ». « (…) c’est en somme une sorte de parlement wallon qui est né », peut-on lire dans le n°6 du Moniteur officiel du Mouvement wallon.

L’avant-projet que Destrée a envoyé en même temps que la convocation prévoit la désignation de 72 délégués (soit le même nombre que les députés wallons qui siègent à la Chambre). Leur répartition est proportionnelle à l’importance des populations des différents arrondissements wallons qui, tous, doivent être représentés. Une fois désignés, les délégués devront se réunir deux fois par an en séance plénière. Entre-temps, des commissions fonctionneront sur des thématiques clairement établies : on constate d’ailleurs que les commissions correspondent exactement aux ministères du gouvernement belge de l’époque. Chaque commission est présidée par un délégué. Et tous les présidents de commission forment, avec le secrétaire général et un trésorier, le Comité central, exécutif généralement appelé le Collège des Présidents. Le règlement de la Chambre des représentants est d’application. Quant aux sujets traités, ils doivent se limiter aux seules questions touchant la Wallonie. Il s’agit d’étudier avec le plus grand sérieux tous les problèmes wallons « selon les procédés parlementaires, à l’aide de rapports documentés ».

Une quarantaine de délégués participent à la Constituante qui d’emblée doit régler une série de problèmes pratiques et « politiques ». La demande de représentants des ligues wallonnes de Bruxelles d’élargir l’Assemblée wallonne à des délégués de Bruxelles est acceptée. Dix mandats leur sont accordés. Donnant suite à une proposition de Joseph-Maurice Remouchamps, un Comité des griefs, chargé de recueillir et de vérifier les griefs des wallons, est créé. En l’absence de candidats pour certains arrondissements, trois sièges restent à pourvoir ; les 69 autres sont attribués à la suite d’un vote, et d’emblée des délégués suppléants sont autorisés de manière à satisfaire les 91 candidatures qui ont été reçues. Dirigée par Jules Destrée plébiscité à la fonction de secrétaire général, l’Assemblée wallonne compte, en ce 20 octobre 1912, près de 70% de mandataires politiques, et pour 50% des parlementaires. Rien ne permet de savoir si Jules Destrée n’envisageait de rassembler que les seuls parlementaires. Cependant, les catholiques brillent par leur absence et le secrétaire général est réduit à affirmer que « si le parti catholique n’a pas consenti à nous envoyer des représentants, ce n’est pas notre faute ». Par la suite, force sera de constater que la réticence des catholiques à s’engager dans l’action wallonne sera toujours très grande. Néanmoins, l’Assemblée wallonne met un point d’honneur à être et à rester apolitique (ses statuts le stipulent) : jamais elle ne se présentera sur le plan électoral en tant que parti. L’absence de parlementaires catholiques, ainsi que des effectifs incomplets du côté libéral comme du côté socialiste contribuent à l’ouverture de l’Assemblée wallonne à d’autres acteurs de la société. Certes, on y trouve des bourgmestres de grandes villes et des députés permanents, mais 30% de non politique participent également au projet : avocats, journalistes, industriels, professeurs, ils n’ont pas nécessairement tous un engagement dans des cercles wallons. Au total, l’Assemblée wallonne présente donc un visage original, parlement informel à participation citoyenne, dont le statut semi-officiel est validé par l’accueil de ses réunions plénières (ses sessions) dans des hôtels de ville de Wallonie (Liège, Namur, Tournai…).

Sa mission : étudier la séparation administrative

Explicitement, l’Assemblée wallonne n’affiche pas que sa mission première et unique est l’étude de la séparation administrative. Mais de nombreux indices montrent qu’en tenant compte des délégués les plus réticents, la nouvelle « Chambre wallonne » est bien occupée à étudier sérieusement la question wallonne et disposée à ne retenir que la meilleure solution possible. En témoigne l’article IX des statuts qui est un modèle de formule consensuelle :

« L’Assemblée wallonne déclare sa ferme volonté de maintenir la nationalité belge. Persuadée que l’unité belge, basée sur la domination d’une race sur l’autre, serait impossible à conserver et à défendre, elle affirme que la Belgique ne peut poursuivre ses destinées que par l’union des deux peuples qui la composent, union basée sur une indépendance réciproque, et faite d’une entente loyale et cordiale ».

Parmi les membres fondateurs de l’Assemblée wallonne lors de sa constitution, citons Albert Allard, Franz Foulon, Paul Gahide pour Tournai, Gaston Talaupe pour Mons, René Branquart pour Soignies, Émile Buisset, Jules Destrée, Paul Pastur pour Charleroi, Joseph Grafé et Arthur Procès pour Namur, Oscar Colson, Gustave D’Andrimont, Julien Delaite, Charles Delchevalerie, Émile Digneffe, Émile Jennissen, Albert Mockel, Joseph-Maurice Remouchamps pour Liège, Hubert Debarsy et Olympe Gilbart pour Huy, Auguste Doutrepont et Eugène Mullendorff pour Verviers, Charles Magnette et Léon Troclet pour le Luxembourg, Alphonse Allard pour Nivelles.

Sous le secrétariat général de Jules Destrée, les deux premières années de l’Assemblée wallonne sont les plus fructueuses. C’est en effet grâce à son action que l’on doit le choix du drapeau wallon au coq rouge sur fond or qui symbolise toute la Wallonie (réunions du 26 mars et du 20 avril 1913), de la devise Wallon toujours et du cri Liberté. Outre ses emblèmes, la Wallonie lui doit aussi la date de sa fête « nationale » : le dernier dimanche de septembre, célébrant ainsi les journées révolutionnaires de 1830. Seul l’hymne n’a pu être décidé. Le 29 mars 1914, c’est également elle qui adopte la Gaillarde comme fleur de la Wallonie, suite à une proposition du groupe des Femmes de Wallonie et de sa présidente Léonie de Waha. Aucune cotisation n’est réclamée, les frais devant être couverts par les dons, subsides et cotisations volontaires.

Outre l’adoption des emblèmes wallons sous la forme d’un décret, l’Assemblée se dote d’un organe officieux de propagande : La Défense wallonne. Cette dernière est mensuelle, de petit format et renferme les comptes rendus des activités de l’Assemblée. Avant 1914, deux projets de loi font l’objet des activités des délégués de l’Assemblée. Il s’agit de la loi sur l’emploi des langues à l’armée et l’organisation de la défense nationale en général d’une part, et de la future loi scolaire de 1914 d’autre part. L’Assemblée entame des études en Commission et une série de résolutions s’ensuit, dont la principale est la défense de la frontière de l’Est. L’Assemblée wallonne pâtit du statut de bénévolat de ses membres. Certains travaillent d’arrache-pied et produisent des rapports consistants ; d’autres sont plus lents. Pourtant, face aux demandes d’adhésions, l’Assemblée wallonne s’est résolument ouverte ; en doublant le nombre des effectifs dès le printemps 1913, elle abandonne la symbolique d’une « Chambre wallonne ». En ne décidant plus par décret, mais par des motions, elle accentue cette tendance.

Rejet catégorique de la main tendue par les Allemands

Avec l’éclatement de la Grande Guerre, les délégués de l’Assemblée wallonne sont dispersés et plus aucune réunion ne se tient sous l’occupation allemande. Après-guerre, le Bureau de l’Assemblée clamera haut et fort son respect absolu de l’Union sacrée. À l’occasion du procès d’un activiste flamand (Josson), l’avocat de la défense insinuera que l’Assemblée wallonne aurait eu des actions finalement assez similaires à celles que l’on reproche alors aux activistes flamands. Par un communiqué, l’Assemblée wallonne fera savoir qu’elle

« (…) s’est réunie pour la dernière fois, avant la guerre, en séance de Commission, le 8 juillet 1914, à Bruxelles. La première séance qui a suivi la guerre, séance plénière, a eu lieu à Bruxelles, le 9 mars 1919. Entre ces deux dates, c’est-à-dire pendant toute la durée de la guerre, l’A.W. n’a tenu aucune réunion, et a suspendu complètement ses travaux et son action. (…) Le mot d’ordre était d’observer un silence absolu aussi longtemps que l’ennemi souillerait le territoire belge de sa présence ».

À l’exception d’Oscar Colson qui se laisse embrigader dans les ministères wallons constitués par les Allemands à Namur, aucun délégué de l’Assemblée wallonne d’avant-guerre ne pactisera avec l’ennemi. Très vite, Arille Carlier constatera qu’il se fourvoyait dans le projet de Comité de Défense de la Wallonie et, sur le fil du rasoir, Franz Foulon ne prendra pas la mesure que les temps n’étaient pas opportuns pour débattre ouvertement de la question wallonne, sans commettre d’impairs. Pourtant, les Allemands n’avaient pas hésité à décréter la séparation administrative de la Belgique, en mars 1917, à favoriser l’expression de revendications « autonomistes », à tenter de rouvrir des universités, et à offrir des responsabilités au sein des administrations, voire de Conseils, embryon de parlements futurs. Malgré de nombreuses tentatives, l’occupant allemand ne trouve du côté des militants wallons d’avant-guerre aucun homme prêt à accepter ce que les activistes flamands acceptent de réaliser.

Dans la clandestinité, rien n’interdit de penser à la situation de l’après-guerre. D’aucuns sont persuadés que la Belgique ne sera plus jamais comme avant 1914 et préparent des plans pour le moment de la libération. Cette activité de réflexion, voire de réunions, n’est pas propre aux milieux wallons, mais ils sont les seuls à retenir une formule qui mettra fin à la centralisation excessive et à l’absence de prise en considération de la question wallonne. Au moment de la signature de l’Armistice, une dizaine de rapports ont été rédigés, mais aucune synthèse n’existe encore. Dès mars 1919, l’Assemblée wallonne va se lancer le défi de fixer les modalités de la séparation administrative.

L’occasion manquée (1919)

Les temps ont cependant changé. Il reste difficile d’établir si la guerre a renforcé un sentiment unitaire belge ; mais les esprits sont marqués et par l’activisme flamand et par l’héroïsme d’une Belgique unie. Pourtant, dès novembre 1918, les membres liégeois de l’Assemblée wallonne se réunissent à plusieurs reprises et adressent un communiqué à la presse faisant observer qu’il n’y a aucun Wallon dans le gouvernement de reconstruction nationale. Lors de sa première réunion officielle de l’après-guerre, le 9 mars 1919, l’Assemblée wallonne proteste contre l’absence de tout représentant wallon au sein de la délégation belge à Versailles ; elle analyse aussi les quatre années de guerre et plus particulièrement la question de l’organisation administrative allemande. Dénonçant la politique du Conseil des Flandres et de l’occupant, elle expulse de ses rangs le seul membre qui a collaboré au ministère de Namur, à savoir Oscar Colson. Malgré un climat patriote belge particulièrement hostile au concept de séparation administrative, l’Assemblée n’hésite pas à remettre cette question à son ordre du jour. Au cours des sessions plénières d’avril à octobre 1919, elle examine notamment les projets de Léon Troclet, Émile Buisset, Paul Pastur, François André et Albert Mockel, ainsi que le projet de vote bilatéral de J-M. Remouchamps. Les débats sont épiques et l’indécision totale. Aucune position commune ne parvient à émerger.

Les projets Troclet, Jennissen et Mockel sont d’essence fédéraliste et promeuvent l’idée de trois régions autonomes, Wallonie, Flandre, Bruxelles ; ceux de Pastur et André s’inscrivent dans un courant provincialiste, visant à élargir les compétences des provinces existantes ; Buisset et Pater évoquent une autonomie provinciale qui pourrait s’étendre dans le cadre de cinq régions, dont le regroupement pourrait conduire à former trois régions ; Julien Delaite évoque un système régional avec autonomie aux communes et provinces. Auteur – en 1914 – d’un projet de réforme parlementaire prévoyant la délimitation des régions wallonne et flamande selon la langue usuelle la plus employée par leurs habitants, avec adaptation lors des recensements, Joseph-Maurice Remouchamps préconise une solution permettant l’égalité politique des Wallons et des Flamands au sein de l’État belge par le biais d’un vote bilatéral : à côté de la majorité ordinaire nécessaire à l’adoption de toute loi, il serait nécessaire que se dégage une majorité au sein de chaque groupe linguistique. Ainsi, la Wallonie pourrait se soustraire à la volonté majoritaire de la Flandre (Le Vote bilatéral et le bilatéralisme. Essai d’organisation de l’Unité nationale pour l’équilibre des partis et l’égalité des races, 1919).

Les divergences déjà perceptibles avant-guerre refont surface. D’un côté, les partisans d’une option séparatiste ou fédéraliste, qui ne parviennent pas à accorder leurs violons entre eux ; de l’autre, une tendance provincialiste, se satisfaisant d’une large décentralisation ; enfin, un courant qui se qualifiera d’unioniste, nostalgique de la Belgique de 1830, partisan de la défense de la langue française, partout dans le royaume, et qui défend l’idée du vote bilatéral chère à Joseph-Maurice Remouchamps. Malgré toutes les tentatives de conciliation, de votes, d’aménagements, rien ne sort de l’Assemblée wallonne à l’heure où la Constitution va être ouverte à révision et que d’autres articles que celui relatif au suffrage universel pourraient être amendés. Les élections législatives du 16 novembre 1919 mettent un terme aux discussions. En raison de l’important succès électoral du POB, Jules Destrée est appelé comme ministre des Sciences et des Arts (9 décembre) et il décide d’abandonner ses fonctions de secrétaire général de l’Assemblée wallonne (14 décembre). C’est Joseph-Maurice Remouchamps qui lui succède. La tendance unioniste va désormais prendre l’ascendant.

L’échec du vote bilatéral (1921)

Entre 1919 et 1921, les activités de l’Assemblée se concentrent sur la défense de la frontière de l’Est, et l’organisation de l’armée. Dans le domaine de la politique étrangère, l’Assemblée revendique une solidarité franco-belge qu’il faut concrétiser par une union douanière (qui ne sera pas réalisée), mais aussi par un accord militaire (conclu en 1920 mais dénoncé par la politique dite d’indépendance en 1936). Les rapports hollando-belges se résument au problème de la canalisation de la Meuse, celle-ci étant prévue de façon beaucoup trop restreinte et uniquement en faveur d’Anvers. L’Assemblée réclame donc des travaux permettant également à Liège d’être desservie par un réseau de canaux suffisant pour être indépendante vis-à-vis d’Anvers.

En 1921, l’adoption de la “ loi Von Bissing ” provoque de nombreux remous au sein de l’Assemblée. Après l’adoption par la Chambre des représentants d’une première proposition de loi, elle réagit par de vives protestations pour alerter le Sénat et l’empêcher d’exprimer le même vote. Néanmoins, lorsque ce dernier adopte, le 13 mai 1921, la loi modifiée “ ou plutôt aggravée ”, l’Assemblée décide d’élaborer un programme portant sur la révision du statut de l’État. Ici encore, on constate l’attitude plus que modérée de l’Assemblée wallonne qui opte pour un programme minimum pouvant se résumer ainsi : pas de séparation mais une décentralisation administrative provinciale avec application du vote bilatéral au Sénat uniquement. Ce programme est adopté en séance plénière à Bruxelles le 28 août 1921, à l’unanimité des 64 membres présents (sur 160 membres que compte alors l’Assemblée). Son but en est clairement précisé dans La Défense wallonne de juillet. Elle a recherché les moyens propres à toucher l’opinion publique et à provoquer un mouvement capable d’influencer le Parlement et la Constituante (…) Il faut en outre, si l’Assemblée veut gagner à sa cause une importante partie de la population, dissiper le plus tôt possible la méfiance injustifiée dont elle est encore trop souvent l’objet, en déclarant sans ambiguïté qu’elle ne poursuit pas la séparation politique ou administrative (…) Votre Commission sait qu’un tel programme ne reflétera pas complètement l’opinion d’une partie de nos collègues qui préconisaient des solutions plus radicales. Elle leur demande cependant de se rallier à ses conclusions. L’heure d’agir est venue, et aucune action n’est possible si les divergences de doctrines ne s’effacent pas pour faire place à l’unité et à la discipline. Cette Commission, composée de 18 membres propose donc ce programme minimum à l’Assemblée, après l’avoir elle-même adopté par 16 voix pour, une voix contre (celle de Jennissen) et une abstention (Max Pastur).

L’Assemblée wallonne soumet ensuite aux Chambres, alors constituantes, un projet de modification de l’article 39 de la Constitution dans le sens du vote bilatéral mis au point par Remouchamps. Ce système peut être assimilé à celui utilisé aujourd’hui pour le vote de certaines lois et qui consiste à obtenir la majorité des suffrages dans chacun des deux groupes linguistiques. Il ne s’agit donc pas de fédéralisme entraînant la constitution d’un État fédéral, l’Assemblée voulant à tout prix conserver l’unité belge, mais tout au plus d’une réorganisation tenant compte du dualisme de la Belgique.

Ce projet est défendu par son auteur, alors sénateur libéral, mais il sera néanmoins rejeté le 19 octobre 1921 par une unanimité flamande alors que des socialistes et des libéraux wallons l’ont accepté. L’option du vote bilatéral a vécu. Elle s’est heurtée à la dure réalité du fonctionnement de l’État unitaire. Cet échec, c’est surtout celui du secrétaire général de l’Assemblée wallonne. Or la méthode Remouchamps ne fait pas l’unanimité. Depuis qu’il a succédé à Jules Destrée, l’Assemblée wallonne s’est quelque peu réduite à son Bureau permanent, créé à la demande de Remouchamps et qui compte douze membres. C’est là que se décide la politique de l’Assemblée wallonne, les sessions ne servant plus que de chambres d’entérinement. Le rôle du secrétaire général a toujours été central, puisqu’il s’occupe de la propagande, des assemblées générales, et de l’exécution des mesures prises. Il aide également à la constitution ou au développement d’autres groupements wallons poursuivant les mêmes buts que l’Assemblée. Ce rôle est moteur et influence les lignes directrices de l’Assemblée wallonne. Ceci est surtout évident sous le secrétariat général de Remouchamps.

Les déchirures (1922-1923)

C’est en 1922, lors des discussions au sujet de la flamandisation de l’Université de Gand, que l’orage éclate. Le 22 octobre 1922, lors de la XXVIe session de l’Assemblée wallonne, Jules Destrée, présidant cette séance, ouvre les débats par ces paroles : peut-être y aura-t-il lieu pour l’Assemblée wallonne d’examiner s’il n’est pas nécessaire qu’elle abandonne la politique qu’elle a suivie au cours de ces dernières années et qu’elle en revienne à “ la tradition de 1912 ”. En levant la séance, il est tout aussi explicite lorsqu’il déclare qu’aussitôt après le vote du Parlement dans la question de l’Université flamande, l’Assemblée wallonne devrait discuter son orientation politique et son programme d’action et de réalisation. Le ton est donné. L’opposition unionistes-séparatistes s’accentue. Le groupe dit séparatiste ne veut plus défendre les francophones de Flandre. Il préconise une solution fédéraliste car il estime que la défense de la langue française en Flandre permettrait alors les mêmes revendications de la part des Flamands pour la Wallonie.

Le divorce sera consommé lors du débat, en 1923, sur le projet de loi Devèze concernant la réorganisation de l’armée. Si ce projet est unanimement condamné par l’Assemblée, les solutions proposées divergent diamétralement : le groupe Destrée-Jennissen se prononce pour un recrutement régional de l’armée, le groupe Remouchamps restant fidèle au principe d’une armée unitaire. Pour répondre aux projets déposés en cette matière par le ministre Albert Devèze, au début de la session parlementaire 1922-1923, l’Assemblée wallonne vote, le 11 mars 1923, un ordre du jour déposé par Émile Jennissen estimant que la seule solution pour éviter aux Wallons les sujétions linguistiques et pour assurer une défense nationale sérieuse réside dans le recrutement régional le plus largement étendu. Absent lors de cette réunion, le secrétaire général Joseph-Maurice Remouchamps y voit un coup de force de la minorité séparatiste de l’Assemblée à l’égard de ce qu’il appelle la majorité unioniste et tire argument de l’absence de quorum pour mettre en cause la position qui a été prise et convoquer une nouvelle Assemblée générale.

Lors de l’Assemblée générale du 29 avril à Bruxelles, Destrée, rejoint par Jennissen, Auguste Buisseret et Albert Mockel, attaque durement Remouchamps en se faisant le porte-parole des idées fédéralistes. La réunion est houleuse. Après ce premier choc, le secrétaire général constitue réellement le Groupe unioniste à l’Assemblée wallonne, en demandant à ses fidèles d’adhérer au programme du 25 avril 1920 qui repose sur le maintien de l’unité nationale belge et défend énergiquement la culture française en Flandre. Le 10 juin 1923, alors que les relations ne se sont pas améliorées entre les protagonistes, une nouvelle assemblée remet la question à l’ordre du jour sur base des rapports déposés par Jules Mathieu, favorable au recrutement régional, et par Ivan Paul, qui y est opposé. Après un long débat, dans lequel les régionalistes sont minorisés par les unionistes, l’Assemblée wallonne vote une résolution qui revient sur les votes du 11 mars et retire l’ordre du jour portant sur la question du recrutement régional.

Après avoir fait une ultime tentative de conciliation en déposant une proposition de motion précisant que l’Assemblée wallonne réprouvait toute doctrine tendant à séparer la Belgique en deux États distincts, tout en laissant à ses membres la possibilité de défendre les solutions qui avaient leurs préférences personnelles et sans engager l’Assemblée, Jules Destrée démissionne de l’Assemblée wallonne. La direction donnée depuis quelque temps à l’Assemblée wallonne me faisait douter de l’utilité de ses travaux et je préférais mener la lutte wallonne en dehors de ses consignes. Destrée ne mâche pas ses mots : nous le trouvons (le bureau permanent) à la fois autoritaire, tatillon, bureaucratique vis-à-vis des membres de l’Assemblée, faible, indécis et ondoyant vis-à-vis de l’opinion publique et des centralisateurs… Destrée n’est pas le seul à penser de la sorte, ainsi Richard Dupierreux ne cache-t-il pas ses reproches : ce dont je me plaignais simplement, c’est que la liberté ne fût point respectée par un bureau permanent de plus en plus dictatorial, où la minorité n’est plus admise à faire entendre sa voix de telle sorte que l’Assemblée wallonne s’identifiait en fait avec son bureau permanent et n’était, en fin de compte admise que comme pensait son secrétaire général.

Finalement, Jules Destrée, Émile Jennissen, Jean Roger, Auguste Buisseret, etc. (au total une petite vingtaine de délégués) démissionnent au mois de juillet, ne trouvant plus de terrain d’entente au sein de l’Assemblée. Une partie ira rejoindre le Comité d’Action wallonne de Liège qui deviendra la Ligue d’Action wallonne. Suite à ces démissions, La Défense wallonne essaie de minimiser l’incident, insistant sur le nombre restreint des départs. À cet argument, Jules Destrée rétorque qu’en vérité, c’est le sang pur et ardent de l’Assemblée wallonne qui la quitte, et ce qui va rester de l’Assemblée wallonne ne sera plus qu’un corps exsangue et sans vie qui pourra encore être traité avec complaisance par la presse nationaliste mais qui aura perdu toute autorité et toute influence. Joli résultat ! C’est la course au suicide sous prétexte d’ “ unionisme ”.

Le départ de ce groupe va, en effet, priver l’Assemblée wallonne d’une partie de ses forces vives. Les places laissées vacantes par les démissionnaires sont alors occupées par de nouveaux venus comme Marie Delcourt ou encore Marcel Thiry. La tendance unioniste de Remouchamps peut maintenant s’exprimer pleinement et entraîner l’Assemblée dans une voie qui sera de plus en plus conservatrice face à un Mouvement wallon concurrent qui évolue, lui, vers le fédéralisme.

Les oppositions ne sont guère dissimulées entre la Ligue d’Action wallonne de Liège et l’Assemblée. Ainsi, lors du premier congrès de la Ligue en 1924, La Défense wallonne le qualifie de “ Congrès autonomiste ” et y va de quelques commentaires acides : Quelques séparatistes wallons réunis à Liège sous prétexte de revendiquer l’autonomie wallonne ont adhéré au programme flamingant (…) Ils (les membres du Comité d’Action wallonne) sont avant tout anti-belges et, pour parler leur langage, “ réunionistes ”.

 

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