Comme nombre de jeunes Wallons de
sa génération, la Seconde Guerre mondiale touche Jean Deterville en pleine
adolescence. Après avoir fui sur les routes menant en France, il décide de
rentrer au pays et entre en contact avec le docteur Marcel Thiry (qu’il ne
faut pas confondre avec l’académicien). Cet ami de ses parents le dirige
vers la presse clandestine de Wallonie libre et lui fait rencontrer Arille
Carlier. Inscrit comme étudiant en histoire à l’Université libre de
Bruxelles (octobre 1940 à novembre 1941), il subit la fermeture de
l’Université libre par les Allemands et poursuit ses études à l’Université
de Louvain. Il s’oriente vers le droit et est proclamé docteur en 1946.
Stagiaire chez Arille Carlier – il en sera d’ailleurs le seul – il prestera
comme avocat à Charleroi jusqu’en 1972. À cette date, il est nommé juge de
Paix dans le canton de Chimay puis dans celui de Beaumont, fonction qu’il
exerce jusqu’en 1990, en même temps qu’il est chargé de cours de droit dans
deux Instituts provinciaux.
Au sein de la Résistance, Jean
Deterville a rédigé des articles et diffusé le journal clandestin La
Wallonie libre dans la région de Charleroi ainsi qu’aux universités de
Bruxelles puis de Louvain. Il déclare aussi avoir aidé et piloté des
prisonniers de guerre français évadés et procédé, avec le docteur Thiry, au
ravitaillement de prisonniers russes occupés au charbonnage d’Amercœur (Chaudmonceau)
par les Allemands (octobre-décembre 1943). Malgré le témoignage de J.
François (résistant armé du MNB) attestant qu’il a remis à Deterville de
nombreux tracts patriotiques et des publications de la Wallonie libre
clandestine – imprimés à l’Office de Documentation (locaux de la
Kommandantur) et pris en livraison à ce local – et ce à de nombreuses
reprises fin 1943 et 1944, la reconnaissance comme Résistant civil ne lui
est pas attribuée, la Commission estimant qu’il s’agit davantage d’une œuvre
humanitaire que d’une action de Résistance. Par contre, il est reconnu comme
résistant par la presse clandestine, du 1er novembre 1940 au 3
septembre 1944. En plus de la médaille de la Résistance, il portera la
médaille de la guerre 40-45 avec sabres croisés.
Secrétaire (1945-1961) puis vice-président de la régionale de Charleroi de
Wallonie libre, Jean Deterville constitue la section locale de Jumet dont il
devient le secrétaire (1946) avant d’en devenir vice-président puis
président (1955). Il fait partie du directoire de Wallonie libre
(1953-1965). Militant wallon actif, participant à tous les congrès wallons
de l’après-guerre, il est l’un des cinquante signataires wallons du
Manifeste des Intellectuels wallons et flamands, également appelé Accord
Schreurs-Couvreur (3 décembre 1952). Membre coopté du Comité permanent du
Congrès national wallon (1955-1971), il en devient le secrétaire général
adjoint (1957). Par ailleurs secrétaire du Comité d’Action wallonne de
Charleroi (en 1950 et en 1957), il est chargé de l’organisation du congrès
wallon de Charleroi (25 et 26 mai 1957). Avec Arille Carlier, il participe
aussi aux réunions et aux travaux de l’Union fédéraliste européenne.
Jusqu’en 1962, il est encore le secrétaire de la section de Charleroi de
l’Association touristique de Wallonie.
Ses idées sont très tranchées : tout en
manifestant son opposition au retour de Léopold III en 1950, il exprime
surtout sa volonté d’instaurer une république wallonne. Ardent défenseur de
la construction de l’autoroute de Wallonie dont il explique la nécessité
économique primordiale pour sa région, il dénonce également la pénurie de
logements décents en Wallonie et insiste sur l’indispensable solidarité qui
doit unir les diverses sous-régions de Wallonie.
À Jumet,
lors des grèves de 60-61, Jean Deterville prend des risques professionnels
en s’interposant entre les manifestants et les gendarmes. Avocat et juge
suppléant, il se retrouve pour cette raison devant la Cour d’Appel de
Bruxelles.
Membre du Comité d’Action wallonne de Charleroi renaissant (de 1962 à 1964),
Deterville y représente Wallonie libre. En 1961, il adhère au Mouvement
populaire wallon dont il constitue une section locale à Jumet et fait partie
de la section régionale de Charleroi. Il fait aussi partie du comité
exécutif (1961) et du bureau du MPW (1962). Pour étudier les résultats des
travaux de la Table ronde, Jean Deterville participe aux travaux d’une
Commission juridique créée au sein du Comité permanent du Congrès national
wallon (6 février 1965) ; aux côtés de Jean Penelle, André Piron, Robert
Regibeau, Fernand Schreurs, Freddy Terwagne et André Wauthier, il affirme la
nécessité de créer une Société wallonne et en une Société flamande de
développement régional.
Conseiller communal socialiste (1954-1958, 1970-1972), échevin des travaux
(1959-1964), il devient le bourgmestre de Jumet (1965-1970) au moment où des
partis spécifiquement wallons remportent leurs premiers succès électoraux.
Élu du Parti socialiste belge, il s’opposera régulièrement et durement avec
les élus communaux du Front puis du Parti wallons qui étaient pourtant aussi
des militants wallons. Durant ses mandats publics, Jean Deterville défend
les thèses de son parti, le socialisme, mais toujours et avant tout, en
qualité de Wallon. Dans ce sens, il condamne les dissidences politiques
wallonnes des années soixante. Dans les années septante, il désapprouve
l’alliance RW-FDF considérant que Bruxelles doit se défendre seule. À propos
des Fourons, il dénonce les tendances qui ont déplacé le problème sur un
plan strictement juridique. Membre et administrateur de l’Institut Jules
Destrée, vice-président du comité régional de Charleroi de l’Institut Jules
Destrée, il continuera pendant de longues années à participer à de nombreux
groupes de travail dans le but de doter la Wallonie d’une autonomie aussi
large que possible.
Président du comité provincial du Hainaut de la Croix-Rouge, président du
syndicat d’initiative de Jumet, vice-président des Amis de la Madeleine,
vice-président de la Dante Alighieri de Charleroi, Jean Deterville était
titulaire de plusieurs distinctions belges, française et italienne.
Paul Delforge