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Cette section propose la liste des notices contenues sur le cédérom de l'Encyclopédie du Mouvement wallon. Les notices accessibles en ligne sont datées : le carré jaune indique les mises à jour, le carré rouge signale les nouvelles notices.

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Buisset Émile

    Né à Charleroi le 29 juin 1869, décédé à Charleroi le 7 février 1925

Docteur en droit de l’Université de Liège (1890), avocat, bâtonnier de l’Ordre, Émile Buisset embrasse une carrière politique qui se révèlera féconde : conseiller communal dès septembre 1903, député (1904-1925), échevin en 1904, et enfin bourgmestre de Charleroi en 1921. Figure libérale marquante de la région de Charleroi, il prend une part active dans la défense des intérêts de la Wallonie.

Le mérite revient à Émile Buisset d’avoir contribué à la prise de conscience du Hainaut à la problématique wallonne. Alors que, à Liège, la question wallonne tendait à sortir progressivement de la confusion de ses débuts, Émile Buisset secoue, dès 1900, l’apathie des Hennuyers au travers de nombreux articles dans La Gazette de Charleroi où il attire l’attention de ses contemporains sur ce qu’il considère comme les exagérations du Mouvement flamand. Membre du Comité d’étude pour la Sauvegarde de l’Autonomie des provinces wallonnes, comité qui est créé par la Ligue wallonne de Liège en 1910, Émile Buisset prend part notamment à la réunion de travail qui se tient à Bruxelles le 27 janvier 1911 et qui examine les moyens légaux et concrets d’assurer l’autonomie wallonne souhaitée. Si la séparation administrative apparaît d’abord aux yeux de Buisset comme le moyen de préserver l’unilinguisme en Wallonie et de défendre les intérêts wallons face aux revendications flamandes, il devient plus évident encore que cette solution doit s’imposer au lendemain des élections du 2 juin 1912 qui ont consacré le succès des catholiques en Flandre, celui des libéraux et socialistes en Wallonie mais surtout la minorisation des Wallons en Belgique. Dès lors, le député libéral prend l’initiative de solliciter, le 17 juin, les conseils provinciaux du Hainaut, de Liège, de Namur et du Luxembourg afin qu’ils votent une résolution autonomiste en faveur de l’élargissement de leurs prérogatives ; pour Buisset, seule cette mesure offrait l’occasion aux populations wallonnes d’être gouvernées selon leurs aspirations philosophiques et sociales et conformément à leurs intérêts matériels.

Présent et actif lors du Congrès wallon du 7 juillet 1912, Émile Buisset a préparé un projet de séparation entre Wallons et Flamands : ce projet, comme celui de François André d’ailleurs, vise à l’accroissement de l’autonomie provinciale. Finalement, au terme des travaux, c’est la proposition de Jules Destrée qui est retenue recommandant la séparation administrative entre Wallonie et Flandre. Favorable à cette résolution, Buisset soutient aussi l’idée de créer une Assemblée wallonne, dont il deviendra l’un des membres fondateurs.

« Nous ne parlerons pas le flamand ! Jamais ! », déclare-t-il à la Chambre, le 21 mai 1913. Il défend en effet l’idée que l’âme wallonne n’est que le prolongement de l’âme latine se perpétuant à travers la civilisation française. Au début de la Grande Guerre, Émile Buisset prend l’initiative de convoquer des réunions clandestines de militants wallons à Charleroi, à l’instar des frères Colson à Liège. Aucune décision politique n’y est jamais prise. Lorsque Franz Foulon décide de publier L’Avenir wallon (novembre 1916), afin de contrecarrer les activistes flamands qui ont pris la responsabilité de briser l’unité belge, Buisset accepte d’apporter sa collaboration. Sentant l’ambiguïté que peut receler cette démarche, Buisset y met fin rapidement. Après l’Armistice, il sera le défenseur de Carlier devant les tribunaux de Namur.

                                                                            

S’il ne prend pas publiquement position dans les questions politiques durant la période de l’occupation allemande, Buisset n’en reste pas moins actif, discrètement, voire secrètement. Était-il le leader d’un groupe de réflexion wallonne dans le pays de Charleroi ? Fort actif à la tête du Mouvement wallon avant la guerre, Buisset n’a pas renoncé à défendre les intérêts wallons durant l’occupation allemande, tout en respectant l’Union sacrée et sans se placer au service des Allemands. Aurait-il participé à des réunions à Bruxelles où se rencontraient des sénateurs, députés et députés permanents ? Faisait-il partie de l’une des vingt commissions secrètes qui, depuis mars 1917, se tenaient régulièrement à l’Institut Solvay à Bruxelles ? A-t-il participé à des séances discrètes de l’Assemblée wallonne ? Toujours est-il que les trois études attribuées à Buisset, La Belgique d’hier, Celle de demain, Une Solution nationale et La Solution régionaliste, ont été rédigées comme autant de rapports destinés à nourrir une réflexion de haut vol sur le devenir de la future Belgique libérée. Réalisée en juillet-septembre 1917, l’étude La Belgique d’hier, Celle de demain est une sorte de brouillon de l’étude Une Solution nationale, dont l’écriture s’achève fin décembre 1917, et qui pourrait bien être une réponse à la brochure parue au Havre sous la direction du ministre Carton de Wiart. Quant à La solution régionaliste, datée du 7 avril 1918, elle se présente comme un éclaircissement des questions qui se sont posées après lecture d’Une solution nationale. Sans aucun doute le texte le plus abouti des trois, Une solution nationale paraîtra sous une forme résumée en 1919, sous les auspices de l’Assemblée wallonne.

Participant activement aux travaux de l’Assemblée wallonne dès sa constitution (1912-1914, 1919), Émile Buisset se trouvera en désaccord avec le secrétaire général Joseph-Maurice Remouchamps. Lors de la crise de juin-juillet 1923, Buisset soutient Jules Destrée qui, avec une quinzaine d’autres membres, décide de démissionner de l’Assemblée wallonne. Mais Buisset se garde bien de démissionner lui-même afin d’empêcher le secrétaire général de rester seul maître à bord. Son attitude sera diversement appréciée. Respectant l’existence d’un État belge mais refusant toute idée de nation belge, il plaide à maintes reprises pour une autonomie accrue de la Wallonie au sein de l’État belge. Il rencontre ainsi le point de vue de Jules Destrée notamment dans sa démarche vers une plus grande autonomie pour la Wallonie.                                                                    

« Le peuple flamand, par de nombreux côtés, est plus proche du peuple néerlandais que du peuple wallon, lequel est étroitement apparenté au peuple français dont il partage la civilisation ».

« (…) Englober dans un État unitaire deux peuples que séparent la langue et la civilisation, c’est réaliser une œuvre déraisonnable, nécessairement précaire, portant en elle les causes de sa destruction. (…) Le régime fédéraliste corrige les vices du régime unitaire et échappe aux objections qu’on peut opposer au régime séparatiste ».

Considérant qu’une « erreur a été commise en 1830 », Buisset souligne qu’il n’y a jamais eu avant 1830 de nation belge et que les deux peuples qui composent la Belgique ont jadis joui d’une très grande autonomie. Minimisant l’importance des griefs du Mouvement flamand, le libéral de Charleroi se plaint surtout d’une Belgique exclusivement dirigée par un gouvernement homogène catholique, où les Wallons sont de plus en plus minorisés. Observant qu’il n’y a pas de frontière entre la France et la Wallonie d’un point de vue culturel, il déplore surtout l’échec de l’amalgame tenté en 1830. Wallons et Flamands devraient être à même de décider chacun séparément, ce qui suppose un changement radical des structures politiques de la Belgique dans le sens de la décentralisation, du régionalisme, de la liberté « des peuples belges », de l’autodétermination, du fédéralisme.

Rejetant « le provincialisme » qui, à ses yeux, développe un esprit particulariste excessif, Émile Buisset ne cache pas que sa préférence va vers une simple séparation, avec reconnaissance de la Flandre, de la Wallonie et d’un statut particulier pour Bruxelles et ses environs. Conscient qu’une telle formule puisse être considérée comme trop révolutionnaire, il préconise une formule régionaliste organisée autour de cinq États à créer : la Flandre (composée des deux provinces de Flandre occidentale et orientale, en fait l’ancien comté de Flandre), la Campine (provinces d’Anvers et de Limbourg, en fait l’ancien Duché de Brabant), la Wallonie occidentale ou Sambre (la province de Hainaut, une partie de Namur jusqu’à la Meuse et l’arrondissement de Nivelles, en fait l’ancien comté de Hainaut), la Wallonie orientale ou Meuse (les provinces de Liège, Luxembourg et l’est de la province de Namur), l’État de Bruxelles (avec les arrondissements de Bruxelles et Louvain). Inspirés des très lointaines entités médiévales, les États imaginés par Buisset sont mi-agricoles, mi-industriels ; la population y est calculée suivant un savant dosage ; en choisissant Liège à l’est et Charleroi à l’ouest comme « capitales », il évite certaines susceptibilités. Mais son système ne paraît pas en mesure de résoudre les questions relatives à l’emploi des langues des administrations centralisées, ni de l’armée. L’État de Bruxelles sera bilingue. Rien n’empêche que les deux langues soient employées dans les deux États de Flandre, mais rien n’y oblige. En matière linguistique, Buisset développe un point de vue original lorsqu’il écrit que, de plus en plus francisée, Bruxelles devra être l’arbitre entre les deux peuples belges, que le Wallon pourra mettre utilement à profit son temps pour l’étude de l’anglais, de l’espagnol, comme pour l’étude du néerlandais.

 

 

Nombre d’habitants

Campine (Flandre)

 1.250.000

Mer (Flandre)

 2.000.000

Meuse (Wallonie)

 1.300.000

Sambre (Wallonie)

 1.700.000

État de Bruxelles

 1.350.000

Total

 7.600.000

                                                                             

Un tel découpage implique que soient créées cinq cours d’appel, ainsi qu’une cour de cassation avec une section wallonne et une section flamande. La direction des chemins de fer devrait être de compétence fédérale, chaque État devra fournir à l’armée des soldats en nombre proportionnel à sa population et ils seront placés sous un commandement commun – sans préciser quelle langue sera pratiquée. Son système conserve un parlement central et attribue des pouvoirs législatifs et exécutifs aux Etats régionaux. Dans le résumé publié en 1919, Buisset définit clairement les limites du pouvoir central : armée, magistrature supérieure, travaux publics d’intérêt interprovincial, affaires étrangères, colonies, etc.                                                                            

Chez Émile Buisset, la défense des intérêts de la Wallonie menacés par la radicalisation des revendications flamandes va de pair avec l’affirmation d’un sentiment d’appartenance à la culture française. Aussi, l’unilinguisme constitue-t-il également une des préoccupations majeures du député carolorégien. Pour lui, la langue officielle de la Belgique est le français et elle doit le rester. (…) Il faut abolir toutes les mesures prises – législatives et administratives – en violation de la prédominance légale du français. Il faut enfin résister avec une impitoyable énergie aux prétentions antinationales des flamingants. Partisan avant la guerre d’un recrutement régional à l’armée, il dépose une proposition de loi en ce sens et il restera sur ses positions après 1918. Après l’Armistice, il constitue autour de lui un groupe parlementaire wallon qui ne lui survivra pas.

Ses interventions à la Chambre sont nombreuses. Régulièrement, il ferraille avec ses homologues flamands. Ainsi, en 1919, encourage-t-il Camille Huysmans à pousser jusqu’à son terme son projet de flamandisation de la Flandre : dans l’administration, dans l’enseignement, en matière de justice. « Quand vous aurez réalisé votre œuvre, n’aurez-vous pas réalisé la séparation totale du pays ? En réalité, vous aurez accompli la scission morale et intellectuelle entre les deux peuples (…). Quand plus personne ne parlera français en Flandre, il n’y aura plus de Belgique ». Partisan d’un statut particulier pour Bruxelles, Buisset attache surtout beaucoup d’importance à la bonne connaissance des langues modernes en Wallonie. Bien qu’une certaine liberté est laissée dans le choix de la première langue étrangère, l’organisation de l’enseignement conduit à « forcer » l’apprentissage du flamand. Les plus courageux apprennent ensuite soit l’anglais, soit l’allemand. Pour Buisset qui réclame de donner la liberté du choix au père de famille, un tel système est nuisible ; il faudrait que les écoliers wallons puissent mettre utilement à profit leur temps pour l’étude de l’anglais, de l’espagnol, comme pour l’étude du néerlandais.

Libéral, Émile Buisset rejoint souvent le socialiste Jules Destrée au moment où il convient de défendre les intérêts de la Wallonie. Ainsi, en mai 1919, au cours d’un très long débat où les députés flamands exposent en détail les griefs du peuple flamand, Destrée et Buisset posent ensemble, avec Troclet et Branquart, la question de la séparation administrative et de l’aménagement des institutions belges au regard des questions wallonne et flamande. Le premier ministre de l’époque, Delacroix, étouffera la discussion par un long discours d’union approuvé par l’ensemble des parlementaires, hormis le quarteron wallon.

En 1924, Émile Buisset accepte de siéger au sein de la Commission d’études autonomistes créée par le Congrès d’Action wallonne de juillet 1924. Il n’a pas l’occasion d’y prodiguer les conseils et les encouragements qu’il adressait habituellement aux promoteurs de l’idée wallonne ; il décède quelques mois plus tard.

 

Paul Delforge

 

Cfr Encyclopédie du Mouvement wallon, t. 1 - Paul Delforge, Un siècle de projets fédéralistes pour la Wallonie, Namur, Institut Destrée, 2005 - Jean-Pierre Delhaye et Paul Delforge, Franz Foulon. La tentation inopportune, Namur, Institut Destrée, 2008, coll. Écrits politiques wallons n°9 - Paul Delforge, La Wallonie et la Première Guerre mondiale. Pour une histoire de la séparation administrative, Namur, Institut Destrée, 2008

 

 

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