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Société wallonne de l'Evaluation et de la Prospective

Prospective, pilotage stratégique et développement régional II
Liège, CESRW - 13 février 2004

Institut Destrée, Centre de recherche européen basé en Wallonie

Les Actes de la Journée d'étude

Prospective, pilotage stratégique et développement régional II, Journée d'étude SWEP - Institut Jules-Destrée, Liège, 13.02.2004.
Prospective, pilotage stratégique et développement régional II - Liège, 13.02.2004.

Accroître continuellement et collectivement nos compétences en prospective
Philippe Destatte
directeur de l'Institut Jules-Destrée

Wallonie 2020, 5ème congrès La Wallonie au futur

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En avril 2000, le professeur Jacques Lesourne, l'un des pères de la prospective française, me dédicaçait son livre Un homme de notre siècle [1] en formulant de sa plume des vœux de réussite pour le développement de la prospective wallonne. Le fondateur de la chaire de prospective industrielle au Conservatoire national des Arts et Métiers à Paris donnait, par ces quelques mots, consistance à une idée en développement [2].

Sa concrétisation a permis de rassembler, quatre ans plus tard, un grand nombre d'acteurs du développement régional, à différents niveaux, accueillis dans les locaux du CESRW, avec le soutien de la SRIW et de la Sowalfin.

Le travail de réflexion dans lequel de nombreux acteurs se sont investis, en 1999 et 2000, a consisté en un effort de compréhension commun de l'évaluation, d'abord, de la prospective, ensuite. Ce fut un travail d'intelligence collective assez remarquable de conceptualisation et d'appropriation. Il s'agissait de l'acte II de notre décision de passage à l'action, dans le prolongement du congrès Evaluation, innovation, prospective, tenu à Mons en octobre 1998. L'acte I avait, lui, porté sur la contractualisation des politiques publiques régionales et territoriales.

En quatre ans, la définition de la prospective que nous y avions dégagée et que nous avons inscrite dans la charte de la Société wallonne de l'Evaluation et de la prospective n'a pas vieilli [3]. Dès lors, partant de ce texte fondateur pour la Wallonie, nous allons reconsidérer ici la prospective selon trois axes :

– la prospective comme démarche rigoureuse et méthode critique ;
– la prospective comme approche systémique et apprentissage collectif ;
– la prospective comme pédagogie de l'action et ouverture internationale.

1. La prospective : une démarche rigoureuse et une méthode critique

La prospective est une démarche rigoureuse qui permet de déceler les tendances d'évolution, d'identifier les continuités, les ruptures et les bifurcations des variables de l'environnement, ainsi que de déterminer l'éventail des futurs possibles.

Démarche rigoureuse, méthode critique. L'historien que je reste est à l'aise dans la conception d'une discipline qui, à l'instar de l'histoire mais à l'inverse de quelques autres approches, a réussi à faire la part des choses d'un positivisme à tout crin, relent d'un XIXème siècle d'illusions et de certitudes, qui masque difficilement des légitimités postulées et des tours d'ivoire fissurées par l'évolution du XXème siècle. Que dire enfin de la vitesse de transfert des savoirs et des idées, par l'école, l'université, la presse ? Pendant combien de temps après les explosions d'Hiroshima et de Nagasaki n'a-t-on continué à enseigner que l'atome était insécable [4] ? De même, la construction de l'Europe était bien engagée alors que nos manuels scolaires nous parlaient encore, ici en Wallonie, d'une Allemagne orgueilleuse et belliqueuse [5], mots dont les jeunes élèves allaient mettre des décennies à .se défaire, pour autant qu'ils y parviennent jamais.

De même que l'histoire, la prospective n'est pas une science. La futurologie, qualifiée en 1949 de nouvelle science  – futurology – n'a guère survécu à l'article de son fondateur Ossip Flechtheim, publié voici plus de cinquante ans [6]. Ces considérations n'empêchent nullement la rigueur méthodologique et le sérieux des Futures Studies de part le monde, la qualité de ses revues chez les plus grands éditeurs scientifiques, l'existence de cours et de chaires de prospective dans les meilleures universités, ni l'organisation d'écoles doctorales, à Paris, à Rome, à Houston, à Turku, ou à Brisbane en Australie, pour ne citer que les plus réputées.

La prospective n'est pas donc pas la science de l'avenir. Son objet n'est pas de prévoir, mais bien de mener à l'action. Ainsi, prévision et prospective ne jouent pas dans le même registre. Dans un livre important, intitulé Crise de la prévision, essor de la prospective [7], qui était en réalité sa thèse de doctorat, Michel Godet a montré dès 1976 que les conditions d'évolution du monde nécessitaient la mise au point d'outils qui lui paraissaient plus adaptés à la compréhension des changements accélérés de la période contemporaine. Nous étions à l'époque d'Interfuturs, cet exercice-phare, lancé à l'initiative de la délégation japonaise de l'OCDE et dirigé par Jacques Lesourne. Exercice réalisé dans le contexte d'un monde déboussolé par l'évolution des paramètres économiques et interpellé par le rapport Meadows sur les limites de la croissance, porté par le Club de Rome [8].

Parcourir l'étude Interfuturs aujourd'hui est édifiant. Intitulé Projet de recherches sur l'évolution future des sociétés industrielles avancées en harmonie avec celle des pays en voie de développement [9], il met en évidence la montée de l'interdépendance mondiale et les problèmes de transition avec l'environnement physique, y compris climatique. Nous étions alors en 1978. Ce rapport à lui seul, constitue un plaidoyer extraordinaire pour l'intérêt et la pertinence de la prospective. Jacques Lesourne et son équipe y notaient que l'une des difficultés auxquelles ont à faire face les gouvernements résulte de ce que les problèmes sont traités isolément sans que soient suffisamment prises en compte les interdépendances, ou de ce que ces problèmes sont uniquement considérés sous leurs aspects à court terme sans que soient appréciés leurs implications à long terme [10].

Alors que la prévision postule les continuités – c'est la fameuse formule "toutes choses restant égales par ailleurs" –, la prospective remet en cause les postulats et part à la recherche des changements [11]. Certes, on peut comprendre le point de vue de ceux qui considèrent que le système est clair et figé, sans incertitude, sans question sur l'avenir, pérenne. Lac gelé comme un miroir, qui fait la joie des modèles économétriques !

Mais, ne soyons pas dupes. Sous l'étiquette même de prospectives, se cachent aussi ce que Philippe Mirenowicz dénonce comme étant des prospectives molles, qui ne sont que des prévisions sectorielles, incapables d'appréhender les ruptures. C'est encore le directeur général du Gerpa et conseiller scientifique à la Datar qui note qu'il vaut mieux que les hommes se rencontrent plutôt que les chiffres s'additionnent [12].

En réalité, nous savons – et Philippe Mirénowicz aussi – que nous avons à la fois besoin des femmes, des hommes et des chiffres. Une bonne radiographie aussi quantitative que qualitative du territoire est fondamentale. Celle-ci doit éviter les effets réverbères que nous avait décrits Jean-François Stevens en 2000, en citant le statisticien Andrew Young : certains utilisent la statistique comme un ivrogne utilise un lampadaire, non pas pour s'éclairer mais pour tenir debout [13]. Certains indicateurs ont de grandes vertus : ils peuvent être déterminants pour appréhender les questions-clefs, s'ils ont été bien conçus et compris. On sait pourtant que le taux d'emploi est plus important que le taux de chômage et que, pour le prospectiviste, le chiffre du solde migratoire est moins pertinent que de savoir réellement qui rentre et qui sort du territoire.

Tous les acteurs de la prospective en Wallonie ont des attentes réelles envers le nouvel Institut wallon de l'Evaluation, de la Prospective et de la Statistique (IWEPS). De sa capacité à anticiper les questions qui se posent sur le territoire et à construire les outils de réponses adéquats, sur base de séries longues, dépendra en bonne partie l'avenir de la prospective régionale. Tous les observateurs sont impressionnés par la différence de niveau de qualité des services français d'évaluation et de prospective ainsi que des INSEE régionaux français en fonction des différentes régions. Tous, pourtant, ont la volonté commune de constituer de vrais services au profit de la collectivité.

Relevons ainsi que, derrière l'apparente indiscipline de la prospective, on trouve en fait des démarches critiques, d'heuristique et d'analyses, ainsi que la maîtrise d'outils parfois très élaborés qui peuvent constituer autant d'indicateurs de la qualité de la démarche. Il existe une boîte à outils et une grammaire de la prospective. L'utilisation de l'une comme de l'autre ne s'improvise pas. Elle se prépare, s'étudie et nécessite des investissements en temps, en compétences et en intelligences considérables.

2. Une approche systémique et un apprentissage collectif

Nous avions écrit en 2000 que la prospective était une démarche généralement réalisée de façon transdisciplinaire et en réseau. Qu'elle permettait d'élaborer des stratégies cohérentes et d'améliorer la qualité des décisions à prendre, qu'elle est une des techniques nécessaires à la proactivité.

Ceux d'entre-vous qui ont participé à nos travaux à cette époque se souviendront du fait que j'avais bataillé ferme contre l'ajout du mot généralement, devant réalisée de façon transdisciplinaire et en réseau. Ne pensez pas que je sois en train de pinailler sur les mots

La prospective, et nous l'avons écrit plus loin dans la charte de la SWEP, travaille selon une démarche systémique, globale, holistique. Toujours. Elle peut, bien évidemment, aborder des thématiques que l'on qualifierait de "sectorielle" : l'emploi, les transports, l'agriculture, les technologies. Mais elle les aborde de manière globale et transdisciplinaire, c'est-à-dire qu'elle ne favorise pas un seul mode d'analyse, un seul champ de questionnement. Elle croisera toujours l'ensemble de ses approches et fera appel à des ressources multiples. L'apport de la prospective à la démographie, par exemple, consistera à poser de nouvelles questions sur les concepts eux-mêmes et à les mettre en discussion. Une famille en 1980, est-ce comparable à une famille en 1960, en 2000 et en 2020 ? Un emploi ? Une retraite ? Qu'est-ce que le vieillissement ? Est-ce seulement une tranche d'âge ? Qu'est-ce qui vieillit dans l'âge d'une personne ? Il y a cinq cents ans, le troisième âge commençait à quarante ans. Qu'en sera-t-il dans un siècle ?

Ainsi, tout comme Léon-E. Halkin le disait de l'histoire, la prospective n'appartient à personne et elle est ouverte à tous ceux qui veulent mieux la connaître. La coopération interdisciplinaire reste le meilleur antidote de l'exclusivisme en même temps que le plus précieux atout du progrès scientifique [14].

La prospective se fait en réseau. La formule est exacte mais le mot est faible. Il nous faut dire plus largement qu'il s'agit d'une réflexion collective, qu'on ne fait pas de prospective tout seul, ni à trois, ni à huit. Qu'on ne fait pas de la prospective sans les acteurs. Pas de prospective d'entreprises possible sans cadres d'entreprises, pas de prospective agricole sans agriculteurs, pas de prospective de l'armée sans soldats. On connaît la formule de Michel Godet : tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. De toute façon, il est une règle de gouvernance fondamentale, c'est qu'aucune réforme ne peut se faire sans l'adhésion de ceux qui sont concernés [15].

Dans une thèse terminée en 2003 pour le CNAM et l'Université Louis Pasteur à Strasbourg, Jean-Philippe Bootz propose de mesurer l'impact d'une démarche de prospective sur l'apprentissage organisationnel selon deux critères :

– d'une part, la visée et l'impact stratégiques, c'est-à-dire le fait que le travail prospectif fait l'objet ou non d'un prolongement stratégique, sous forme d'options ou d'actions stratégiques concrètes, d'un passage de l'exploratoire au normatif ;

– d'autre part, la diffusion et la mobilisation, c'est-à-dire la dissémination de la démarche et des résultats au sein de l'organisation [16].

La discrimination par ces quatre critères permet une typologie des exercices de prospective sur base de leurs résultats :

– la prospective confidentielle : celle qui ne fait l'objet d'aucune diffusion et qui n'a pas d'impact stratégique;

– la prospective stratégique confidentielle, qui débouche sur des actions stratégiques mais dont les résultats ne sont pas diffusés;

– la prospective participative est celle qui fait l'objet d'une large mobilisation et d'une large diffusion, mais n'a pas de répercussions stratégiques;

– la prospective stratégique participative est celle qui est à la fois prolongée sous forme d'actions stratégiques et est largement diffusée dans l'organisation [17] .

La prospective confidentielle est bien évidemment le cauchemar du bon prospectiviste. Pour Jean-Philippe Bootz, elle est souvent majoritaire en France et elle jette le discrédit sur la discipline [18]. Elle trouve souvent son origine dans la non appropriation de la démarche par les responsables de l'organisation, ou du territoire, au plus haut niveau décisionnel. La prospective stratégique participative est, pour ce chercheur, le modèle accompli d'apprentissage organisationnel, car elle repose à la fois sur des changements comportementaux et sur des changements cognitifs. Ce modèle est donc le plus vertueux. En liant la réflexion prospective à la stratégie et à la mobilisation, la prospective stratégique participative réunit les trois éléments du triangle grec cher à Michel Godet : réflexion - appropriation - action [19]. De même qu'il nous apparaît inconcevable que la prospective ne débouche pas sur l'action, de même elle ne peut être menée autrement que de manière collective.

3. Une pédagogie de l'action et une ouverture internationale

La participation impose aussi un élément déterminant que nous avions sous-estimé en 2000 : la pédagogie.

Ce n'est pas par hasard que les participants à la démarche Wallonie 2020 ont placé la pédagogie de l'action parmi les attentes des citoyens envers la sphère politique comme contrepoids à la gouvernance qu'ils appellent de leurs voeux [20]. De même, notre surprise a été grande lors des premiers ateliers prospectifs avec les grands chefs d'entreprises wallons : leurs attentes à notre égard étaient aussi grandes que les nôtres à leur égard. Nous étions venus pour les écouter parler du positionnement et de l'évolution de leur entreprise dans le monde, ils voulaient que nous leur expliquions les grands changements.

La prospective, c'est avant tout de la pédagogie. Il faut comprendre la complexité des choses et essayer de les expliquer simplement. On retrouve l'idée de processus cognitif collectif. La prospective a une dimension cognitive importante dès lors que, par sa démarche, elle remet en cause les représentations des différents acteurs [21].  Comme l'indique Michel Godet, c'est moins de nouvelles méthodes d'analyse et de réflexion dont on a besoin pour comprendre le monde que de progrès dans la pédagogique de l'explication. […] Pour que l'anticipation soit vraiment mise au service de l'action, il faut sans doute qu'elle cesse d'être un art réservé aux princes éclairés pour devenir l'affaire du plus grand nombre [22].

De même, Gaston Berger nous enseigne que, au lieu de projeter vers l'avenir des structures identiques ou analogues à celles que le passé nous révèle, il nous faut pousser à fond l'analyse des phénomènes, parvenir aux réalités élémentaires et voir quelles conséquences ces réalités peuvent entraîner si elles se trouvent engagées dans des situations originales [23]

La prospective doit être impertinente, bousculante, critique. Elle doit lutter contre les idées reçues, confronter les regards subjectifs à la connaissance objective. Elle doit être capable d'ouvrir la boîte de Pandore. Le travail du prospectiviste n'a de sens que s'il peut modifier le regard, et le modifier collectivement. La prospective sert à fabriquer des visions partagées et à construire les trajectoires pour y mener. En construisant des visions globales, en s'inscrivant dans la complexité et la systémique, la prospective met en cause les représentations des individus car elle les dote d'une capacité de recul par rapport à leur propre fonctionnement cognitif [24].

Dans le monde en mutation accéléré qui est le nôtre, dans cet espace global, fragmenté et incertain, on pourrait considérer qu'une Région apprenante serait, comme une entreprise apprenante, un lieu où les personnes augmentent continuellement leurs capacités à créer des résultats qu'ils désirent vraiment, où de nouveaux modèles de pensées sont développés, où les aspirations collectives sont encouragées et où les individus apprennent continuellement comment apprendre ensemble [25].

Ainsi, le prospectiviste doit être modeste. Tous ceux qui pratiquent l'exercice savent qu'il suffit d'un grain de sable pour que la prospective manque son objectif. Bien souvent, nous travaillons par essais et erreurs, ce qui constitue, avec la formation et la rigueur méthodologique, l'un des axes de l'apprentissage. Nous nous trompons parfois. Mais chaque fois, de ces erreurs, comme par effet induit, des plus-values d'expériences et de coopérations plus pertinentes ont découlé. L'échec et la dissolution d'euroProspective en constituent un exemple éclairant.

Jusqu'en 1999, la Wallonie a travaillé en vase assez clos, même si elle avait bénéficié des apports du programme FAST (Riccardo Petrella, Jacques Berleur, Georges Thill, etc.) et que la prospective française avait un peu percolé : Gaston Berger, Pierre-Yves Portnoff, Thierry Gaudin, Claude Thélot, Michel Godet, Hugues de Jouvenel, etc. Les Assises de la prospective, tenues en décembre 1999 à l'Université Dauphine, ont ouvert les portes de l'Ecole française et de ses connexions : l'IPTS à Séville, la Cellule de Prospective de la Commission européenne (les travaux de Jérôme Vignon et de ses successeurs). Ces apports européens se sont affaiblis avant de reprendre vigueur au travers des initiatives de la Direction générale de la Recherche de la Commission européenne, sous l'impulsion du Commissaire Philippe Busquin et de ses collaborateurs, parmi lesquels Paraskevas Caracostas. Le mouvement de convergence entre le Foresight anglo-saxon et la prospective française constitue un vrai tonus pour la prospective européenne : les workshops se sont multipliés depuis 2001 ‑ citons Dublin, Séville, Bruxelles et Ioanina ‑ tandis que les groupes d'experts et les initiatives ont fleuri : FOREN, STRATA-ETAN, Blueprints for Foresight Action in the Regions. Ces avancées sont considérables pour la prospective, pour ses méthodes, mais aussi pour toutes les régions européennes car elles constituent également un processus collectif d'apprentissage. Elles confirment les concepts et principes méthodologiques que nous avons rappelés.

De même, les apports de l'espace mondial doivent être mentionnés : OCDE, World Futures Society, World Futures Studies Federation et Millennium Project de l'Université des Nations unies (American Council for United Nations University) constituent des communautés de savoirs prospectifs fondamentaux, tant pour les méthodes que pour les contenus.

Conclusion : les défis du futur et la part qu'y prendra l'Institut Jules-Destrée

Malgré les progrès réalisés, un groupe d'experts européens rassemblés par la DG Recherche formulait, en 2002, les trois catégories de problèmes et de défis qui attendent ceux qui, aujourd'hui, veulent faire de la prospective :

– les problèmes et défis conceptuels : la distinction entre la prospective et d'autres outils de planification, légitimation des résultats de la prospective vis-à-vis du processus de décision démocratique, contribution de la société civile, etc.;

– les problèmes et défis méthodologiques : le choix des méthodes en fonction des différents objectifs, intégration de diverses contributions en un message cohérent, méthodes d'étalonnage et d'évaluation, etc.;

– les problèmes et défis de mise en œuvre : manque de motivation parmi les participants, manque de soutien et de moyens, poursuite du processus après l'achèvement du projet initial et transférabilité des études de cas dans d'autres régions ou contextes culturels [26].

En Wallonie, les progrès développés ces dernières années peuvent encore s'accélérer, si nous comprenons mieux ce qu'est la prospective et si nous y investissons davantage, non en moyens, mais en compétences.

L'Institut Jules-Destrée continuera à prendre sa part dans cet effort de renforcement des compétences de la société wallonne dans le domaine de la prospective.

Il ne le fera pas seulement au sein de son Pôle Prospective, il le fera au travers de ses quatre Pôles : en matière de Recherche, en matière d'Information, en matière de Prospective et en matière de Citoyenneté.

Cet effort se construira suivant sept axes.

1. Dans le champ de l'éducation permanente. Le séminaire de Choiseul organisé à Tournai récemment par Citoyens d'Europe dont Présence et Action culturelles et l'Université de Bordeaux, en collaboration avec l'IGEAT-ULB, dans le cadre du programme européen SOCRATES, a bien exploré les axes de développement de la participation citoyenne dans les territoires. Nous y avons valorisé la prospective comme outil critique de construction citoyenne dans le champ de l'éducation permanente, s'inscrivant bien dans le cadre du nouveau décret de la Communauté française Wallonie-Bruxelles [27].

2. C'est dans cette logique d'éducation permanente que se lance le Collège wallon de Prospective. Il trouve son origine dans la volonté du groupe des rapporteurs de Wallonie 2020 de poursuivre le travail entamé. Le concept de "collège" prend ici sa double signification. D'une part, il s'agira d'un lieu d'apprentissage commun, ou plutôt de poursuite d'apprentissage, puisque la plupart des rapporteurs ont à la fois été formés lors d'un séminaire préparatoire à la démarche, ont participé à l'ensemble de deux ans de travaux et oeuvrent actuellement à la mise en place du processus d'évaluation. D'autre part, il s'agira, à partir de la société civile, de mobiliser le potentiel de la prospective régionale, en construisant et en pilotant un programme pluriannuel de prospective. Nous avons décidé de porter ce groupe à une vingtaine de personnes avec lesquelles nous allons contractualiser pour cinq ans, sur base de l'expérience qui a été menée en Poitou-Charentes.

3. Dans le domaine de la recherche : l'Institut Jules-Destrée devient un centre de recherche associé au Conservatoire national des Arts et Métiers (Paris), et plus particulièrement au LIPSOR (Laboratoire d'Investigation en Prospective, Stratégie et Organisation) et à la chaire de Prospective industrielle (en Sciences de Gestion) du professeur Michel Godet (ancienne chaire de Jacques Lesourne). La tradition du CNAM, depuis sa fondation par la Convention en 1794, à l'initiative de l'abbé Grégoire, est de se consacrer à l'enseignement des sciences neuves et utiles. Il s'agit d'échanger des chercheurs, de participer à une dynamique doctorale et d'engager des travaux communs. Un premier projet de travail a été lancé sur la mémoire de la prospective et sur la diffusion des textes des grands prospectivistes. Une collaboration s'est nouée sur ce programme auquel ont adhéré le LIPSOR, Futuribles, l'OCDE, la DATAR et l'Institut Jules-Destrée.

4. Les Chrétiens avaient, voici près de deux mille ans, compris que la voie du succès sur le long terme consiste à former des hommes et des femmes. L'accroissement des compétences, le renforcement des connaissances prospectives, et donc la formation sont essentiels pour la Wallonie. L'Institut Jules-Destrée et Futuribles – qui dispose à la fois d'une excellente expérience de formation de haut niveau et de partenariats – se sont associés pour proposer une offre de formation spécifique, en amont des formations organisées à Paris, mais aussi en décentralisant sur Namur ces formations, tout en ciblant les besoins. Un premier séminaire sera organisé à Namur les 5 et 6 mai 2004. Il s'agira d'une formation initiale proposée à un coût abordable.

5. L'Institut Jules-Destrée poursuivra dès cette année le cycle de séminaires intitulé Leçons et débats sur le futur, qui avait été lancé lors de la troisième phase de Wallonie 2020 et a permis d'accueillir une dizaine d'experts parmi lesquels Philippe Moati, Thierry Gaudin, Marc Van Keymeulen, Marc Luyckx-Ghisi, André Lambert, Yves Hanin, Ghislain Géron, Pierre Pestieau, Gérard Fourez, Georges Thill, Marcel Crahay, notamment. Rencontrer, écouter, dialoguer, débattre avec des prospectivistes ou des experts de ce que l'on appelle les "sciences régionales", est porteur de savoir, de créativité et de visions systémiques et donc prospectives.

6. L'Institut Jules-Destrée poursuivra le travail avec les jeunes, particulièrement dans les écoles, en développant un programme pilote en ce sens, dans la lignée de ceux menés en 2003 à l'Athénée de Soumagne, à l'Institut Félicien Rops à Namur et à l'Institut supérieur professionnel de Nivelles. Former les jeunes à voir bien et à voir loin est essentiel, pour eux-mêmes, d'abord, pour la société tout entière ensuite.

7. L'Institut Jules-Destrée renforcera sa capacité et sa disponibilité de centre de ressources en prospective pour la Wallonie, l'aire de Bruxelles ainsi que pour les régions frontalières. Il le fera en collaboration avec les centres de recherches et d'actions des universités de Wallonie et de Bruxelles, mais aussi de Lille et de Nancy. Répondre aux attentes en appui et en compétences des opérateurs privés et fonctionnaires territoriaux au sens large est un défi majeur pour l'Institut Jules-Destrée.

Pour tous les axes de ce programme, nous lançons un appel aux partenariats : d'abord, bien évidemment, au nouvel Institut wallon de l'Evaluation, de la Prospective et de la Statistique créé au sein de l'Administration wallonne, mais aussi à la Société wallonne de l'Evaluation et de la Prospective qui remplit avec détermination son rôle de sensibilisation et de développement d'une culture de l'évaluation et de la prospective.

L'enjeu est bien celui que le Commissaire européen et administrateur de l'Institut Jules-Destrée Philippe Busquin évoquait lors de notre rencontre de 2002 à Seneffe : mettre en œuvre ensemble ces possibilités afin de se doter d'outils et de démarches performantes qui nous permettront de construire notre avenir sur des bases lucides et partagées par tous [28] .

[1] Jacques LESOURNE, Un homme de notre siècle, De Polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, Paris, Odile Jacob, 2000.

[2] Philippe DESTATTE, Les fondements de la prospective wallonne, dans Mission prospective Wallonie 21, 1. La Wallonie à l'écoute de la prospective, Premier Rapport au Ministre-Président du Gouvernement wallon, p. 15-46, Charleroi, Institut Jules-Destrée, Août 2002.

[3] Voir www.prospeval.org. – Philippe DESTATTE dir., Evaluation, prospective et développement régional, p. 377-386, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 2001.

[4] Hugues de JOUVENEL, La démarche prospective, un bref guide méthodologique, dans Futuribles, n°247, p. 47-68, Paris, Novembre 1999.

[5] Dans mon propre cours d'histoire à l'école communale de Marcinelle, en 1962 ou 1963, concernant la Guerre 1914-1918.

[6] Ossip FLECHTHEIM, Futurology : the New Science, Forum, vol III, p. 206-209.

[7] Michel GODET, Crise de la prévision, essor de la prospective, Exemples et méthodes, Paris, Presses universitaires de France, 1977.

[8] Dennis MEADOWS e.a., The Limits of Growth, New York, Universe Books, 1972.

[9] INTERFUTURS, Projet de recherches sur l'évolution future des sociétés industrielles avancées en harmonie avec celle des pays en voie de développement, Rapport final, Paris, OCDE,  28 septembre 1978.

[10] Les sociétés industrielles face aux changements, Interfuturs, dans  Face aux futurs, Numéro spécial de L'Observateur de l'OCDE, n°100, Septembre 1979, p. 19.

[11] Pierre MASSE, Prévision et prospective, dans Prospective, 5, Mai 1960, p. 207.

[12] Philippe MIRENOWICZ, Les étapes d'une démarche de prospective territoriale, Exposé au séminaire Méthodes et pratiques de prospective territoriale, Paris, Futuribles, 10 février 2004.

[13] Jean-François STEVENS, L'élaboration d'un guide de prospective régionale dans le Nord - Pas-de-Calais, dans Ph. DESTATTE dir., Evaluation, prospective et développement régional…, p. 215.

[14] Léon-E. HALKIN, Initiation à la critique historique, coll. Cahiers des Annales n°6, p. 150, Paris, Armand Colin, 1973.

[15] Michel GODET, Le choc de 2006, Démographie, croissance, emploi, Pour une société de projets, p. 22, Paris, Odile Jacob, 2003.

[16] Jean-Philippe BOOTZ, Prospective appliquée : création de connaissances et apprentissage organisationnel, Construction d'un modèle explicatif fondé sur une approche cognitive, Paris, Conservatoire national des Arts et Métiers (LIPSOR) - Strasbourg, Université Louis Pasteur, Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Septembre 2003.

[17] Jean-Philippe BOOTZ, Prospective et apprentissage organisationnel, dans Travaux et recherches de prospective, n°13, p. 47, Paris, Futuribles international, LIPS, DATAR, Commissariat général du Plan, Janvier 2001.

[18] Jean-Philippe BOOTZ, Prospective et apprentissage organisationnel…, p. 57

[19] Ibidem, p. 54-57.

[20] Jean-François POTELLE, A la recherche du citoyen actif et visionnant, Rapport transversal des synthèses des quatorze groupes de travail tenus de février à juillet 2002, Namur, Institut Jules-Destrée, Octobre 2002.

[21] Fabrice ROUBELAT, La prospective stratégique en perspective : genèse, études de cas, prospective, Thèse de doctorat en Sciences de gestion, Paris, CNAM, 1996, cité dans J-Ph. BOOTZ, Prospective et apprentissage organisationnel…,  p. 25.

[22] Michel GODET, Manuel de prospective stratégique, t.2, L'art et la méthode, p. 396, Paris, Dunod, 2001.

[23] Gaston BERGER, Prospective n°1, Mai 1958, dans François HETMAN, Le langage de la prévision, The language of Forecasting, p. 19, Paris, Futuribles, 1969.

[24] Jean-Philippe BOOTZ, Prospective et apprentissage organisationnel… p. 16.

[25] Peter M. SENGE, The Fifth Discipline : the Art and Practice of the Learning Organization, Century Business, 1990, dans Jean-Philippe BOOTZ, 2001, p. 43. – Peter M. SENGE, La cinquième discipline, l'art et la pratique des organisations, Paris, First, 1991.

[26] Le potentiel de la prospective régionale, Rapport final du groupe d'experts STRATA-ETAN, Mobiliser le potentiel de la prospective régionale pour une Union européenne élargie : une contribution essentielle au renforcement de la base stratégique de l'Espace européen de la recherche (Commission européenne, DG Recherche, Direction Société et économie de la connaissance, Unité K2), p. 19, Luxembourg, Communauté européenne, 2002.

[27] Philippe DESTATTE, La prospective, outil critique d'éducation permanente, de développement local et de citoyenneté délibérative, Séminaire Citoyenneté participative, Mercatique des pratiques, des projets et des programmes en Europe, Tournai, Citoyens d'Europe - SOCRATES 29 janvier 2004.

[28] Philippe BUSQUIN, La prospective dans la dimension régionale de l'Espace européen de la Recherche,  dans Philippe DESTATTE et Pascale VAN DOREN dir., La prospective territoriale comme outil de gouvernance, Territorial Foresight as a Tool of Governance, p. 29, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 2003.

 

 

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