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Contrats, territoires et développement régional
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Journée d'étude du 11 mai 1999 au Château de Namur
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Contrats, territoire et développement régional -11.05.99

La contractualisation sociale comme outil de développement régional

Jacques Fostier
Secrétaire général du Conseil économique et social de la Région wallonne

 

Je vais m'inscrire dans le mandat qui m'a été donné, le contrat que nous avons passé et vous illustrer le phénomène de contractualisation à partir d'une expérience sociale.

Tout le système social belge que l'on appelle modèle social est basé et structuré sur la convention, sur la concertation, sur la consultation, sur l'accord, sur le compromis, sur la gestion paritaire, sur le contrat. Il y a des zones entières du domaine social qui sont de la compétence quasi exclusive des partenaires sociaux ou des interlocuteurs sociaux comme on les appelle selon l'idéologie à laquelle on adhère. Par exemple, toutes les conditions de travail, la durée du travail, les salaires, sont du domaine conventionnel quasi exclusif. L'intervention de l'Etat est quasi nulle. Pour le moment, la durée légale du travail est de 39 heures. Mais, rares sont les travailleurs qui, par convention, prestent encore 39 heures. D'ailleurs, une demande syndicale pour le moment est d'abaisser la durée légale du temps de travail à 38 heures parce que toutes les conventions définissent des durées de 32 à 38-39 heures. Relevons ici un relatif paradoxe : les organisations syndicales elles-mêmes plaident pour la liberté de négociation. Même celles qui revendiquent l'intervention publique dans les mécanismes économiques, en matière de salaires, elles préconisent la loi du marché en défendant la liberté totale de négociation entre l'offre et la demande. Le constat est le même pour le monde patronal qui critique très souvent le taux élevé des salaires; même s'il y a des phénomènes de parafiscalité, tous les salaires sont des salaires négociés en Belgique, c'est-à-dire résultant d'accords entre syndicats et patrons, entre organisations syndicales et organisations patronales. Les rares interventions de l'Etat en matière salariale, et elles existent depuis quelques années, sont des interventions de modération (ex : lois sur la compétitivité). Ceci n'était qu'un exemple de contractualisation que l'on oublie trop souvent, car il est banalisé. Tout ce système a été amorcé bien sûr en début de siècle mais a surtout été institutionnalisé fortement après la guerre 40-45 et je voudrais vous citer quelques phrases que Michel Jadot rappelle fort opportunément dans son dernier rapport, extraites du Pacte social de 44 qui a fondé tout le système de relations collectives et sociales, tout le système de sécurité sociale que nous connaissons actuellement. Je vais vous citer quelques phrases de ce Pacte qui me semblent révélatrices : on parlait à cette époque (nous sommes en 1944) dans le Pacte social, de "collaboration loyale entre les employeurs et les travailleurs", on parlait "d'équitable répartition des revenus", on disait que "la prospérité générale était liée à la bonne marche et à la compétitivité des entreprises et que les travailleurs étaient respectueux de l'autorité légitime du chef d'entreprise". C'est un autre clin d'œil à ceux qui idéalisent le passé et croient toujours que ce passé est porteur de grands clivages, de grands conflits, de grands combats rédempteurs; je les invite à mieux connaître l'histoire, je ferai un autre rappel en citant un autre texte fondateur de toute notre démocratie économique et sociale de l'après-guerre après le Pacte social de 44, c'est le fameux accord de 1954 qui s'appelait Accord sous l'accroissement de la productivité; accord entre le monde patronal et le monde syndical. Je crois que ce sont des textes dont il fallait rappeler l'existence pour vous montrer que toute l'histoire sociale belge est une histoire du consensus, du compromis, du contrat, de la convention. Compromis souvent appelé "social démocrate" même si ce compromis social démocrate a pris plusieurs formes et vous avez déjà compris que pour moi le mot social démocrate n'est pas inavouable.

Après 1944 et 1954, tout le système des relations sociales belges s'est développé en s'appuyant sur le facteur travail, pour occuper tout le champ économique et social; à tous niveaux (interprofessionnel, sectoriel, d'entreprise), pour toutes les matières (économiques avec par exemple le Conseil central de l'Economie; sociales avec le Conseil national du Travail; sécurité et l'hygiène). La volonté commune dès l'après-guerre était d'introduire entre les pouvoirs publics, entre la décision politique et le citoyen tout un système représentatif de concertation économique et sociale. D'ailleurs, au CESRW, et je vais reparler du Conseil économique dans quelques instants, on nous appelle souvent le parlement social. C'est un terme qui signifie bien ce qu'il veut dire. A côté du parlement politique, il y a un parlement social qui représente les interlocuteurs, les partenaires sociaux.

Ce système basé sur le contrat, sur la convention a bien fonctionné pendant une trentaine d'années et M. Bismans vient de rappeler qu'on appelait aussi ces années les trente glorieuses. Ce n'est pas par hasard.

La plus grosse modification intervenue au cours de ces années, c'est l'arrivée du phénomène régional; par les lois de 1968 et 1970 qui s'appelaient, autre signe historique, les lois de planification et de décentralisation économique, le législateur a créé le Bureau du Plan, les Conseils économiques régionaux, les Sociétés de développement régional, l'Office de promotion industrielle, etc.. A l'époque, début des années 70, c'était des Conseils économiques tripartites, c'est-à-dire composés du monde politique, du monde patronal et du monde syndical. Le rôle du Conseil économique wallon pendant les premières années a surtout consisté à rassembler toute la société wallonne et à s'adresser au pouvoir fédéral pour obtenir plus de pouvoirs, notamment plus de pouvoirs économiques pour la Région wallonne.

Progressivement, la constitution, la composition, la fonction de ce Conseil économique a été calquée sur la régionalisation du pays et, en 1984, de Conseil économique wallon, nous sommes devenus Conseil économique et social de la Région wallonne, c'est-à-dire que nous avons pris la forme qu'avaient au niveau fédéral le Conseil central de l'Economie et le CNT, …; un organe cette fois-ci paritaire, uniquement paritaire, un organe consultatif s'adressant à un pouvoir politique qui, lui, était constitué par toutes les réformes organisant la régionalisation du pays.

Depuis 1995, le CESRW s'est lancé dans la voie de contractualisation et en 1995-1996 nous avons négocié avec le gouvernement wallon ce qu'on a appelé une déclaration commune tripartite sur le redéploiement économique de la Région et sur l'emploi. Cette déclaration a été la base de tout un travail de concertation, de consultation entre le gouvernement et les partenaires sociaux wallons pendant les cinq ans de la législation qui se termine. Je n'insiste pas sur les détails; je veux juste vous dire que c'est un exemple de contractualisation que nous espérons renouveler. Nous préparons en ce moment un mémorandum à adresser au futur gouvernement wallon; la structure même, la proposition centrale de ce mémorandum sera de proposer au gouvernement wallon de négocier une nouvelle déclaration tripartite que l'on peut appeler pacte social, contrat social, contrat-programme, peu importe le vocabulaire, on l'a déjà dit à cette tribune. L'essentiel est que les interlocuteurs sociaux wallons proposeront au gouvernement wallon une négociation d'un contrat-programme. Nous verrons après, n'allons pas trop vite en besogne, si c'est un vrai pacte social ou pas.

Ce qu'il est important me semble-t-il de constater, c'est que nous sommes dans une phase de grandes mutations; il y a non seulement des recompositions territoriales, on l'a dit à cette tribune, mais il y a aussi des recompositions sociales qu'il faut savoir analyser, qu'il faut savoir détecter. J'inscris mon propos dans ceux développés par d'autres comme Touraine et Fitoussi dont j'ai déjà parlé pour penser que contrairement à une idée courante, et c'est par de tels colloques qu'on peut le faire, nous ne sommes pas dépossédés de notre capacité d'action sur nous-mêmes comme dit Touraine. Au contraire, même dans le cadre de la mondialisation ou de la globalisation qu'Alain Minc appelle heureuse, les sociétés, les pays, les régions ne sont pas dépossédés de leur capacité d'agir sur elles-mêmes, de leur capacité de développer des modèles de société.

J'aurais souhaité vous parler, mais je n'en ai pas le temps, de la réduction de la durée du travail et de la répartition du travail disponible et comparer avec les expériences dans d'autres pays, pour vous montrer qu'une mesure économique et sociale n'a aucune valeur intrinsèque en elle-même. Elle ne vaut que par l'adhésion qu'elle recueille (ou non) dès le départ. Une mesure qui est imposée aux partenaires sociaux n'aura aucun effet, elle sera contournée, elle sera détournée. Je le dis pour insister sur le phénomène d'adhésion, de concertation, de contractualisation et je le crois fondamentalement pour le concept de la réduction de la durée du travail qui est une panne actuelle dans notre système de concertation.

Des autres pannes que je voudrais citer, c'est d'abord le contrôle et la sélectivité des aides aux entreprises. Je crois qu'un bon système ne peut venir que d'une contractualisation. Il y a des entreprises qui sont trop aidées, il y a des entreprises qui ne sont pas assez aidées. Il n'y a pas de contrôle, bureaucratique, aveugle, totalitaire, étatique, administré qui soit possible; tout doit reposer sur une forme, sur des contractualisations à différents niveaux.

C'est ensuite une autre panne : l'attitude par rapport aux PME. D'une part les syndicats ont raison de dire que les travailleurs d'une PME ont autant droit à une égalité des conditions de travail qu'ailleurs et d'autre part les patrons des PME ont tout à fait raison de répondre qu'économiquement, c'est impossible à réaliser dans leur type d'entreprise. J'estime que ce dilemme peut se régler par la concertation avec des acteurs responsables qui sont capables de faire des pas et de se comprendre les uns les autres dans une culture du compromis en innovant, en inventant des aides spécifiques qui concilient rigueur économique et cohésion sociale.

J'évoquerai rapidement une question qui à mon avis survole la concertation pour le moment, c'est la représentativité des acteurs de la concertation, qu'ils soient patronaux ou syndicaux. Ils sont certes représentatifs mais je crois qu'il y a des problèmes d'agrégation globale des demandes qui viennent de ce qu'on appelle vulgairement la base, qu'elle soit constituée des travailleurs d'un côté ou des employeurs de l'autre. Dans toutes les organisations, étant donné les mutations économiques et sociologiques, il y a toujours des problèmes de représentation ou de représentativité. C'est assez normal parce que dans leur volonté légitime d'agréger les demandes, qu'elles viennent des employeurs ou qu'elles viennent des travailleurs, plutôt que de voir des demandes purement atomisées et simplement additionnées, les grandes organisations ont constitué des grands systèmes interprétatifs, explicatifs qui sont parfois plus lents à s'adapter que les opinions et les comportements concrets. Je ne le dis pas dans un sens critique ou négatif mais constructif; je pense que les organisations, et elles le savent, doivent en permanence comprendre ce phénomène et s'adapter pour rester responsables, représentatives et jouer leur jeu indispensable dans la contractualisation.

Je vois un signe très concret de cela, pour essayer de sortir d'un discours qui pourrait vous apparaître comme purement théorique, dans le glissement qui est perceptible dans tous les pays occidentaux, dans le glissement de la négociation vers le terrain de l'entreprise, à la fois à la demande patronale et à la fois à la demande des travailleurs, le plus souvent. Ce glissement peut créer des problèmes parce que l'articulation qui a bien fonctionné pendant des dizaines d'années entre un niveau interprofessionnel, un niveau sectoriel et un niveau de l'entreprise est remise en cause fondamentalement et est en train de se recomposer. Une hypothèse à retenir est qu'on s'oriente vers un système où il y aura plus de négociations de terrain, plus de négociations locales qui devront s'articuler dans un ensemble à repréciser, avec des articulations à moderniser.

Il y a une autre expérience que nous menons pour le moment avec le gouvernement wallon au sein du Conseil économique; c'est ce que nous appelons la réorganisation de la fonction consultative. Je vous ai parlé jusqu'à présent du seul CESRW mais au fil des temps, on a créé, en réponse à des demandes, toute une série d'organes consultatifs (Conseils supérieurs de la chasse, de la pêche, des voies navigables,…). Il y en a plus de 40 dans lesquels d'autres représentants que les partenaires sociaux sont apparus.

Il y a une légitimité à l'existence et à l'expression d'autres représentants de la société civile que les seuls partenaires sociaux. Pour le moment, on est dans une phase normale de recomposition, donc il est normal qu'il y ait des heurts et des susceptibilités, mais je cite cela comme étant un des exemples actuels d'une modernisation de l'ensemble du phénomène concertatif que nous devons prendre à bras le corps.

Je vais conclure en disant deux choses qui me tiennent fort à cœur et j'abandonne le terrain purement social du contrat et de la contractualisation. Je voudrais aussi dire quelques mots suite au discours de M. Burhin que j'ai beaucoup apprécié. Il a surtout évoqué le phénomène d'émergence des contrats de gestion, depuis une dizaine d'années, dans les pararégionaux. Je crois qu'on a là la preuve du développement d'un nouveau rôle de l'Etat qui n'est plus un Etat opérateur mais qui est un Etat guide, impulseur, qui donne des objectifs mais qui sait déléguer ses pouvoirs par des contrats de gestion ou par d'autres méthodes. C'est vraiment une bonne conception d'un Etat qui change et qui reconnaît des partenariats et une délégation de pouvoirs, mais qui ne le fait plus n'importe comment. L'Etat a parfois délégué ses pouvoirs mais à des imposteurs, à des gens qui s'auto-proclamaient détenteurs de toutes les vérités et de toutes les capacités.

Je terminerai en disant que vous avez compris que je suis un défenseur de la contractualisation, je suis un défenseur de l'organisation de corps intermédiaires représentatifs et responsables. Ce que je crains le plus, ce ne sont pas nécessairement les imposteurs; il y a de nouveaux partenaires qui naissent pour le moment; certains sont purement éphémères et vont disparaître, d'autres au contraire vont prendre des places parce qu'ils correspondent à une mutation fondamentale de la société. J'espère que les anciens partenaires vont continuer à rester forts mais il faut pour cela qu'ils se modernisent. J'ai bon espoir. Par contre, ce que je crains le plus (et c'est pour cela que je suis un tel défenseur de la responsabilisation d'organes intermédiaires représentatifs et je rejoins en cela Pierre Rossanvallon) c'est l'opinion publique dont Rossanvallon dit, et ce sera le mot de ma conclusion pour être bref, que "cette opinion publique, elle ne siège nulle part mais elle convoque sans cesse devant son tribunal".

 

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