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Wallons d'ici et d'ailleurs, La société wallonne depuis la Libération - 1996

1946-1996 : cinquante ans d’immigration et de mutations culturelles en Wallonie

Michel Dumoulin
Professeur à l’Université catholique de Louvain et Président de l’Institut d’Etudes européennes

Luc Blanchart
Docteur en Histoire - UCL

Il nous a été demandé d’aborder, dans les pages qui suivent, les mutations culturelles de la société wallonne depuis 1945 en insistant sur les apports des immigrations comme facteurs et vecteurs de ces changements.

La tâche est ardue. D’une part, les limites du sujet sont particulièrement floues. Qu’est-ce que la culture ? Les aspects en sont multiples. Cela va des mœurs culinaires à la mode vestimentaire en passant par la musique, le cinéma, la littérature, le tourisme ou encore la perception de l’Autre.

D’autre part, un thème aussi vaste que celui-ci s’accommode mal d’une périodisation stricte. S’agissant de mouvements lents qui ne se perçoivent que dans la longue durée, nous pouvons nous demander si nous avons assez de recul pour analyser ces phénomènes parallèles et interactifs. Tout en reconnaissant que nos choix peuvent être discutés, nous avons tenté de retracer, dans leurs grandes lignes, les évolutions en cours depuis cinquante ans dans quelques domaines constitutifs de la culture.

Deux ans à peine après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le petit royaume de Belgique compte 367.619 étrangers. Cœur industriel du pays depuis le siècle dernier, la Wallonie en accueille la majorité. En 1991, la Belgique recense 900.855 étrangers. Plus de 600.000 d’entre eux résident en Wallonie et en région bruxelloise.

Ces étrangers, qui sont-ils ? Quelle place occupent-ils dans notre société et quels sont les apports de cette présence immigrée ?

A. 50 ans d’immigration en Wallonie

En 1947, la plupart des étrangers résidant en Belgique sont originaires de pays européens. Il y a bien sûr les limitrophes (Français, Néerlandais et Luxembourgeois) répartis essentiellement dans les zones frontalières, ou les prisonniers allemands occupés dans les charbonnages afin de combler les besoins en main-d’œuvre. Si les Français constituent la deuxième communauté étrangère (66.416 membres), les Italiens et les Polonais forment les deux autres groupes les mieux représentés avec, respectivement, 84.134 et 58.542 membres.

Ces différentes communautés déjà présentes sur notre territoire depuis de longues années sont alors renforcées par l’arrivée de nombreuses personnes fuyant un nouveau pouvoir politique ou la misère. La Belgique manque de bras pour ses industries de base alors que certains pays croulent sous le poids d’une jeune population largement excédentaire. C’est le cas de l’Italie.

En 1991, l’origine des immigrés s’est considérablement diversifiée. Il n’en reste pas moins vrai que près de 600.000 étrangers vivant en Belgique viennent de pays membres de l’Union européenne. En 1981, les cinq nationalités les plus représentées étaient l’Italie (279.700 ressortissants), le Maroc (105.133), la France (103.512), les Pays-Bas (66.233), la Turquie (63.587) et l’Espagne (58.255). Jusqu’au début des années 1970, la Belgique recrutait de la main-d’œuvre dans des pays méditerranéens en situation de retard économique : l’Italie en 1946, la Grèce et l’Espagne en 1957, le Maroc et la Turquie depuis 1964.

Après l’euphorie des années de reconstruction et des Golden Sixties, la crise économique entraîne son lot de fermetures d’entreprises et de licenciements. Désormais, il n’y a plus de travail pour tout le monde. Les premiers secteurs touchés sont les grosses industries traditionnelles : charbonnages et sidérurgie. Le gouvernement belge décide donc de fermer les frontières nationales. Il n’est plus question de recruter de la main-d’œuvre à l’étranger. Cependant, les frontières ne sont pas hermétiques. Le Traité de Rome établit le principe de la libre circulation des ressortissants des pays membres du Marché commun. En outre, la Belgique respecte sa tradition d’accueil des réfugiés politiques et le droit élémentaire de regroupement des familles.

Aujourd’hui, en Belgique comme ailleurs en Europe, les observateurs se posent de plus en plus de questions sur la capacité de notre société à intégrer ces populations exogènes. Dans ce cadre, il est coutumier de se pencher sur le parcours effectué par les premières vagues d’immigration et de la comparer aux dernières venues.

Afin d’évaluer le degré d’intégration de ces étrangers, il est certainement utile de se demander quelle place ils occupent dans la société d’accueil. Un critère parmi d’autres est de relever les secteurs d’activités dans lesquels ils sont présents.

Là, le constat est affligeant. Les dernières vagues migratoires sont largement cantonnées dans les secteurs requérant peu de qualifications : la métallurgie, la construction, etc. De plus, il est indéniable que les étrangers n’ont que trop peu l’occasion d’accéder à des postes à responsabilités. Enfin, en période de faible conjoncture, les immigrés semblent être, avec les femmes, les premières victimes des mesures d’austérité. Pour échapper à ces travaux pénibles et à cette précarité, nombreux sont ceux qui tentent leur chance en créant leur commerce ou leur petite entreprise, le plus souvent familiale.

Et, alors qu’on se complaît à présenter la communauté italienne de Belgique comme un modèle d’intégration, il faut bien reconnaître que les "Ritals" ne se distinguent guère des autres communautés immigrées.

Dans son récent ouvrage (1), Pierre Tilly relève que les Italiens sont, à la fin des années 1950, surreprésentés dans la classe ouvrière. Le déclin de l’industrie charbonnière va les pousser vers d’autres secteurs d’activités, notamment la sidérurgie et la construction. Désirant améliorer leur condition et se faire une place dans la société, ils n’hésitent pas à investir dans des PME dont beaucoup se maintiennent à force de travail. Aujourd’hui, la situation ne semble pas avoir fondamentalement changé, même si un certain nombre de fils d’immigrés occupent les fonctions de médecins, avocats, ingénieurs ou enseignants. Marqués par l’origine prolétarienne de leurs parents, les descendants de cette première grande vague migratoire sont encore largement concentrés dans l’enseignement technique et professionnel.

Contrairement aux autres communautés, de nombreux Italo-Belges s’investissent dans les organisations syndicales, notamment la CSC, et, plus récemment, dans la politique. Une liste non exhaustive illustre parfaitement ce phénomène : Messieurs Elio Di Rupo (PS), Jean Santacaterina (PSC), François Cammarata et Pino Carlino (CSC) ou encore Mirello Bottin (FGTB). Cette volonté de participer activement à la vie sociale et politique du pays se manifeste également dans d’autres communautés immigrées, mais peut-être plus timidement. Les derniers scrutins communaux ont été l’occasion de voir de nouveaux élus municipaux d’origine maghrébine, notamment en région bruxelloise. Il faut cependant reconnaître que, en leur refusant le droit de vote, la législation belge ne favorise guère la politisation des immigrés.

B. La présence immigrée : des hommes et des biens

L’immigration n’est cependant pas qu’un apport de main-d’œuvre. Elle ne peut uniquement se traduire en termes économiques, démographiques ou politiques (au sens strict du terme). La présence de populations d’origines diverses est à la source d’un "choc culturel". Ces populations arrivent chez nous avec des sons, des saveurs, une manière d’occuper l’espace et d’appréhender la vie qui leur sont propres. Inévitablement, des échanges se produisent. Les étrangers adoptent progressivement des traits de la culture ambiante. De son côté, celle-ci s’enrichit des apports de l’extérieur. Le phénomène est aujourd’hui reconnu. Désormais, la société "belge" ou "wallonne" est multiculturelle.

 

B.1. 1946-1996 : un demi-siècle de mutations

Avant d’aborder cette problématique des échanges culturels, il convient de retracer dans ses grandes lignes l’évolution générale de la "culture" wallonne depuis 1945.

Lors de la libération du pays en septembre 1944, l’homme de la rue n’imagine pas à quel point sa vie va changer dans les années à venir.

L’entrée en guerre des Etats-Unis, en 1942, a été mûrement réfléchie. Si la générosité et le sens du "devoir humanitaire" de cette décision ne sont pas à contester, il reste que le gouvernement de Washington en attendait d’importants bénéfices. D’une part, une victoire militaire sur les forces de l’Axe ferait des Etats-Unis la première grande puissance mondiale. D’autre part, l’effort de guerre impliquera non seulement la mobilisation de millions d’hommes, mais également la participation active de l’industrie. Celle-ci doit en effet fournir, en matériel, l’armée américaine et ses alliés. Enfin, les pays libérés, ruinés par les années d’occupation et les combats, n’auront d’autre possibilité que de faire appel à l’industrie américaine pour approvisionner leurs populations et reconstruire leurs infrastructures. L’Oncle Sam occupera ainsi une position politique et économique prépondérante.

La présence américaine dans notre pays fait découvrir à la population wallonne de nombreux "produits" jusqu’alors peu ou pas connus : le jazz, le blues, le Coca-Cola, le chewing-gum, etc... De jeunes Belges voyagent aux Etats-Unis et en reviennent avec des images parfois fort naïves (2). Le cinéma yankee débarque également en force sur nos écrans. Plus que tout autre produit peut-être, les films diffusent dans les esprits européens une certaine conception de la vie et du bonheur : "the american way of life". Les grandes stars d’outre-Atlantique sont à l’origine de grands courants de mode. James Dean, Marylin Monroe et Elvis Presley en sont les plus beaux exemples. Désormais, l’Europe est à l’écoute de tout ce qui se fait aux States.

Les années d’immédiate après-guerre constituent encore une période de privations et de difficultés pour une grande partie de la population. Le pays est libéré, certes, mais il faut reconstruire. L’approvisionnement en produits de base n’étant pas totalement restauré, les restrictions sont maintenues après 1945. Ainsi en va-t-il du charbon domestique et des produits alimentaires. La fin de la décennie marque la disparition de ces dernières privations et la reconstruction est en bonne voie. Il reste l’épineux problème de la crise du logement qui ne sera résolu que vers 1955.

Avec les années 1950 débute une période privilégiée de notre histoire, ce que Jean Fourastié appellera les "Trente Glorieuses" (3). Cet épisode faste se caractérise par une croissance régulière soutenue par une forte productivité, un taux particulièrement faible de chômage et une formidable transformation du niveau de vie. En l’espace d’une génération, le pouvoir d’achat du revenu moyen augmente autant que durant les 150 années qui précèdent ! Les progrès techniques se succèdent à un rythme effréné et les nouveaux produits sont rapidement mis sur le marché. Formés à l’école américaine, les entrepreneurs sont convaincus qu’il est possible de gagner plus d’argent en vendant moins cher de plus grandes quantités. Il suffit de provoquer la demande. Pour atteindre cet objectif, ils disposent de trois outils essentiels : la publicité, le crédit et les commerces en libre service.

Une liste non exhaustive des innovations nous montre l’ampleur des bouleversements en gestation. En 1945, le premier ordinateur est mis au point aux Etats-Unis. Trois ans plus tard, sont inventés le transistor et le disque microsillon. En 1950, Sony invente le premier magnétophone japonais. En 1952, les premiers détergents de synthèse (lessive OMO) sont mis sur le marché. En 1953, alors que les premiers "Bic" apparaissent, les Etats-Unis découvrent la télévision en couleurs. Dans quinze ans, elle brisera le monopole des récepteurs en noir et blanc. En 1958, les frères Carney ouvrent le premier Pizza Hut américain. En 1960, les boîtes de conserve en aluminium sont commercialisées de même que le stylo feutre. Tupperware ouvre son usine européenne à Alost. En 1962, le premier satellite de télécommunication est mis sur orbite et en 1965, la pilule contraceptive entre dans les officines. Sept ans plus tard, le vidéodisque à lecture laser et la calculatrice scientifique de poche sont mis au point. Cette année-là, le premier McDonald européen ouvre ses portes en France (Créteil).

La croissance économique s’accompagne de profondes modifications sociales. Alors que la mécanisation libère de plus en plus de main-d’œuvre dans les secteurs traditionnels de l’agriculture et de l’industrie, celle-ci est absorbée par le secteur tertiaire en plein développement. Nous assistons à un véritable exode rural : les campagnes se vident au profit des villes bien plus attractives. Par ailleurs, les écarts entre les classes sociales tendent à se réduire. Ces nouvelles classes moyennes salariées imposent progressivement leurs manières de vivre comme un modèle.

Durant les "Golden Sixties", l’équipement des ménages s’accroît de manière vertigineuse. La voiture, le téléviseur, le réfrigérateur et la machine à laver font désormais partie de notre quotidien. La vie, celle des femmes surtout, s’en trouve considérablement facilitée. L’individu peut désormais accorder plus de temps et de moyens au logement, aux loisirs, à la culture et à la santé. Les habitudes de consommation alimentaire changent également de façon considérable. Progressivement, entre 1955 et 1970, les féculents, les graisses, les viandes en sauce laissent la place aux grillades, légumes verts, laitages, fruits et boissons gazeuses sans alcool. Un nouveau dogme s’impose : la ligne "biscotte, haricot vert, eau minérale" pour rester jeune et beau, donc mince !

Brutalement, la Wallonie, comme le reste de l’Europe, entre de plain-pied dans l’ère de la consommation et du gaspillage des ressources naturelles. Celle-ci s’étale ostensiblement sous nos yeux. Miroir de la société et incitation à la consommation, la publicité envahit la rue et les médias.

Cette nouvelle société et sa culture de consommation renforcent l’individualisme et font voler en éclats les vieilles solidarités villageoises et familiales. Perdu dans la ville anonyme, l’individu se replie sur son intérieur et sa famille. En outre, la femme, libérée des lourdes tâches ménagères, prend conscience de ses nouvelles libertés. Elle s’instruit et maîtrise sa fécondité. Désormais, elle va mener une vie professionnelle à part entière et réclamer plus d’égalité.

La forte et régulière croissance de ces deux décennies forçait l’optimisme et l’enthousiasme. La fin des années 1960 voit apparaître la critique. La télévision, symbole de cette société de consommation, en est la cible privilégiée. Elle inscrit, dit-on, l’individu dans le confort d’une vie dont la seule finalité est l’acquisition de biens matériels. Elle uniformise nos comportements, elle abêtit l’individu. Plus que toute autre, cette société aliène l’homme et provoque d’irréversibles déséquilibres écologiques et biologiques. Elle sera, un jour, balayée par une révolution imprévisible et purificatrice.

Cette contestation des nouvelles valeurs de l’argent et de la possession de biens matériels va culminer avec les événements de mai 1968. Le "vent révolutionnaire" souffle sur l’ensemble du monde industrialisé. Partout, l’ordre établi et les valeurs sont remis en question. Sur fond de libération sexuelle, les enfants du baby boom veulent donner un sens à leur vie, restaurer une société plus conviviale, plus égalitaire. Cette contestation s’exprime de multiples manières. Cheveux longs, jeans et attitude négligée, musique agressive ou psychédélique (les Doors, Pink Floyd, etc.) manifestent la volonté de briser les convenances. Un véritable culte naît autour de personnages charismatiques comme le "Che". On lit Marx, Mao et Sartre. Le mouvement hippie exprime, dans un grand élan de fraternité, des préoccupations pacifistes et écologiques. Cette contestation perdurera tant bien que mal tout au long de la décennie suivante.

En 1973, les événements politiques du Proche-Orient vont précipiter la fin de cet "âge d’or". Le premier choc pétrolier met brutalement à jour les faiblesses de notre système économique. Face au risque de pénurie énergétique, les pouvoirs politiques prennent des mesures radicales et incitent la population à modifier quelque peu ses habitudes : la Wallonie roule à vélo ! Mais la crise est profonde, elle touche aux structures de notre économie. Un scénario devient malheureusement banal : fermetures ou délocalisations d’entreprises et mesures d’austérité. Cette crise économique ne remet pourtant pas en question certaines évolutions en cours. Le niveau d’instruction de la jeunesse augmente régulièrement. Les portes du savoir et du travail s’ouvrent toujours plus aux femmes. Le mouvement féministe est d’ailleurs très revendicatif. En outre, la société intègre progressivement le contrôle de la natalité et la libération des mœurs. En vieillissant, les "soixante-huitards" prennent de la maturité. Leurs mouvements de contestation s’organisent en groupes ou partis politiques. Les écologistes, par exemple, fondent les partis "verts". Ils prônent une meilleure exploitation des ressources et mettent en exergue la problématique des déchets. Enfin, l’automatisation croissante libère un temps considérable pour les loisirs.

Les années 1980 n’apportent aucune amélioration substantielle sur le paysage économique. La société s’est installée dans ce climat de crise. Les idéaux de 68 s’évanouissent dans la morosité généralisée. De plus, une nouvelle révolution technologique vient bouleverser l’organisation du travail : l’informatique. Aucun secteur d’activité n’échappe à ce phénomène. Les Personnal Computers envahissent même le cadre familial. Parallèlement, la société de consommation est triomphante.

Plus que jamais, les grandes valeurs sont l’argent et l’apparence extérieure. Les grands modèles véhiculés par la publicité et les médias sont le jeune cadre dynamique, sportif et élégant et la jeune femme d’affaires qui concilie vie professionnelle et familiale tout en se ménageant du temps pour elle-même.

Face aux incertitudes de la vie, nous assistons à une survalorisation de l’intimité. Le "chez soi" est magnifié, il doit être particulièrement confortable, chaleureux et apaisant. On aime y rester et y recevoir ses amis. C’est la mode cocooning.

Les multiples mutations survenues en vingt ans ont profondément bouleversé les rapports homme-femme et les rôles de chacun. Alors que la femme a quitté sa cuisine pour s’affirmer égale à l’homme dans le monde du travail, celui-ci semble avoir perdu bon nombre de ses repères. L’homme "macho" cède peu à peu la place à "l’homme tendresse". La vie et les loisirs en famille sont plus importants qu’une carrière professionnelle fort stressante. Les hommes de la fin de ce siècle n’hésitent plus guère à se montrer tels qu’ils sont, avec leurs sentiments et leurs faiblesses. Les "nouveaux pères" illustrent merveilleusement cette évolution.

Attentionnés envers leur compagne et leur progéniture, ils participent à toutes les phases de la grossesse et de l’éducation. Certaines publicités mettent en exergue cette nouvelle image de la virilité. Ainsi une publicité pour l’eau minérale de Spa mettait en scène un homme tenant un nouveau-né. Les deux personnages nus sont plongés dans un lumière intimiste. Dernièrement, une campagne publicitaire pour les vêtements MEXX présentait deux jeunes gens nus tendrement enlacés.

B.2. L’immigration : assimilation ou interaction culturelle ?

Quelle est la place de l’immigration dans ce monde en perpétuel mouvement ? Comment est-elle perçue par la société d’accueil et comment la perçoit-elle ? Comment manifeste-t-elle sa présence ? Y a-t-il un apport spécifique de l’immigration dans le contexte que nous venons de décrire ? Autrement dit, ces populations étrangères venues chez nous depuis 1945 sont-elles intégrées ou en passe de l’être ?

Autant de questions auxquelles il est malaisé de répondre tant le sujet est vaste et les éléments de réponse diffus, implicites. Nous devons nous livrer à un travail ardu d’interprétation en évitant de généraliser à partir de phénomènes occasionnels. Il nous faut également nous méfier de conclusions hâtives telles que : les "Arabes" ne pourront jamais s’intégrer, l’écart culturel est trop grand !

Dans le texte qui suit, nous privilégierons l’immigration italienne. S’agissant de la doyenne des vagues migratoires d’après-guerre (4), il est plus aisé de cerner les grandes étapes du chemin parcouru dans la société wallonne. Après les Italiens, d’autres ont connu des situations à la fois similaires et très différentes. Ils ont essayé d’y répondre avec les moyens dont ils disposaient. Nous ne voulons pas faire de l’immigration italienne un modèle à partir duquel nous pourrions juger l’intégration des autres populations. Nous tenterons seulement de repérer les grandes étapes de l’insertion de ces gens venus d’ailleurs dans le contexte culturel wallon des années 1945-1996.

 

B.2.1. 1946-1950 : la découverte de l’Autre

Lorsque les premiers trains débarquent leur cargaison humaine en 1946, le climat n’est guère favorable aux Italiens.

D’une part, l’Italie est avant tout le pays du fascisme, l’ennemi vaincu. Par amalgame, tous les Italiens sont soupçonnés de sympathie avec l’idéologie honnie.

D’autre part, les Belges désertant les charbonnages, il faut recourir à la main-d’œuvre étrangère pour gagner la "Bataille du Charbon". Ces travailleurs italiens sont "parqués" dans d’anciens camps de prisonniers de guerre et dans des cantines à l’ombre des terrils. Ils y vivent dans une grande promiscuité et dans des conditions d’hygiène déplorables. Ces "ghettos" dans lesquels s’entasse cette population essentiellement masculine nourrissent les fantasmes des autochtones. Dans l’opinion publique, l’image de l’Italien est alors très négative. Il est sale, bruyant et violent. Il constitue une menace perpétuelle pour l’ordre public et nos jeunes filles.

Constamment sous la menace d’une expulsion, l’ouvrier mineur italien est contraint d’accepter des conditions de travail pénibles et insalubres. Ses collègues wallons en feront un briseur de grève. Enfin, l’ouvrier italien étant mal préparé au travail de la mine, les accidents sont nombreux. Cela suffira pour le qualifier de paresseux et de comédien, prêt à tout, y compris l’automutilation, pour échapper au travail ! Heureusement, dans la pénombre des galeries de la mine, dans la poussière de charbon et la sueur, ces idées préconçues laissent la place à la solidarité entre travailleurs confrontés aux mêmes dangers.

Dans le même temps, l’Italie tente de refaire son image sur l’échiquier international (5). En rejetant la monarchie, le 2 juin 1946, et en optant pour le modèle parlementaire, elle veut en finir avec l’héritage mussolinien et manifeste sa volonté de s’insérer dans le camp occidental. La presse belge exprime bien ce renversement. En 1946, l’Italie apparaît ravagée par la guerre et agitée par les sbires du Duce. Deux ans plus tard, à la veille des premières élections législatives de l’ère républicaine, elle est présentée comme une jeune démocratie dramatiquement pauvre et menacée par l’impérialisme communiste.

Au sortir de la guerre, débarrassée de la mainmise fasciste, l’industrie cinématographique italienne prend son envol. Immédiatement, Aldo Fabrizzi, Vittorio de Sica, Roberto Rosselini, Dino de Laurentii et autres Federico Fellini portent leurs productions sur la scène des festivals internationaux (Cannes, Venise, etc.). Ces futurs grands maîtres illustrent particulièrement le courant néoréaliste qui trouve son inspiration dans la misère tragique de la population péninsulaire. L’Italie présente ainsi, au Festival mondial du Film et des Beaux-Arts de 1947, six films dont Vivere in pace d’Aldo Fabrizzi et Sciuscia de Vittorio de Sica. Celui-ci connaîtra à nouveau le succès avec Il Ladro di Biciclette en 1949. Quelques acteurs confirment ou débutent une carrière impressionnante : le comique Toto et surtout des actrices comme Mirella Monti, Anna Magnani et Silvana Mangano.

Enfin, les sportifs donnent une image dynamique de la péninsule et forcent l’admiration. Les cyclistes Bizzi, Ronconi, Brambilla et Pedroni sont terriblement présents sur le Tour de France de 1947. L’histoire de la "Petite Reine" retiendra surtout les noms de Fausto Coppi et Gino Bartali qui flatteront encore longtemps le chauvinisme italien. Les descendants de l’Aigle de Mantoue occupent également une place importante dans les sports moteurs. Dès 1946, Alfa Roméo se distingue aux concours d’élégance de voitures et aux grands prix tels celui de Francorchamps en 1947. Rapidement, la "petite rouge" est concurrencée par sa compatriote Ferrari. La première Ferrari, la 125 S, sort des ateliers de Maranello en 1947. Deux ans plus tard, la voiture au célèbre cheval cabré remporte le Grand Prix de Francorchamps. Les succès de ces grandes marques tiennent également à la hardiesse de pilotes hors pair : Villoresi, Farina, Ascari et Cortese.

B.2.2. Les années 1950-1960 : "l’Age d’or"

Tout au long des années 1950 et 1960, les Italiens de Belgique, comme leur "mère patrie", profitent des bienfaits de la croissance généralisée.

Peu à peu, les travailleurs italiens sortent de leur isolement et s’insèrent dans la société wallonne. Faisant fi des pressions diverses exercées à leur égard, ils se politisent et se sentent davantage concernés par les luttes de leurs collègues wallons.

Prenant conscience du fait que leur séjour en terre étrangère sera plus long que prévu, les immigrés font venir leur famille en Wallonie. Ce regroupement familial marque un tournant important dans la marche vers l’intégration. A la cantine ou au camp, on se regroupe autant que possible entre gens issus du même village ou de la même région. Les adultes réussissent à reconstituer un univers proche de ce qu’ils ont connu au pays. Les enfants évoluent ainsi dans un monde clos, sans véritable contact avec l’extérieur. Dès qu’ils sont en âge scolaire, ils sont mis en présence d’autres jeunes issus de diverses communautés culturelles (Wallons, Flamands, Français, Polonais, etc.). Ils apprennent le français et découvrent de nouveaux horizons. Ils goûtent également à la cuisine locale. Pour nombre d’entre eux, les macaronis à la cassonade constituent une terrible épreuve d’initiation.

Il n’est pas possible de vivre indéfiniment dans ces camps. Peu à peu, les Italiens abandonnent les cantines et autres phalanstères pour se loger dans des habitations unifamiliales insérées dans le tissu urbain. L’arrivée de ces familles souvent nombreuses fait parfois fuir les indigènes. On assiste alors à la reconstitution des ghettos que l’on tentait de quitter (6). Un peu plus tard, dès qu’ils en auront les moyens, ils achèteront leurs maisons et n’auront de cesse de les transformer afin de les adapter aux besoins de la famille et d’y recréer un peu d’Italie.

Les contacts avec les Belges sont dans tous les cas bien plus fréquents. Cette fois, même les femmes sont mises en contact avec l’extérieur en fréquentant les commerces du quartier. Les contacts entre les communautés italienne et wallonne se multiplient de même que les mariages mixtes. Les années 1955-1960 sont particulièrement significatives de cette évolution. Le 8 août 1956, la catastrophe du Bois du Cazier à Marcinelle endeuille tout le pays. Plus de la moitié des victimes sont italiennes. Ce prix du sang semble marquer l’intégration : désormais, ils sont des nôtres ! Cette acceptation de la présence italienne est renforcée par le mariage du Prince Albert avec la jeune Paola Ruffo di Calabria, le 9 juillet 1959. La population réservera un accueil enthousiaste à cette jeune princesse belle comme une Madonne florentine (7). Voilà les deux communautés réunies au sein de la famille royale. Pourrait-il y avoir symbole plus significatif ?

Enfin, plus les Wallons côtoient les Italiens et moins ceux-ci leur paraissent différents. Ils sont d’autant moins perçus comme étrangers que d’autres immigrés arrivent de pays toujours plus éloignés, plus "exotiques". Dès 1957, la Belgique recrute en Grèce et en Espagne avant de se tourner vers le Maroc et la Turquie. C’est chose faite en 1964.

Durant ces mêmes années 1950-1960, l’Italie devient un véritable partenaire politique et économique de la Belgique. Elle est partie prenante dans le processus de construction européenne. En 1953, elle adhère au traité instituant la CECA et, en 1957, le traité de Rome jette les fondements de la Communauté européenne.

Tout comme l’Allemagne, l’Italie connaît un véritable miracle économique. Elle se lance dans une vaste campagne de modernisation et de développement qui la fera entrer quelques années plus tard dans le cercle très fermé des sept pays les plus riches du monde.

L’industrie italienne occupe rapidement une position de choix dans les domaines emblématiques de la croissance : l’automobile, l’électroménager et l’ameublement intérieur, la mode vestimentaire, la cuisine et les loisirs.

En cette période de grands progrès techniques, les moyens de communication évoluent très rapidement. Le train passe en quelques années de la traction à vapeur aux locomotives diesel, avant de se laisser séduire par la fée électricité. Les avantages sont nombreux : les nouveaux trains ont une capacité de charge plus élevée, ils sont plus rapides, plus confortables et moins polluants. Dans les villes, les tramways et trolleybus sont progressivement remplacés par les métros et les autobus.

Mais, signe des temps, les voyageurs délaissent peu à peu ces transports collectifs pour succomber aux charmes de l’automobile. En trente ans, nos villes ont été envahies par la voiture individuelle. Pourquoi ce changement de comportement ?

Avec la voiture, le voyageur ne se sent plus lié par des horaires stricts, il peut flâner à son aise selon son tempérament. Il peut emmener toute sa famille sans que cela ne lui coûte un franc de plus.

Jusqu’alors réservée aux classes aisées de la population, l’industrie automobile tire les leçons des expériences de la mythique Ford T et de la Volkswagen. Les constructeurs n’ont plus qu’une idée : produire plus de véhicules de qualité à moindre coût pour les mettre à la portée du plus grand nombre. Les grands producteurs se répartissent entre les Etats-Unis, la France, l’Angleterre, l’Allemagne et... l’Italie. Les Italiens entendent s’imposer sur le marché européen sans tarder. Les grandes compétitions sportives sont l’occasion de démontrer le savoir-faire de leurs mécaniciens et les qualités indéniables de leurs productions. Ces voitures sont présentées comme de véritables œuvres d’art : Ferrari, Maserati, Lamborghini, Lancia et Alfa Romeo. Beaucoup plus démocratique, la Fiat s’adresse davantage aux familles disposant de revenus plus modestes. La fameuse Fiat 500 est une des voitures les plus populaires des années 1960, aux côtés de la Coccinelle de VW et de la 2 CV de Citroën. En 1968, Fiat occupe 1/10 du marché des voitures neuves en Belgique (8). Enfin, les jeunes gens à la conquête de leur indépendance trouvent dans les cyclomoteurs Vespa une réponse à leur désir de bouger. A la construction automobile, s’ajoute la fabrication des pneumatiques : les pneus Fulola et Pirelli.

Autre secteur d’exportation de l’industrie italienne qui se porte bien : l’électroménager et autres appareils domestiques. Dès 1949, de rares publicités vantent les mérites des machines à coudre (domestiques et industrielles) Necchi et Elna aux lectrices du Soir illustré. Dans les années 1950, les sollicitations se multiplient et se diversifient. Une énumération non exhaustive montre l’ampleur de la production italienne : les postes de radio Aristona, le matériel de bureau Olivetti (1953), les machines à coudre Borletti (1958), les cuisinières Fopona (1960), les frigidaires et cuisinières Zanussi (1961), les machines à laver Constructa (1960), les tapis ACSA Milan, les appareils photographiques Ferrania et Bilora Bella (1959). Non seulement ces appareils et pièces d’ameublement répondent aux attentes du public belge au niveau de la qualité, mais ils adoptent une ligne, une silhouette résolument moderne. Ce sera d’ailleurs là un champ d’application privilégié du design italien.

L’Italie entend concurrencer les plus grands également sur le terrain culturel. Ainsi, au début des années 1950, la haute couture romaine commence à faire parler d’elle. Le succès va croissant durant les deux décennies qui suivent grâce à quelques créateurs de talent tels que Lola Grovanelli, Pucci, Roberto Capucci ou encore les sœurs Fontana. A Paris, les grands stylistes dont Elsa Schiaparelli ou Nina Ricci doivent faire preuve d’originalité pour tenir tête à ces nouveaux concurrents. Dans le domaine de la mode aussi, Rome a sa personnalité bien définie. Elle emprunte à l’Occident l’équilibre d’une élégance qui repose sur l’intelligence autant que sur le sentiment, pour le mêler avec un certain goût un peu emphatique, déjà oriental, de la couleur et de l’ornement et faire de ce mélange quelque chose d’essentiellement typique et particulier : le style romain dédié à la femme éternelle (9). A en croire les observateurs, c’est ce goût prononcé pour les couleurs et les ornements, que notre œil nordique juge parfois excessif, qui fait le succès de la mode italienne auprès du public américain.

Les grandes tendances de la mode italienne touchent aussi le prêt-à-porter à travers les imperméables San Giorgio et les bas Omsa. Les publicités pour ces deux produits sont révélatrices de la réputation des produits italiens chez nous. Avec les bas OMSA, vous êtes sûre de plaire. OMSA, le bas italien de luxe. Le prix de ces bas varie entre 45 et 59 francs la paire selon les modèles (10). Quant aux imperméables San Giorgio, c’est le dernier raffinement de la mode italienne. Pratique, peu encombrant, votre imperpiuma se range dans un petit étui [...]. Infroissable et résistant car confectionné dans un tissu nylon spécial et exclusif, au toucher et à l’aspect délicat et riche de la soie, votre imperpiuma vous donnera aussi cette élégance qui force l’admiration (11).

L’Italie ne se vend pas uniquement par des biens matériels. Le pays des Césars et de la Renaissance attirait déjà les "touristes" au XVIIIème siècle (12). Ces voyageurs sont alors surtout des hommes d’affaires, des ecclésiastiques et des artistes. Au XIXème siècle s’ajoutent des savants (médecins, archéologues, architectes, etc.), des observateurs militaires et les nombreux pèlerins se rendant à Rome. L’extension du chemin de fer et de l’automobile rend le voyage au delà des Alpes plus accessible. Au lendemain du second conflit mondial, des journalistes belges parcourent la péninsule avec l’intention de dresser l’état des lieux des sites touristiques d’avant-guerre. Ainsi, à partir de 1945, Albert Bouckaert rédige, pour Le Soir illustré, une série d’articles sur la Scala de Milan, Naples, Rome, Frascati, Florence ou encore le Mont Cassin. A partir de 1950, l’hebdomadaire fait découvrir à ses lecteurs quelques coins insolites de la Botte. Nous découvrons ainsi les bergeries sardes, la république de Saint-Marin, la fête du risotto millegusti à Ascona ou encore les trulli d’Alberobello. En outre, Henri Liebrecht fournit de précieux conseils en prévision d’une visite dans ce pays (13). A cette époque s’opère un changement radical dans le comportement des touristes. Avant guerre encore, il était presque impensable de séjourner en Outremont en période estivale. Au contraire, on y recherchait davantage la douceur du climat pour passer l’hiver. A partir des années 1950, les touristes, toujours plus nombreux, entendent profiter des plages et du soleil méditerranéen. En 1962, le Club Méditerranée, symbole de cette nouvelle conception du tourisme, compte déjà quatre centres en Italie : Salerne, Palerme, la Sardaigne et l’île Lipari. D’autres destinations touristiques sont également fort prisées : la France, l’Espagne et la Grèce.

Profitant sans doute du désir des émigrés de prendre quelque repos dans leur village natal, certaines agences de voyage programment des séjours plus ou moins longs dans la péninsule. Ces voyages se font en avion (Sabena, Alitalia et Air France), en car ou en train. Ces deux dernières versions sont les moins coûteuses, donc susceptibles d’attirer un large public : de l’ouvrier mineur aux jeunes mariés, en passant par les voyages scolaires et les pèlerinages.

C’est également l’âge d’or du cinéma italien. Les grands maîtres que sont Roberto Rossellini, Vittorio de Sica, Federico Fellini, Luchino Visconti ou encore Michelangelo Antonioni écrivent alors quelques pages glorieuses du 7ème art. Cinecittà est un des centres les plus productifs. La production cinématographique est composée de trois grands courants.

Il y a, dans un premier temps, le néoréalisme qui explose sur les écrans dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce sont d’ailleurs quelques grands réalisateurs issus de cette tendance qui vont écrire en lettres d’or l’histoire du cinéma italien. Viennent ensuite les productions commerciales dont la seule prétention est de divertir le public et, enfin, la longue série des fresques historiques et péplums s’inspirant assez librement de l’Antiquité gréco-romaine. Nous ne retiendrons que les œuvres de Vittorio de Sica, Roberto Rossellini, Luchino Visconti, Federico Fellini et Michelangelo Antonioni ainsi que les acteurs Toto, Silvana Mangano, l’ardente et sensuelle créature que tout le monde admire (14), Anna Magnani, la déesse aimée de l’Olympe cinématographique, la plus talentueuse et la plus volcanique des vedettes, une grande artiste qui semble être l’incarnation de l’âme populaire italienne (15), Gina Lolobrigida à la grâce altière, d’une beauté bien italienne, si pleine, si riche, si savoureuse, si simple (qui) plaît à tout le monde. Ses généreux et charmants décolletés n’ont rien à envier à ceux de Martine Carol (16), Sophia Loren divinement belle, simple, gaie, exubérante, pleine de tempérament et infiniment sympathique (17) et Claudia Cardinale.

Tous ces films à grand succès ainsi que l’omniprésence de ces actrices sur les écrans et leurs déboires sentimentaux étalés dans la presse populaire donnent une certaine image de l’Italie et des Italiens. L’Italie est ce grand pays ensoleillé où règne la misère qui contraint les petites gens à tous les expédients pour s’en sortir. Cela ne leur enlève nullement une véritable grandeur d’âme. Ces gens accablés par le malheur n’en restent pas moins fiers, gais et hospitaliers. Face à ces braves gens, se dresse une classe dirigeante corrompue et imbue de son autorité ou une élite sociale qui mène une vie oisive, luxueuse et débauchée. Quant aux acteurs, ils sont supposés incarner l’âme profonde du peuple italien. Les actrices surtout retiennent l’attention des journalistes et de l’opinion publique. Toutes ces beautés méditerranéennes se caractérisent par une féminité exacerbée et un caractère d’acier. Ces femmes, tendres, douces et passionnées lorsqu’elles sont amoureuses, savent tenir tête et le font savoir, dans un flot de paroles et de gestes. Leur vie sentimentale agitée est à l’image de cette exubérance. Elles sont aussi terriblement jalouses les unes des autres. Elles incarnent l’éternel féminin méditerranéen.

Mais à côté de ce cinéma purement italien, une autre veine illustre une certaine perception de la réalité péninsulaire. Nous pensons ici au truculent Petit Monde de Don Camillo. Curieusement, c’est le Français Julien Divivier qui a mis en scène le petit livre de Giovanni Guareschi. Dans cette série qui comporte quatre ou cinq épisodes, nous suivons l’évolution de l’Italie, de 1945 à l’aube des années 1970. Les aventures du petit curé haut en couleurs (incarné par Fernandel) et de son inséparable et folklorique maire communiste nous font rire sur les excès et les paradoxes de la "nature" italienne.

L’accueil enthousiaste réservé par le public belge et wallon au cinéma italien ne dément aucunement les ovations des grands festivals internationaux. La foule se presse pour accueillir les réalisateurs et les actrices de passage chez nous pour la promotion de leurs films. C’est également l’occasion, pour la communauté italienne, de manifester sa présence et de retrouver quelques rayons de soleil du "pays". Peu avant les fêtes de fin d’année 1954, les actrices Giuletta Masina et Silvana Pampanini sont en tournée dans les pays du Benelux. Silvana Pampanini, une des vamps les plus authentiques du cinéma italien, a [...] comme toute Italienne qui se respecte, la langue bien pendue [...]. C’est ainsi que l’on apprit que ce qui l’avait le plus impressionnée [...] était la présence et l’enthousiasme de milliers de travailleurs italiens venus pour l’applaudir (18). En janvier 1955, Ettore Giannini et l’actrice Maria Pia Cassino présentent à Bruxelles le Carrousel fantastique. Fatiguée par un long voyage en avion [...], la rousse Maria parut un peu boudeuse et timide au début mais se dégela progressivement devant le chaleureux accueil que lui fit le public, et aussi et surtout les mineurs italiens de la chorale de Maurages accompagnés d’un groupe très pittoresque, de musiciens italiens qui avaient été spécialement invités (19). Lorsque Sophia Loren débarque à Bruxelles en mars 1956, quatre à cinq mille fans envahissent les abords de la gare du Midi dans l’espoir de l’apercevoir.

En outre, dans les régions à forte densité immigrée, il n’est pas rare que soient organisées des soirées italiennes. Ainsi, le cinéma "Casino" à Marchienne-Docherie projette tous les lundis les actualités italiennes suivies de deux films italiens, un court et un long métrage. Cela se passe dans les années 1956-1957.

Il est indéniable que la présence de populations italiennes en Wallonie ait contribué au succès du cinéma péninsulaire. Mais cette même présence a-t-elle eu un quelconque impact sur la production cinématographique "wallonne" ? Il ne semble pas y avoir d’explosion de la production de films relatifs à l’immigration dans ces années-là. Tout comme il n’y a pas de réalisateur "rital". Un film fera date cependant en ce domaine. En 1960, sort Déjà s’envole la fleur maigre de Paul Meyer. Ce film retrace avec beaucoup de réalisme et de poésie l’installation d’une famille sicilienne dans un Borinage charbonnier déjà sur le déclin. Cette œuvre, remarquable par ses qualités artistiques et documentaires, n’aura pas le retentissement escompté. Le réalisateur connaîtra de sérieux déboires avec les commanditaires de l’œuvre qui désiraient un film de propagande magnifiant l’accueil des immigrés. Pourtant, pour la première fois, une caméra belge dévoile la réalité vécue par ces milliers d’étrangers.

Dans le domaine musical, les années 1950-1960 se caractérisent également par une importance croissante de la musique de variété italienne ou italianisante. Il faut distinguer ici, plusieurs phénomènes simultanés. Dans un contexte de "révolution" musicale (c’est en effet la grande époque du rock ‘n roll avec le jeune Elvis Presley ou, plus tard, les Beatles, et de la musique "yé-yé" avec entre autres Johnny Hallyday et Sylvie Vartan), le marché du disque en Belgique cède à la mode italienne : La Belgique, un des meilleurs marchés étrangers pour l’industrie de la musique italienne en raison de l’importante communauté qui s’y trouve, a toujours été très sensible à la chanson italienne, disait encore Thierry Coljon en 1994 (20). Des chanteurs tels que Domenico Modugno ou Rita Pavone, en 1963, récolteront quelques beaux succès aux hit-parades italiens et belges. D’autre part, la musique de variété francophone est confrontée à de multiples influences : c’est la grande vogue des rythmes sud-américains ou des italianismes plus ou moins authentiques et des slows orientaux (21). C’est le cas du Libanais Bob Azzam qui, après le succès de Mustapha, inonde les ondes à coup de Chérie je t’aime, chérie je t’adore comme la salsa de pommodore [...]. Auparavant, Marino Marini – que les critiques vraiment spécialisés ont comparé successivement à une promenade en gondole vénitienne, à une assiette de minestrone, à une pizza très épicée, à une coupe d’asti spumante et à la douceur de la nuit florentine (22)a popularisé la chanson napolitaine avec des titres tels que Bambino. Dalida, une Italo-Egyptienne installée en France, fait son entrée dans le show-business.

En 1959, un jeune Calabrais immigré en Campine, Rocco Granata, rencontre un succès fulgurant mais éphémère avec un titre qui fait rapidement le tour du monde : Marina. La même année, un jeune Sicilien de Jemappes se lance à son tour dans l’univers de la chanson. En Belgique depuis 1947 et élevé au son des mélodies du pays chantées par son père, Salvatore Adamo abandonne ses études pour se consacrer entièrement à la chanson. Ses premiers titres, en italien (Perchè, Cara bambina, ou encore Rosina), sont des échecs cinglants. Sa voix fort particulière ne plaît pas. Son obstination et le soutien d’un disquaire de Jemappes surmonteront les obstacles. Même son père, pourtant réticent, finit par seconder Salvatore dans ses prétentions artistiques. De bals en crochets radiophoniques, il se fait connaître et rencontre son premier grand succès en 1963. Cette année-là, il passe en tête d’affiche à l’Ancienne Belgique. Salvatore a tout juste vingt ans. L’année suivante, il participe à un gala de la Croix-Rouge de Belgique au Heysel. Cela lui donnera l’occasion de rencontrer les Princes de Liège. Il en ressortira une chanson en italien dédiée à la Dolce Paola. Ce titre aura un certain succès en Belgique et en Italie, surtout en Calabre. Adamo a davantage de succès en français. Il écrit la plupart de ses chansons dans la langue de Voltaire. Sa renommée sort rapidement de nos frontières et en 1965, il remplit la prestigieuses salle de l’Olympia à Paris. A ce moment, il compte déjà quelques grands succès avec Laisse-moi te dire, En blue-jean et blouson d’cuir, Sans toi, ma mie ! et Vous permettez, Monsieur. Il aura ainsi l’occasion de côtoyer quelques grands calibres tels que Jacques Brel, Georges Brassens ou encore les Beatles (23). Ses succès discographiques amènent ce fils d’immigrés siciliens à tâter du cinéma. Il donne ainsi la réplique à Bourvil dans Les Arnaud (en 1976) où il campe le personnage d’un mauvais garçon qu’un magistrat tente de remettre dans le droit chemin. En 1970, il tourne son film L’île aux coquelicots.

Ces deux chanteurs issus de la deuxième génération d’immigrés italiens en Belgique sont les pionniers d’un mouvement qui ira en s’amplifiant dans les années à venir.

Autre grand domaine culturel du XXème siècle, la bande dessinée est progressivement "contaminée" par une touche "ritale".

Né à Milan en 1925 et installé en Belgique en 1950, Dino Attanasio occupe rapidement une place de choix dans le monde de la BD belge. Il collabore aux journaux Spirou et Tintin. Il travaille avec quelques grands noms du genre, Henri Verne (Bob Morane), Charlier et Goscinny. Dès 1950, il crée les personnages de Fanfa et Polo, Modeste et Pompon ou encore Ambroise et Gino. Il est encore à l’origine des Histoires d’Oncle Paul et de nombreuses autres aventures. Cependant, Dino Attanasio doit la célébrité à un personnage sympathique et gaffeur : signor Spaghetti. Cheveux gominés et zézayant, ce petit personnage si vivant dont les histoires et le vocabulaire à la sauce italienne vous emmènent inévitablement dans un monde plein de mouvement et de bonne humeur est l’archétype du napolitain (24). Vingt ans après ses débuts en Belgique, le héros d’Attanasio est déjà traduit en cinq ou six langues, et ses albums sont vendus à plus de 500.000 exemplaires dans notre pays. La société Belvision, fondée en 1955 par Raymond Leblanc, le directeur des éditions du Lombard, a réalisé des disques et un court métrage intitulé Spaghetti à la romaine. Enfin, chaque semaine, Le Soir illustré publiera un épisode des aventures du pétillant personnage.

Depuis son apparition en 1908, la BD italienne est très prolifique. Les auteurs font surtout dans le style humoristique qui leur assure un large succès populaire. Les fumetti s’adressent particulièrement aux enfants. L’araignée Gigi de Massimo Mattioli ou encore les personnages de Lola et Pepito de Luciano Bottaro ont occupé les rêves de milliers de petits lecteurs. Dans un autre genre, Hugo Pratt (décédé en 1995) invite les grands adolescents et les adultes à suivre les aventures inattendues de son héros fétiche, Corto Maltese, aux quatre coins de la planète depuis 1967.

 

La présence d’Italiens dans nos contrées va considérablement modifier les habitudes alimentaires tant des immigrés que des Wallons.

Le métier de mineur occasionne une énorme dépense d’énergie. La plupart des immigrés ne sont pas accoutumés à ce genre de travail. Leur nourriture traditionnelle, pauvre en calories (polenta, pâtes et pain), est insuffisante pour affronter les rigueurs de la mine. Il leur faut donc sacrifier aux menus plus complets de leurs compagnons de labeur. Fréquentant les écoles, les enfants font connaissance avec les mœurs culinaires locales. Quelle n’est pas leur surprise de voir leurs petits camarades belges se ruer sur les assiettes de macaronis à la cassonade. L’effet de surprise passé, ils apportent cette nouvelle cuisine chez eux et la font découvrir à leurs parents. Peu à peu, les frites, lards, omelettes, ratatouilles et bières font leur apparition sur les tables italiennes.

Il existe des épiceries typiquement italiennes dans nos villes dès l’Entre-deux-guerres. Elles sont cependant peu nombreuses et leur clientèle est exclusivement limitée à la petite colonie italienne. Avec l’arrivée massive de ces nouveaux travailleurs en 1946, leur nombre va augmenter considérablement. Dans un premier temps, il s’agit surtout d’immigrés d’avant 1940 qui apportent ainsi aux nouveaux venus un peu de chaleur du pays. Par la suite, d’autres, tentant d’améliorer leurs conditions, ouvrent leur petit commerce. Lorsque les Italiens s’installent dans les corons, les épiceries de quartier vont tenter de répondre à la demande de cette nouvelle clientèle. Les vitrines présentent bientôt des produits méditerranéens : poivrons, courgettes, aubergines, etc... Dans ces mêmes quartiers s’ouvrent des magasins italiens qui recréent l’ambiance du village. Ces commerces deviennent le lieu de rendez-vous des femmes immigrées. On aime y discuter vivement des dernières nouvelles du quartier ou du "pays", entouré des parfums des charcuteries, des fromages et des olives baignant dans l’huile. Timidement, les ménagères "wallonnes" découvrent ainsi, à deux pas de leur porte, les saveurs de la Méditerranée. Ce phénomène d’élargissement de la clientèle est accentué par la présence de commerçants italiens sur les marchés hebdomadaires dans les grandes agglomérations telles que Charleroi, Liège, Namur et Mons. Bientôt, ils en constitueront un élément primordial.

Il ne faut pas croire pour autant que la découverte des produits méditerranéens se fait uniquement par le biais, malgré tout limité, des petits commerces italiens, grecs ou espagnols. Ceux-ci apparaissent dans les années 1960 et sont moins nombreux que leurs collègues transalpins. Des magasins d’alimentation générale ouvrent leurs portes et étalages aux produits "exotiques". Dès la fin de la guerre, les Belges redécouvrent certains produits italiens déjà connus avant les événements de 1940. Il s’agit essentiellement de l’apéritif Cinzano. Le vermouth est présenté comme un produit de grande classe idéal pour les réceptions (25). Par la suite, les apéritifs italiens, Cinzano, Martini, Gancia et Campari sont systématiquement présentés comme les éléments indispensables pour une soirée réussie et comme des produits de luxe, signes extérieurs de richesse et de réussite sociale (26). Des grandes chaînes de magasins présentent aux consommateurs un certain nombre de produits méditerranéens. Ainsi, en 1951, Delhaize-le-Lion fait de la publicité pour ses vins italiens. Le petit fiasco (94 cl.) de Chianti Brolio rouge est à 58 francs et le grand fiasco (250 cl.) se vend à 75 francs. En fait, les vins italiens sont relativement chers. La bouteille de 70 cl. coûte alors entre 11 francs 50 et 22 francs, alors que le prix de la bouteille de Bordeaux ou de Beaujolais varie entre 16 francs 50 et 22 francs (27). Il est vrai qu’à l’époque, le consommateur belge moyen n’est pas grand amateur de vins. Ces mêmes magasins commencent à proposer à la ménagère des concentrés de tomates "100% italiennes" (Liebig en 1953), des boîtes de "soupe italienne" (ex. : Marie Thumas en 1963 et Unox en 1965), de ravioli (ex. : Cuisto en 1965), et l’huile d’olive (ex. : Filippo en 1968). De la même manière, les revues périodiques amènent leurs lecteurs et surtout leurs lectrices à découvrir les traditions culinaires transalpines. Si nous nous en tenons au cas du Soir illustré, nous devons constater qu’il publie l’une ou l’autre recette à l’occasion d’articles présentant des régions particulières de la péninsule (28) ou des actrices. Enfin, à partir du mois d’avril 1959, la rubrique Votre journal, Madame propose des recettes italiennes telles que l’Escalopina a la Casalinga, l’entremets Zucott ou un gratin de riz à la bolognaise. Les années 1950-1960 marquent donc bien l’ouverture de nos palais aux saveurs méditerranéennes. Lentement, les Wallons prennent l’habitude de voir et de sentir les parfums si particuliers des cacciatore, mortadelle, prosciutto, parmesans, provolone, mozzarella et goûtent les pâtes fraîches à toutes les sauces ainsi que les nombreux vins de la péninsule (Chianti, Bardolino, Montepulciano, etc.). Aussi pouvons-nous affirmer que les Italiens nous ont fait découvrir l’essentiel de l’alimentation méridionale. Lorsque les Grecs, Espagnols, Maghrébins et Turcs s’installent par la suite, ils trouvent déjà dans nos magasins le nécessaire pour maintenir leurs habitudes alimentaires. Cela ne les empêchera pas d’ouvrir leurs propres épiceries et d’apporter d’autres spécialités (les mezze, feuilles de vignes farcies et zatzikis, la paella et le couscous).

B.2.3. 1970-1980 : de la coexistence à la cohabitation

Le début des années 1970 marque une nouvelle période dans l’histoire des migrations en Belgique.

Le renversement de conjoncture économique incite le gouvernement à limiter l’accès au territoire pour les travailleurs étrangers. Ceci ne remet pas en cause la coexistence des diverses communautés. Des tensions naissent occasionnellement entre les différents groupes, les uns se sentant à tort ou à raison lésés par rapport aux autres. Et pourtant, les échanges entre ces différentes communautés culturelles s’intensifient.

Différents facteurs entrent en considération pour expliquer ce phénomène. D’une part, nous pouvons certes déplorer une "ghettoïsation" de certains quartiers de banlieue des grandes villes wallonnes (par exemple les quartiers de la Docherie ou Dampremy à Charleroi). Cependant, même dans ces communes à très forte densité immigrée, nous sommes toujours en présence d’un patchwork culturel.

D’autre part, l’extension du tourisme de masse a contribué à faire voyager le Belge moyen dans des pays toujours un peu plus éloignés : France, Italie, Grèce, Espagne, Turquie, Maroc et, aujourd’hui, les pays asiatiques ou amérindiens. Au cours de ces voyages exotiques, il découvre peu ou prou les mœurs et la cuisine locales. De retour au pays, il désire retrouver cette ambiance estivale. C’est certainement là une des raisons du succès croissant des restaurants italiens et grecs dans les années 1970, maghrébins et asiatiques dans le courant des années 1980. La tradition des restaurants italiens est cependant bien plus ancienne. Avant 1914, les glaciers et limonadiers italiens étaient déjà très populaires dans les rues de nos grandes villes. En outre, les Italiens s’investissent beaucoup dans l’hôtellerie et les cafés (29). Ensuite, les deuxième, troisième et parfois quatrième générations d’immigrés, scolarisés en milieu belge, sont plus ou moins profondément imprégnés de "culture wallonne". Ils se distinguent à peine de leurs compagnons de classe. Ils ont adopté les modes vestimentaires des jeunes de leur âge et parlent parfois mieux le français que leur langue "maternelle", ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes au sein des familles. Un certain contrôle familial semble cependant peser encore sur les filles plus lourdement que sur les garçons. En effet, les pères et frères veillent jalousement sur l’honneur des filles. Leurs fréquentations sont davantage surveillées ainsi que leur apparence extérieure. Ce phénomène paraît plus visible chez les Turques pour lesquelles le foulard est encore partie intégrante de leur habillement. Ce n’est là qu’un exemple.

Enfin, l’extraordinaire développement des moyens de communication et des médias ouvre considérablement notre perspective. Tous les jours, de multiples informations et images nous viennent des quatre coins du monde. La planète est devenue ce "grand village" dont nous croyons tout connaître.

Dans ce nouveau contexte, il est évident que la perception des immigrés est influencée par l’image de leur pays d’origine à travers un certain nombre d’événements et de produits autant que par leur propre production.

Nous laisserons ici de côté les événements politiques (guerre civile, par exemple) qui ne sont pas de notre ressort. De la même manière, nous ne prétendrons pas énumérer de manière exhaustive les apports de ces diverses composantes de notre univers.

Par leur proximité géographique et à cause du poids de l’histoire, les pays européens, dont l’Italie, paraissent prédominants.

L’industrie automobile est un des premiers secteurs touchés de plein fouet par la crise énergétique des années 1970. Face à l’augmentation brutale du prix du pétrole, les consommateurs exigent des véhicules qui ne consomment pas trop d’essence. Les producteurs se lancent ainsi dans une course à l’innovation. Chacun essaie de sortir le modèle le plus performant, alliant puissance du moteur, consommation économique, confort de conduite et esthétique. Dans ce contexte, les producteurs américains et européens ont fort à faire pour contenir la vague déferlante de l’automobile nipponne. Nissan, Toyota et Mitsubishi s’imposent rapidement sur le marché européen. La Belgique échappe d’autant moins à ce phénomène qu’elle ne produit plus de marque nationale depuis longtemps.

Le groupe Fiat est alors le producteur italien le plus représenté chez nous. En 1968, il domine le marché belge avec ses modèles 124 et 850. Les trois plus grandes marques transalpines (Fiat, Lancia et Alfa Romeo) font mieux que les ventes cumulées de VW-Audi-NSU en 1974 encore. Mais la roche tarpéenne est proche du Capitole. Dès l’année suivante, les ventes des voitures italiennes en Belgique chutent rapidement : 3,5 % en 1985 et 2,8 % dix ans plus tard pour les seules Fiat. Les raisons de cette chute sont multiples, mais on peut certainement relever une méconnaissance du climat "belge" et son impact sur les carrosseries. Ces déconvenues (ex. : la Ritmo et la Regata) ont brisé la réputation des italiennes, autrefois si fiables. Depuis le début des années 1990, la direction turinoise du groupe Fiat part à la reconquête du marché en lançant un vaste programme d’investissements, de rationalisation et de renouvellement des modèles (ex. : la Fiat Punto en 1993).

Le cinéma européen entre également dans une période critique, surtout à partir de 1980. Cette crise tient à deux facteurs essentiels : un manque chronique de moyens financiers et une crise identitaire.

L’industrie cinématographique américaine dispose de moyens financiers considérables qui lui permettent de miser sur des effets spéciaux toujours plus sophistiqués et de mettre sur pied des campagnes de promotion proches du matraquage publicitaire. En outre, s’il reste des réalisateurs de grande qualité, il est de plus en plus évident que les producteurs escomptent une rentabilité à court terme. Les Européens assistent à l’invasion de leurs écrans par des productions purement commerciales venant d’outre-Atlantique. Les ingrédients de base sont aujourd’hui unanimement dénoncés : violence et sexe ou le mélodrame à outrance. Face à cette nouvelle donne, le cinéma européen se divise et s’enlise.

Certains estiment qu’il faut emboîter le pas aux Américains car, manifestement, ce genre de film plaît, à en croire les taux de fréquentation des salles. Au moment où les spectateurs ont tendance à bouder le cinéma au profit de la télévision, il ne faut pas faire la fine bouche.

D’autres, au contraire, sont convaincus que le cinéma européen ne pourra survivre que s’il préserve son identité. Ceux-là entendent persévérer dans la réalisation de films plus réfléchis, de films moins "primaires". Ce cinéma dit "d’auteur" est cependant confronté à un phénomène typique de cette époque. L’industrie cinématographique est considérée par les grands argentiers comme une industrie à part entière. Pour eux, il n’y a pas de différence fondamentale entre vendre un film et vendre des voitures, par exemple. Ce doit être immédiatement rentable. Ils privilégient donc les productions de pur divertissement, plus susceptibles d’attirer un large public. Pour les autres, c’est le parcours du combattant, d’autant qu’ils ne peuvent compter sur d’éventuels subsides publics. Les autorités politiques sont confrontées à d’autres priorités. La dernière décennie de ce siècle semble pourtant marquer une évolution. Non seulement un certain public reste attaché au cinéma "d’auteur", mais certaines réalisations, a priori peu commerciales, peuvent connaître un grand succès de foule. Entre autres œuvres de grande qualité, nous soulignerons les cas de Nouveau Cinéma Paradiso, Le Maître de Musique (1987), Toto le Héros (1991) ou encore Farinelli en 1994. Par ailleurs, les pouvoirs publics prennent conscience de l’importance du cinéma et de la télévision dans la formation de l’identité culturelle du public. Le principe du libre échange des biens, âprement défendu par les Etats-Unis, menace d’inonder les écrans (petits et grands) des productions américaines et japonaises. Pour contrer ce risque de perte d’identité, les Européens affirment le principe de l’exception culturelle.

Parmi les pays d’émigration représentés en Belgique, seule l’Italie a une grande tradition cinématographique. Le cinéma grec est totalement méconnu, à quelques rares exceptions près. Le cinéma espagnol est davantage connu grâce, notamment, aux œuvres de Luis Buñuel et de Pedro Almodovar qui nous donnent une certaine image d’une Espagne tournant résolument le dos à l’ère franquiste. Ils insistent surtout sur une liberté des mœurs qui contredit le stéréotype d’un pays catholique conservateur et, ce, sur un ton parfois fort léger.

Dès les années 1960, un nouveau genre cinématographique fait son apparition sur la scène internationale. Il s’agit de combattre l’influence américaine sur son terrain de prédilection : le western. Des réalisateurs italiens se lancent dans le pastiche de cette veine très populaire. Rapidement, quelques noms émergent dont nous ne retiendrons que Sergio Leone qui manifestera un grand savoir-faire en la matière et signera quelques beaux succès (Le bon, la brute et le truand en 1966, Il était une fois dans l’Ouest en 1968 et Il était une fois la révolution en 1971). C’est la grande époque des "western-spaghetti" qui se poursuivra jusque tard dans les années 1970. Ces films de divertissement et néanmoins de qualité sont rehaussés par le talent de grandes vedettes américaines telles que Clint Eastwood ou Paul Newman. De plus, les génériques musicaux connaîtront parfois un réel succès indépendamment des films. Un compositeur se fait tout particulièrement remarquer : Ennio Morricone. Cette veine va toutefois sombrer dans la caricature et la comédie grossière avec les fameux Bud Spencer et Terence Hill.

Un autre créneau porteur du cinéma italien est le film politiquement engagé. Les soubresauts de la vie politique transalpine donnent de nombreux sujets de réflexion et de critique aux réalisateurs : les méfaits de la mafia, la corruption de l’appareil étatique, le terrorisme noir (ex. : l’attentat de l’express Rome-Munich en 1974) ou d’extrême-gauche avec les tristement célèbres Brigades rouges (ex. : enlèvement et assassinat du leader démocrate chrétien Aldo Moro en 1978).

A côté de cela, les grands maîtres des années 1950-1960 continuent leur œuvre et trouvent même des successeurs en la personne de Dino Risi, Luigi Comencini, Mario Monicelli, et Ettore Scola. Cela ne suffit pourtant pas pour résister efficacement au désastre provoqué par la télévision. L’émergence de chaînes de télévision privées commerciales bouleverse les données. Elles commandent une grande quantité de téléfilms d’aventures ou d’histoires sentimentales destinés à un large public peu exigeant sur la qualité de ce qui leur est projeté. A l’image du reste de l’Europe mais plus rapidement que la France ou l’Angleterre, le cinéma italien entame une longue traversée du désert. Les années 1990 semblent cependant marquer le début d’une renaissance du cinéma de qualité. Bernardo Bertolucci occupe l’avant-scène avec des superproductions comme Le dernier Empereur en 1987. Plus discrètement, de jeunes réalisateurs jettent les bases d’un nouveau cinéma d’auteurs. Nani Moretti en est un piliers incontournable. Dans ses œuvres (Ecce Bombo, Bianca, La messa e finita, La Palombella, Rossa, Caro Diario), il critique sur un ton de comédie les travers et hypocrisies de la société italienne.

Bien moins connu chez nous, le cinéma arabe est cependant florissant.

Le 7ème art "arabe" est en effet réservé au public privilégié des festivals internationaux comme ceux de Cannes, Bruxelles, Namur ou le festival du cinéma méditerranéen. En dehors de ces cercles restreints, ces films sont projetés dans de petites salles de cinéphiles. Au cours de ces soirées "arabes", musique traditionnelle et dégustation de spécialités accompagnent parfois la projection du film. Quelques réalisateurs parviennent ainsi à se faire connaître chez nous : l’Egyptien Youssef Chaline (Adieu Bonaparte et Le sixième jour), le Tunisien Ferid Boughedir (Halfaouine, L’enfant des terrasses) ou encore Moufida Tlatli (Les silences du palais). Ce cinéma illustre également une société musulmane partagée entre tradition et modernité.

A côté de ce cinéma d’importation, qu’en est-il de notre propre production cinématographique ? Il paraît bien malaisé de distinguer les productions purement wallonnes des produits "bruxellois". Il conviendrait sans doute mieux de parler de cinéma francophone de Belgique.

On ne peut pas dire que la Belgique ait une véritable tradition cinématographique avant 1940. Le cinéma belge se partage alors en trois grands courants : la comédie populaire qui développe une image folklorique et peu flatteuse de la population belge (avec entre autres Gaston Schoukens), le documentaire dans la veine de Charles Dekeukeleire, Henri Storck et André Cauvin. Enfin, vient le cinéma d’essai qui sera marqué par le mouvement surréaliste (Edmond Bernhard, Paul Haesaerts, Ernest Moerman et Marcel Marien).

Les années 1960 marquent la véritable naissance du cinéma belge. On assiste alors à une véritable explosion de la production. Deux auteurs deviennent rapidement les véritables piliers de ce renouveau : Paul Meyer et André Delvaux. A la même époque, des structures officielles se mettent en place pour venir en aide aux réalisateurs : le Ministère des Affaires économiques accorde des subventions à la production dès 1963 et le Ministère de la Culture française met sur pied une commission de sélection pour l’aide à la production en 1967. En outre, deux grandes écoles de cinéma voient le jour : l’IAD et l’INSAS. Ce nouveau cinéma belge s’inscrit manifestement dans la mouvance de la Nouvelle Vague française et du grand cinéma italien.

Depuis 1975, la production belge se distingue par des œuvres de "grande culture" (Gérard Corbiau, Marion Hansel, Jaco Van Dormael, etc.) et un cinéma d’auteur très dynamique même s’il n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur (Thierry Zeno, Boris Lehman, Samy Pavel, ...). Si l’immigration en tant que telle n’est pas un thème privilégié de cette production, il nous paraît plus opportun de souligner l’apport des enfants de l’immigration au 7ème art belge. D’immigration récente (ex. : Michel Khleifi) ou plus ancienne (ex. : Eve Bonfanti), ils sont nombreux à s’exprimer par la caméra. En outre, nous pouvons parler de l’existence d’un véritable "cinéma juif de Belgique" avec les réalisateurs Boris Lehman, Samy Szlingebaum, Maurice Rabinowicz et l’incontournable Chantal Akerman.

Enfin, s’il n’y a guère de films sur le phénomène de l’immigration à proprement parler, le thème du déracinement et de la crise identitaire est récurrent. Dans Le Fils d’Amr est mort de Jean-Jacques Adrien (1975), un jeune Belge vit l’expérience de l’exil en recherchant le passé de son ami tunisien décédé. De même, Marian Handwerker s’attache à la jeunesse menacée et au déracinement (Marie, en 1992, avec Marie Gillain). De leur côté, les frères Dardenne, surnommés les "Taviani belges" par la critique, montrent une Wallonie à la recherche d’un avenir qui semble exiger d’elle l’abandon de son passé, de son identité (Pour que la guerre s’achève les murs devaient s’écrouler en 1980, Je pense à vous en 1992 ou encore La Promesse en 1996).

Durant les vingt dernières années, les habitudes alimentaires des Wallons ont poursuivi l’évolution entamée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le mode de vie est de plus en plus sédentaire. Il est donc superflu d’absorber une nourriture trop riche, les graisses et sucres étant moins rapidement éliminés. La mode est à la minceur (certains diront même à la maigreur !). Les magazines féminins présentent une multitude de recettes diététiques et vantent les mérites de produits hypocaloriques, d’eaux minérales et de yaourts indispensables pour le maintien d’une ligne svelte.

Dans le même temps, nos habitudes alimentaires se sont ouvertes aux saveurs venues d’ailleurs. Les produits méditerranéens sont entrés dans nos mœurs et font partie intégrante de notre table. Ainsi, la pizza, popularisée par les soldats américains après le débarquement d’Italie, et les spaghetti sauce tomate trônent en tête du hit-parade de nos menus aux côtés du sacro-saint steak - frites - salade. Personne aujourd’hui n’est étonné de trouver, dans son supermarché, les ingrédients indispensables pour préparer des petits plats "exotiques" : de la moussaka au couscous en passant par le tiramissu sans oublier les nems et autres nasy goreng. Le succès des très nombreux restaurants italiens, grecs, maghrébins, thaïlandais et chinois est également symptomatique de ce phénomène. Enfin, les jeunes générations vivant à un rythme effréné sont plus sensibles à la restauration rapide, importée des Etats-Unis. Comme presque partout ailleurs dans le monde, les McDonald et Quick ont investi les rues wallonnes. Les Pizza Hut, créés aux Etats-Unis également, répondent au même souci de satisfaire rapidement une clientèle toujours pressée. Enfin, apparaissent des fast food asiatiques.

D’autres domaines culturels sont bien évidemment touchés par ce phénomène de mondialisation et donnent l’occasion à de nombreux jeunes Wallons issus de l’immigration de s’illustrer. Nous nous limiterons ici à passer en revue quelques secteurs : la mode, la bande dessinée, la littérature, les arts plastiques, les sports, la musique et le spectacle en général. La mode vestimentaire constitue presque un monopole européen, en ce sens que la toute grande majorité des créateurs sont originaires du Vieux Continent. Si les rendez-vous des défilés parisiens constituent les grands moments "liturgiques" de la haute couture, force est de constater qu’une majorité de couturiers sont Italiens : Giorgio Armani, Gianni Versace, etc. Les mêmes, d’ailleurs, prêtent leur nom à toute une panoplie de parfums et eaux de toilette, pour femmes comme pour hommes. D’autres part, les boutiques Max Mara et Benetton sont bien présentes dans les artères commerciales de nos grandes villes et attirent, malgré des prix parfois peu démocratiques, une clientèle – jeune ou moins jeune – importante. Jusqu’ici peu présente sur le marché, la création belge commence à s’afficher publiquement. De jeunes stylistes de chez nous pointent aux côtés des plus grands. L’un d’entre eux, créateur de chapeaux pour le moins extravagants, se fait une renommée qui dépasse nos frontières régionales. Quatrième enfant d’une famille venue des Abruzzes en 1950, Elvis Pompilio revendique ses origines immigrées tout en se sentant parfaitement chez lui sous le ciel de Wallonie.

La bande dessinée se porte également très bien dans ce contexte morose des années 1970-1980. Le public y trouve une source d’évasion et de divertissement qui lui permet d’oublier quelque peu les tracas du quotidien. La BD pour adultes profite grandement de l’imagination fertile des auteurs. Là encore, les Italiens se distinguent. L’érotisme mesuré et presque poétique de la Valentina de Crepax laisse bientôt la place à une certaine dérive pornographique dans l’œuvre de Milo Manara (Le Déclic, Le Parfum de l’invisible et Giuseppe Bergman). De son côté, Hugo Pratt poursuit une carrière exemplaire et vieillit avec son mercenaire solitaire Corto Maltèse, toujours à la recherche de son identité profonde.

La BD belge et wallonne en particulier est marquée de l’empreinte migratoire. Un certain nombre d’auteurs sont issus de l’immigration. Il faut encore souligner ici que, si les Italiens sont mieux représentés, c’est sans nul doute à cause de l’ancienneté de leur présence sur les bords de la Sambre et de la Meuse. Je ne citerai que les exemples d’Antonio Cossu (genre fantastique) et Francesco Altan. Le thème de l’immigration est, quant à lui, utilisé comme toile de fond à un album de Warnauts-Raives (30).

Les arts plastiques sont influencés par une recherche de l’esthétique dont le design italien n’est pas absent. Les boutiques proposent des produits Alessi. Les cristallerie du Val-Saint-Lambert engagent, dès 1947, des verriers vénitiens dont quelques-uns influenceront de manière substantielle la production de l’entreprise liégeoise vingt ou trente ans plus tard.

Alors que des pays, jusqu’ici sans tradition sportive, comme le Maroc, l’Ethiopie, le Sénégal ou le Soudan percent sur les stades et dans les compétitions internationales, les clubs belges alignent toujours plus de sportifs étrangers. Mais, à côté de ces étrangers fraîchement arrivés en Belgique dans le but de faire carrière, un certain nombre de "nationaux" sont issus de l’immigration. Le cas d’Enzo Scifo, capitaine des Diables rouges, est significatif. Il n’est cependant pas le seul. A l’ombre de ces grandes stars médiatiques, évoluent de nombreux anonymes qui rêvent de gloire et de fortune. Les clubs sportifs, de football en particulier, recrutent ainsi une multitude de futurs jeunes champions italiens, espagnols, turcs ou maghrébins. Dans des quartiers plus défavorisés, se mettent en place des clubs "maghrébins", ou autres (31). Ces clubs disposent souvent de très faibles moyens et doivent se battre quotidiennement pour survivre. Pourtant, ils constituent un des derniers lieux de socialisation pour ces jeunes souvent confrontés au décrochage scolaire. Là, ils sont pris en main par des responsables issus de leur milieu qui leur donnent un cadre de vie structuré. Par les confrontations sportives avec des clubs "wallons" ou même avec les forces de l’ordre, ils ont l’occasion de donner une image positive d’eux-mêmes.

Les rayons des librairies s’ouvrent progressivement à la "mondialisation" de la production littéraire. Bien avant 1970, le lecteur wallon pouvait partir à la découverte de nouveaux horizons par l’intermédiaire d’une abondante littérature qui plaçait ses héros en terre étrangère ou par les récits de voyages de nos contemporains. Cette ancienne tradition remonte au XVIIIème siècle, époque où le tourisme était réservé à une infime minorité de la population. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cette veine se raréfie mais ne disparaît pas totalement. Ainsi, des personnalités comme Léo Moulin, Fred Van der Linden ou Robert Goffin feront part de leurs impressions de voyage en publiant livres et séries d’articles. D’autres adoptent un style plus journalistique et décrivent des régions pittoresques ou des situations sociales poignantes. L’Australien Morris West publie en 1957 Children of the Sun, édité sur le marché francophone par les éditions Plon sous le titre Les Enfants du Soleil. Sur un ton de reportage, l’auteur décrit les conditions de vie des enfants des quartiers pauvres de Naples en 1956. Certains pays d’émigration à la tradition littéraire plus affirmée tiennent une place particulière dans ce courant néoréaliste. L’Italie, source d’inspiration de nombreux auteurs belges et étrangers, produit elle-même quelques œuvres remarquables. Comme le cinéma, la littérature péninsulaire s’adonne au reportage social, enregistre le quotidien de la bourgeoisie ou du petit peuple. Nous pouvons souligner ici le succès de Cesare Pavese avec Le Bel Eté ou encore Les Femmes de Messine d’Elio Vittorini en 1949.

Il serait vain et fastidieux d’énumérer les auteurs belges, français, italiens ou autres qui contribuent à l’enrichissement de notre patrimoine littéraire. Quelques noms suffisent à démontrer l’importance de la création. Des gens tels que Dino Buzzati, Umberto Eco, Gabriel Garcia Marquez, Tahar Ben Jelloun et Amin Maalouf sont devenus des monuments incontournables, qu’ils soient traduits ou directement rédigés en français.

Notre propos est plutôt de nous demander si le phénomène de l’immigration a trouvé un écho dans la production littéraire tant dans la partie francophone de notre pays que dans les pays d’émigration. Ne disposant pas d’informations suffisantes sur ce qui se publie dans les pays du Maghreb et en Turquie, nous nous limiterons à quelques considérations à partir de la situation européenne. Manifestement, l’émigration a laissé des traces dans l’imaginaire collectif. Pierre Mertens (32) relève ainsi un extrait de Hors les murs du grec Vassilis Vassilikos. Peu après un tremblement de terre, une vieille villageoise s’écrie : Nous n’allons tout de même pas mourir ici comme dans une mine belge ! En 1995, les Editions Actes Sud publient un recueil de nouvelles et de récits de Pasolini. Un de ces récits, Davide en Belgique, met en scène un jeune Frioulan du nom de Davide émigré en Belgique à la fin de la guerre. De retour au village pour de brèves vacances, le héros décrit longuement à ses amis le travail de la mine, la vie de coron et les relations avec les autres mineurs, Polonais, par exemple.

Dans les années 1970, se développe une veine particulière de la littérature française de Belgique. Désormais, les enfants de l’immigration et parfois leurs parents prennent la plume. Ils racontent leur expérience de l’immigration, de l’exil et de l’installation en terre étrangère. Dans un second temps, certains auteurs abandonnent cette inspiration autobiographique pour se lancer dans une littérature de pure fiction romanesque ou poétique. Il semble que le phénomène soit encore rarissime pour les derniers venus. Si ce n’est dans le cadre d’une littérature scientifique (sociologie, économie, etc.) produite dans le giron des institutions universitaires, on ne trouve pas d’auteurs issus des populations maghrébines, turques ou africaines. Par contre, les Italo-Belges paraissent bien présents dans ce secteur. Une équipe menée par Anne Morelli a publié une Anthologie de la littérature des Italiens de Belgique (33). Les auteurs de cet ouvrage ont voulu analyser l’expression de la communauté italienne de Belgique. Ils ont relevé les œuvres publiées depuis 1946 par des Italiens ayant longtemps vécu en Belgique. Ils dénombrent ainsi pas moins de 70 écrivains amateurs et professionnels. Il faudrait encore en ajouter de nombreux autres qui n’ont jamais publié leurs œuvres. Il apparaît que les Italiens ont l’écriture dans la peau. La première génération, composée essentiellement d’anciens mineurs, s’est illustrée dans deux genres littéraires fort différents : la poésie, fort populaire en Italie (par exemple Walter Vacca), et le témoignage rappelant avec force nostalgie le traumatisme du départ vers une terre inconnue et les premiers pas dans l’univers minier (ex. : Antonio Bonato). La deuxième génération d’auteurs a souvent été scolarisée en Belgique. Elle adopte de préférence l’expression romanesque ou théâtrale (ex. : Pietro Pizzuti). Les thèmes abordés par cette nouvelle vague diffèrent également de ce qui a précédé. Ces jeunes auteurs s’attardent plus volontiers sur le mythe des origines (ex. : Girolamo Santocono) ou la construction identitaire (ex. : Diego Marani). Ayant épuisé ce thème, leurs préoccupations s’insèrent dans la thématique des écrivains "belges" de leur génération (ex. : Thilde Barboni).

 

Le monde du spectacle et de la variété est certainement le plus perméable aux influences extérieures.

Déjà dans les années 1950-1960, la production musicale française était soumise à la vague déferlante de nouveaux rythmes venus des pays anglo-saxons. Non seulement les chanteurs d’outre-Atlantique ont un réel succès auprès des jeunes Européens, mais de jeunes chanteurs et musiciens français adoptent ces genres nouveaux et la langue de Shakespeare. Dans le même temps, les ondes radio se laissent envahir par des sonorités plus méditerranéennes.

Dans les années 1970, le monde de la variété est littéralement envahi par la musique anglo-saxonne. Les grandes gloires des Golden Sixties poursuivent sur leur lancée (les Beatles, les Doors, Bob Dylan, etc.). Elles sont bientôt accompagnées de nouveaux venus dans le monde du show-business : les Eagles, Dire Straits, Bob Marley, Abba, ACDC, etc. Les grands courants musicaux sont souvent à l’origine de courants de mode suivis par des millions de jeunes gens de par le monde. C’est l’âge d’or de la société de consommation.

L’univers musical se caractérise par une grande diversité de genres qui se partagent alors les hit-parades. Cela va de la chanson contestataire à connotation politique ou écologiste à la pure variété qui n’a d’autre ambition que de faire danser le temps d’un été. La chanson italienne fait bonne figure dans ce registre. Tout le monde a encore en mémoire quelques paroles et mélodies de ces chanteurs à la voix cassée : Umberto Tozzi, Adriano Celentano, Toto Cutungo, Riccardo Cocciante ou Gianna Nannini. Après un certain passage à vide, la musique italienne semble revenir en force sur le marché belge avec le phénomène Eros Ramazotti.

La communauté italienne de Wallonie paraît être une véritable pépinière de talents. Dans la brèche ouverte par le pionnier Salvatore Adamo se lancent d’autres "chanteurs de charme" : Frank Michaël, Frédéric François (alias Francesco Barracato), Claude Barzotti ou encore Sandra Caldarone, mieux connue sous son nom de scène, Sandra Kim, qui représenta la Belgique au Grand Prix Eurovision de 1986.

Cette profusion d’artistes "reconnus" issus de la communauté italienne de Belgique s’explique en grande partie par la profusion des associations culturelles et le goût immodéré des Italiens pour la musique et pour le spectacle. On ne compte plus les concours et festivals de la canzone italiana.

Le début de cette décennie marque un tournant décisif. Le Concours Eurovision de la chanson nous avait déjà mis en contact avec de chanteurs espagnols, grecs, turcs et israéliens. Dorénavant, les grandes maisons de disques s’intéressent également à ce qui se fait hors des limites du monde occidental. Ainsi, la mode World Music : des artistes de renommée internationale tels que Peter Gabriel parrainent des artistes africains, asiatiques et indiens. Par ailleurs, d’Afrique du Nord, surtout d’Algérie, monte un cri de révolte, de contestation face à une situation économique et politique qui se dégrade. C’est la musique raï dont l’une des vedettes les plus médiatisées est sans conteste le très sympathique Khaled. La musique raï est en fait un étonnant mélange de musique traditionnelle kabyle et de musique occidentale (rock, etc.). Plus timidement, mais avec beaucoup de talent, le groupe féminin Djur Djura nous fait connaître les chants traditionnels qui, sans ces artistes, resteraient limités au public immigré.

Au même moment, se développe la vague Rapp. Venue des Etats-Unis, cette nouvelle musique qui plaît aux jeunes est l’expression du profond désarroi des banlieues déshéritées. Cette forme d’expression musicale qui demande peu de moyens est particulièrement prisée par les jeunes issus de l’immigration africaine ou maghrébine. Naissent ainsi de très nombreux groupes dont quelques-uns connaîtront un certain succès (le groupe Benny B, par exemple). Les génériques des émissions de télévision révèlent également l’émergence des deuxième voire troisième générations dans les équipes techniques. Rares sont encore les animateurs même si Sam Touzani, par son attitude cool et branchée, semble avoir un certain charisme auprès des jeunes téléspectateurs de la RTBF.

Conclusion

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Belgique, et en particulier la Wallonie industrielle, a été confrontée à d’importants flux migratoires. La reconstruction du pays exigeait une remise en état rapide des industries de base : charbonnages et sidérurgie. Le gouvernement maniera la carotte (salaires alléchants) et le bâton (mobilisation civile des travailleurs) mais cela ne suffira pas pour faire descendre les Belges dans les mines où le travail est pénible et dangereux. L’embauche de main-d’œuvre étrangère s’impose alors. Dès la seconde moitié des années 1950, l’industrie doit faire face à une demande en pleine croissance. La population active belge ne suffit pas et se détourne des emplois jugés peu salubres au profit du secteur tertiaire en plein développement. Les travailleurs immigrés sont toujours indispensables à l’essor économique de notre pays. Ces conditions économiques favoriseront leur intégration ou, à tout le moins, leur insertion dans la société wallonne, même si l’accueil n’a pas toujours été chaleureux. Le retournement de conjoncture du début des années 1970 vient bouleverser le processus en cours de réalisation.

L’accueil réservé en 1946 aux Italiens n’est guère sympathique. Bien sûr, ils sont nécessaires pour gagner la "Bataille du Charbon", mais l’Italie n’était-elle pas du côté de l’Allemagne nazie pendant la guerre ? Dès le départ, un certain nombre d’a priori courent dans l’opinion belge au sujet des Italiens. A croire que les événements de 1940-1945 ont effacé de nos mémoires la présence italienne d’avant-guerre.

Dans les quartiers de corons, on les désigne rapidement comme des gâcheurs de métier car ils "acceptent" de travailler dans des conditions inhumaines et montrent un zèle excessif; ils travaillent comme de véritables forçats au mépris de la sécurité pour gagner quelques sous de plus. Assez curieusement ils sont également présentés comme de fieffés paresseux, surtout les Italiens du Sud. Cette image leur collera longtemps à la peau. Ainsi, dans les années 1970, le chanteur Carlos "cartonnait" dans les hit-parades avec le titre A la moutouelle. Par ailleurs, les autorité les tiennent pour des fauteurs de troubles potentiels. Dès le recrutement en Italie, ils sont "triés" par la Sûreté de l’Etat, en cas de rupture de contrat ou d’activité politique et syndicale, ils sont internés au Petit-Château et expulsés manu militari. Alors que les privations héritées de la guerre frappent encore lourdement la population, celle-ci soupçonne les patrons et les autorités locales de choyer les nouveaux venus en leur accordant des privilèges en matière d’habitat et d’approvisionnement en charbon (34).

Pourtant, les conditions de logement ne sont guère attrayantes. Vivant dans des habitats collectifs ou entassés avec leurs familles nombreuses dans de petites maisons ouvrières, ils se taillent rapidement une réputation de gens bruyants, vivant sur le pas de la porte et très prolifiques. Paradoxalement, si on leur reproche parfois d’être sales, se développe l’image de l’Italien toujours gai, prêt à chanter en toute occasion et particulièrement soucieux de son élégance. Enfin, braves gens, surveillez bien vos jeunes filles, les Italiens sont d’irrésistibles séducteurs !

Ces stéréotypes de l’Italien sont accentués par les images que nous en donne le cinéma. Marcello Mastroianni, dans La Dolce Vita de Fellini, est l’exemple même du latin lover. La femme italienne est particulièrement choyée par les réalisateurs. Elle est l’incarnation même de la Beauté, ses formes sculpturales suscitent la libido du spectateur et la jalousie des épouses. Enfin, dans une explosion de gestes et de paroles, les Mangano, Lollobrigida, Loren, etc. illustrent le caractère passionné des Méditerranéennes.

On le voit, en matière de caricature et de stéréotype accolés à l’Etranger, l’opinion publique ne recule devant aucun paradoxe, aucun contresens. Il n’est malheureusement pas rare d’entendre dire que les étrangers, surtout les "Arabes" et les Turcs, prennent l’emploi des Belges et, en même temps, profitent honteusement des allocations de chômage. Tout prête aux sarcasmes et au mépris lorsqu’il s’agit de l’Inconnu. Alors que les contacts entre les deux communautés se multiplient, les autochtones apprennent à connaître leurs hôtes. Ces stéréotypes ont tendance à s’estomper pour se porter avec une nouvelle vigueur sur de nouveaux arrivants. Ces nouveaux venus sont d’autant plus sujets à quolibets et humiliations que la différence culturelle paraît grande.

Un dernier facteur dont il faut tenir compte est le contexte économique général. Lorsque la conjoncture est bonne, il n’y a pas de véritable compétition sur le marché de l’emploi. L’insertion dans la société d’accueil est favorisée par la cohabitation sur les lieux de travail. Par contre, lorsque la crise frappe et que le travail se fait rare, l’Etranger est perçu comme une menace ou comme un fardeau trop lourd pour la société. Dans ce contexte, resurgissent les réactions de rejet exploitées par des mouvements politiques sans scrupules.

Notes

1. P. TILLY, Les Italiens de Mons-Borinage. Une longue histoire, Bruxelles, Ed. Vie ouvrière, 1996.
2. Ainsi, le dessinateur Morris, le père de Lucky Luke, séjourne aux Etat-Unis entre 1947 et 1949.
3. J. FOURASTIE, Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1979.
4. Il est évident que les Italiens ne sont pas les seuls à venir chercher du travail en Belgique après guerre. Ainsi, des Baltes et des Marocains travaillent dans les charbonnages borains en1947 (A. JANS, Les étrangers dans nos mines, dans Le Soir illustré, n° 801, 30.10.1947).
5. Voir à ce sujet L. BLANCHART, La réforme institutionnelle italienne : 1946-1948. Approche de l’opinion belge, Mémoire de licence en Histoire, UCL, 1990.
6. G. SANTOCONO, Rue des Italiens, coll. Faits et gestes, Cuesmes, Ed. du Cerisier, 1986.
7. Dans Le Soir illustré, n° 1.400, 23.04.1959.
8. Y. DE PARTZ, En route vers la résurrection ?, dans Eco-Soir, 19.04.1996
9. H. FRANCOIS, Sous le soleil de Rome, dans Le Soir illustré, n° 1.255, 12.07.1956.
10. Dans Le Soir illustré, n° 1.406, 04.06.1959.
11. Dans Le Soir illustré, n° 1.407, 11.06.1959.
12. M. DUMOULIN, Découvertes de l’Italie par les Belges aux 19ème et 20ème siècles ou la psycho-géographie d’un malentendu, dans M. DUMOULIN et H. VAN DER WEE (dir.), Hommes, Cultures et Capitaux dans les relations italo-belges aux XIXème et XXème siècles, Actes du colloque de Rome du 20 au 23 novembre 1989, Bruxelles-Rome, 1993, p. 115-136.
13. H. LIEBRECHT, Sous le signe du lion et de la louve. De la place Saint-Marc au forum romain, dans Le Soir illustré, n° 1.015, 06.12.1951.
14. Dans Le Soir illustré, n° 959, 09.11.1950.
15. Dans Le Soir illustré, n° 999, 16.08.1951 et n° 1124, 07.01.1954.
16. Dans Le Soir illustré, n° 1.089, 07.05.1953.
17. Dans Le Soir illustré, n° 1.175, 30.12.1954.
18. Dans Le Soir illustré, n° 1.174, 23.12.1954.
19. Dans Le Soir illustré, n° 1.180, 03.02.1955.
20. Th. COLJON, La renaissance italienne. Pourquoi est-ce quand tout va mal que les chansons se portent le mieux ?, dans MAD, Supplément au Soir, 18.05.1994.
21. Dans Le Soir illustré, n° 1.479, 27.10.1960.
22. Dans Le Soir illustré, n° 1.293, 04.04.1957.
23. Interview réalisé par P. STEVENS, dans Télémoustique, 23-29.03.1996.
24. Dans Le Soir illustré, n° 1.976, 07.05.1970.
25. Publicité dans Le Soir illustré, n° 808, 18.12.1947.
26. Par exemple, les publicités pour le Cinzano et l’Asti Gancia dans Le Soir illustré, n° 1.432, 03.12.1959 et n° 1.434, 17.12.1959.
27. Publicité de Delhaize-le-Lion dans Le Soir illustré, n° 1005, 27.09.1951.
28. Par exemple, Le Soir illustré, n° 1.031, du 27.03.1952 présente la fête traditionnelle du "Risotto et du Millegusti" d’Ascona.
29. Ainsi l’Hôtel d’Italie à Mons tenu par la famille Zonca dès 1921 (dans P. TILLY, Op. cit., p. 56) ou le restaurant de Luigi Lazzarelli à la rue des Marais à Bruxelles cité par L. MOULIN, Le boire et le manger : l’Italie en Belgique, dans M. DUMOULIN et H. VAN DER WEE (dir.), Op. cit. p. 183-189.
30. WARNAUTS-RAIVES, Intermezzo, coll. Studio, A suivre, Casterman, 1993.
31. Ainsi le club Atlas à Bruxelles.
32. P. MERTENS, Sur quelques pages de Pasolini... à propos de la Belgique, dans MAD, Supplément au Soir, 18 octobre 1995.
33. A. MORELLI (dir.), Rital-Littérature, Anthologie de la littérature des Italiens de Belgique, CESDEI, Cuesmes, éd. du Cerisier, 1996.
34. Dans C. FAVRY, La cantine des Italiens, Bruxelles, éd. Labor, 1996, p. 45-69.

 

Ce texte est extrait du catalogue de l'exposition Wallons d'ici et d'ailleurs. La société wallonne depuis la Libération, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1996.



 

 

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