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Wallons d'ici et d'ailleurs, La société wallonne depuis la Libération - 1996

Wallons d’ici et d’ailleurs

Introduction

Paul Delforge
Commissaire de l’Exposition - Conseiller à l’Institut Jules Destrée

Wallons d’ici et d’ailleurs, La société wallonne depuis la Libération, le titre de ce projet, ne porte pas en lui-même les limites de ses ambitions. Si Philippe Destatte – directeur de l’Institut Jules Destrée – précise, dans sa participation au catalogue de l’exposition, ce qu’il faut entendre par société wallonne, il n’en reste pas moins que le champ est impossible à couvrir si l’on prétend à l’exhaustivité. Des choix ont été opérés. Difficiles.

S’inscrivant dans le cadre des commémorations de l’accord italo-belge signé en 1946, le projet ne voulait pas concurrencer les autres initiatives prises tout au long de cette année. Par ailleurs, des contacts avec Alberto Gabbiadini – président du Comité Mémoria, coordonnateur des manifestations du Cinquantième anniversaire –, avec Cécile Sacré – du Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme (Guichet des Plaintes de Liège) –, ainsi qu’avec Michel Dumoulin – professeur et président de l’Institut d’Etudes européennes de l’UCL et spécialiste des échanges belgo-italiens – montraient la nécessité d’ouvrir et d’étendre l’hommage aux travailleurs italiens, prévu initialement, à l’ensemble de l’immigration en Wallonie, tout en l’insérant dans la durée.

Il importait enfin de faire porter plus précisément l’analyse et sa valorisation sur les modifications apportées à la culture, aux mentalités, à l’économie, à la société wallonne tout entière, grâce à l’apport culturel et humain de ces travailleurs venus d’ailleurs avec leur famille :

Population mobile au départ, constituée par une forte proportion de jeunes hommes célibataires, affectés à des activités bien circonscrites, l’immigration s’est progressivement diversifiée démographiquement, sectoriellement et géographiquement, pour devenir familiale et se sédentariser. Aussi, malgré la crise et la montée du chômage qui ont entraîné l’arrêt de l’immigration de travailleurs en 1974, les immigrés font désormais partie intégrante de la population wallonne (1).

Une politique de reconnaissance de l’apport des différentes composantes de la société (pas seulement les différences culturelles, pour ne pas tomber dans le différencialisme, le multiculturalisme ou le relativisme culturel) à l’élaboration du projet commun et à l’enrichissement du patrimoine [...] était une des sept mesures proposées par le Professeur Ernst Jouthe, afin d’obtenir la participation de tous les citoyens à un projet commun de souveraineté (2).

Le cadre chronologique était prédéfini par l’hommage déjà évoqué. Un demi-siècle d’histoire dont la densité et la proximité suscitent l’effroi de l’historien. Il touche là au vécu de ses contemporains. Il aborde une période où la richesse documentaire dépasse son simple entendement. Il tente de saisir un sujet dont seul l’avenir permettra de révéler le sens. Sommes-nous au terme d’une civilisation, à son tournant, au début d’une nouvelle époque ? Possède-t-on suffisamment de clés d’interprétation, de compréhension ?

L’historien est parti d’une "impression", qui est rapidement devenue hypothèse de travail : y a-t-il eu des changements, des mutations au cours de la période envisagée ? De quels types ? Depuis la Libération, ses joies et ses peines, depuis la reconstruction du pays, la société wallonne a-t-elle généré ou subi des mutations profondes, a-t-elle été l’objet de profonds blocages, suite à des motivations endogènes ou sous la pression et l’appel du monde extérieur ? Les Wallons sont généralement enclins à l’internationalisme et aux idées débordant le cadre de la Wallonie et de la Belgique, notait Maurice-Pierre Herremans en 1948 (3).

Dès lors, c’est par rapport à l’ensemble des facteurs physiques et humains qui ont pesé sur cette période que seront décrits et évalués les mutations ou les blocages. Ainsi, l’influence de la culture italienne sur la Wallonie est considérable pendant cette période, mais l’impact de l’américanisme sur l’une comme sur l’autre ne l’est pas moins à la même époque. L’American way of life n’impose-t-il pas sa griffe comme l’immigration apporte ses richesses ? Il faut aussi souligner que les migrants ne rencontrent pas une société d’accueil uniforme, aux traditions ancestrales immuables. Cette société d’accueil – dans le cas qui nous occupe, la société wallonne – est aussi en proie aux influences que lui proposent d’autres modèles de société.

La domination économique anglo-saxonne sur le monde, déjà forte dans l’Entre-deux-guerres, a été renforcée par l’aide considérable apportée pour libérer l’Europe du joug nazi. Cette domination économique se double d’une domination "culturelle" au travers d’un message flou, parfaitement décodable à travers le monde (victoire du bien sur le mal, patriotisme, repos du guerrier...). Le blue jeans, les blousons portant les sigles d’universités américaines plus ou moins imaginaires, les T-shirt, les fast food, la musique, le franglais, le cinéma, la mode de l’immersion dans la vie américaine pour apprendre l’anglais, l’ingestion de (télé)films et feuilletons made in USA attestent d’une double influence : économique et culturelle sur laquelle se greffe une mainmise politique, du fait, notamment, de la participation de la Belgique à l’OTAN (SHAPE installé à Casteau). La société s’américanise au quotidien.

Mais la vie privée est-elle sous influence ? Nos codes, nos normes ré-interprètent en fait ces différents messages en fonction de racines profondes; tout message médiatique est traduit en fonction de la mémoire collective. Certes, nos grandes villes ont été en partie défigurées par les constructeurs de buildings, piètres imitateurs du World Trade Center. Certes, tout en se laissant bercer par des mélodies américaines, les consommateurs mangent des hamburgers en buvant un Coca-Cola glacé. Certes, tous les enfants rêvent d’être les cow-boys plutôt que les Indiens ; adolescents, ils ont la fureur de vivre de James Dean, et Elvis apparaît comme l’idole des jeunes. Certes, Jean-Philippe Smet se fait appeler Johnny Halliday alors que Kevin et Sue Ellen remplacent Jules et Jeanne dans les cours de récréation. Mais l’identité se dilue-t-elle pour autant dans un modèle américain, qui s’imposerait comme un modèle unique, considéré comme seul modèle valable ? Les signes d’américanisation existent, mais sont-ils intériorisés au point de remplacer les spécificités culturelles qui sont les nôtres ? Il est malaisé de répondre à cette question d’autant que l’on ignore bien souvent de quel modèle américain on parle. Le Texan, le Californien, le New-Yokais ? Peut-être faudrait-il réaliser un sondage d’opinion, procédé bien américain, lui, qui s’est imposé à tous les pays modernes ?

Il n’en reste pas moins que le phénomène de la seconde résidence et du déplacement de la ville vers la campagne s’est imposé, de même que la réhabilitation de "vieilles fermes" hesbignonnes ou ardennaises. Il est vrai aussi que l’invention du disque compact permet d’entendre Beaucarne, Adamo ou les "grands classiques" avec une qualité sonore exceptionnelle, que les chorales et les fanfares animent une multitude de fêtes où le pêket ne cède en rien la place à la bière. Les contes de Grimm et de Perrault, les fables de La Fontaine endorment toujours les Nicolas et les Marie qui jouent au jeu de l’oie et à la marelle, roulent à vélo et habillent leurs poupées avec les vêtements du grenier. Les exemples pourraient être multipliés car l’identité forgée au fil des siècles n’est pas prête à se dissoudre en une génération mais, au contraire, à continuer à se nourrir des apports multiples.

En fait, consciemment ou inconsciemment, phénomène rapide ou évolution rampante, la Wallonie s’est insérée dans le monde comme le monde s’est immiscé par touches successives au sein de la société wallonne.

La poussée économique, qualifiée de Trente glorieuses par Fourastier, a transformé la condition matérielle des ouvriers en Wallonie et aussi, parmi eux, de la masse d’immigrés. Les conditions de logement, de moins en moins comparables à celles de l’avant-guerre, et l’équipement électroménager tendent à uniformiser au moins les formes matérielles de la vie quotidienne. Ils n’entraînent pas, pour autant, l’uniformité de la vie privée ! Pratiques alimentaires, style de relations sociales et familiales, rapport entre les sexes demeurent spécifiques ; ils ne doivent pas se mêler à la vie sociale globale et encore moins à la vie professionnelle. Les liens avec le pays d’origine, certaines contraintes aussi (versement d’une partie du salaire à la famille) ne sont plus considérés de la même manière par les enfants de la deuxième génération qui ne s’intègrent pas nécessairement totalement dans la société d’accueil. Le mariage mixte est la forme ultime de la coupure.

L’exposition, qui comprend la présentation d’un audiovisuel original, tente de mettre en évidence l’ensemble de ces phénomènes qui touchent les Wallons d’ici et d’ailleurs.

Cette exposition invite le visiteur à un voyage dans le passé récent : un découpage en cinq périodes (de 1945 à 1951, de 1952 à 1962, de 1963 à 1973, de 1974 à 1984 et de 1985 à 1995) permet de comprendre les phénomènes économiques, sociaux, démographiques, culturels et politiques. Tous les événements qui se déroulent en dehors de la sphère immédiate d’action de chaque individu pris séparément sont présentés de façon didactique.

Tout ce qui est lié au choix des individus, tout ce qui peut modifier sensiblement leur comportement dans leur vie quotidienne, s’ils le souhaitent, est présenté de façon plus ludique, dans des espaces fermés qui symbolisent l’intimité, l’espace intérieur, le domaine privé. Les couleurs sont celles de leurs époques, seule concession faite au phénomène de la mode. La présentation choisie privilégie l’évocation symbolique. L’objectif visé est d’atteindre les visiteurs en tant qu’Hommes et en tant que citoyens.

Tous pareils et tous différents.

Wallons d’ici et d’ailleurs.

Notes

1. Mateo ALALUF, Le Travail et les Travailleurs ne sont plus ce qu'ils étaient, dans Wallonie, Atouts et références d'une Région, Namur, Gouvernement Wallon, 1995, p. 177-195.
2. Ernst JOUTHE, Citoyenneté, identité, immigration, Communication présentée dans le cadre de la Conférence des peuples de langue française, à Liège, le 14 juillet 1995, Actes, Charleroi, Institut Jules Destrée, centre rené Lévesque, 1996.
3. Maurice-Pierre HERREMANS, La Wallonie, Ed. Marie-Julienne, Bruxelles, 1950, p.21.

 

Ce texte est extrait du catalogue de l'exposition Wallons d'ici et d'ailleurs. La société wallonne depuis la Libération, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1996. 


 

 

 

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