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Loisirs - Arts - Lettres

Les traditions wallonnes - (1995)
Première partie - Deuxième partie

Roger Pinon
Membre honoraire du Conseil supérieur des Arts et Traditions populaires
et du Folklore de la Communauté française de Belgique

Folklore et tourisme

Ce qui précède montre à suffisance que le folklore cesse d'être lui-même si le tourisme se mêle de l'organiser à des fins commerciales. Il est essentiellement d'abord l'affaire des folklorisants entre eux, sans souci de se donner en spectacle. Certes, certaines réinterprétations, comme celle de la danse traditionnelle en danse de groupe folklorique, ont permis de sauver bien des créations chorégraphiques d'un irrémédiable effacement du souvenir.

Mais ce n'est jamais sans un lourd tribut à un semi-professionnalisme, à des concessions de mise en scène, à des arrangements de tempo et de forme, avec comme conséquence une profonde dénaturation du sens de tant de danses, porteuses de conceptions esthétiques ou rituelles qui, la plupart du temps, échappent aux spectateurs, quant ce n'est pas aux danseurs eux-mêmes. L'essence du folklore, c'est l'adhésion libre et spontanée à l'acte de foi, de travail, de jeu, de rite qui est la fonction du fait folklorique. C'est l'effacement de l'individu dans la communauté, dans une participation désintéressée. La contamination par la publicité, politique ou commerciale, a beau être ancienne, elle n'a jamais été profitable à l'authenticité du folklore.

Aussi la tâche du tourisme n'est-elle pas d'amener le plus de gens possibles à venir contempler les faits de folklore qu'il sélectionne en fonction de critères presque toujours plus économiques qu'esthétiques et plus enclins à en mettre en valeur les aspects spectaculaires que la vraie signification : elle est d'éduquer le touriste, de lui rendre sensible "l'humanisme des humbles", de le pénétrer du respect qu'il sied à toute personne qui a du coeur d'avoir pour les traditions des autres hommes, ses frères, traditions souvent vénérables par leur ancienneté, aimables par leur spontanéité, émouvantes par leur humanité.

Le folklore convie le touriste sensible à une communion avec l'homme. Le choix des coutumes de chez nous qui suit ce texte est une modeste contribution à une meilleure compréhension de quelques-unes de nos traditions. Il se limite à évoquer les genres de vie caractéristiques de notre terre : l'agriculture, l'artisanat, l'industrie; le calendrier folklorique, par des quêtes, des mets, des fêtes, du théâtre, une chanson; et quelques jeux typiques de nos terroirs. Ce faisant, nous espérons donner le goût de la tradition populaire authentique au lecteur qui se refuse à rester superficiel et à n'être que "dans le vent".

Promenade au jardin de nos traditions

Et puissiez-vous, ami lecteur, comme après toute communion avec le meilleur de l'homme, vous sentir plus heureux et plus fraternel à la suite de la brève promenade au jardin de nos traditions à laquelle je vous convie !

Boeuf attelé au joug, tirant une charrue à Odeigne, 1950

Symbole de l'ancien genre de vie rurale. L'alliance de l'homme et du boeuf ne fut remplacée que peu à peu par celle de l'homme et du cheval, et ce dans les régions agricoles riches d'abord. Le joug, simple ou double, se posait entre les cornes et les oreilles, sur un coussinet de cuir. Les chevilles fendues au-dessus du joug servaient à attacher la longue courroie utilisée pour "joindre" le boeuf, qui ne peut déplacer la tête latéralement.

Tisserand de Havelange manoeuvrant un métier à main, 1929

Après une préparation de la laine, du lin ou du chanvre - pluchage et cardage (laine), teillage et sérançage (chanvre, lin) -, on passait au filage au rouet, suivi du dévidage ou haspelage, puis enfin au tissage. En Ardenne, un tisserand employait cinq fileuses; son travail commençait à l'ourdissoir; il paraît ses chaînes à la folle farine de seigle; il surveillait surtout l'encroix des fils et les lisières.

Pipier d'Andenne

Il prépare des roles à partir d'une terre qui a "mûri" en plein air. Ces ébauches de pipes seront ensuite moulées, percées à l'aide d'un poinçon métallique au bout d'un manche; la tête est évidée au moyen d'un chtoup. Les pipes sont cuites dans des pots en terre réfractaire de la forme d'un cône tronqué. Qui se souvient des "jacobs" et des "montoises" à long tuyau ?

Charbonniers de Signy-l'Abbaye en forêt

Il achève une faulde par la couverture d'une meule coniquede bûches séchées au moyen de terre brûlée et de feuilles séchées. La cuisson à l'étouffe de ce bois dure une semaineau moins et produit un charbon approprié au traitement du minerai de fer ou aux usages domestiques. il fut remplacé par le coke à partie de 1810.

Souffleur de verre à Jumet en 1949

De son ouvreau, l'ouvrier cueille dans un pot une paraison ou masse de verre au bout d'une canne qu'il manoeuvre ensuite selon des mouvements calculés en vue de la forme à donner à cette masse. Le verre est le produit de la fusion d'un balle siliceux mêlé de potasse ou de soude.

Potier d'étain liégeois coulant une pièce en 1926

Il verse un alliage d'étain (90%), de plomb (8%), de cuivre (1,5%) et de zinc (0,5%) - ce sont des proportions de l'étain à la rose - en fusion dans un moule en bronze préalablement enduit à l'intérieur d'un mélange d'eau et d'argile et chauffe dans le four en tôle que l'on voit, ouvert, à la droite de l'artisan. Celui-ci se protège les jambes de coussins et enveloppe ses pieds de papier. Le four sert aussi à la fonte du métal, dans un grand chaudron. Les parties de l'objet sont démoulées, tournées, soudées, polies.

La Noël

C'est une fête familiale par excellence. Autrefois on la célébrait bruyamment par des coups de feu, des chants et des danses. Et on mangeait du porc, des charcuteries et des gâteaux - ou cougnoles un peu partout en Wallonie, boûkètes au pays de Liège, celles-ci ayant supplanté les cougnons par la vogue qu'elles acquirent dès le XVIIIe siècle. La bouquette est une crêpe levée à la farine de sarrasin, agrémentée fréquemment de raisins secs, frite à la poêle avec du beurre ou de l'huile, que l'on mange chaude ou froide, garnie de sucre ou encore de sirop, avec un verre de vin chaud.

Les cougnous namurois

Les deux premiers sont de forme ancienne. Les enfants en reçoivent, de dimensions pouvant aller de vingt centimètres à près d'une aune de longueur; ils croient que c'est le petit Jésus qui les leur apporte. Cette croyance subsiste, tant en Pays flamand qu'en Wallonie occidentale, dans les régions qui firent partie de l'ancien diocèse de Cambrai. On trouve d'autre croyances et d'autres usage ailleurs. Les cougnous (cugnoles en région picarde), ainsi que coquilles sont, en Flandre comme en Wallonie, ornés de rondelles en plâtre qui adhèrent au milieu, parfois aussi aux deux extrémités du gâteau, et qui représentent de nombreux motifs, notamment, comme ici, l'enfant Jésus, mais aussi des fleurs, des animaux, des personnages.

Gaufrier ou moule à galette "quatre quarts" traditionnelles au nouvel-an

La pâte levée, composée de farine, sucre, beurre et lait, est écrasée entre deux plaques de fer à damier au bout de longues tiges. On chauffe le fer au contact direct du feu; on le retourne lorsque l'on juge la cuisson suffisante du côté exposé à la flamme.

"La fuite en Egypte" à Liège

Ce dessin illustre l'affiche du théâtre de marionnettes du Musée de la Vie wallonne. Le thème, qui a été d'abord traité en chanson dans le folklore wallon et flamand est ensuite passé à la nativité du théâtre de marionnettes; il est tiré des évangiles apocryphes.

Saint-Pierre péchant

Dernier tableau du "béthléem" ou théâtre de marionnettes à tige de Verviers. Sur un entablement courant autour des quatre murs d'une salle et d'une profondeur d'un mètre environ sont disposées dix-neuf scènes que montre un impresario qui annonce le sujet. Des gamins, dissimulés derrière la scène, manoeuvrent les poupées et entonnent de vieux noëls. Ici l'impresario dit : Volà saint Pîre qui pèhe et qui v's va d'ner dèl bénéûte éwe po 'nnè raler. Loukiz, mès-éfants, tos lès bês pèhons ! ('Voilà Saint Pierre qui pêche et qui va vous donner de l'eau bénite pour rentrer chez vous. Voyez, mes enfants, tous les beaux poissons !) Et Saint Pierre fait patch dans l'eau.

Billet des Rois

Feuille de seize vignettes xylographiques, accompagnées chacune d'un quatrain sur un air folklorique très ancien, à découper pour "tirer" (au sort) le roi du banquet de l'Epiphanie. Il en fut surtout produit à Tournai, en imitation de Lille; mais Mons en produisait aussi au début du XIXe siècle. Aux "billets des Rois" du Hainaut et du centre de la Wallonie s'oppose le gâteau des Rois plus répandu ailleurs. Il contient une fève, une noisette, un noyau d'abricot ou une figurine de poupon en porcelaine. Le gâteau de Liège, comme celui de Namur ici représenté, est divisé en huit portions, mais sa partie centrale est séparée par un creux de la couronne extérieure et appelée mirou, ce qui lui donne la forme d'une étoile à huit branches.

Une haguète circulant dans la foule en 1928 à Malmédy

Ce masque est le plus ancien du cwarmê ou carnaval de Malmedy. Il fait claquer un hape-tchâr ou zigzag, en jetant le cri de "oûrousse ! vous' bin vite dumander pardon ?" (veux-tu bien demander pardon ?), à voix de tête avant de capturer une personne au bord du trottoir qu'il fait s'agenouiller et demander pardon au manche de son balai : pardon, haguète, à l'cawe do ramon ! Dju nu l' frè djamais pus !

Un scène d'un rôle carnavalesque dans une cour de ferme en 1951 à Ster-Francorchamps

Le courrier, sorte de jockey sur un cheval enrubanné, parcourt le village le matin pour annoncer que la troupe des jeunes gens est prête à jouer une bouffonnerie wallonne apprise en secret et qui diffère chaque année. Tous les rôles sont joués par des hommes. La scène ici représentée est bien connue dans le folklore international : c'est l'intervention du docteur miraculeux. Le courrier, dès la représentation terminée, va annoncer la pièce plus loin, où on la recommence.

Chinels défilant dans les rues de Fosses-la-Ville lors du carnaval du Laetare en 1948

Chinel est une forme abrégée de Polichinel, ce qui en explique les bosses (très stylisées) et le costume, en satin brillant. Le Chinel est peut-être une évolution d'un masque plus ancien, le doudou, c'est-à-dire le "gros difforme", terme qui aurait qualifié les gros-gn' gnos (les gros genoux); ceux-ci portant le pantalon bouffant arrêté sous les genoux, de larges vestes bourrées de foin et des manches très longues. Les Chinels ont remplacé les sabots des doudous par des escarpins, mais ont gardé la mitre emplumée et enrubannée. Les deux groupes sont porteurs d'un sabre recourbé avec lequel ils taquinent les femmes et les fumeurs. Les doudous ont abandonné leur ceinture de grelots.

Le grand rondeau final du carnaval de Binche

Toutes les sociétés de Gilles binchoises y participent. Le Gilles est un personnage complexe, qui perpétue des usages antiques : il danse pour célébrer la venue du printemps, jette des oranges (qui ont pris place de fruits ou légumes du pays) pour susciter la fécondité, porte la ceinture de grelots (l'apèrtintaye) pour chasser les démons, et tient un balai à la main comme la haguète autrefois, en symbole du renouveau. Il a subi l'influence du Gilles (et du Polichinelle) du théâtre forain de Paris, lui-même héritier du théâtre italien : cette influence se marque surtout dans le costume. Mais le chapeau de plumes d'autruche est le développement d'un shako primitif orné de quelques plumes de coq.

Le grand feu à Parfondruy (Stavelot)

Il existe de nombreuses sortes de feux collectifs au cours de l'année folklorique :

- des feux cycliques : de carnaval-carême (tel celui de Parfondruy); de Pâques (Auvelais, Merbes-Sainte-Marie); de mai (Neufvilles); du solstice d'été (Borinage, Mons); d'automne (la Saint-Hubert à Montegnée; la Saint-Martin de l'est de la province de Liège); du cycle des douze jours (Liège, autrefois, à l'Epihanie);

- des feux calendaires non cycliques : à la Saint-Nicolas (région de Tournai), à la Sainte-Gertrude (Trembleur); le feu d'artifice des ducaces;

- des feux agraires, allumés pour faire périr magiquement mauvaises herbes ou vermine; le brandonnage borain pourrait y être rattaché;

- des feux épisodiques : les feux de joie, souvent remplacés par deux feux d'artifices; les feux de mariage dans la vallée du Geer; les feux de charivari;

- les feux coactés par frottement, destinés à combattre épidémies et épizooties, comme le nodfyr dont parle le concile de Leptines en 743;

- les feux utilitaires, comme le brûlage des fanes de pommes de terre, cérémonialisées en cûtenées ou cûchenées au pays de Stavelot- Malmedy.

Les feux ont divers pouvoirs : de purifier, fertiliser, protéger (réellement ou par magie), d'associer la collectivité, d'honorer, de jalonner le temps. La Wallonie connaît le grand feu sous ce nom, sous celui de feûreû dans la région du Centre, d'escouvion et variantes en Hainaut rouchi, d'adrèche- puns dans le Tournaisis, de bûle en Gaume et de boûre en zone champenoise. En Condroz, Famenne et Ardenne, il es précédé d'un petit feu, churaude, hirâde, hirêye.

Crécelleurs du Samedi-Saint à Rochefort en 1927

Ils portent le buis et l'eau bénite au domicile des fidèles. Ils s'annoncent avec leurs instruments et reçoivent en paiement de ce service et de leur travail de crécelleurs pendant que "les cloches étaient parties à Rome" quelques menues monnaies, des fruits, des oeufs. Les cruches et le seau dont ils sont porteurs sont des mesures.

Les types organologiques des crécelles

En Wallonie et en Flandre, ils sont au nombre de dix : la crécelle tournante, la tapette, le batelet, la cliquette, le moulin, le claquoir ou signal, le livre, les claquettes, la cloche de bois (dans l'église Saint-Jean à Liège) et la gligline de Mons. Les crécelles servaient surtout, mais non exclusivement, pendant la Semaine Sainte en remplacement des cloches "parties à Rome". Aujourd'hui, ce sont des bruiteurs que l'on agite à l'occasion des compétitions sportives. A droite, au-dessus, la tapette ou martê de Fauvillers; en-dessous, la crécelle tournante à deux lames et la cliquette.

Moulin, appelé martale (féminin dialectal de "marteau"). Des crécelleurs de Fauvillers en 1926

C'est une boîte sonore à laquelle est adaptée une crécelle; elle se porte en bandoulière sur la poitrine et s'actionne à la manivelle. Quand elle est de grande dimension, le porteur la pose à terre et la maintient immobile à l'aide des genoux pendant qu'il la manoeuvre.

Les "trimousettes" de Longlier en 1949

Les fillettes de la paroisse accompagnent l'une d'elles vêtue de blanc en "petite mariée", c'est-à-dire en communiante. Elles chantent tous les dimanches de mai devant chaque maison, recueillant de l'argent pour l'autel de la Vierge. Le mot trimousette est champenois, mais la coutume est surtout gaumaise et chestrolaise. En Gaume, la mariâye va et vient dans le cercle de ses compagnes, marchant à pas mesurés, et s'inclinant chaque fois que le nom de Jésus revient au cours du chant. On y connaît aussi des couplets de remerciement et de malédiction, celui-ci pour ceux qui ne donnent rien. Alors que les chants et les remerciements sont en français, la malédiction est en dialecte.

Contraste que l'on observe dans les noëls dialogués du pays de Liège, où la Vierge use du français, les bergers du wallon.

Préparation du "chaudeau" à Boris-d'Haine à la Saint-Jean de 1955

Le caudia est une sorte de lait-de-poule apprécié en Hainaut, mais produit ici à partir de lait, sucre et mastelles obtenues par la jeunesse qui va quêter jusqu'au crépuscule de ferme en ferme dans la commune et aux environs et ce, au son d'une musique et de tambours. La quête terminée, une dizaine de cavaliers aux montures ornées de banderoles multicolores vont rechercher les quêteurs et les ramènent sous un vénérable marronnier où l'on suspend deux chaudrons au moyen d'un joug par-dessus un feu de fagots. Les quêteurs s'habillent alors en marmitons, produisent le chaudeau, en portent un pot au curé, puis tout le monde se précipite avec un récipient vers le breuvage apprécié. Il y a en outre un comité en sarrau, un char de jeunes filles costumées en paysannes, musique, chants et légende faisant remonter la célébration à 1411. Il y a un autre tchaudia au hameau des Wespes à Leernes qui se célèbre le premier dimanche de juillet, mais dont le cri caractéristiques de "Vive saint Pierrot" prouve qu'il s'agit d'une ancienne fête solsticiale de la Saint-Pierre. Les jeunes gens ont ici un chant de quête et une chanson de circonstance pendant la distribution du mets. Cette dernière aurait été complétée en 1825 par un aveugle.

Quête de la Saint-Grégoire par les écoliers de Boneffe le 12 mars 1926

Les enfants sont endimanchés et coiffés d'une mitre en carton richement ornée de bande de tapisseries et de fleurs printanières; le tout encadré d'un large liseré bleu ou rouge. Ils chantent leur demande et leurs voeux : on leur donne de la farine, du lard, des oeufs, que les deux plus grands écoliers recueillent dans leur panier. L'après-midi on leur fait des gaufres et du café. Le saint, que les garçons seuls en principe célèbrent en Wallonie et en Flandre, est Grégoire le Grand : il fonda les premières écoles de clercs. En son honneur, le pape Grégoire IV institua une fête scolaire.

Quête de la Saint-Grégoire par les écoliers de Gouy-lez-Piéton en 1974

Comme rarement ailleurs autrefois, les filles sont associées aux garçons. Ces enfants ont perdu la mitre, et s'habillent au goût enfantin de fantaisie à la mode de nos jours. Cette désacralisation a subi l'influence du cinéma, de la télévision et du carnaval. On donne aux quêteurs de l'argent ou des fruits, des bonbons. Il y a partage, mais pas de repas communautaire. La coutume est maintenue par l'administration communale aidée du corps enseignant.

Petit autel de l'Assomption

Il fut érigé dans une rue du quartier d'Outre-Meuse à Liège en 1924. Les enfants - les fillettes surtout - dressaient de petits autels sur le trottoir et demandaient une offrande aux passants : Ine çanse po l'âté d' saint Mâcrawe ! (une pièce de 2 centimes pour l'autel de saint Macaire !) A quoi on leur répondait plaisamment : Awè, po l'âté dè gozî ! (oui, pour l'autel du gosier !) Avec l'argent, ils s'achetaient des friandises. Des quêtes semblables avec autels avaient lieu au Borinage à l'occasion des fêtes solsticiales de la Saint-Jean ou de la Saint-Pierre; on en connut à Paris aussi.

Bûcher du feu de la Saint-Martin au quartier d'Outrelepont à Malmedy en 1938

De semblables bûchers d'automne ne s'allument plus qu'au pays de Malmedy, mais on en a noté autrefois en Hesbaye sèche, ainsi que dans les arrondissements de Liège et de Verviers. Le combustible est obtenu à Malmedy par une quête au chant des enfants et de la jeunesse : On stocou ramon - Po fé l' èveûye du Sint-Mârtin... (Un balai usé - Pour faire la fête du feu de la Saint-Martin, littéralement : la veille de Saint-Martin). Ailleurs, on allumait des feux semblables pour obtenir des pommes et des poires. A Herstal, par exemple, on allumait au bûcher des cordes goudronnées ou enduites de résine, et on parcourait les rues en faisant tournoyer ces brandons et en criant une formule de quête alimentaire.

Maillet à bouriner âs-ouh

Il était utilisé "pour frapper aux portes" la veille de la Saint-Hubert au soir. Les jeunes gens et les enfants le faisaient en récitant sur un ton monotone : Saint-hubert qu'èst riv' nou / Avou s' mayèet à s' cou ! "Saint-Hubert qui est revenu / Avec son maillet au cul !" Dessin de Maurice Salme.

Drapelet de saint Hubert

Instructions quant à la manière de faire la neuvaine de saint Hubert et la manière de donner le répit en cas de rage, avec attestation d'insertion d'une parcelle de l'école miraculeuse dans le front d'une fidèle. Date du XVIIIe siècle.

Ce type de drapelet triangulaire est un souvenir de pèlerinage à usage protecteur qui eut une grande vogue en Belgique. Généralement on y trouve représentés le sanctuaire dans son milieu et les principaux épisodes de la légende du saint.

Pains de saint Hubert produits à Namur

Ils doivent être bénis par un prêtre le 3 novembre avant d'être consommés à jeun, après récitation de 3 ou 5 pater et ave. Ceux qui ont un chien ont soin d'en faire manger un morceau à l'animal : car ce pain protège contre les morsures des chiens enragés.

Une colonne de pains de saint Eloi à Bouillon en 1928

On transporte ces pains de formes variées sur des civières pour qu'ils soient bénis et distribués en morceaux pendant la messe ou répartis par la suite. Cette coutume fut reprise vers 1870 pour les ferronniers aux miquelets ou bûcherons qui pratiquaient la même coutume à la Saint-Nicolas.

Houilleurs assistant à Montegnée en 1935 à la messe de la Sainte-Barbe au fond de la mine

C'est un jour chômé; mais tous les houilleurs, croyants ou incroyants, assistent au service religieux, soit à l'église paroissiale proche de leur charbonnage, soit à la chapelle dédiée à leur protectrice, soit à un autel élevé dans la cour du charbonnage, à la lampisterie, dans une dépendance, à l'accrochage, au-dessus du puits, ou dans une galerie souterraine.

La statue de la sainte, assez fréquemment taillée par un ouvrier, trône au milieu de lampes de mineurs et de fleurs. Les houilleurs sont fêtés chez eux par leur épouse et leurs enfants, et à leur café habituel par les tenanciers. Au Borinage, ils recevaient autrefois des fleurs de papier piquées dans des pommes. Ils chantent ce jour-là des cantiques et des chansons célébrant leur profession. Au pays de Liège on ne sait quand sainte Barbe s'est adjointe à saint Léonard, fêté le 6 novembre. Les mineurs descendent dans la bure en se recommandant A l' wâde di Diu, d' saint Linâ et d'sainte Bâre (à la garde de Dieu, de saint Léonard et de sainte Barbe).

Sapeurs de la compagnie de Hymiée

Ils défilent à Gerpinnes le lundi de la Pentecôte à l'occasion de la "marche" de sainte Rolende en 1949. Une "marche" est l'escorte armée d'une procession. Elle se compose, du moins dans l'Entre-Sambre-et-Meuse et un peu dans la vallée de la Sambre, d'un groupe de sapeurs mené par un sergent-sapeur, de tambours animés par un fifre et commandés par un tambour-major, d'officiers à cheval, éventuellement d'une société de musique; viennent ensuite le peloton des grenadiers, le drapeau de la jeunesse entouré d'enfants en costume d'officier, le peloton des voltigeurs, parfois celui des zouaves et enfin un dernier rang armé de tromblons. La "marche" effectue certains déploiements, rend les honneurs à certaines notabilités, mais surtout à la procession à des endroits fixés par la tradition. Sauf à Jumet, où la variété des costumes est très grande, les uniformes sont inspirés surtout de ceux des soldats de Napoléon, parfois des armées pré- ou post-napoléoniennes. On compte plus de quarante "marches", dont les plus célèbres sont celles de Gerpinnes, Walcourt, Thuin, Ham-sur-Heure et Fosses- la-Ville (celui-ci septennale). A Gerpinnes elles sort à 4 heures du matin, parcourt 35 kilomètres à travers dix villages et hameaux, et rentre vers 6 heures du soir.

Tambours et grenadiers de Gerpinnes à la "marche" de Walcourt

Lors de la fête de la Sainte-Trinité, qui est l'occasion d'un pèlerinage fameux d'où l'on vient d'une vaste région qui s'étend de la Basse-Sambre au Nord de la France et couvre toute l'Entre-Sambre-et-Meuse. Le pèlerinage est suivi d'une procession. L'épisode dramatique de l'abbaye du Jardinet Notre-Dame est célèbre. Arrivé près d'un bouleau fourni par l'administration communale, celui qui représente le compte Thierry de Rochefort pousse par trois fois son cheval vers la statue de la Vierge qui s'y est réfugiée après l'incendie de la collégiale, assure la légende. La statue est maintenue sur une branche par un homme monté sur un escabeau et à demi caché. Le comte - le rôle est tenu traditionnellement par un homme d'une même famille - s'agenouille alors, récite une prière traditionnelle et reçoit la Vierge qui est descendue de l'arbre au moyen d'un ruban. La foule se précipite alors sur l'arbre et le dépouille de ses branches et de son écorce.

Trois pèlerins de la ducace de Marbisoux (Marbais-en-Brabant), 1952

Ils rentrent avec leur butin attaché à leur bâton. Le lundi de la fête locale, qui a lieu le dimanche le plus rapproché du 15 août, douze "pèlerins" de la Confrérie Saint-Roch, créée en 1860 au plus tard sous le vocable de saint Jacques, assistent à la messe de 8 heures, puis "partent pour Jérusalem" par groupe de trois. Ils vont collecter des légumes, des fruits, des fleurs, de l'argent. La quête terminée, les musiciens et les pèlerins se rendent au kiosque de la fête, où l'un d'eux narre avec humour leur voyage. Puis on procède à la "vente du bien d'autrui", avec "notaire" qui pratique la vente forcée. Celle-ci terminée, la danse des pèlerins a lieu entrecoupée d'interruptions et de disputes; on paye à boire aux musiciens, on chasse les femmes parce qu'elles dansent mal. Soudain s'affale un "frère". On chante une marche funèbre, l'ausculte; il refuse de l'eau, dont il asperge les curieux. D'un bond, il reprend sa place : la fête est terminée. Ce thème de ducace couvre une aire importante à cheval sur le Brabant (13 communes), le Hainaut (7 communes) et la province de Namur (12 communes).

La lumerodje de Presles et son conducteur, le lundi de la ducace en 1951

Celle-ci se célèbre le premier dimanche d'octobre. La lumerodje a une vague ressemblance avec une vache. Elle est formée d'un perche pour la colonne vertébrale, à laquelle sont attachés des demi-cercles en bois pour les côtés. Le tout est recouvert de serpillière descendant jusqu'à terre. La bouche, avec de longues dents en bois et une langue en drap rouge, est articulée. Les yeux sont des tessons de bouteille, les cornes sont en bois. La bête nécessite deux porteurs et un conducteur muni d'un bâton. Elle est suivie d'une charrette tirée par un âne avec le "vétérinaire Canabot" porteur d'une valise avec des outils de forgeron. Jadis des "chevaux-godets" entouraient l'animal. Celui-ci s'affale périodiquement, exténué : le "vétérinaire" le soigne, mais la douleur d'une "piqûre" rend vie à la bête qui, entre 11 heures et midi, "vêle" d'un petit chien. Deux collecteurs quêtent de l'argent, avec lequel s'abreuvent les acteurs de cette farce, qui s'achève vers 15 heures, quand ils sont ivres-morts. Ce divertissement, avec des variantes, a été noté aussi à Fosses-la-Ville, Aisemont, Vitrival et Le Roux.

Goliath et Madame Goliath au cortège des géants de la ducace d'Ath en 1926

Le quatrième dimanche d'août a lieu le cortège des géants, qui comprend l'Aigle bicéphale chevauché par un enfant, la barque des Pêcheurs napolitains transportant un "sauvage" qui crie très fort, le groupe des Bleus, compagnie de canonniers-fusiliers, Samson, le char de l'Horticulture, Ambiorix appelé aussi Tirant, les hallebardiers de son escorte, le char des Etats provinciaux escorté de cinq hérauts d'are à cheval, le char de la Navigation au XVIe siècle, Mademoiselle Victoire, le char de l'Agriculture, celui d'Albert et Isabelle, le cheval Bayard portant quatre enfants, le char des Neuf provinces, celui de la ville d'Ath, les géants Gouyasse et Madame, David, un enfant vêtu de blanc et muni d'une balle, Mangnon, le diable aux cornes rouges, armé d'une vessie gonflée, les "hommes de feuilles". Bayard remonte à 1462, mais disparut au XVIe siècle; Goliath remonte à 1480 au plus tard. Certains géants sont beaucoup plus récents. Le samedi, aux vêpres, a lieu le mariage de Gouyasse et de sa femme sur le parvis de l'église Saint-Julien. Puis a lieu le jeudi-parti, attesté depuis 1487, entre David et Goliath, qui est censé mourir de la balle que lui jette David. Celui-ci s'écrie : "il en tient, le vilain !" A quoi le porteur riposte : "je n' sus nieu co mort !".

Joueur de crosse à Thieu (entre Mons et La Louvière) en 1950

Le jeu de crosse se joue en plaine à travers champs et prairies; il se pratique de la Toussaint à la mi-mars, avec certaines dates privilégiées, comme la Toussaint, la Saint-Antoine (à Mons), le mardi gras (dans le Centre), le lundi de Pâques. La crosse se compose d'un fût ou bâton courbé ou coudé, à manier à deux mains. Le jeu consiste à parcourir une distance souvent très longue d'un point de départ à un but à toucher au plus vite, non sans être contrecarré. Ce but peut être un tonneau devant un cabaret, ou la porte de celui-ci. La crosse chasse une boule en bois de forme ovoïde. Le jeu a été pratiqué dans toute la Wallonie et en Flandre (Kolven), mais il ne se pratique plus vraiment qu'en Hainaut, à l'exception du pays de Charleroi. C'est un vieux jeu hérité du moyen âge, et dont le vocabulaire a été contaminé par celui du jeu de la soule, lequel continue l'harpastum romain, dont le nom est d'origine grecque, et qui était une sorte de rugby.

Une partie de balle au tamis à Tournai vers 1930

Les jeux de balle au gants, très répandus en Hainaut, en Brabant et dans la province de Namur surtout, sont la continuation des jeux de longue paume du Moyen Age. On en connaît trois variétés principales, qui sont chacune organisées en fédérations : le jeu de balle demi-dure, le jeu de balle pelote et celui de la balle au tamis. Ce sont des jeux de places publiques surtout, et de rues à l'occasion des fêtes de quartiers. Très souvent l'emplacement du jeu est marqué d'une manière permanente. Le comptage se fait comme au tennis, qui continue la courte paume. Le tamis sert à donner de l'élan à la balle. Le jeu est connu en Flandre aussi depuis le Moyen Age.

Jeu de la décapitation de l'oie à Saives (Celles-lez-Waremme)

Le jeu qui consiste à décapiter un ou plusieurs animaux (oie, coq, dindon, canard, remplacé parfois par un jambon ou un bloc de bois ou de fer), morts ou vivants, suspendus par le cou, moins souvent par les pattes, à une branche, un piquer, une roue, ou encore enfouis jusqu'au cou, ou enfermés dans un panier, cou sortant, présente beaucoup de variétés : on peut essayer de trancher le cou de la ou d'une victime avec un sabre, un bâton, une barre de fer, des cisailles, une faucille ou une arme à feu, ou tenter de l'arracher à la main, soit en passant près de l'animal à cheval ou trot, ou à pied et les yeux bandés, ou en tentant de l'atteindre d'une certaine distance, avec un instrument de jet. Le vainqueur reçoit l'animal ou une contre- valeur en nature ou en espèce dans le cas des blocs, qui ont remplacé l'animal au XIXe siècle. Le jeu paraît avoir une origine rituelle.

Jeu à neuf quilles sur le grand'place de Binche

La Wallonie connaît plusieurs variétés de jeux de quilles : à 3 quilles (Bouillon et le sud de l'Entre-Sambre-et-Meuse jusqu'au pays de Chimay), 5 quilles (vallée de la Semois, Famenne, Namurois, Entre-Sambre-et-Meuse, Carolorégie, Centre et région de Mons), 9 quilles (partout), 10 quilles (Grand- Hallet), 12 quilles (Bastogne). On joue au plus de quilles abattues, ou au moins de quilles, ou à pair ou impair, à la "boulée"; à l'enjeu, au parolî (Chiny), au défi, à deux manches et la belle, etc. On abat les quilles avec des boules de bois ou de fer ou avec un gourdin. Les quilles sont petites ou grandes, plus ou moins bien sculptées ou tournées, et de formes extrêmement variées. Le jeu paraît avoir une origine médiévale.

Cacafougna sortant de sa boîte

Cet ancien jouet d'enfant est un diablotin qui surgit d'une boîte et fait peur. D'oû l'emploi du mot pour désigner un croquemitaine. Il semble qu'il a désigné d'abord un personnage du théâtre de marionnettes, qu'il n'apparut pas avant 1850, mais qu'il est probablement venu du sud, où le Cafougna aurait été un personnage nasillard imitant l'auvergnat. Par ce jouet, nous avons voulu symboliser les surprises agréables qu'offre à l'observateur attentif l'étude du folklore des régions de Wallonie.

Combats d'échasseurs à Namur au XVIIIème siècle

Cette peinture de facture populaire et quelque peu gauche fournit des détails très vivants sur un combat d'échasseurs - dont l'origine est lointaine et la première attestation remonte à 1411. Il oppose les Avresses, en rouge, et les Mélans, en jaune, ceux-ci données comme vainqueurs par une alfer qui agite leur étendard, alors que l'étendard rouge des Avresses est baissé. C'est un des plus anciens sports attestés en Wallonie; il a subi des éclipses mais il até ravivé en 1951 par un Comité du Folklore namurois qui a réussi à le faire intégrer dans le programme de la célébration des fêtes de la Wallonie en septembre.

 

(Roger Pinon, Les traditions wallonnes, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.)


 

 

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