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Loisirs - Arts - Lettres

La photographie - (1995)

Georges Vercheval
Directeur du Musée de la Photographie à Charleroi

avec la collaboration de Christine De Naeyer et de Marc Vausort

Introduction

Face à un sujet aussi vaste que celui-ci, seule une approche très large peut s'envisager, un survol chronologique qui rendra compte de la vitalité de la pratique photographique en Wallonie, même si parfois, ce découpage géographique semble quelque peu arbitraire.

La photographie est une invention française et anglaise. A partir des découvertes de Joseph Nicéphore Niépce, Louis Jacques Mandé Daguerre met au point le daguerréotype (épreuve unique obtenue sur une plaque de cuivre surfacée d'argent) dont le procédé est dévoilé en août 1839, tandis que l'Anglais William Henry Fox Talbot conçoit le calotype (épreuves multiples sur papier, à partir d'un négatif papier) breveté en 1841. Produit de la société industrielle, et aussitôt commercialisée, cette technique nouvelle est amenée à révolutionner le rapport de l'homme à l'univers, en son microcosme comme son macrocosme; elle s'impose en de multiples disciplines, des sciences aux arts, tantôt pour sa valeur de document, tantôt pour son potentiel expressif, créatif ou critique. Elle fait voyager l'homme, lui révélant le détail, le caché des choses ou lui offrant un outil d'exploration des continents les plus lointains.

Le temps des pionniers

Si la primauté de l'invention revient à Daguerre et à Talbot, il faut cependant aussi mentionner à Liège, Albert Breyer (1812-1876), étudiant à la Faculté de médecine, d'origine allemande, qui compte parmi les inventeurs et pionniers demeurés dans l'ombre. Dès février 1839, celui-ci obtient des épreuves encore imparfaites sur papier et en novembre, des négatifs. Il expérimente aussi un procédé négatif/positif mais il semble ne pas avoir poursuivi ses expériences photographiques après 1839, tandis qu'à Bruxelles, le 16 septembre 1839, Jean-Baptiste Jobard, d'origine française, prend la première photographie réussie en Belgique. Durant l'automne, Adrien Aimé Thomas Wittert (Bruxelles, 1798-Liège, 1880) introduit le procédé de Daguerre à Liège. Premier véritable photographe amateur belge, il est parfois assisté par Auguste Florenville (1807-1887).

Dès le début des années 1840, après quelques améliorations (une meilleure sensibilité des plaques, une réduction du coût), le portrait photographique est commercialisé. Des ateliers daguerriens apparaissent dans les grandes villes. A Liège, René-François Van Malderen (1811- vers 1880) ouvre un atelier le 6 juin 1842 avec Adolphe Kips-de-Coppin (1810-?) et Alphonse Plumier (1819-après 1877), formé par Vincent Chevalier à Paris, en 1843. Outre-Meuse, Mathieu et Houbard proposent vers 1846 des portraits à 4 francs. A Mons, D. Souris ouvre un atelier aux environs de 1844. Dans les villes plus petites s'arrêtent des photographes itinérants. Citons Modeste Winandy qui se trouve dans la région de Charleroi en 1847.

Alphonse Wilbaux (1810-1872), professeur de chimie, réalise le premier daguerréotype à Tournai et c'est à Christophe Verdot (1796-1863) que l'on devrait les premiers daguerréotypes à Verviers en 1843.

Dès 1855, le daguerréotype se voit progressivement remplacé par les procédés sur papier.

Evrard Guillaume Claine (Marche, 1811-Bruxelles,1869), dont les premières recherches photographiques remontent à 1847, aidé du Brugeois Louis Constantin Jacopssen et du Luxembourgeois Joseph Ernest Buschmann, introduit et améliore la photographie sur papier en Belgique. En 1850, il s'initie au procédé à l'albumine sur plaque de verre, auprès de son inventeur parisien Abel Niépce de Saint-Victor. Il utilise alors davantage le négatif sur verre, conscient de sa supériorité sur le négatif papier, son objectif étant de parvenir à mécaniser le procédé à l'albumine.

En mars 1850, un an avant la Mission héliographique en France, il est le premier photographe à obtenir une commande publique qui lui permet de constituer une collection d'images de monuments civils et religieux du pays. En 1865, Pierre Alexandre de Blochouse (Mons, 1821-Ixelles, 1901) s'associe au photographe bruxellois Edmond Fierlants, devenant au décès de celui-ci, propriétaire de la Société royale belge de Photographie spécialisée dans la reproduction, la commercialisation de photographies d'art et l'illustration de livres.

La photographie professionnelle

Après les années 1850, marquée par l'expérimentation, la decennie suivante développe la commercialisation et la diffusion massive de la photographie. L'usage du cliché verre et le tirage des images positives sur papier à l'albumine s'imposent tandis que le portrait format carte de visite (breveté par Adolphe-Eugène Disderi en 1854) se popularise. La bourgeoisie défile alors chez le photographe, posant avec théâtralité devant un décor peint avec divers accessoires conventionnels.

Alors que dans les années 1850, la daguerréotypie professionnelle est surtout pratiquée à Liège, on voit maintenant apparaître des studios dans la plupart des villes wallonnes. Citons Théodore Hühn à Arlon, Prosper Bevierre, Olivier Bevierre, Victor Blondel, Deton-Cornand, Théo Mansy, Robert Melchers à Charleroi, E. Chapuis à Mons, Walter Damry, Joseph Kirsch, Thomas Depireux, Joseph Arnold Servais à Liège, Gilles-Ledoux, César Mitkiewicz, Joseph Piron, E.O. Thiel à Namur, L. Duchatel à Tournai, Jean-Edouard Wettstein, Polis-Begond à Verviers.

Norbert Ghisoland (La Bouverie, 1878-Frameries, 1939) installe en 1902 à Frameries un studio où se succèdent pendant 30 ans des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants.

L'Association belge de Photographie

Au XIXe siècle, la photographie est commerciale, mais elle est aussi un loisir très en vogue dans les milieux aristocratiques et bourgeois. L'Association belge de Photographie (ABP), fondée en 1874 répond au souhait de nombreux amateurs photographes belges, tous issus des classes aisées de la société, de s'organiser, de produire une émulation et promouvoir la photographie, par l'organisation d'expositions et la publication d'un bulletin d'informations. Parmi les 143 fondateurs, 41 sont wallons, (dont 24 liégeois), 66 bruxellois et 33 flamands. Structurée comme un parti politique, avec un bureau central et des sections locales, l'association vise à un maximum d'efficacité.

Toutes les personnalités marquantes de la photographie en Wallonie pendant le dernier quart du XIXe siècle et le début du XXe siècle y sont affiliées.

Docteur en médecine, Ernest Candèze (Liège, 1827-Glain, 1898) est membre fondateur et premier vice-président de l'ABP en 1874. Pour faciliter la photographie d'expédition, il conçoit en 1872 un appareil léger et maniable, fabriqué et commercialisé en 1874 sous le nom de Scénographe de Candèze par E. Devrolle & Fils à Paris. En 1882, il expérimente la photographie en ballon captif à la demande du Ministère de la Guerre.

Emile Damseaux (Liège, 1830-Spa, 1913) brevète un laboratoire portatif en 1866 qu'il présente un an plus tard avec succès, à l'Exposition universelle de Paris. De 1867 à 1873, il réalise une série de photographies de châteaux de Belgique pour les lithographes Vasseurs Frères de Tournai.

En 1878, Frédéric d'Otreppe de Bouvette (Liège, 1856-Florée, 1925) présente un laboratoire portatif pour le développement des émulsions et en 1887, un laveur automatique. En 1890, il invente un appareil destiné à produire de l'éclair magnésique. Jules Martiny (?-Liège, 1914) conçoit un laboratoire portatif en 1878.

Portraitiste, membre fondateur de l'ABP, Léonard-Hubert Zeyen, (NL, 1840-Liège, 1907), ouvre un atelier à Liège en 1867. Envoyé par le gouvernement belge à l'Exposition universelle de Vienne en 1873, il y déplore le manque d'organisation de la photographie belge. Raphaël de Selys-Longchamps (Liège, 1841-Waremme, 1911) aristocrate, propriétaire terrien, amateur de technique, comme beaucoup de membres de l'ABP, photographie ses proches, les lieux qu'il visite, ses terres, constituant une véritable chronique familiale, s'amusant parfois aussi à réaliser quelques photomontages. Guillaume Oury (Liège, 1840-1922) adepte du procédé au charbon et de la photominiature, se spécialise dans les scènes de genre. Préoccupé par les paysages et l'archéologie du Namurois, Armand Dandoy (Gougnies, 1834-Wépion, 1898), peintre et photographe, ami de Félicien Rops, publie un album en 1872, La Province monumentale et pittoresque, où il recense les monuments et sites de sa région. Jules Hallez (?-Dinant, 1894), également paysagiste, s'attache à la région Mosane. Il est également l'un des premiers photographes en Belgique à utiliser le procédé au charbon. Adolphe Dupont (Namur, 1827-1908) photographie aussi Namur et sa région, s'intéressant davantage aux hommes qu'au paysage, utilisant entre autres la photographie stéréoscopique. Entre 1890 et 1914, Martin Fettweis (Verviers, 1856-1938) réalise la chronique de sa région. René Desclée (Tournai, 1868-1953), avocat, prend des vues stéréoscopiques, mais il est surtout connu pour ses vues aériennes prises par cerf-volant dès 1910.

L'appel de l'art

En 1889, le premier Kodak est commercialisé, rendant la photographie accessible sans aucune connaissance préalable. En réaction à cette facilité et cette ouverture vers la démocratisation et la banalisation de l'image, un mouvement se construit et s'organise, le pictorialisme, qui connaît un essor international, dès 1890 jusqu'à la Première Guerre mondiale et, en Wallonie, jusqu'aux années cinquante. L'Association Belge de Photographie (ABP) défend cette tendance qu'elle structure, tant sur le plan national que local et l'ouvre au monde, au travers d'importantes expositions. La subjectivité du photographe se voit mise en évidence, un individualisme qui exalte un passéisme tranquille, en des paysages bucoliques voilés par une brume, des nus intimistes ou des scènes d'intérieur qui rappellent les scènes de genre de la tradition picturale. Léon Bovier (Liège, 1865-Knokke, 1923) met au point un procédé de report photographique sur toile qui lui permet de traiter de grands thèmes, un christ de douleur étendu et drapé, une nature morte florale.

Les principaux représentants du mouvement, sont Gustave Marissiaux (Marles [F], 1872- Cagnes [F], 1929) et Léonard Misonne (Gilly, 1870-1943) tous deux membres de l'ABP. Tandis que Léonard Misonne pour qui la lumière est tout, s'attache à traduire les paysages de sa région, le Pays Noir, par un rendu atmosphérique. Gustave Marissiaux s'inspire de voyages, l'Italie surtout (dont Venise l'éternelle) mais aussi la Bretagne, exprimant une solitude, face au monde moderne. Quelques-unes de ces images font l'objet d'un porte-folio en 1908, Visions d'artiste. Entre 1911 et 1914, Gustave Marissiaux s'attache aussi au nu, pudique et intimiste, avec le procédé de tirage couleur de Joseph Sury (Chimay, 1866-Anvers, 1944).

Une commande pour l'Exposition universelle de Liège en 1905, lui demande d'explorer le monde de la mine. Il réalise 450 vues stéréoscopiques d'un intérêt documentaire, avec une grande rigueur technique, mais il préfère envisager le sujet comme ses paysages, dissipés sous un voile de lumières et d'ombres qui estompent et dissimulent les formes. Léonard Misonne, par le choix du sujet et le rendu qui privilégient la matière par divers procédés de développement apparentés à la gravure (tirage au charbon, procédé à l'huile...) s'attache lui aussi à créer un univers fermé, rassurant plutôt que de le révéler tel qu'il est: une société industrielle changeante et imprévisible.

Robert Melchers (Aachen [D], 1852-Bruxelles, 1917), membre de l'ABP de 1881 à 1897, portraitiste à Charleroi jusqu'en 1906, utilise le procédé au charbon et le procédé à l'huile pour donner un velouté à ses portraits caractéristiques, mais aussi dans ses vues d'usines et ses paysages grand format.

L'Entre-deux-guerres

Le pictoralisme connaît toujours son heure de gloire en Wallonie. Emile Chavepeyer (Châtelet, 1893-Charleroi, 1959), portraitistes à Châtelet, co-fondateur en 1921 du Cercle artistique et littéraire de Charleroi et en 1933 du Cercle d'Art vivant au pays de Charleroi, ami d'enfance de René Magritte, dont il reproduit les premières oeuvres cubistes, se consacre à la photographie créative. En 1929, aidé de son frère Albert Chavepeyer, il met au point le report de bromoil sur pierre lithographique, qui lui permet de travailler le multiple, en gardant l'effet de matière propre au pictorialisme. Les sujets qu'il privilégie témoignent cependant d'un engagement humain pour le monde du travail, sa région et leur rendu met en évidence un regard original, par le choix de ses cadrages et de ses points de vue qui exploitent le vocabulaire de la photographie moderniste des années vingts. Roger Populaire (Charleroi, 1898-1970) photographie la campagne, les bois, la Sambre, dans un esprit pictorialiste, comme ce tram à Charleroi saisi dans la brume matinale, mais sans en utiliser les techniques et les manipulations. Ses natures mortes, réalisées dès 1950, attestent un souci moderniste par le choix et la mise en place de ses compositions.

Emile Piret (Grand-Rechain, 1879-Verviers, 1958) pratique la photographie en amateur et allie lui aussi l'atmosphère pictorialiste à l'esprit moderniste: une femme et son ombre portée, dessinent une forme abstraite sur un trottoir de Verviers, dont la masse s'estompe sous le brouillard. Edmond Moulu (Tintigny, 1884- Etterbeek, 1962), portraitiste à Bruxelles, apprécié pour ses paysages, ses nus et ses natures mortes, traduit la douceur veloutée d'un visage de femme qui se détache d'un fond sombre, pour composer un regard éthéré animé d'une chevelure qui s'échappe du cadre de l'image, telle une fumée ondoyante, dans L'esprit du vent (vers 1935).

Fernand Dumeunier (Bois-d'Haine, 1899-Bruxelles, 1968), portraitiste à Bruxelles, exploite les potentiels créatifs du flou, manipulant l'image pour traduire poétiquement la nostalgie.

Le surréalisme

Largement international de par sa portée, le surréalisme officiellement lancé à Paris en 1924 avec le premier Manifeste d'André Breton, connaît des ramifications en Europe, parfois d'une autonomie et d'une indépendance volontaire, comme c'est le cas pour le groupe bruxellois particulièrement actif, animé entre autres par Paul Nougé, René Magritte, Camille Goemans, Louis Scutenaire, E.L.T. Mesens et Irène Hamoir.

René Magritte (Lessines 1898-Bruxelles, 1967) originaire du Hainaut, garde sans doute de sa région natale un certain attachement au mystère, à l'obscure que peuvent éveiller l'univers minier industriel de Charleroi et ses abords. Dès 1928 et jusqu'en 1955, il se plaît à photographier le groupe, saisi dans les moments de rencontre où domine un sens de l'amusement et de la plaisanterie. Chacun joue un personnage, parfois avec des accessoires (masques, tissus, objets du quotidien) dans un esprit gai et léger, en comparaison à l'intellectualité plus grande de la peinture de Magritte. Quelques photographies lui servent toutefois de modèle pour ses toiles ou ses projets publicitaires mais pour l'essentiel, ce sont des témoignages de la vie quotidienne. Lui-même écrit: "Si je n'étais qu'un appareil photographique, le mystère ne serait pas évoqué".

En Hainaut, le surréalisme connaît aussi un développement fécond plus proche d'André Breton, avec le groupe Rupture (1934-1938), composé d'Achille Chavée, Albert Ludé, Fernand Dumont, André Lorent, Marcel Parfondry et auquel Max Servais (Bruxelles, 1904- Ixelles, 1990) et surtout Marcel Lefrancq (Mons, 1916-Chièvres, 1974) contribuent par la photographie. Après Rupture, le Groupe surréaliste en Hainaut dès 1939 reprend le flambeau, puis Haute Nuit, imposant la région comme un centre important du surréalisme. Max Servais qui prend part à l'Exposition Internationale du Surréalisme à La Louvière en 1935, publie des collages dans la revue Mauvais Temps et réalise aussi des mises en scène photographiques, comme Le mépris de la culture, vers 1934: un livre d'art sur lequel se pose, le pied, volontaire et audacieux, d'une femme. Marcel Lefrancq photographie dès 1934. En 1940, il collabore à la revue L'invention collective de René Magritte et Raoul Ubac. Attaché au réel-surréel, au rêve et à l'inconscient dont il traduit l'univers particulier par le photomontage et le collage (les premiers remontent à 1938), c'est tout naturellement que l'archéologie préhistorique le fascine aussi, pour l'étrange et les questions fondamentales qu'il pose. Christian Dotremont qui signe le texte Les développements de l'oeil à l'occasion d'une exposition de Marcel Lefrancq, Roland d'Ursel et Serge Vandercam, à la Galerie Saint-Laurent à Bruxelles en 1950, résume ainsi le propos: "Car en fin de compte, la photographie n'a point pour but de garnir les murs, elle a pour mobile de dénuder l'oeil. Qu'il soit ou non aux prises avec les montagnes".

Georges Thiry (Verviers, 1906-Ethe, 1994), dès le milieu des années trente, fréquente artistes et écrivains, et réalise ses premières photographies, devenant la mémoire même de la culture. Pendant quarante ans, il réalise le portrait d'écrivains, d'artistes et de poètes, surtout les surréalistes comme Paul Nougé, René Magritte, E.L.T. Mesens, Raoul Ubac, Marcel Mariën, Louis Scutenaire...

La photographie sociale et documentaire

Si la photographie garde la trace du réel, la marque de sa véracité historique, il lui faut témoigner et prendre part aux grandes causes sociales. Les pictorialistes, tels Léonard Misonne et Gustave Marissiaux, ne s'y attardent pas, plus soucieux de créer une image que de traduire la vie réelle. Emile Chavepeyer (Châtelet, 1893-Charleroi, 1959) cherche pourtant à "magnifier le geste du travailleur", sidérurgiste, haleur, charbonnier ou verrier, même si l'image tient du pictorialisme, par son flou qui gomme les détails au bénéfice de l'expression. Désiré Deleuze (Brugelette, 1921) photographie la mine dès 1947, à Forchies et, pour faciliter ce travail, il met au point un éclairage anti-grisouteux. On connaît davantage sans doute par sa diffusion dans la presse, le reportage photographique de la catastrophe du Bois du Cazier à Marcinelle en 1956, réalisé par Camille Detraux (Tamines, 1926), Raymond Paquay (Châtelet, 1923-1987), photographes au Journal de Charleroi, et Antoine Rulmont (Embourg/Liège, 1914-1968), photojournaliste au quotidien La Meuse, dont une photographie de la catastrophe lui permet d'obtenir le premier Prix au World Press Photo à Amsterdam.

Le thème du travail et les événements politiques en Wallonie, n'occupent cependant aucun photographe d'une manière suivie. Pour le monde de la mine, il faut attendre l'initiative de Georges Vercheval (Charleroi, 1934) à Charleroi et Christian Debruyne (Saint-Maur, 1937- 1993) à La Louvière, pour s'engager à photographier les paysages miniers, les charbonnages abandonnés et les terrils menacés de destruction. Entre 1970 et 1977, plusieur livres sont publiés sur le sujet: Pays Noir d'Yves Auquier, un photographe bruxellois; Mémoire d'un peuple oublié de Christian De Bruyne, réalisé avec le poète anarchiste louviérois Franz Badot, dans un esprit surréaliste; Terrils, un porte-folio de Georges Vercheval et Terrils, un livre illustré par dix photographes (Jean-Denis Busine, Pierre d'Harville, Christian De Bruyne, Jean-Louis Jamar, Véronique Leclef, Natale Messina, Franco Meraglia, Janusz Poprawski, Alain Roly et Georges Vercheval).

Dès 1975, une génération de photographes rend compte de la situation wallonne, vivant la crise économique de très près. Actif à Charleroi, Olivier Navarre (Etterbeek, 1956) rencontre les ouvriers et est le premier en 1978 à prendre part aux occupations d'usines et aux manifestations des ouvriers de Glaverbel. Philippe Grignard (Bruxelles, 1948), Véronique Vercheval (Charleroi, 1958), Jean-Luc Deru (Verviers, 1957) et Bernad Bay (Boussu, 1959) vont d'usine en usine, participant au quotidien du monde du travail.

Ces multiples énergies sont mobilisées dès 1983, par la création d'Archives de Wallonie, un centre de recherche et de documentation photographique, pensé au départ sous l'impulsion du livre Terrils par Jeanne Vercheval-Vervoort, avec Bernard Bay, Jean-Luc Deru et Véronique Vercheval. Archives de Wallonie, dont la mission vise à rendre compte du vécu et de préserver une trace-témoin d'une région, conçoit des expositions et des publications thématiques, pour lesquelles le centre fait appel à différents photographes de la région, en plus du recensement de documents anciens. Sont ainsi parus: Verreries en Wallonie (1983), Les Sidérurgistes (1984), Le Roton, dernier charbonnage de Wallonie (1985), Agriculture ou l'Histoire photographiée des gens de la terre (1987), La Révolution alimentaire à l'aube du marché européen (1991) ainsi que L'héritage des gueules noires de l'histoire au patrimoine industriel (1994).

On citera aussi Jean-Paul Brohez (Siegburg[D], 1959), photographe intimiste liégeois qui travaille à un inventaire du logement ouvrier et social en Wallonie pour le Ministère du logement et de l'aménagement du territoire.

En 1978 et 1979, Jean-Marc Bodson (Libramont, 1955) et Jean-Pol Hiernaux (Han-sur-Lesse, 1957) dans Souvenir d'une ville sans cimetière, portent une réflexion sur une ville nouvelle, Louvain-La-Neuve. Depuis 1983, Francine D'Hulst (Tournai, 1960) centre son travail sur les problèmes humains, photographiant notamment les populations immigrées à Bruxelles, ces multiples cultures qui cohabitent dans la capitale, mais aussi les enfants des homes, tandis que Chantale Noël (Florenville, 1955), dans un tout autre registre, suit et partage le quotidien des Grandes familles vivant en Belgique.

Des photographes parcourent le monde, à la rencontre d'autres cultures, comme Clément Delaude (Liège, 1936), maître de conférence à l'Université de Liège, qui dès 1962 photographie le monde des guérisseurs zaïrois, préoccupé des traditions médico-magiques africaines. Charles Henneghien (Frasnes-lez-Buissenal, 1935) documente la vie des mineurs au Maroc, parcourt le Mexique, ...

Jean-Paul Hubin (Huy, 1936) effectue des reportages en Europe et aux Etats-Unis, sur le monde du jazz, les métros de Bruxelles et de New York, en plus de recherches personnelles sur le bougé. Sam Mohdad (Bzebdine [Liban], 1964) après des études à St-Luc à Liège, réalise des reportages en Syrie en 1987, dans les camps Sahraouis (Front Polisario) en 1988, en Irak en 1990, en Algérie en 1992. Membre de l'Agence Vu à Paris, le Proche-Orient l'interpelle particulièrement, surtout le Liban dont il photographie le quotidien de 1985 à 1992, montrant "l'autre côté de la guerre". Hélène Martiat (Charleroi, 1961) et Ivan Mathieu (Ixelles, 1958) parcourent l'Asie (Inde, Népal, Tibet, Vietnam, Thaïlande) en 1987. En 1993-94, Alain Kaziniérakis (Ougrée, 1962), réalise un reportage sur les Touaregs, nomades des déserts d'Afrique du Nord.

La photographie créative après 1940

En 1952, le Salon du Cercle photographique de Charleroi présente les photographies d'Edward et Brett Weston et celles du Groupe des XV de Paris, avec notamment Pierre Jahan, Willy Ronis, Daniel Masclet et Robert Doisneau. Les années cinquante pour la photographie internationale, correspondent à deux vastes initiatives: la Subjektive Fotografie, une démarche individuelle en photographie, lancée par l'Allemand Otto Steinert dès 1952 et The family of Man, exposition humaniste de grande envergure conçue par Edward Steichen, avec quelque cinq cents images provenant du monde entier qui parcourent la planète dès 1955, en commençant le périple par le Musée d'Art moderne de New York. En 1956, l'exposition est présentée à Bruxelles avec un grand succès, ce qui ne manque pas de confirmer certains photographes dans leur option ou de créer des vocations.

En Wallonie, il faut attendre les années soixante pour voir s'organiser un mouvement photographique avec le groupe Photo-Graphie en 1965 à Bruxelles qui réunit Yves Auquier, Julien Coulommier, Pierre Cordier, Gilbert De Keyser, Hubert Grooteclaes, Jacques Meuris et René Léonard, alors conseiller à la Direction des Affaires culturelles du Ministère de l'Education nationale et de la Culture. Le groupe ne définit aucune option esthétique commune, mais a pour objet de défendre et promouvoir la photographie belge francophone par l'organisation d'expositions, la publication de catalogues, l'ouvrant ainsi au grand public. Il présente de prestigieuses personnalités internationales lors de ses expositions, comme Bill Brandt, Eugène Atget, Man Ray, Albert Renger-Patzsch. Il est aussi à l'origine de la collection de photographie de la future Communauté française de Belgique dès 1965.

Des individualités s'imposent alors, Hubert Grooteclaes, Jacques Meuris et Georges Vercheval. Le Liégeois Hubert Grooteclaes (Aubel, 1927-Embourg, 1994) ouvre un studio de portrait en 1955, et développe au langage audacieux avec ses photographismes depuis 1963 qui allient la technique photographique à la simplification des formes et la manipulation graphique, en des couleurs vives. Ces images sont publiées dans les revues de par le monde. Dès 1973, il décide de tirer flou les images du souvenir, de les virer et les colorier dans les tons pastels. Cette même année, il devient professeur de photographie à St-Luc à Liège où il prépare plusieurs générations de talents, Jean-Luc Deru, Damien Hustinx, Pierre Houcmant, Alain Janssens, Lucia Radochonska, Jean-Louis Vanesch et bien d'autres. Jacques Meuris (Liège, 1923-Bruxelles, 1993), autodidacte dès 1956, explore le monde minéral et végétal, des paysages métamorphosés par une lumière tranchante. Dès 1977, l'univers urbain (Londres et New York) l'interpelle, ses moyens de transport, ses affiches.

Georges Vercheval (Charleroi, 1934) s'attache aux paysages de sa région, aux objets qui l'entourent, en de grandes compositions d'ombres et de lumières, tendant à une abstraction géométrique.

Les années septante sont marquées par un intérêt croissant pour la photographie. En 1980, la Communauté française de Belgique finance une mission photographique, La pierre wallonne dans la Belgique romane qui sollicite quatorze photographes francophones: Christine Bastin, Gilbert De Keyser, Patrice Gaillet, Bernard Gille, Hubert Grooteclaes, Damien Hustinx, Jacky Lecouturier, Yves Pitchen, Lucia Radochonska, Jean-Paul Vanachter, Jean-Marc Van Tournhoudt, Francis Van Huffel, Georges Vercheval et John Vink. En 1991, vingt photographes francophones sont conviés à des Regard Croisés sur Bruxelles, la Wallonie et leurs habitants: Jean-Paul Brohez, Hubert Grooteclaes, Jean Janssis, Jean-Paul Lambillon, Baudoin Lotin, Benoît Warolus, Yves Auquier, Jérôme de Perlinghi, Jean-Louis Hentiens, Marc Ots, Patrice Gaillet, Daniel Michiels, Joseph Chatelain, Pierre d'Harville, Franco Meraglia, Daniel Brunemer, Erick Duckers, Bernard Bay, Damienne Flipo et Jean- Dominique Burton.

La photographie contemporaine, dynamique et multiple, est malaisée à circonscrire. Aucune tendance majeure ne se dégage, mais plutôt un camaïeu de personnalités différentes, engagées à traduire un regard, une émotion individuelle sur le monde. Certains s'attachent à transfigurer le réel, à manipuler l'image pour construire un univers original. Jean Janssis (Ans, 1953) pratique la technique de la gomme bichromatée, donnant un velouté, une matière à ses modèles. Pierre Radisic (La Hestre, 1958) s'intéresse autant à la photographie pure dans ses portraits qu'aux manipulations chimiques complexes. Christine Felten (Mouscron, 1950), avec Véronique Massinger, réalise des photographies couleur au sténopé, depuis une caravane, devenue un appareil photographique.

Pierre Houcmant (Pepinster, 1953) réalise des portraits et des nus, des images sophistiquées dynamisées par un jeu de miroirs et de découpes. Au travers de natures mortes mises en scène, Damien Hustinx (Liège, 1954) travaille la citation picturale, tandis que Jean-Louis Godefroid (Charleroi, 1952) traite le thème du nu par le photogramme. André Jasinski (Rocourt, 1958), en autodidacte, met en scène des acteurs au fond d'une mine désaffectée, éclairés à la lampe de poche, puis s'attache, dans un esprit aussi théâtral, à photographier l'architecture industrielle de nuit. Anne Karthaus (Rocourt, 1960) s'intéresse à la transparence, à la matière. Hervé Charles (Nivelles, 1965), après de petites miniatures couleur solarisées sur les communautés religieuses, cherche à traduire l'évanescence des nuages.

Certains photographes explorent les potentiels propres de la photographie, évitant de la manipuler. Jacques Vilet (Tournai, 1940) pense la notion de fenêtre-découpe de l'image et le paysage. Lucia Radochonska (Bolestraszyce,[Pologne], 1948) photographie l'enfance, la nature. Jean-Louis Vanesch (Liège, 1950) réalise des paysages dans des tonalités sombres où tout s'amalgame. Mario Gigli (Mont-sur-Marchienne, 1956) réalise des portraits-autoportraits en rue et des photographies de chiens d'une manière insolite. Les travaux d'Alain Janssens (Liège, 1956) traitent du corps en des assemblages d'éléments multiples et du paysage sous forme de polyptyques. Les nus de Daniel Brunemer (Lobbes, 1955) et la sexualité crue de couples exhibitionnistes présentent froidement l'intime sans artifice, tandis que Nathalie Amand (Soignies, 1968) théâtralise le corps, se référant à l'imagerie érotique du XIXe siècle. Ardenne restante de Daniel Michiels (Anderlecht, 1952), sans artifice, montre la nature, la chasse, le quotidien de sa région adoptive. Marc Trivier (Liège, 1960), après ses portraits de personnalités célèbres, artistes et écrivains ou anonymes, et ses abattoirs, utilise un Brownie des années quarante pour obtenir des images floues au cadrage imprécis: un paysage, un portrait de sa fille.

La photographie se prête aussi aux recherches plastiques et conceptuelles. Artiste pluridisciplinaire, Jacques Charlier (Liège, 1939), conçoit une démarche personnelle qui va de l'art conceptuel, à une approche plus sociologique de la photographie ou la mise en scène théâtrale. Jean-Pierre Ransonnet (Liège, 1944) allie le mot et l'image en un récit autobiographique dans lequel la photographie matérialise une trace. Jacques Lisène (Ougrée, 1946) exploite la photographie pour son pouvoir subversif décapant, faisant réaliser par d'autres les projets qu'il élabore. Le plasticien Pol Piérart (Liège, 1955) appréhende le réel par l'anecdote, se mettant en scène et combinant le langage écrit au dispositif de l'image, avec humour et remise en question.

Les écoles de photographie

L'enseignement de la photographie, dynamique et multiple en Belgique, connaît de solides points d'ancrage en Wallonie, que ce soit à Liège, avec l'Institut Supérieur Saint-Luc, auquel Hubert Grooteclaes a donné une impulsion majeure, poursuivie avec dynamisme par Jean-Luc Deru qui anime la Galerie Périscope; l'Institut des Arts et Techniques Artisanales à Namur (IATA) avec Jean-Pierre Lambillon; Charleroi, avec son Académie des Beaux-Arts, qui décerne annuellement un Prix Fernand Dumeunier, dirigée par Pierre d'Harville, assisté de Dominique Demaseure, Franco Meraglia et Jacques Vandenberg pour l'atelier de photographie; l'Académie des Beaux-Arts de Tamines, où enseigne Dominique Demaseure; l'Institut des Arts et Métiers de La Louvière, dont le cours de photographie est animé par Véronique Vercheval et Alain Breyer; l'Institut supérieur Saint-Luc de Tournai, avec Daniel Brunemer; l'Académie des Beaux-Arts de Tournai, avec Bernard Bay et l'Académie des Beaux-Arts de Wavre avec Guy Coppens.

Un musée pour la photographie

Le Musée de la Photographie à Charleroi, ouvert en 1987 en ses locaux définitifs, dans l'ancien Carmel de Mont-sur-Marchienne à Charleroi, n'a de cesse de défendre et promouvoir la photographie wallonne mais aussi nationale et, bien au-delà, largement internationale. Il est aussi un Centre d'Art Contemporain de la Communauté française de Belgique.

Des fonds importants de photographes wallons ont été réunis (Raphaël de Selys-Longchamps, Léonard Misonne, Emile Chavepeyer, Roger Populaire, Fernand Dumeunier, ...). Le Musée conserve également les collections d'Archives de Wallonie et de la Communauté française de Belgique.

Par ses collections (près de 50.000 pièces) et ses nombreuses expositions temporaires, le Musée envisage la photographie sous ses multiples aspects, à travers son histoire jusqu'aux plus récentes démarches contemporaines. Recherches esthétiques, combats humanistes et considérations d'artistes s'y côtoient avec, en arrière plan, la technique photographique et son évolution.

En 1993, le musée a présenté la première rétrospective de la photographie en Belgique, depuis ses débuts jusqu'à aujourd'hui, publiant pour l'occasion, un important ouvrage de référence avec un répertoire des photographes. Des monographies sont consacrées à des photographes belges (Emile Chavepeyer, Roland d'Ursel, Léonard Misonne, Charles Leirens, Gilbert De Keyser, Julia Pirotte, Hubert Grooteclaes). Le Musée de la Photographie est devenu en l'espace de quelques années, un lieu incontournable autant pour le chercheur que pour un public de plus en plus important.

Orientation bibliographique

S. F. JOSEPH et T. SCHWILDEN, Un cadeau à l'Europe, naissance de la photographie en Belgique, Bruxelles, Crédit Communal, 1989
La Photographie en Wallonie des origines à 1940, Liège, Musée de la Vie wallonne, 1980
Pour une Histoire de la Photographie en Belgique (sous la direction de G. VERCHEVAL), Charleroi, Musée de la Photographie, 1993.

 

Georges Vercheval, La photographie, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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