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Loisirs - Arts - Lettres

Les arts plastiques - (1995)
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Jacques Stiennon
Professeur émérite à l'Université de Liège

Réalisme, naturisme, vérisme, impressionnisme, symbolisme

Sous ce titre, plaçons arbitrairement Antoine Wiertz pour aussitôt l'en soustraire, tant l'artiste est inclassable. Romantique, il l'a été dans sa période liégeoise, mais il annonce déjà la tendance réaliste avec le charmant tableau des Botteresses. Classique, il l'est dans la dévotion qu'il porte à Rubens et à Raphaël, précurseur du surréalisme dans Pensées et visions d'une tête coupée, ou L'inhumation précipitée, anticipant un symbolisme moralisateur dans Les partis jugés par le Christ ou La puissance humaine n'a pas de limites. Lorsque l'on prend une vision globale de son oeuvre on s'aperçoit que l'artiste oscillera perpétuellement entre la démesure de les Gracs et les Troyens se disputant le corps de Patrocle, le charme troublant de Lucifer, la sérénité de Les Jours heureux, l'érotisme de La Jeune Fille et la Mort, de La Jeune fille à sa toilette, le vérisme pathologique et hallucinatoire de Faim, folie, crime (1853). Dans l'histoire de l'art wallon et national, il n'en demeure pas moins une personnalité puissante, attirante même par le parti extrême de ses choix philosophiques, esthétiques et moraux. C'est en ce mélange séduisant, répulsif, caricatural, pourrait-on dire, que réside son ambiguë modernité.

Engageons-nous sur le terrain plus sûr du réalisme. Nous y rencontrons une personnalité qui a laissé le souvenir d'un professeur exigeant, dont l'enseignement a eu une portée durable à Liège, mais a peut-être nui à sa création personnelle. Adrien de Witte (Liège, 1850-1935), dans sa longue carrière a au moins laissé deux chefs-d'oeuvre qui l'installent au plus haut rang. La Lessiveuse (1879) est un magnifique morceau de peinture, dont la solidité et la robustesse s'associent avec bonheur à la poésie discrète des choses familières, dans un rendu sensuel de la matière, et l'on pense à Chardin. Quant à La femme au corset rouge (1880), elle est devenue célèbre depuis que André Huyghe l'a comparée à un Degas. Par rapport à l'oeuvre précédente, elle laisse apparaître une fluidité plus enveloppante de la touche, une liberté plus souple du geste, une mise en page plus naturelle : le modèle, ici, n'a pas l'air de poser et l'arabesque de la hanche et du buste souligne le charme intimiste de sa féminité. Et puis, il y a, au sein de ces tonalités ocreuses, la vibration musicale de la tache rouge !

Le Tournaisien Louis Pion (1851-1934) gagnait à être mieux connu. C'est chose faite aujourd'hui, grâce à Serge le Bailly de Tilleghem, qui a souligné l'intérêt du réalisme sociologique de cet interprète privilégié de la vie rurale. Dans L'apprentissage du picteux, l'évocation des travaux des champs est, au fond, plus proche du naturalisme que du réalisme. Le savant conservateur du Musée des Beaux-Arts de Tournai observe : "N'est-ce pas plaisir de l'oeil -et bonheur du peintre- que la subtile jouissance des infinies nuances que Louis Pion exploite en cette gamme de gris qu'il épuise dans son renoncement volontaire aux riches ressources de la couleur ?".

Renoncer volontairement à la couleur, c'est ce que n'a jamais fait Emile Berchmans (Liège, 1867-1947), que ce soit dans ses nombreux panneaux décoratifs, ses affiches ou ses tableaux, comme Les lavandières d'Etretat (1887), dont le style réaliste est admirablement soutenu par la transparence de la lumière, la clarté joyeuse des galets de la plage, la fraîcheur d'un coloris tantôt franchement affirmé, tantôt se diluant dans l'éclat laiteux du linge.

Réalisme, naturalisme et, pourquoi pas, vérisme ? L'art de Léon Philippet (Liège, 1843- 1906), par son long séjour italien s'est en même temps nourri des scènes populaires de la vie romaine et du vérisme musical d'un Verdi. Bien sûr, L'Assassiné est un morceau de bravoure. C'est surtout le dernier acte d'un opéra italien transposé sur la toile avec un sens exercé des valeurs plastiques et du drame. L'excès même d'expressivité sert admirablement les intentions de l'artiste, engagé à ce point dans vie passionnée de l'Italie qu'il finit par s'identifier au groupe des spectateurs et par entrer dans son tableau. La mort a fait son oeuvre, le rideau peut se fermer sur ce cadavre inerte et pathétique. Mais, tout à coup, voilà qu'éclate la joie du Carnaval à Rome ! Encore une fois, le peintre se mêle à la foule bigarrée, dans une fête débridée de la couleur.

Dans la peinture de paysage, Léon Philippet a été attiré par la campagne romaine, ses vastes étendues solitaires, animées çà et là par des aqueducs en ruines, des plantes maigres, des taureaux, qu'avait déjà aperçus son contemporain, le sculpteur Léon Mignon (Liège, 1847- Schaerbeek, 1898), auteur puissant et inspiré du célèbre Dompteur de taureaux. Un monde sépare les tableautins lumineux de Gilles Closson des morceaux de nature traités par Philippet. Chez le premier, on pressent que l'impressionnisme va éclore un jour, chez le second la solidité de la matière a certaines affinités avec la robustesse un peu triste de Courbet.

En Wallonie, on est tenté d'attribuer un rôle déterminant dans le courant impressionniste à Anna Boch (Saint-Vaast, 1848-Bruxelles, 1936) et, dans une moindre mesure à son frère Eugène Boch (La Louvière, 1855-Monyon, 1941). Leurs oeuvres sont directement influencées par les luministes français dont ils collectionnent les tableaux. On n'en veut pour témoignage la belle marine Côte de Bretagne d'Anna Boch. Gaëtane Warzée a noté que "leur production de grande qualité par rapport à l'impressionnisme n'entraîne malheureusement aucun écho chez les peintres wallons". Tout au moins dans l'immédiat. Il faudra attendre le XXe siècle, la génération des post-impressionnistes comme Albert Lemaître et Richard Heintz pour renouer le contact avec cet important mouvement pictural.

En réalité, à la fin du siècle, les artistes wallons sont séduits par les parfums entêtants, les musiques immatérielles, les visions doucement embrumées du symbolisme. La Jeune fille à la robe d'argent (1894) d'Emile Motte (Mons, 1860 - 1931) est la soeur de Mélisande, elle appartient à l'héritage commun des préraphaélistes et de Gustave Moreau.

Mais voici qu'un artiste s'est mis un jour en route. Partant de Monthermé, sa ville natale, William Degouve de Nuncques (1867-Stavelot, 1936) a quitté les Ardennes françaises pour gagner Stavelot, le coeur de la Haute-Ardenne wallonne. Ainsi, il a traversé l'antique forêt aux enchantements, celle des Quatre Fils Aymon et du cheval Bayard, celle des brumes flottantes accrochées au bout des branches, des silhouettes pâles entr'aperçues, des mirages de l'ombre et de la lumière, de la solitude aussi. Tout au long de sa carrière artistique Degouve de Nuncques n'a pas quitté les taillis du silence ardennais, la nudité de la terre et les voiles aériens de la neige. Même l'éblouissement des Baléares est pour lui source de recueillement. On le voit bien à cette Baie de Palenza déjà envahie par la nuit et qu'un soleil doré abandonne progressivement aux ténèbres bleutées. Dans ce paysage grandiose, la poésie intimiste de l'oeuvre conduit en secret aux sources mêmes du symbolisme, encore caché, mais qui ne demande qu'à s'ouvrir en même temps que les ailes des anges mauves. De Navez à Degouve de Nuncques, décidément la création artistique en Wallonie nous aura fait parcourir au XIXe siècle toutes les gammes du sentiment, de la sensibilité d'un savoir-faire authentique.

IX. L'art wallon et les mouvements comtemporain

Quelques aînés

Symbolisme, Art nouveau, paysagisme

Nous venons de quitter Degouve de Nuncques. Avec lui, nous étions à la fois dans le symbolisme et le paysagisme. Symbolisme des Anges dans la Nuit, de L'Aube, du Cygne noir. Paysagisme du Dégel à Stavelot, de La Neige à Lodomez. Paysagisme et symbolisme intimement mêlés dans Effets de nuit aux Baléares, des Saules de Tervueren.

Or, le symbolisme est proche de "l'Art Nouveau" qui naît à la fin du XIXe siècle et dans lequel la Wallonie va jouer un rôle. Son stylisme décoratif était déjà présent dans certains tableaux de Degouve. Il sera admirablement exploité par un architecte-décorateur liégeois, Gustave Serrurier-Bovy (1858-1910), dont Jacques-Grégoire Watelet a bien montré l'élan créateur. Ce dernier s'exprime, notamment, par la technique de la sculpture "à la fleur", par le souple entrelacement de tiges qui s'épanouissent en corolles épanouies, par le lacis végétal qui forme la structure de son mobilier. Qui contemple l'oeuvre de Gustave Serrurier-Bovy se trouve, le plus souvent, transporté dans une forêt de Brocéliande aux essences rares, qui n'est pas sans rappeler le symbolisme littéraire d'un Albert Mockel, d'un Fernand Séverin, d'un Jules Sauvenière et, bien sûr, d'un Maeterlinck.

Un artiste fondateur : Auguste Donnay

Cette union de la nature et du symbolisme, on la rencontre dans l'oeuvre d'Auguste Donnay (Liège, 1862-1921), illustrateur des poètes et peintre de paysage.

Aussi n'est-il pas étonnant de retrouver en 1901, parmi les membres fondateurs du cercle L'Avant-Garde, Auguste Donnay, aux côtés de Gustave Serrurier-Bovy.

Le jeune artiste va être attiré par le symbolisme, dont Francine-Claire Legrand a dit qu'il n'est pas seulement une esthétique, mais aussi un comportement et surtout une mode. Auguste Donnay va donc sacrifier un moment à cette mode. Sous le crayon Raffaëlli, il va multiplier les figures féminines associées aux arbres : Diane (Chênes et Bouleaux), La Femme rousse (1894), le dessin de la couverture de la revue Floréal, qui avait pour but de "grouper les forces intellectuelles et artistiques de notre chère Wallonie", les illustrations d'un livre de Jules Sauvenière au titre mystérieux d'Hildhyllia. Deux excellents commentateurs de l'oeuvre d'Auguste Donnay, Pierre Someville et Jacques Parisse, ont bien mis en valeur l'importance, pour l'artiste, du thème de la femme et de l'arbre.

Mais déjà, Auguste Donnay se sentait irrésistiblement attiré par la nature, par la peinture de paysage. C'est dans ce domaine qu'il va livrer le meilleur de lui-même et nous révéler ce que Jacques Parisse a très justement appelé : "un visage de la terre wallonne". Un visage, et non pas tous les visages. Le peintre, de sa retraite de la vallée de l'Ourthe, évoque le Condroz ardennais, l'Ardenne condrusienne, l'est de la Wallonie, son relief mouvementé, ses villages, ses rochers, ses masses arborescentes aux colorations changeantes au gré des saisons. Il ne poussera jamais ses investigations et sa curiosité vers l'ouest, à une exception près, le grand triptyque de saint Walhère dans l'église d'Hastière. Mais son amitié avec Hans Winiwarter et Albert de Neuville l'amènera parfois à transposer le paysage de son village de Méry dans une atmosphère japonisante. En réalité, cette volonté de n'explorer qu'un terroir limité, mais d'en exploiter toutes les ressources, a donné à son oeuvre une force de suggestion exceptionnelle. Ses compositions : Le Pays de Coo, Pays de Herve, Ardenne sont fondatrices de l'école liégeoise de la peinture de paysage. D'autre part, le flamboiement des frondaisons rousses, des feuillages rouges annoncent déjà les expériences coloristes du fauvisme. Enfin, son intervention au Congrès wallon de 1905 sur Quelques idées sur le sentiment wallon en peinture anticipe sur les textes bien connus de Jules Destrée. A maints égards, il s'imposait que cette haute figure de l'art en Wallonie ouvrit ce chapitre sur les mouvements contemporains.

Armand Rassenfosse et Ernest Marneffe : Odor di feminà

Affichiste et graveur, Armand Rassenfosse (Liège, 1862-1934) l'a été comme Auguste Donnay. Mais à la différence de son contemporain, c'est un autre paysage qui le tente et l'obsède : celui de la femme. La femme dans sa nudité, dans son déshabillage sensuel, dans la provocation de sa jeune poitrine, dans son pouvoir de séduction. Elle respire les Fleurs du Mal, elle se joue de l'homme comme d'un pantin, et lorsqu'elle s'assied sur le lit et lève les bras pour faire saillir des seins généreux, tout un parfum de volupté se répand dans la chambre d'amour. Cependant, en même temps que la femme se prépare au plaisir, un squelette traîne dans un coin sa dépouille insolite. Il est un fait que la longue collaboration technique qu'Armand Rassenfosse a entretenue avec Félicien Rops ne s'est pas limitée aux secrets de la gravure, elle a influencé les thèmes majeurs du maître liégeois.

Néanmoins, on ne peut oublier qu'Armand Rassenfosse, qui poursuit son oeuvre en pleine expansion industrielle de la Wallonie, a été sensible aux contraintes du travail dans les charbonnages et, plus spécialement, des servitudes qu'il imposait à la femme. Celle-ci a délaissé sa nudité devenue inutile; elle a revêtu les vêtements ternes de l'ouvrière, enveloppé sa tête d'un foulard noué. La belle série des Hiercheuses de Rassenfosse confère une autre noblesse à la femme que les pouvoirs de son sexe, elle en fait un symbole social : voilà un aspect de l'oeuvre de l'artiste que l'on ne peut négliger.

Comme il convient de ne pas oublier quelques petits tableaux datant de la période où le graveur déjà maître de son métier, s'essayait à la peinture en cire. Comme l'a écrit Jules Bosmant "Grâce à certains tableaux, on découvre un Rassenfosse inattendu : intimiste lorsqu'il peint le jardin d'une maison amie, ou retrouvant la fraîcheur de l'enfance lorsqu'il évoque, avec la pureté d'un regard attendri et la sûreté d'un coloriste délicat et chaleureux, la simplicité de la Petite Fille à la poupée" dans le beau portrait de Palmyre Sauvenière (1908).

Avec Ernest Marneffe (Liège 1866-1920), la sensualité qui était maîtrisée chez Rassenfosse, verse quelquefois dans le voyeurisme, avec le fard trop gras de ses modèles, l'atmosphère confinée de leurs cabinets de toilette. Il faut reconnaître à l'artiste de solides qualités techniques, une présence de plasticien, qui se révèlent dans ses nombreuses Femme à sa toilette. Son style paraît influencé par les portraitistes espagnols contemporains, aux tonalités plombées, rehaussées de reflets rougeâtres. Comme Rassenfosse, il n'a pas été indifférent au travail harassant des femmes de charbonnages, comme le prouve sa Hiercheuse, avec un arrière-plan de maisons déjà cubistes, le modèle se détachant en net profil, le tout exprimant la fatigue et la beauté du corps. Un jour du haut de sa maison perchée au sommet de la rue des Remparts, l'artiste a vu se dérouler en contre-bas une Procession. Il en est résulté un petit chef-d'oeuvre d'observation, fait de pittoresque vrai, admirablement servi par une mise en page originale qui oppose le papillonnement coloré du cortège à la masse sombre des maisons d'un quartier populaire.

Emile Berchmans ou la peinture décorative

Le talent, l'imagination, l'habileté de la main n'ont pas manqué à Emile Berchmans (Liège 1867-1947). Affichiste comme Rassenfosse et Auguste Donnay, il suit de près le sort de l'industrie, le progrès des techniques dans des compositions enlevées comme en se jouant. Charles Delchevalerie l'a appelé le "virtuose de la ligne". Le trait est, en effet, sans défaillance et l'on serait tenté de croire à la facilité si l'on ne s'avisait que chaque courbe, chaque droite incisive n'était l'application sans bavure d'un métier longuement médité.

L'artiste a consacré à peu près toute sa carrière à l'art décoratif, que ce soit dans l'affiche ou le plafond d'un théâtre. C'est donc un peintre heureux qui choisit une gamme de tons clairs, quelquefois brillants, destinés à retenir l'attention et à charmer le regard. A-t-il parfois médité sur de grands thèmes philosophiques ? S'il l'a fait, on peut supposer qu'il s'y est livré sur commande et que le choix n'a pas été personnel. Devant sa composition picturale La fuite irréparable du temps, de dimensions réduites et dont on ne connaît pas la destination, Pierre Somville s'est livré à un jeu intellectuel, moins gratuit qu'il n'y paraît, en se demandant s'il fallait lire le tableau de gauche à droite ou de droite à gauche. Dans l'un ou l'autre cas - mais c'est une conclusion toute personnelle que l'on en tire ici -, il symboliserait le mythe de l'éternel retour. Dans ce bandeau coloré, l'artiste a mis en oeuvre toutes les séductions de la forme et du coloris sans réussir à traiter le sujet avec la profondeur qu'il réclamait. C'est la rançon d'un talent qui cherche avant tout à plaire, y parvient, mais n'éveille en nous qu'une impression, fugitive et agréable, telle qu'on peut l'éprouver en levant les yeux vers le plafond de l'Opéra royal de Liège.

François Maréchal : la précellence de la gravure

Un témoin particulièrement qualifié, Georges Comhaire, a écrit de François Maréchal (Hausse 1861-Liège 1945) : "Son oeuvre et son enseignement - il dirige la première classe de gravure de l'Académie des Beaux-Arts de Liège - dominent l'Ecole liègeoise de gravure".

Rien de plus exact que ce jugement devant la variété et l'éblouissement techniques de ce grand aquafortiste. Tous les sujets étaient l'occasion pour lui d'assouvir sa curiosité devant le spectacle de la vie, les paysages d'Italie, les insectes et les fleurs, le reflet nocturne des réverbères dans l'eau de la Meuse, les ruelles sombres, la solitude humaine. Il ne craint pas d'utiliser les grands formats, qui lui permettent de traiter les détails dans une synthèse qui répartit les structures générales dans une harmonie de clartés et d'ombres, comme si, soudain, la gravure devenait relief. A cet égard, les planches qu'il a gravées sur le thème de la basilique Saint-Martin de Liège sont magistrales. Le frêne (1918) envahit de ses branches dépouillées toute la composition. La neige qui couvre les vieux murs, les toits des appentis accentue les contrastes entre le matériau dur et la lumière, tandis qu'à travers la résille gracile de l'arbre la masse grise du sanctuaire apparaît comme un vaisseau émergeant de la brume. Ces rapports de tonalités subtiles, tantôt appuyées, tantôt effleurées, et puis soudain attaquées par la morsure, on les retrouve dans cette exceptionnelle leçon de métier et d'art que nous offre la grande planche de l'église Saint-Martin vue du nord. Elle soutient la comparaison avec le meilleur Meryon.

Le contact avec l'Italie renouvelle chez François Maréchal sa conception de la lumière. L'aspect minéral des montagnes de l'Italie centrale, le dialogue du soleil avec le feuillage des arbres permettent de transcender un métier déjà sûr. ll est peu de réussites aussi achevées - toutes techniques confondues - que La montée des Oliviers à Tivoli, baignée dans la palpitation de la lumière sur les arbres, une lumière qui alterne les effets du fortissimo, du diminuendo, pour faire de ce paysage privilégié comme un être vivant.

Richard Heintz ou la passion de peindre

Richard Heintz (Herstal 1871-Sy 1929) ne s'est jamais préoccupé de savoir s'il appartenait à un quelconque mouvement artistique. Pour lui, la peinture était une passion, et jusqu'à son dernier souffle, il a eu avec elle des rapports à la fois fervents et tourmentés. On est loin de la correspondance entre la nature et l'art qui était la caractéristique et formait l'équilibre de l'art d'Auguste Donnay. Richard Heintz a toujours préféré les contrastes de couleurs, les oppositions de structures et sa carrière a été une lutte perpétuelle de Jacob avec l'Ange. En Italie, la fête, la lumière et le caractère monumental des volumes lui donnent une force de création qui confère une solidité lumineuse à l'Ermitage des Franciscains à Subiaco, aux reflets des montagnes dans La Doire Baltée. Lorsqu'il est en Ardenne, que ce soit à Nassogne ou sur les bords de l'Ourthe près de Sy, les coups de brosse larges et fougueux sur la toile transcendent la réalité des rochers, des arbres, des maisons. Il ne s'agit plus de peindre, mais de se battre, de se colleter avec l'irréductibilité des paysages réels par rapport à la vision intérieure du peintre. On a parlé, à son propos, de libération quelquefois sauvage de ses pulsions créatrices. Il convient surtout de saluer la grandeur dans la recherche de l'absolu chez cet artiste, que le besoin de peindre a littéralement consumé.

Les intimistes verviétois

Entre la fougue de Richard Heintz et la discrétion recueillie des Intimistes verviétois, quel contraste ! Philippe Duchain (Theux, 1873-1947), Joseph Gérard (Dison, 1873-Heusy, 1943), Georges Le Brun (Verviers, 1873-l'Yser, 1914), Maurice Pirenne (Verviers, 1872- 1968) ont consacré la haute qualité de cette Ecole. Dans l'histoire de la Wallonie peu de groupements ont eu une aussi évidente cohésion. Cohésion autour d'une personnalité dominante, Maurice Pirenne; extension limitée qui va du Pays de Herve à Stavelot et reste centrée sur Verviers et, surtout, reprise inlassable des mêmes thèmes : la neige, les reflets des choses récupérées par les fenêtres, la dignité des objets quotidiens, les ciels plombés, les intérieurs qui attendent la tombée du jour, les femmes assises près des poëles en fonte. Bref, tout ce que le poète Albert Bonjean a appelé "les heures grises" et, parfois "une tiédeur de nuit et de branches". Cependant, si le renoncement a fini par être total chez Maurice Pirenne, il a eu, plus que ses confrères, des instants de puissance extraordinaire. Même lorsque la cataracte environnera les objets d'un halo de clartés duveteuses, la poésie de son art restera faite de solidité. N'avait-il pas déclaré : "L"oeuvre d'art est le résultat de la passion domptée" ?

Pierre Paulus, le Pays noir et le coq wallon

A l'autre bout de la Wallonie, la même solidité caractérise l'oeuvre de Pierre Paulus (Châtelet 1881-Bruxelles 1959). Chez lui, pas de méditation intimiste mais la dure réalité du travail dans les charbonnages, le triangle noir des terrils, le rougeoiment sombre des usines et la contrée de la Sambre, cicatrice que la neige colore d'effets changeants. La substance picturale de ses tableaux est grasse, le trait est lourd, marqué de suie et de poussière comme le visage grave des mineurs.

Et pourtant, il y a eu du soleil dans l'oeuvre de Pierre Paulus ! On oublie trop souvent, en effet, que l'artiste a été chargé, en 1913, d'établir le dessin du drapeau wallon. Richard Dupierreux avait déjà fixé le symbolisme de l'emblème : "Les foules exigent cette bondissante chanson de couleur, radieuse formulation de leur commune pensée". Plus récemment, Rita Lejeune a fort bien analysé la façon dont Pierre Paulus a réalisé le voeu de l'Assemblée wallonne : "Le dessin, d'une magnifique envolée, sur lequel le module officiel fut établi pour la confection des drapeaux, figure dorénavant comme une précieuse relique au Musée de la Vie wallonne. Il se détache fièrement, comme un panache, en rouge, sur fond jaune, rappelant notamment, à côté du blason de plusieurs contrées wallonnes, les couleurs nationales liégeoises que l'on mit ainsi à l'honneur pour le rôle que la Ville de Liège avait joué dans l'histoire du mouvement wallon. Au reste, le rouge et le jaune sont des couleurs méridionales qui chantent gaiement, couleurs de soleil, elles s'harmonisent parfaitement avec l'emblème du coq en marche".

Une génération féconde

Quelle génération ? Celle des artistes qui sont nés vers 1880-1890 et qui ont exprimé, dans des genres divers, la vitalité créatrice de la Wallonie, du Hainaut à la province de Liège en passant par le Brabant, le Namurois, le Luxembourg. Ils sont tellement nombreux que l'on n'a qu'à puiser dans ce réservoir d'images, de formes, de styles, de techniques, d'élan vital.

Celui qui exprime le mieux, le plus complètement, ce dynamisme créateur est resté trop longtemps et injustement méconnu. Charles Counhaye (Verviers 1884-Bruxelles, 1971) est-il expressionniste, réaliste d'un nouveau genre, permekien, espagolisant ? A cette énumération, on sent la vanité des classifications. En vérité, l'art de Charles Counhaye doit sa valeur, son importance au fait qu'il est fortement personnel et qu'il parcourt, en même temps, avec la même vigueur, une gamme très large de techniques variées. Il est peintre, dessinateur, vitralier, mosaïste, muralier avec une fermeté égale et, de la matière travaillée sur la toile, dans la lumière, sous l'action du feu, l'esprit émerge avec une puissance singulière, pour transfigurer la forme. Quelle plus suggestive alliance souhaiter entre la couleur, le symbole, la musique, les volumes architecturaux, que la rosace des Quatre Evangélistes dans l'église Saint-Christophe de Charleroi ? Elle se pose comme un soleil crucifié sur les ailes du chant et, du même coup, inconsciemment, l'artiste retourne aux sources lointaines de l'art wallon en retrouvant le sens spirituel du vitrail mosan de Châlon-sur-Marne. On rencontre le même souci d'adaptation entre la décoration et la sculpture dans le plafond en céramique du Pavillon de l'Exposition internationale de Paris (1937), les peintures du plafond du château de Feluy (1941-1942). Mais lorsque l'artiste s'installe devant son chevalet, les Trois femmes d'Avila (c.1949), les Joueurs de billes (c.1955), les Taureaux (1959), nous ramènent à ses origines espagnoles, tandis que Le Concile (1963), La Guerre (1950), La rose (1968), Les naufragés (1971), Deux personnages (1965) nous introduisent dans un espace de liberté stylistique où Charles Counhaye exprime avec le plus de force tragique la profondeur de son talent.

Contemporain de Charles Counhaye, Anto-Carté (Mons, 1886-Ixelles, 1954) a, lui aussi, abordé le vitrail, la tapisserie, en même temps que la peinture de chevalet. Il rend la figure humaine avec une sorte de pesanteur expressive. S'il lui arrive de céder au pittoresque, à la saveur des scènes régionalistes et populaires, toujours traitées avec une sûreté, nette et appuyée, du contour, il atteint une vérité dépouillée, une émotion nue dans Le mineur mort, qui est son chef-d'oeuvre.

Au même moment où naît cette génération féconde, le labeur harassant au fond de la mine, les conditions économiques humiliantes que l'on impose au monde du travail, provoquent les affrontements violents des années 1885-1886. Après la Première Guerre mondiale, le mouvement ouvrier médite sur ses premières conquêtes. C'est le moment de décorer les Maisons du Peuple de vastes compositions picturales : elles permettent aux socialistes de mesurer le chemin parcouru, de faire le bilan de leur action, de montrer aussi, au-delà d'une position strictement partisane, le chemin à suivre pour l'humanité toute entière. Le 14 mai 1922, les anciens combattants socialistes de Quaregnon remettent solennellement à la Maison du Peuple de leur commune l'ensemble des tableaux d'Allard l'Olivier (Tournai, 1883-1933). Louis Piérard tire les leçons de cette expérience culturelle en annonçant "le règne de l'art populaire, imposant et unanime".

Les compositions d'Allard l'Olivier comportent Les vainqueurs du militarisme, Place au Travail, Vers la nouvelle aube, Bon géant au repos, Les loisirs de l'ouvrier, autrement dit l'âge d'or de la classe ouvrière, qui a maîtrisé les forces du capitalisme et assuré son bonheur. En 1922, le problème se posait dans les mêmes termes qu'aujourd'hui : le didactisme dans l'art est-il viable ? On a vu ce qu'en a fait le nazisme, le réalisme soviétique. Mais, à l'époque, la générosité qui est à la base de cette action n'était pas encore freinée par l'inextricable complexité de la vie économique et sociale.

Avec Albert Lemaître (Liège, 1886-1975), nous sommes loin de ces problèmes fondamentaux. Il nous conduit de Venise à Milhars, en Espagne, sur la Côte d'Azur, la Yougoslavie. Dès le début s'affirme une vocation qui sera sa marque originale, ce par quoi l'on reconnaît immédiatement un Lemaître, autrement dit, il sera le peintre de l'eau, de ses reflets changeants, que ce soit sur les canaux de Venise, les côtes de Bretagne, les rochers de Dubrovnik ou le vieux port de Marseille. A certains moments, on dirait que ce n'est pas tant le paysage qui s'inscrit dans le ciel qui l'intéresse, que son image inverse : alors la dure matière se transforme en un univers de saveur aqueuse et de clartés changeantes. Avec son installation à Milhars, non loin d'Albi, la substance picturale qui, au début, était appliquée avec de larges empâtements, se fait plus légère : des traits parallèles de lumière colorée créent une transparence et dilatent l'espace. Comme Richard Heintz, Albert Lemaître est un peintre absolu, il ne révèle que problèmes techniques, préhension directe avec l'objet, volupté triomphante de la matière, mais avec quel lyrisme magnifiquement maîtrisé !

Pour Albert Raty (Bouillon, 1889 -), véritable créateur de l'Ecole de la Semois, le heurt de la lumière et du relief, le jeu des nuages, l'image des arbres dans la rivière ont été un sujet de méditation permanente qu'il a traduite dans des paysages aux éclairages fortement contrastés. Adrien Dupagne (Liège, 1889 -) choisit le soleil ardent de l'Espagne, quand il ne se laisse pas séduire par la nudité de la femme ou le feu d'artifice d'un bouquet de fleurs. Jacques Ochs (Nice, 1883-Liège, 1971) est surtout connu comme portraitiste, que ce soit par le truchement de la caricature ou de la peinture. Il en va de même de José Wolff (Liège, 1884-1965), dont le talent s'est mieux affirmé comme portraitiste que comme peintre de paysage, genre dans lequel il a souffert du voisinage écrasant de Richard Heintz et d'Albert Lemaître.

Dans le Hainaut, Rodolphe Strebelle (Tournai, 1880-1959), souche d'une lignée d'artistes, est souvent tenté par le va-et-vient des bateaux de pêche dans des ports dont il rend les structures avec un métier solide, une fermeté de peintre amoureux de la belle matière. Tout différent est Louis Buisseret (1888-1956). Paul Caso a eu raison d'écrire que "la femme fut pour lui l'objet d'une vigilance émue" et de le définir comme le plus "latin" de nos peintres wallons. La féminité, une féminité plus charnelle, sera également exaltée par Léon Devos (Petit Enghien, 1887-1974). Son Nu au fauteuil bleu séduit par la vibration intimiste et joyeuse du décor et des couleurs.

Mais alors que dans cette génération féconde, l'art figuratif se manifeste à profusion par des variations sur les thèmes de la nature, de la femme, du travail, des occupations humaines, voilà que, déjà, une tendance se fait jour, inattendue pour l'époque, tout au moins en Wallonie : l'abstraction.

Celle-ci naît dans nos régions, grâce à deux personnalités créatrices : Ernest Engel- Pack (Spa, 1895-1965) et Henri-Jean Closon (Liège, 1888-1975), suivis bientôt par Joseph Lacasse (Tournai, 1894-1975), Marcel Lempereur-Haut (1898 -). Elle allait se révéler porteuse de renouveau, de recentrement sur l'acte plastique, de remise en question de la signification de l'oeuvre d'art.

Ainsi, au moment où les artistes nés entre 1880 et 1890 déploient l'éventail très large de leurs possibilités d'invention et d'imagination, ils vont être rejoints, dans leur maturité, par une autre génération qui va exploiter, avec un réel succès, les mêmes ressources créatrices.

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(Jacques Stiennon, Les arts plastiques, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.)


 

 

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