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Loisirs - Arts - Lettres

Les arts plastiques - (1995)
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Cinquième partie - Sixième partie - Septième partie

Jacques Stiennon
Professeur émérite à l'Université de Liège

VIII. L'art dans le romantisme et la révolution industrielle.

La peinture et la sculpture d'histoire

Les différentes facettes du mouvement romantique se révèlent au moment où la Révolution de 1830 donne naissance à un nouveau Royaume : la Belgique. La notion de provinces belges était déjà présente dans la conscience collective et certains documents administratifs à la fin du XVIIIe siècle. Les griefs accumulés contre la politique culturelle à sens unique de Guillaume Ier de Hollande, pendant les quinze années du Royaume, fragile et contre nature, des Pays-Bas, vont accélérer la volonté du peuple, devenu belge, de rechercher dans le passé de la Flandre et de la Wallonie, de grands exemples historiques, qui puissent servir de modèle aux écrivains et aux artistes. Dans un précédent chapitre, nous avons vu comment la tradition historique de la Principauté de Liège et des Pays-Bas méridionaux avait pu stimuler la création littéraire, notamment par des récits à la Michelet, ou des romans historiques. Le même phénomène va se reproduire dans le domaine des arts plastiques, et l'on va assister, pendant plusieurs décennies, à la prolifération de tableaux, habituellement de grandes dimensions, qui entendent exalter le rôle de personnalités éminentes ou d'événements majeurs qui ont conduit, par une souterraine et quelquefois paradoxale évolution, à la réalité d'un pays, d'une nation.

En Wallonie, ce sont surtout les artistes de Liège et du Hainaut qui se sont distingués dans la résurrection d'un passé fait de gloire, d'humiliation, de drames individuels et collectifs. Quelquefois même l'inspiration de certains peintres dépassera le cadre national pour suggérer que certains hauts faits d'une Antiquité légendaire ou historique ont valeur d'anticipation ou d'exemple dans les événements qui appartiennent au passé composite du nouvel Etat.

Un des principaux artistes qui ont pratiqué la peinture d'histoire avec un réel talent est incontestablement Barthélemy Vieillevoye (Verviers, 1798-Liège, 1855), même s'il est surtout connu par un tableau qui ressortit à la peinture du genre : Botteresses agaçant un braconnier. A côté de cette inspiration anecdotique et populaire, le peintre s'est affirmé avec bonheur comme portraitiste -on le verra bientôt- et comme interprète fervent du passé tumultueux de l'ancienne Principauté de Liège.

Tous ceux qui ont visité le Palais provincial ont pu remarquer et admirer le portrait qu'il a fait de Notger, cet évêque de Liège qui est devenu aussi, en 980, par la grâce de l'empereur Otton II, un prince temporal. Pourquoi ce portrait est-il remarquable ? Tout simplement parce que l'artiste n'a pas cédé à la tentation de représenter ce dignitaire ecclésiastique en homme âgé et barbu, mais qu'il l'a peint jeune, imberbe et actif. En effet, Notger nous apparaît ici comme le créateur d'un nouveau visage de Liège, ville qu'il a dotée d'une enceinte, et fondateur de la collégiale Saint-Jean-l'Evangéliste, dont il examine les plans, avec d'autant plus d'attention qu'il l'a choisie comme lieu de sépulture. Ce portrait est traité sans emphase, avec le naturel d'un artiste imaginant les traits d'un homme d'église ferme et sûr de lui.

Avec Un épisode du sac de Liège par Charles le Téméraire en 1468, c'est une des pages les plus dramatiques de l'histoire de la Cité que Vieillevoye a choisi d'évoquer. Une mère est étendue morte, à l'avant-plan, son enfant s'accroche à elle tandis que la grand-mère se penche sur ce couple tragique. Le peintre a volontairement accentué la violence de la lumière qui éclaire encore ce dernier, et rejeté dans une ombre lourde, opaque, où rôde encore le danger, la cour d'honneur du palais épiscopal où se déroule la scène.

Peu importe que l'artiste, démuni de toute documentation sur l'aspect de cette cour en 1468, l'ait entouré des colonnes caractéristiques de l'édifice tel que l'a fait construire Erard de la Marck en 1528. On pardonne volontiers cet anachronisme pour admirer la sobriété de la mise en page et l'accent typiquement romantique de l'oeuvre.

Autre fait tragique et exemplaire de l'histoire liégeoise, L'Assassinat de Sébastien Laruelle, bourgmestre de Liège, le 16 avril 1637. Vieillevoye n'a pas lésiné sur le coût de la toile ( H.5m 62xL 4m41). L'ampleur de la composition est à la mesure de l'événement, elle a valeur exemplative. Si l'on poursuit la gradation scénologique de ces trois tableaux, en négligeant leur chronologie, on s'aperçoit, en effet, que, dans un premier temps, on assiste à une nouvelle fondation de Liège, puis à sa destruction et, enfin, à la difficile mise en place de la démocratie. Vieillevoye se mue donc en historien, et retient notre intérêt, malgré les erreurs de reconstitution, négligeables si l'on veut considérer que la flamme romantique brûle décidément dans ces peintures d'histoire.

Auguste Chauvin (Liège, 1810-1884) n'atteindra pas la force de suggestion de son devancier. Influencé par l'enseignement de ses maîtres allemands d'Aix-la-Chapelle et de Düsseldorf, il a, semble-t-il, présumé de ses forces en s'attaquant à cette grande machine qui ornait jadis les cimaises de l'ancien Musée des Beaux-Arts : Saint Lambert au banquet de Pépin de Herstal (1861). Le romantisme pictural rejoint ici le romantisme littéraire puisque l'artiste s'est directement inspiré d'un chapitre des Esquisses historiques de l'ancien Pays de Liège (1837) de Mathieu-Lambert Polain, alors disciple d'Augustin Thierry. Et la légende rejoint également l'histoire puisque la première a imaginé que l'assassinat de saint Lambert aurait été téléguidé par Alpaïde, concubine de Pépin de Herstal, durement réprimandée, au cours d'un repas, par le futur martyr.

Charles Soubre (Liège, 1821-1895), qui fut l'élève de Vieillevoye, a attaché son nom à deux tableaux qui concernent l'histoire contemporaine. Le Départ des volontaires liégeois pour Bruxelles, sous la conduite de Charles Rogier ( 4 septembre 1830) et L'arrivée de Charles Rogier et des volontaires liégeois à Bruxelles. Le décor du premier nous place de nouveau sous les colonnes de la cour d'honneur du Palais provincial. Tandis que s'estompait le souvenir officiel de la Révolution -la composition date de 1878- et que l'on modifiait la Brabançonne, l'élan de septembre 1830 prend, à Liège, des allures d'épopée.

Dans le Hainaut, François-Joseph Navez (Charleroi, 1787-Bruxelles, 1869), merveilleux portraitiste, s'est essayé, avec moins de succès, à la peinture d'histoire. Comme l'a décrit Charles Faider dans la Revue belge, il s'agissait pour l'artiste d'associer l'art "au parti qu'en pourra tirer la gloire nationale, et sur la force croissante que donnent leurs oeuvres à notre existence sociale". Quant à Louis Gallait (Tournai, 1810-Bruxelles, 1887), il peut revendiquer le titre d'interprète par excellence des grands événements et des figures historiques, ne fût-ce que dans les quinze portraits qui ornent l'hémicycle du Sénat. Ailleurs, il balaie plusieurs siècles dans des compositions de dimensions exceptionnelles. La Peste de Tournai en 1092 participe à la fois du style néo-classique et du pathos romantique. L'agitation des deux groupes qui équilibrent la mise en page contraste avec la froide immobilité des lignes verticales des structures architecturales. S'opposant au caractère conventionnel de l'Abdication de Charles-Quint, les têtes coupées des comtes d'Egmont et de Hornes dans le tableau Les derniers honneurs rendus aux comtes d'Egmont et de Hornes, rappellent l'émotion tragique et vraie des études de Géricault sur le cadavre des suppliciés.

A l'extrémité occidentale de la Wallonie, Charles Groux (Comines, 1825-Bruxelles, 1870), surtout connu pour ses tableaux à préoccupations sociales, a connu une période "historique". Il faut reconnaître que François Junius prêchant la Réforme et Le Pèlerinage de Saint Guidon n'ont pas suscité l'intérêt de la critique de son temps et du nôtre.

Aviver la fierté nationale ne s'est pas limité à la seule peinture. La sculpture monumentale, les statues équestres ont, de leur côté, joué un rôle non négligeable dans le souci d'éveiller une conscience patriotique. Elles ont, en outre, par rapport aux tableaux, l'avantage de s'imposer au regard de la foule.

C'est bien le cas de la statue équestre de Godefroid de Bouillon (1848), due au Liégeois Eugène Simonis (Liège, 1810-Bruxelles, 1882) et qui fait partie du décor monumental de Bruxelles. L'oeuvre frappe par son caractère épique, la sobriété des formes. Elle exalte l'esprit d'aventure et de conquête d'un héros national qui ne méritait pas, si l'on en croit la critique contemporaine et les savants travaux de Georges Despy et de Alain Dierkens, l'hommage que lui a rendu avec excès la ferveur nationale, conforme à l'historiographie belge du XIXe siècle.

Il est intéressant de rapprocher -et on l'a déjà fait avant nous- cette sculpture qui, selon Paul Fierens, "à grands pas s'éloigne des formules qui paralysaient son essor" d'une autre statue équestre, celle de Charlemagne, de Louis Jehotte (Paris, 1803-Liège, 1884), ornement monumental d'un boulevard de la Cité ardente.

Il n'est pas exagéré d'affirmer que la statue équestre de Charlemagne appartient à la mythologie liégeoise. Avec Paris, Liège n'est-elle pas en fait, la seule ville de la romanité qui ait réservé pareil hommage à Charlemagne ?

L'oeuvre est belle par la majesté qui l'anime et, dans la production de l'artiste, elle est incontestablement un de ses chefs-d'oeuvre. Il semble que Louis Jehotte ait tenté ici une synthèse entre l'art antique et celui de la Renaissance italienne. Pour le reste, le monument participe de ce style roman byzantin cher au XIXe siècle. Il séduit par ses qualités qui associent avec bonheur le classicisme et le souffle de l'inspiration romantique. Théodore Gobert a eu raison de relever la beauté des statues des ancêtres de Charlemagne : Pépin l'ancien, sainte Begge, Pépin de Herstal, son fils Charles Martel, Pépin le Bref et Bertrade.

D'après l'orientation même du monument, Charlemagne fait un geste d'accueil et de protection vers la douce France. Sa conception est due à l'historien liégeois Ferdinant Hénaux, qui avait toujours gardé la nostalgie de la Liège impériale. Il a écrit sur Charlemagne, et comme la naissance supposée de l'empereur dans la région justifiait que Liège lui rendît hommage, il convainquit aisément Jehotte, qui appartenait à la dynastie d'artistes herstaliens. Ainsi continuait à s'affirmer le rôle que Liège, terre d'Empire, mais profondément attachée à la défense de la romanité, avait joué, à travers les siècles, comme élément de liaison entre deux grandes civilisations.

Le portrait, reflet d'une société

L'art du portrait a une action immédiate et une résonance prolongée. Il montre à son modèle une image fidèle ou idéaliste de lui-même, il expose cette image à l'admiration ou à la réticence du regard des autres, il transforme quelques heures de pose en une vie latente qu'éternise l'oeil du spectateur. La femme ou l'homme portraiturés, sont, de la sorte, transportés dans une société du futur qui, à son tour, les défigure ou les transfigure. Et quand l'artiste se prend lui-même comme sujet d'expérience, il se libère de la sorte d'une inquiétude en s'interrogeant sur lui-même. Voilà la raison pour laquelle le portrait n'est jamais indifférent puisqu'il assure au modèle une vie multiple, sans cesse changeante au gré de l'évolution des mentalités. La Joconde n'en est elle pas le meilleur exemple ?

Sans atteindre ce sommet, on peut aisément constater la valeur de certains portraits dans la Wallonie du XIXe siècle. Si l'on peut rester relativement indifférent devant les tableaux d'histoire de François-Joseph Navez, quelle intensité psychologie dans son Autoportrait (1826) ! L'artiste y est plus près de Géricault que de son maître David, par la liberté et la sobriété de la touche, l'élimination de tous détails adventices afin de donner au regard du peintre, vu de trois-quarts, le maximum d'acuité, d'interrogation inquiète, de fierté romantique.

Quant à son portrait antérieur (1816) de La Famille de Hemptinne, la critique l'a placé, depuis longtemps, parmi les plus beaux portraits qui aient été exécutés chez nous au XIXe siècle. Un historien d'art autorisé comme Luc Haesaerts a pu écrire de cette oeuvre qu'elle "marque sans équivoque possible, la résurrection de la peinture dans nos provinces".

La composition vaut d'abord par le rapport, soigneusement équilibré, des tonalités chaudes, le rendu tactile de la laine et de la soie, pour tout dire par la volupté de la matière. Celle-ci soutient admirablement le traitement psychologique des trois personnages : le père attentif et grave, la mère calmement heureuse, l'enfant tranquillement insouciant mais qui cherche instinctivement la protection de la main paternelle et la chaleur vitale d'une mère comblée. Au-delà des différenciations individuelles, ce triple portrait est un magnifique document d'histoire sociale : voilà la véritable "peinture sociale"à laquelle Navez s'est consacré sans peut-être le savoir.

Le véritable talent de Barthélemy Vieillevoye ne réside-t-il pas également dans le portrait ? On peut le croire grâce au Portrait d'une vieille dame (1826) du Musée de Verviers et, surtout, à celui d'Henri Vieuxtemps enfant (1826), plein de fraîcheur et de spontanéité.

En revanche, les très nombreux portraits de Louis Gallait portent la marque d'un classicisme un peu froid. Ils valent surtout par le témoignage réaliste qu'ils apportent sur la société privilégiée de son temps : personnages royaux, membres de l'aristocratie, bourgeois nantis.

Avec Antoine Wiertz (Dinant 1806-Ixelles 1865), on aborde évidemment un cas limite, qui nous retiendra dans un instant. Sans doute faut-il prendre avec une certaine distance l'affirmation du peintre lui-même qui déclarait avoir fait des portraits "pour la soupe". Appartenant la plupart à la période liégeoise de l'artiste, ils s'inspirent, en réalité, dans ce qu'il y a de meilleur chez ce peintre hors du commun. Guy Vandeloise a bien vu "que Wiertz est le seul portraitiste wallon romantique". Le fait est évident dans le Portrait, pâle et mélancolique de Melle Ghysselinck, sa fiancée liégeoise, dans celui de La Mère de l'artiste (1838) que Paul Fierens qualifie de "plein d'amour, lumineux, intime". Quant à l'Enfant et sa gouvernante, il appartient à une série nombreuses d'oeuvres que l'artiste a consacrées aux siens. La composition se détache sur un fond où la douceur mosane des lointains équilibre la maturité voulue des raisins savoureux.

Plus heureux comme portraitiste que comme peintre d'histoire, Auguste Chauvin compte à son actif l'excellent portrait de Louis Jamme, bourgmestre de Liège et, surtout, celui de Lacordaire (1848). Il est cependant surpassé par le talent d'un Andennais, Jean-Mathieu Nisen (Ster-Francorchamps, 1819-Liège, 1885). C'est un portraitiste né. Dans une production très nombreuse, on retiendra surtout le Portrait du Procureur Général Raikem (1880). Comme l'écrit Guy Vandeloise, "c'est bien la vérité psychologique de son modèle que Nisen a toujours recherchée" et d'ajouter avec pertinence : "Nisen fut naturellement le portraitiste d'une bourgeoise fière de son rang. Ambitieuse, elle constatait, avec un plaisir non dissimulé, que sa condition sociale était perçue par un artiste à la vision réaliste, certes, mais stylée". Et Jules Bosmant de conclure : "Ni le métier acquis, ni l'habitude ne purent jamais émousser son honnêteté professionnelle, sa tremblante inquiétude, bref son désir en toute chose, de faire de son mieux ... La robe rouge d'un procureur ne vaut pas tant par la qualité de son rouge, que par les idées de justice, de dignité, d'intégrité qu'elle doit inspirer".

Le paysage et ses mutations

Une des révélations de l'Exposition "Le Romantisme au Pays de Liège" fut, sans conteste, le talent d'un paysagiste, Gilles-François Closson (Liège, 1796-18?), dont les peintures sur papier reposaient, méconnues, au Cabinet des Estampes de la Ville de Liège. Boursier de la Fondation Darchis en 1825, il avait pris l'habitude d'envoyer d'Italie de petits paysages peints dont la qualité font de lui comme un "Corot liégeois" dont il est d'ailleurs l'exact contemporain. Que de délicatesse, que de justesse dans le rendu de l'atmosphère de ces vues romaines ! En quelques coups d'un pinceau baigné de lumière, ce Petit port italien s'anime dans la clarté d'un soleil ouaté de brume légère, la sérénité d'une nature heureuse. D'une facture plus appuyée, Les cascatelles de Tivoli bondissent dans le pittoresque sans apprêt d'une bourgade célèbre. Puis ce sont Le Vésuve et le Golfe de Naples vu du port de Castellamare di Stabia, La Porta del Popolo à Rome et le Colisée, qui servent plus d'une fois de modèle à l'artiste, plus conquis par la douceur du ciel d'Italie que par la grandeur antique. Ce caractère intimiste, on le retrouve dans les paysages liégeois de cet excellent peintre : Les vieux arbres de Coronmeuse, Tilff, et l'esquisse du Pont d'Aywaille, petit chef-d'oeuvre inachevé qui place maisons et arches du pont à contre-jour, dans la solidité chaleureuse de la pierre, afin de faire mieux ressortir la fluidité floconneuse des collines qui forment le paysage, comme pour mieux en préserver le charme agreste. André Maréchal a bien résumé la qualité exceptionnelle de cet artiste "en avance sur son temps" : "Les oeuvres de Closson ne sont pas des miroirs de sentiments mais bien des révélateurs de sensibilité. Petits tableaux ou pochades, ils sont peints d'après nature, dans le respect de la vérité géographique, avec un esprit de synthèse par l'exclusion des détails. Chose essentielle, la lumière y joue le rôle d'élément coordinateur entre les différents plans, non pas une lumière fabriquée, mais une lumière observée".

En complet contraste avec l'artiste liégeois, Eugène Verboeckoven (Warneton, 1802- Schaerbeek, 1884) anime ses paysages de boeufs et de moutons. Est-il plus animalier que paysagiste ? Il a le sens de l'espace, le souci de l'exactitude, une sorte de réalisme appliqué. Ses dessins préparatoires l'emportent souvent sur l'oeuvre définitive. Paul Fierens, André Marchal avaient prédit que cet artiste consciencieux, fidèle aux goûts d'une clientèle bourgeoise, échapperait un jour à l'ostracisme injuste dont il était accablé. C'est chose faite depuis que Jean-Marie Duvosquel lui a consacré une étude attentive, fondée en partie sur des esquisses inédites.

Membre d'une dynastie d'artistes doués dans le domaine des arts décoratifs, Edouard van Marcke (1815-1884) a prospecté le Pays de Liège, la Basse-Meuse, les sites pittoresques de l'Ardenne ou du Rhin, et il en a rapporté des lavis et des dessins qui jouent plus sur la fragmentation de la lumière que sur les valeurs chromatiques. De son côté, le Namurois Joseph Quinaux (1822-Bruxelles, 1895) a longuement arpenté les rives accidentées de l'Amblève et de la Lesse. On admirera la solidité de sa mise en page, l'effet poétique provoqué par la rencontre de l'eau et des arbres, ces derniers tantôt s'épanouissant en montées de feuillage transparent, tantôt en se comprimant en masses buissonneuses que vient caressé un soleil tamisé.

Si l'on passe dans le Hainaut, le tempérament de Théodore Fournois (Presles, 1814- Bruxelles, 1871) s'impose à nous avec sa recherche du pittoresque, un certain goût du grandiose, la tendance à l'aménagement plastique de la nature pour en tirer un effet scénique. On reconnaît là les recettes du romantisme, mais appliquées par une palette très sûre et un métier qui évite l'emphase et l'artificiel.

Fournois s'était surtout intéressé à l'Ardenne. Les artistes que l'on a rassemblé dans "le groupe d'Anseremme" ont préféré les charmes de la Meuse namuroise. Parmi ces amoureux d'art, il y avait des écrivains, il y avait évidemment des peintres et, parmi eux, le plus doué : Félicien Rops (Namur, 1833-Essonnes, 1898).

Pendant longtemps, l'on a méconnu cet aspect de la production d'un artiste qui attirait surtout la curiosité par ses compositions : eaux-fortes, lithographies à l'érotisme, que l'on qualifiait jadis de sulfureux. Que de sobriété, de perception synthétique et juste de la nature dans ces tableautins de tonalité creuse et assourdie ! A cet égard, Les Rochers des Grands- Malades à Marche-les-Dames (1876) est un véritable chef-d'oeuvre. Dans un format réduit, il acquiert l'ampleur d'une phrase musicale qui se prolongerait dans une linéarité mélodique pour aboutir à un point-d'orgue presque monochrome tandis qu'en écho, des nuages de tendre émeraude accompagnent discrètement le chant.

On ressentirait une impression comparable devant les beaux paysages mosans de Théodore Baron (Bruxelles, 1840-Namur, 1899), notamment les Rochers à Profondeville, si la lourdeur presque minérale de la pâte ne contrastait avec la légèreté de touche de Félicien Rops.

Avec Hippolyte Boulenger (Tournai, 1837-Bruxelles, 1874), on atteint le sommet dans l'art du paysage. Sa maîtrise est complète, sa facture d'une puissante originalité. Il bouscule les conventions du paysage pictural en associant dans un même tableau des techniques contrastées comme dans Le Mur rose (1869) traité avec une étonnante liberté de style. Elle oppose des zones traitées au couteau, épaisses et lourdes comme les briques du mur, à des espaces lisses et presque immatériels. Contre la silhouette arachnéenne des arbres qui se détachent sur un ciel tendre et clair, vient buter la masse sombre du feuillage qui coupe en deux, brutalement dans le sens vertical, toute la composition afin d'obtenir un maximum d'effet dans cette rencontre de la solidité et de la fluidité, d'un univers compact et d'un lointain impalpable. La Vue de Dinant est une interprétation extrêmement suggestive du paysage mosan plutôt qu'une saisie réaliste de la nature. Le miroir argenté du fleuve, l'argent moiré du ciel se répondent en reflets étales, tandis que l'artiste a volontairement accentué la masse rocheuse, l'opacité de ses structures, dans sa volonté d'opposer, une nouvelle fois, la légèreté de l'air à la rigidité de la forteresse, ancrée comme un lourd et long navire sur l'éperon formidable.

Certains critiques ont rapproché, avec raison, les tableaux du graveur Rops avec ceux du sculpteur Constantin Meunier (Bruxelles, 1831-1905). Certes, celui-ci n'est pas wallon mais le Pays wallon a exercé sur lui, sur son talent, une irrésistible attraction, et, plus particulièrement le Borinage et l'agglomération industrielle liégeoise. Comme l'écrit Emmanuelle Sikivie : "il est essentiellement le peintre des ouvriers ...figurés dans leur lieu de travail", le paysage des charbonnages, des cités ouvrières. Ses compositions picturales négligent l'effet, l'émotion, le faire-valoir. Elles sont brossées à larges traits, sans recherche de pittoresque, dans une vérité quotidienne qui en renforce l'expressivité.

Dans cette gamme particulière de sa création artistique, Constantin Meunier a contribué de la sorte à un phénomène caractéristique du XIXe siècle, la naissance d'un paysage spécifique de la révolution industrielle. La lithographie, technique nouvelle, qui ne demande pas un appareillage compliqué, va permettre de multiplier les vues d'usines, d'ateliers, à des fins qui mêlent curieusement l'intérêt publicitaire à la recherche esthétique. Des dessinateurs comme Toovey, Maugendre, Palante, Canella vont introduire sur le marché des représentations à la fois précises et artistiques des usines Cockerill à Seraing, des laminoirs d'Ougrée, des fonderies Marcellis, des charbonnages d'Ougrée, des installations de la Vieille Montagne, des Cristalleries du Val Saint-Lambert.

Cet effort de documentation iconographique sera magnifiquement couronné par la publication, vers le milieu du XIXe siècle, d'un prestigieux album : La Belgique industrielle, dans lequel le paysage industriel de la Wallonie occupe évidemment une place prépondérante. La lithographie de la Manufacture de glaces de Sainte-Marie d'Oignies, établissement implanté dans un ancien prieuré médiéval, représente en même temps un décor précaire, avec ses zones herbeuses, ses buissons bas, ses arbustes maigres, ses alignements verdoyants, et le nouveau décor industriel avec le complexe des ateliers qui s'étire dans la plaine, les cheminées hautes et minces, le train de marchandises. Equilibre fragile dans ce coin de Sambre entre la nature et la machine, qui sera bientôt rompu par les exigences de plus en plus contraignantes des structures capitalistes. Un nouveau paysage naît donc sous nos yeux, qui trouvera, au XXe siècle, des interprètes wallons de très haute qualité.

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Jacques Stiennon, Les arts plastiques, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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