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Loisirs - Arts - Lettres

Les arts plastiques - (1995)
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Jacques Stiennon
Professeur émérite à l'Université de Liège

A Liège et à Rome : Jean Delcour

Né le 13 août 1631 à Hamoir, relevant alors de la petite principauté de Stavelot- Malmedy, Jean Delcour conserve pour son terroir natal des liens que nous révèlent plusieurs documents d'archives. Cependant c'est Liège qui a bénéficié du grand talent de ce sculpteur et c'est avec raison que l'Oeuvre des Artistes lui a révélé en 1911 un monument commémoratif, en plein coeur de la Cité ardente, à l'ombre de la cathédrale, où repose un de ses chefs-d'oeuvre et non loin de la vierge qui a établi sa réputation. On pourrait d'ailleurs imaginer un itinéraire Delcour à travers la ville, comme on l'a fait pour Georges Simenon et Sainte-Beuve. Sans souci de la chronologie, il débuterait dans l'admirable nef de l'ancienne église abbatiale de Saint-Jacques pour laquelle il sculpte, dans un bois de tilleul, une statue de l'apôtre, suivie de plusieurs autres à partir de 1682. Le christ au tombeau, de marbre blanc, exécuté en 1696 pour les Sépulchrines a trouvé refuge dans la nouvelle cathédrale ainsi que le Christ en croix qui s'élevait sur le Pont des Arches. La même année, la fontaine de Vinâve d'Ile s'orne de sa Vierge à l'enfant, qui est devenue dans la conscience des Liégeois, une sorte de Palladium de la Cité comme le groupe des Trois Grâces qui parachèvent admirablement le Perron de la place du Marché, symbole des libertés communales liégeoises. Et l'on terminerait dans la rue Hors-Château devant la fontaine de Saint-Jean- Baptiste surmontée de l'effigie du Précursseur.

Jean Delcour n'a pas uniquement prêté son talent à l'embellissement de la ville où il avait établi son atelier. La cathédrale Saint-Bavon de Gand abrite une de ses oeuvres les plus spectaculaires : le monument funéraire d'Eugène-Albert d'Allamont, évêque de Gand (+1673) en marbre blanc, marbre noir et bronze doré. L'oeuvre a été conçue comme une scène théâtrale : le prélat agenouillé, interroge le squelette de la mort, mort qu'un ange au glaive flamboyant vient de lui annoncé, tandis que la Vierge debout tenant l'enfant, est prête à intercéder en sa faveur. Enfin, l'autel du Saint sacrement de Miracle (1675-1681) destinée primitivement à l'abbaye d'Herkenrode, a été transférée à l'église de Hasselt. Admiré du vivant de l'artiste, ses éléments constitutifs ont été souvent imités et repris.

Le soleil d'Italie, les monuments de Rome ont fait beaucoup pour donner au talent du jeune sculpteur les possibilités de s'épanouir. On sait que, lors de son séjour dans la ville éternelle, il fut tout spécialement attiré par les bas-reliefs de la colonne Trajane, dont il rapporta l'album de planches gravées. Ils n'influencèrent pas son style auquel Lambert Lombard aurait été plus sensible, mais ils lui offrirent incontestablement bien des motifs de réflexion utiles à son métier, tandis que les innombrables sculptures du Bernin l'ont certainement séduit. Il en a retenu l'expressivité tout en rejetant l'emphase. Certes le mouvement du drapé de son Saint Jacques le mineur est excessif, mais malgré son caractère artificiel, il convainc par une sorte de lyrisme aux allures d'un rythme musical.

En revanche, que de noblesse, de pureté dans le style, de profondeur dans l'expression plastique avec le Christ au tombeau de la cathédrale Saint-Paul ! Pour apprécier l'art de Jean Delcour arrêtons-nous sur ces sommets. A des heures privilégiées du jour, la lumière tamisée qui traverse la haute verrière du sanctuaire collabore elle-même au travail de l'artiste, en approfondissant certains reliefs, en creusant les ombres autour de ce corps offert à la mort et qui, selon le jugement mûrement motivé de Suzanne Collon-Gevaert, n'attend qu'un signe pour renaître à la vie.

La peinture liégeoise du XVIIe siècle

En 1986, un colloque international présidé par Pierre Rosenberg, Conservateur en Chef du Département des peintures au Musée du Louvre, était consacré à la peinture liégeoise des XVIIe et XVIIIe siècles. Ainsi étaient couronnés les efforts et consacrés les travaux persévérants de chercheurs au nombre desquels il convient de citer Jacques Hendrick, Joseph Philippe, Pierre-Yves Kairis, Didier Bodart, Jacques Thuillier, Philippe Farcy, Claude Bosson, Marie-Christine Merch, Jean-Luc Graulich, Jean-Patrick Duschene. En effet, depuis plusieurs années, on avait progressivement découvert la valeur esthétique et l'originalité de la peinture liégeoise du XVIIe siècle. Celle-ci était restée sourde au tumulte rubénien et s'était délibérément tournée vers le classicisme d'un Poussin ou le clair-obscur d'un Caravage. Encore fallait-il asseoir ces impressions sur des certitudes en explorant des documents d'archive, en approfondissant la comparaison des oeuvres, en les analysant au moyen de critères plus sûrs et d'une méthode plus affinée. Le travail est en bonne voie et, dès maintenant des personnalités émergent qui s'imposent, mieux que par le passé au cimaise des musées dans le monde entier.

Pierre-Yves Kairis a bien repéré un des caractères spécifiques de cette "école liégeoise". Ses représentants sont pour la plupart, né natifs de la cité épiscopale. Autre caractéristique : ils font à peu près tous le voyage de Rome pour y parfaire leur formation. Enfin, leur création est tributaire, tout au moins dans les tableaux à thème religieux, des impératifs du renouveau catholique, la Contre-Réforme.

Gérard Douffet (1594-1660) est l'auteur, en 1624, d'une Invention de la sainte croix que l'on considère comme "le tableau manifeste de cette école liégeoise". Mais son chef-d'oeuvre est incontestablement La visite du pape Nicolas V au tombeau de saint François, admirable par la science de la mise en page, la cohérence des structures, le mouvement général qui relie les scènes apparemment fragmentées, l'éloquence apologétique du thème.

Son disciple, Bertholet Flémal (1614-1675) est, de l'avis de Jacques Hendrick, "le plus français des peintres liégeois par le style". L'une de ses oeuvres les plus représentatives Sainte Anne et la Vierge frappe par son classicisme, l'influence de Le Sueur et par l'opposition de la rigidité sévère du décor architectural et l'intimisme presque sensuel de la nature morte de l'avant-plan.

Walthère Damery (1610-1678), si bien étudié par Philippe Farcy s'est adonné par des compositions religieuses, à des tableaux de paysages ou de scènes mythologiques d'un charme délicat. Ses Voyageuses perdues (1665) nous ramènent au style d'un Claude Lorrain, dans des rapports de tons savamment étudiés, renforcés par les oppositions de touches épaisses pour le traitement du décor végétal, fluide et lumineux dans le drapé des personnages. Jean- Guillaume Carlier (1638-1675) reste le portraitiste vigoureux de sa propre effigie.

Quant à Gérard de Lairesse (Liège 1640 -Amsterdam 1711), qui a poursuivi sa carrière en Hollande, il représente en quelque sorte dans la peinture des Pays-Bas septentrionaux, un anti-Rembrandt, son exact contemporain. Son académisme se transforme parfois, comme dans Sélémé et Endymion, en une fête de la lumière nocturne, transfigurée par l'apparition de la déesse.

Enfin, Englebert Fisenne (1655-1733), qui a été comblé par l 'abondance des commandes qui lui venaient de particuliers et de communautés religieuses, a, par le fait même, tari assez tôt le talent qu'il manifestait dans l'art du portrait. On s'accorde à considérer comme l'une de ses réussites les plus convaincantes la Crucifixion de l'église Saint-Barthélémy à Liège.

VII. Lumière du XVIIIe siècle

Lumière ou lumières ? Nous avons vu dans le chapitre précédent, que la réception des lumières s'était, en réalité, faite tardivement et progressivement dans nos provinces. En revanche, les arts plastiques, à la même époque, accepte la lumière et la font rayonner, que cette lumière soit née de la foi, ou qu'elle soit d'origine purement physique. Autrement dit, l'on peut passer sans effort des rais d'un soleil éclatant tel qu'il est représenté sur les tabernacles, les chaires à prêcher, les ostensoirs, aux jeux de ce même soleil sur le cristal d'un verre, les moulures d'un meible ou des flancs d'une chocolatière d'argent. Cette précision est d'autant plus nécessaire que l'on a, jusqu'à une date relativement récente, méconnu les valeurs esthétiques de l'art, tant wallon que flamand, du XVIIIe siècle.

Fécondité du sculpteur Laurent Delvaux

La remarquable activité, le haut niveau du travail artistique du sculpteur Laurent Delvaux nous permettent d'avoir une vision beaucoup plus positive de l'apport esthétique de cette période. Né à Gand en 1696 d'une famille wallonne, l'artiste s'est installé à Nivelles où il est mort en 1778, après avoir fait son apprentissage à Bruxelles dans l'atelier de l'Anversois Pierre-Denis Plumier. Il entreprit ensuite de se perfectionner en Angleterre où il se spécialisera dans la sculpture funéraire. Mais Rome l'attirait et c'est en 1726 qu'il prend contact avec la statuaire antique et le style oratoire du Bernin. En 1732, à son retour au pays, il est nommé sculpteur de la Cour et se fixe à Nivelles. De sa période romaine, il gardera le souvenir dans son Hercule au repos, mais le style de Delvaux est, comme on l'a écrit d'ailleurs, fait "de mesure, d'équilibre, de force contenue et de lyrisme décoratif". Dans le cadre rénové de la collégiale Sainte-Gertrude de Nivelles, sa chaire à prêcher et ses statues forment un contraste particulièrement heureux avec la géométrie dépouillée des formes et des structures romanes.

Comme l'a fort bien vu Etienne Duyckaerts, "élément essentiel de la liturgie après le Concile de Trente, la chaire est devenue une des pièces les plus significatives de la sculpture baroque... L'intérêt des chaires de Delvaux réside dans leur très nette clarté structurelle. De la forme baroque, il ne garde que la structure portante arborescente et rend de ce fait à la cuve et aux rampes d'escaliers une autonomie mobilière, les traitant dans le style décoratif contemporain, le Louis XV". Sous la chaire même le groupe de l'ange et d'Elie est un de ses chefs-d'oeuvre. L'épisode est rapporté dans le premier livre des Rois. Elie est dans le désert, les torrents se sont taris, les corbeaux n'apportent plus de pain au prophète. Mais voici que la parole de Dieu retentit, qui lui enjoint de rejoindre la ville de Sarepta. Le sculpteur a fait du message divin un ange qui, s'approchant d'Elie endormi, lui touche doucement l'épaule. A la grâce juvénile du jeune homme s'oppose la puissance calme du prophète dont le sommeil est peuplé de songes et de visions. La rencontre est naturelle, familière pourrait-on dire, et totalement dénuée d'emphase. Les ailes éployées de l'ange semblent couvrir de leur ombre l'homme de Dieu comme pour le protéger des ardeurs du soleil, un soleil qui darde ses rayons, sculpté sur les flancs de la cuve. Le sens théologique de la scène est évident : le soleil de Dieu n'est pas le soleil meurtrier du désert, il comble l'homme de ses bienfaits, le pain qui vient subitement à manquer, c'est l'Eucharistie, exposée dans le tabernacle proche de la chaire de vérité, qu'Elie partagera bientôt, sous la forme d'une galette inépuisable, avec la veuve de Sarepta et son fils.

L'exécution d'ensembles aussi monumentaux était, bien sûr, le fruit de la collaboration du sculpteur et des dignitaires ecclésiastiques. C'est le cas notamment à la cathédrale Saint- Bavon à Gand, dans laquelle Laurent Delvaux crée une chaire de vérité suivant un contrat dont voici les termes, transcrits en français moderne :

"Au sujet de la construction et livrance d'une chaire de prédicateur, à poser dans la dite cathédrale Saint-Bavon conformément au petit modèle qui en a été présenté aux dits prévôts, doyen et chanoines, par eux agréé. Premièrement, que les trois plinthes seront de marbre noir, celle du milieu de deux pieds de hauteur et les autres à proportion. Deuxièmement, le groupe consistant en deux figures de six pieds et demi, mesure de Gand, et de trois enfants à proportion, sur une terrasse, lesquels devront être de marbre blanc d'Italie et statuaires, toute d'une pièce, excepté le bras gauche de la Vérité, l'aile droite du Temps, et d'autres pièces dont les jointures seront cachées selon l'art, dont le dit marbre ne pourra être veiné jusqu'à les défigurer, notamment sur le nu du corps, et le tronc d'arbre soutenant la cuve sera aussi du même marbre d'Italie..."

On a vu que le texte du contrat fait mention d'un "petit modèle" présenté au chapitre cathédrale de Gand. Il s'agit de ce que l'on appelle un bozzetto, exécuté en terre cuite. Par une chance extraordinnaire, le Musée archéologique de Nivelles a conservé quelques bozzetti de Laurent Delvaux, de sorte que l'on peut mesurer les différences ou la fidélité entre l'esquisse et l'oeuvre achevée. Dans la seconde chaire de vérité de Sainte-Gertrude de Nivelle, le schéma général du bozzetto en terre cuite ne pouvait évidemment faire ressortir le contraste esthétique provoqué par la juxtaposition du marbre blanc et du chêne dans le monument définitif. Le groupe de la rencontre du Christ et de la Samaritaine - qui se rapporte conjointement au baptême et à l'Eucharistie - est déjà fort élaboré, même dans ses détails, tandis que la décoration délicate de l'abat-son de la chaire est simplement suggéré.

Parmi les plus belles terres-cuites en réduction de Laurent Delvaux, il convient de mettre hors-pair les Anges, l'un au dauphin, l'autre à l'écu. Etienne Duyckaerts suppose qu'ils ont été modelés par l'artiste lors de son séjour à Rome, alors qu'il découvrait les bozzetti de Bernin. On ne se lasse pas d'admirer la grâce de ces figures, le rendu fluide et varié du drapé, la noblesse aimable de ces êtres, dans lesquels se conjuguent sans effort humanité et surnaturel.

A partir de 1733, à son retour d'Italie, Laurent Delvaux devient sculpteur de l'archiduchesse Marie-Elisabeth, Gouvernante générale des Pays-Bas. Plus tard, lorsque Charles de Lorraine fait construire son palais à Bruxelles, le sculpteur anime de bas-reliefs et de statues la belle façade de la résidence du Gouverneur général de 1767 à 1772. Etienne Duyckaerts y reconnaît les prémisses du néo-classicisme et conclut : "Traversant un siècle souvent qualifié de transition, il a distillé un air profond de renouveau dans son oeuvre où l'équilibre de la grâce a rarement été absent". En outre, il a formé plusieurs disciples, au nombre desquels se sont distingués les Nivellois Adrien-Joseph Anrion (1730-1773) et Philippe Lelièvre. Un troisième, le Namurois Pierre-François le Roy (1739-Bruxelles 1812) s'est fait connaître à Metz, grâce à un monumental Trophée, à Saint Avold, et jusqu'en Autriche, au château de Schoenbrunn, où il a donné, entre 1770 et 1776, le meilleur de son talent dans des bustes pleins d'élégance racée.

Guillaume Evrard, sculpteur des princes-évêques

Nous reprenons ici le titre de la monographie que Charles Seresia a consacrée à cet artiste (Liège, 1709-Tilleur, 1793). Effectivement, dès son retour de Rome où il a résidé de 1778 à 1744, Guillaume Evrard va se mettre pratiquement au service des princes-évêques de Liège. Parmi ceux-ci, Velbruck l'entourera d'une protection particulière en le nommant premier sculpteur des bâtiments et doyen des membres de l'Académie de peinture, sculpture et gravure qu'il avait créée en 1775. Le souffle épique et le caractère monumental marque la plupart de ses oeuvres, que ce soit au château de Warfusée, au Grand Séminaire et à Saint-Denis de Liège, ainsi qu'à l'église abbatiale de Saint-Hubert. Dans la chapelle castrale des comptes d'Oultremont, le mausolée du prince-évêque de cette famille (1772) associe les marbres blanc, noir, bleu-ardoise. De l'ombre surgit un robuste Perron liégeois porté par des lions. Dans l'attitude de la douleur, une femme symbolisant la Cité de Liège s'adosse à la colonne et découvre un médaillon à l'effigie du défunt, que présente un angelot. De cet ensemble extrêmement sobre se dégage une impression de force contenue et de gravité. A Saint-Denis, la lumière coule sur la surface du bois peint en blanc, creuse les ombres et, jouant avec la forme, confrère au Saint Jean Népomucène et au Saint Grégoire le Grand une pesanteur, une densité, qui leur donnent non pas tant l'apparence de la vie que le souffle d'une animation surnaturelle. A Saint-Hubert, Guillaume Evrard a installé dans la grandiose église abbatiale un peuple de géants. Les quatre Evangélistes, dans le déploiement de leurs draperies et l'allure épique de leurs gestes ont, en effet, une dimension prométhéenne.

Aussi n'est-il pas étonnant de découvrir, dans la production unanimement attribuée à Guillaume Evrard, le bonze d'un Promothée enchaîné que l'on peut considérer comme le chef-d'oeuvre de la sculpture liégeoise du XVIIIe siècle. Tout le drame de l'humanité, de ses révoltes, est puissament résumé dans cette composition qu'enveloppe la clarté des lumières.

L'art de la table : verre, argenterie, cémarique

On ne peut se maintenir en permanence à de pareilles hauteurs. La vie quotidienne, les relations sociales ont des exigences qui concernent le bien-être du corps et de l'esprit. Le XVIIIe siècle a pratiqué l'art de la table avec un raffinement particulier, et l'aristocratie de nos provinces a contribué, comme d'autres régions d'Europe, à l'aménagement d'un décor qui sollicite tous les sens et les comble par la singularité des détails et l'ordre subtil des conventions.

Or nous avons la chance d'avoir conservé de Paul-Joseph Delcloche (Namur ou Liège, 1716-Liège, 1759), peintre du prince-évêque Jean-Théodore de Bavière, le tableau d'un Repas à la Cour du prince en 1749. Cependant, dans la description qu'il en a faite, Joseph Philippe a eu soin de relever que ni le cadre baroque à colonnes, ni l'orfèvrerie, ni le mobilier n'indique nettement que nous soyons au Pays de Liège, mais plutôt dans une zone géographique située entre Meuse et Rhin, et il conclut : "Par ce tableau... ce sont en quelque sorte les mondanités du Pays sans frontière qui revient".

De toute manière, suivant le même auteur, au XVIIIe siècle, la verrerie de table liégeoise était fort appréciée. D'autres centres wallons aussi, d'ailleurs. Des verriers d'origine lorraine excercent avec succès leur industrie à Namur. Sébatien Zoude y travaille conjointement le verre ordinaire et une imitation de cristal d'Angleterre. Charleroi n'est pas en reste dans cette concurrence. A Liège, la verrerie dite d'Avroy y commence ses activités en 1709 sous la direction de Jacques Nizet. A Amblève, près d'Aywaille, un autre établissement se spécialise, à partir de 1727, dans la production des bouteilles d'eau de Spa. Enfin, la verrerie de Vonêche, près de Beauraing, qui connaîtra à partir du XIXe siècle un développement important, est fondée en 1778. Le Musée du Verre à Liège conserve une collection extrêmement variée et de grande qualité. On y rencontre des "arbres" présentoirs de fraises, de cerises, des corbeilles à fruits en vannerie de verre, des services à liqueur et, bien sûr, des verres à boire, des gobelets ainsi que des bouteilles à vin.

Sur la table, verres, cristaux et argenterie échangent leurs relfets avivés par la lumière des flambeaux et des torchères. Mais comment reconnaître, par exemple, le style liégeois dans l'orfèvrerie civile ? Les recherches conjointes d'Oscar de Schaetzen et de Pierre Colman ont permis d'établir une typologie décorative. Pendant le premier quart du XVIIIe siècle, "les lambrequins et les quadrillages gravés font fureur, plus tard, on insiste sur le tracé assoupli des contours, les formes sont "libérées", robustesse et raffinement s'accocient harmonieusement. Au jugement de nos deux auteurs, peu vant 1750, l'orfèvrerie liégeoise atteint un sommet. Jusqu'à 1785 environ, on assiste au développement du rococo : "De concert avec les ors des boiseries et avec les bouquets de fleurs naturelles fort mis en honneur, l'argenterie rehausse les réceptions mondaines et les dîners de chasse. Le caprice s'installe, amenant la dissymétrie, les contournements, les cambrures". Puis apparaît la mode des côtes torses, à laquelle succède le style antiquisant et, à l'extrême fin du siècle, le retour à la symétrie et aux lignes droites, calquées sur des modèles romains. Toute cette évoultion, on peut le suivre dans une variété extraordinaire d'objets; cafetières, sucriers à deux étages, chocolatières, salières, théières, coquetiers, couverts à dessert, saucières.

De son côté, Mireille Jottrand a étudié le domaine savoureux de la porcelaine de Tournai. Savoureux par son décor, formé de paysages, de bouquets de tulipes et de roses, d'oiseaux de fantaisie. C'est à partir du milieu du XVIIIe siècle que cette industrie d'art de la faïence et de la porcelaine prend son essor, grâce au dynamisme de François Peterinck. Vaiselle peinte en bleu voisine avec les décors polychromes et l'emploi de l'or. Une des réussites les plus spectaculaires de la manufacture tournaisienne est le service, commandé en 1787, par Philippe d'Orléans. Riche de plus de seize cents pièces, son décor s'inspire de l'Histoire naturelle des oiseaux de Buffon. Mais la porcelaine de Tournai n'a pas limité ses activités aux services de table, elle s'est également distinguée dans la sculpture. Témoins le buste du prince-évêque de Liège, Charles-Nicolas-Alexandre d'Oultremont, du Musée de Mariemont et le Groupe allégorique de l'Apothéose du même prince, offert par la ville de Dinant le 11 juin 1764. En même temps le sculpteur Jacques Richardot (1743-1806), qui avait montré son talent à Lunéville, Bruxelles et Namur, faisait le renom de la manufacture d'Andenne en y créant, en 1762, le groupe mouvementé de L'Enlèvement d'Hélène.

Le mobilier namurois et liégeois

L'art de la table est évidemment indissociable du décor mobilier qui lui sert d'espace et d'écrin. Dans nos provinces wallonnes, Namur et Liège se sont particulièrement distinguées dans l'ébénisterie de qualité et ces deux centres, aux styles distincts, ont modelé leur production sur les prestigieux exemples français.

A Namur

Eugène Némery, le meilleur connaisseur du mobilier namurois, a fort bien défini les différences entre ce dernier et le mobilier liégeois. La capitale de la Principauté dispose d'une clientèle plus nombreuse, ce qui entraîne diversité des catégories et prédilection pour le petit meuble de salon. La caractéristique quasi permanente de la création namuroise est son aspect monumental et sa fidélité aux lambris, hérité des boiseries d'église. C'est en 1714 que l'on constate l'apparition du style Louis XIV dans une grande armoire datée de cette année. La production postérieure s'inspire des recueils de dessins ornementaux venus de Paris et se prolonge jusqu'en 1745. A la même époque, à côté des grandes armoires et des buffets, apparaît l'horloge à gaine. Sa hauteur et sa forme sont conditionnées par la course quotidienne du poids en descente. Autre particularité du mobilier namurois, boiseries religieuses et mobilier civil sont peu différenciés pour la simple raison que ce sont les mêmes ateliers qui travaillent pour les communautés religieuses et la clientèle aristocratique et bourgeoise. Enfin, on notera le parallélisme entre ébénistes et sculpteurs sur pierre. Une horloge de l'Hôtel de Croix en offre un exemple frappant. Datée de 1759, elle est sculptée dans le marbre noir de Dinant, qui fait ressortir la beauté des motifs de rocaille dont elle est ornée.

Du point de vue de son évolution, le mobilier namurois suit celle du mobilier français, avec une préférence marquée pour le style Louis XIV. Il étend son influence sur le Brabant, le Hainaut, tandis que Liège rayonne sur le nord de l'Ardenne, la région d'Aix-la-Chapelle et le Limbourg actuel, qui faisait partie intégrante de la Principauté. La ligne de partage entre Liège et Namur, dans le sens est-ouest, se situe à Andenne.

A Liège

Eugène Nemery nous a servi de guide dans le Namurois, Joseph Philippe remplira le même savant office pour la Principauté de Liège. D'entrée de jeu, il constate que "la période la plus brillante du meuble liégeois de menuiserie culmine pendant tout le XVIIIe siècle. La production de Liège surclasse alors indiscutablement la création des provinces françaises". Entendez par Liège, la capitale de la Principauté, car, en dehors de la métropole, et dans les limites de son Etat, l'accent est nettement plus régional.

Une des caractéristiques de l'ébénisterie liégeoise est la prédilection qu'elle porte à l'emploi du chêne, à la différence de la création française qui cherche la diversité des matières et est souvent séduite par la polychromie, à laquelle recourt plus rarement les artistes liégeois.

Lorsque l'on continue la comparaison entre l'évolution respective des styles en France et à Liège, on s'aperçoit que cette dernière accueille en même temps le Louis XIV et le Louis XV. Ce qui explique un décalage chronologique qui prolonge le style Louis XIV jusqu'en 1740. Conjointement l'utilisation de la rocaille à partir du second quart du XVIIIe siècle va se poursuivre jusqu'en 1765 environ, sous l'appellation parfois contestée en raison de son caractère anachronique, de style "Regence liégeois". On peut en conclure que "à l'état pur, le style Louis XV est presque inexistant à Liège et en son pays, si l'on excepte des meubles et des décors exécutés pour le prince évêque Jean-Théodore de Bavière". On comprend mieux, dès lors, que la réception du style Louis XVI ne se fera à Liège, que tardivement vers 1780, sous Velbruck, grâce au talent de l'ébéniste Michel-Joseph Herman (Goé, 1766-Liège, 1819). Pour se rendre compte de la virtuoisité des ébénistes liégeois, du décor de la vie quotidienne dans une maison patricienne, du luxe de bon aloi de l'aristrocratie et de la haute bourgeoisie liégeoise, rien n'est plus suggestif qu'une visite au Musée d'Ansembourg. Cet hôtel, édifié de 1735 à 1740, offre un panorama particulièrement riche du confort liégeois, que ce soit dans les petits salons, le Salon rouge, celui des tapisseries, la salle à manger ornés de tableaux, de lustres, de cuirs de Cordoue, de manteaux de cheminée, de trumeaux en stuc, souvenirs d'un art de vivre qui s'inscrit dans une période heureuse, accueillante à des courants d'idées différents, mais travaillée déjà par des problèmes de société, auxquels est sensible un prince éclairé, l'évêque Charles-François de Velbruck.

Velbruck, mécène des arts

Du spectacle si fertile en péripétie que constitue l'histoire de la Principauté de Liège, la fin du XVIIIe siècle n'est pas le tableau le moins pittoresque et le moins mouvementé, puisqu'il est animé par la forte personnalité du prince de Velbruck. Son programme réformateur est-il fruit d'une méditation personnelle et originale, a-t-il été simplement entraîné dans le grand mouvement de libération de la pensée ? Problème qui continuera à passionner les spécialistes, à susciter entre eux d'érudites et fécondes contestations.

Né près de Dusseldorf en 1719, François-Charles, comte de Velbruck, s'installe définitivement à Liège en 1719 où il devient premier ministre du prince-évêque Jean-Théodore de Bavière. Dans un tableau qui restitue l'atmosphère de luxe et de divertissement qui régnait à cette cour, le jeune conseiller apparaît parmi les personnages de la suite, élégant, un peu sévère, le regard fixe et froid, le nez fin et busqué dont le profil tranche sur l'empâtement précoce du visage. Auprès de son maître, Velbruck mène habilement une politique pro- française qui lui vaut de recevoir des mains de Louis XV la commande de l'abbaye royale de Cheminon en Champagne. En 1772, appelé à monter sur le trône épiscopal, il entend appliquer dans le gouvernement de son pays les principes que les Encyclopédistes français ont déjà introduits dans la Principauté de Liège et qui visent au bien général du peuple "devenu la véritable, la seule religion de l'Etat".

L'Hôpital général, apparement destiné à donner du travail aux vagabonds et à secourir les malades, est institué dans les premières années du règne, un cours gratuit d'obstétrique est inauguré par le chirurgien Falize, le règlement de 1776 pour les écoles de charité constitue un des aspects du "Plan d'éducation pour la jeunesse du Pays de Liège", mais à l'étude sur les insistances du Prince, en 1775, il institue le dépôt légal des impressions liégeoises, un cours gratuit de mathématiques est organisé en 1781.

Plus significatives encore pour notre propos apparaissent la fondation de deux institutions culturelles : en 1779, celle de la Société libre d'Emulation qu'avait précédée, en 1754, celle d'une Académie des Beaux-Arts.

On sait quelle influence eurent, en France, sur le mouvement qui prépara la révolution de 1789, ces Sociétés d'Emulation qui, loin d'être des clubs à l'usage des oisifs, constituaient des sociétés de pensée qui étudiaient, pour y apporter les améliorations ou les remèdes adéquats, tous les problèmes pratiques de l'administration, du commerce, de l'industrie. A la société d'Emulation, pour mettre en relief l'importance qu'il attachait à sa mission, le prince accorda un droit de surveillance sur les organismes que nous venons d'énumérer. Aussi n'est-il pas étonnant que Joseph Dreppe ait représenté, dans un dessin au lavis d'encre de chine, "Les Arts, les Sciences et les Lettres, réunis au pied du Perron liégeois, accueillant le prince Velbruck, évêque de Liège qui ramène dans le pays la Paix et l'Abondance".

Pendant une dizaine d'années de 1779 à 1789, la Société d'Emulation fidèle aux objectifs que lui avait tracés son protecteur, ne se contenta pas de poser une qurantaine de questions d'actualité, d'organiser des concours poétiques, des séances de lecture, un hommage à Grétry en 1782. Elle se fit un devoir de monter chaque année une Exposition d'oeuvres d'art, dont on a conservé les catalogues sous le titre "Explication des morceaux de peinture, sculpture, gravure, architecture, mécanique, exposés par les artistes liégeois à la salle de la Société d'Emulation". On y retrouve les noms d'artistes bien connus, comme Léonard Defrance (Liège, 1735-1805), Joseph Dreppe qui sont, d'autre part chargés d'un enseignement à l'Académie des Beaux-Arts. Dans ces Expositions figurent également des oeuvres de Nicolas- Henri de Fassin (Liège, 1728-1811) à qui l'on doit une série de tableaux évoquant Les quatre points du jour. En choisissant un thème cher à la littérature et à la musique de son temps, que l'on pense à Joseph Haydn, l'artiste met en valeur sa science de la mise en page, la poésie du paysage et les variations d'ombre et de lumière à mesure que le soleil naît, culmine et est près de disparaître. Sa parfaite connaissance du paysage italien lui permet de tirer des effets contrastés entre la nature et les ruines antiques. A certains égards, il est le précurseur de Gilles Closson, dont nous aborderons l'oeuvre dans un prochain chapitre. Parmi les portraitistes de l'époque, il faut réserver un sort particulier au Dinantais Pierre-Joseph Lion (1729-1809). Son portrait de Jacques Heuskin, prieur des Croisiers de Liège (1756) est un authentique chef- d'oeuvre. Autorité, présence, acuité psychologique, maîtrise de la matière haussent ce pastelliste parmi les plus grands. Quant à Joseph Dreppe (Liège, 1737-1810), l'Exposition "Le Romantisme au Pays de Liège" (1955) l'a, en quelque sorte fait sortir de l'ombre et réhabilité, grâce à ses dessins et ses lavis, dont certains comme Les tombes profannées - trahissent, effectivement, un romantisme précoce. De l'Académie de peinture, de sculpture, de gravure fondée par Velbruck, il a été un des directeurs, après Léonard Defrance. Cependant, si l'on replace l'activité de Dreppe et de Defrance dans l'évolution générale de la peinture, la plus "moderne" des deux est incontestablement le second Léonard Defrance, peintre moderne. Moderne, bien sûr, mais il ne l'a pas été tout de suite. Dans son adolescence, pendant ses différents apprentissages, il se conforme à la tradition, il obéit aux règles et c'est bien naturel. Le voyage et le séjour romain sont également dans le droit fil de la formation d'un artiste. D'autre part, Léonard Defrance partage sa modernité avec les représentants de la peinture de genre, que ce soit en France ou en Hollande. Dans ce domaine, il emprunte incontestablement certains traits à Joseph Vernet, tandis qu'il actualise les scènes de cabarets, chères à Teniers et à Louis XIV. Et, à plus de soixante ans de distance, il a retenu les leçons du style de Watteau.

Sa modernité, il faut d'abord la chercher dans son rejet de la peinture d'histoire, telle qu'on la concevait à son époque, principalement axées sur les événements de l'Antiquité. Léonard Defrance dédaigne les exploits héroïques des Grecs et des Romains. Il choisit l'histoire immédiate. Il observe et il témoigne. Plusieurs fois, l'acte de suppression des couvents par Joseph II est mis par lui en tableau; il commémore aussi l'abolition de la servitude en France. C'est que Léonard Defrance veut vivre son temps, dans les grands événements comme dans les faits de curiosité de science - telle l'observation de la Comète. Dans ses Mémoires, il s'exprime à ce sujet d'une manière explicite : "Tout ce que nous voyons, tout ce qui nous entoure, tout ce qui arrive sont nos maîtres".

Les Visites sont une des caractèristiques les plus frappantes de l'art de Léonard Defrance. Visite à la manufacture de tabac, visite d'une fonderie, visite à la forge, intérieur d'un maréchal-ferrant, visite à la fenderie. Intérieur d'une clouterie. Intérieur d'une fabrique de canons de fusils, l'extraction des marbres d'une carrière, intérieur d'imprimerie ; visiblement, l'artiste est en prise directe avec l'actualité qu'il traite en exploitant toutes les ressources du clair-obscur, "toutes les variétés que donne la lumière et les richesses qu'elle produit", comme il l'écrit lui même, en ajoutant ; "Quelle variété de beaux reflets, quelle harmonie, quel moelleux, quelle vapeur de feu ne resultent-ils pas de ces éclatants foyers de lumière ?" Mais, au-delà de ces effets variés, l'artiste cherche l'homme, dans ses différences, ses contrastes, sa réalité multiple. Il est à la fois un oeil et une main. Si l'on a pu dire de lui, avec raison, qu'il était un peintre maudit, par sa collaboration à la démolition de la cathédrale Saint-Lambert, il est surtout un artiste qui a délivré son message social avec une probité technique qui emporte notre admiration. Avec lui, se clôt un monde révolu et pouvaient s'ouvrir des perspectives nouvelles. Mais celles-ci resteront longtemps inexploitées. Visiblement, Léonard Defrance est un "cas" dans la peinture en Wallonie, comme le sera, dans des circonstances tout à fait différentes, Antoine Wiertz au siècle suivant.

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(Jacques Stiennon, Les arts plastiques, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.)


 

 

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