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Loisirs - Arts - Lettres

Les arts plastiques - (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie - Quatrième partie -
 Cinquième partie - Sixième partie - Septième partie

Jacques Stiennon
Professeur émérite à l'Université de Liège

I. Naissance des formes et des symboles

Le biface : outil et oeuvre d'art

Avez-vous déjà vu un biface ? Lorsque vous le prenez en main, vous éprouvez une sensation singulière. Ce silex taillé sur les deux faces - d'où son nom - est à la fois tiède et froid au toucher, lisse et rugueux, formé en creux et d'arêtes dus au débitage patient de la pierre. L'aspect fauve, grisâtre, ocreux du silex, selon les gisements, réagit à la lumière qui joue sur les aspérités dans un jeu de reflets changeants. Le fait que vous tenez un objet remontant au paléolithique inférieur - c'est-à-dire à quelques milliers d'années - et déjà source d'une émotion bien légitime, qui se double d'une jouissance esthétique née de la beauté de la forme, du traitement décoratif de la matière. Hélène Danthine remarque à ce propos : "Parmi ces bifaces, certains documents [...], par la qualité de leur taille, la netteté, l'équilibre de leur forme, témoignent d'une recherche qui dépasse les simples préoccupations matérielles". Mais, avant d'être une oeuvre d'art, ce biface est surtout un outil. Passez votre doigt sur l'extrémité supérieure et vous sentirez le tranchant de cette lame, qui servait à couper les chairs et les peaux. Parmi les plus intéressants spécimens découverts dans le sol de la Wallonie, ceux de la carrière Solvay à Spiennes en Hainaut et de la grotte de l'Hermitage à Huccorgne, dans la vallée de la Méhaigne associent ces caractères fonctionnels et esthétiques.

L'apparition de la figure humaine

Le choc est encore plus fort lorsque, dans ce que les préhistoriens appellent des "artefacs", - des objets travaillés par la main de l'homme -, apparaît un essai de figuration humaine. Les spécialistes situent cette émergence, pour la Wallonie, dans la période du paléolithique supérieur, vers 35.000 ans avant notre ère. Une statuette sculptée dans l'ivoire d'une dent de mammouth a été retrouvée en province de Namur, au Trou Magritte, dans la vallée de la Lesse. Elle se rattache, sans en avoir les traits sexuels accusés, aux images féminines que l'on trouve disséminées de la France à la Sibérie. Malgré les dimensions réduites (4 centimètres), elle allonge un torse sur lequel s'attache une tête ronde tandis que les hanches forment l'assise d'un ensemble auquel on donne une signification magique - idole ou amulette. Plus directement utilitaire est évidemment les poinçon en os à tête humaine de la grotte de Saint-Verlaine, dans l'entité de Tohogne, en province de Luxembourg. Les cavités des orbites profondément creusées donnent au regard de ce visage un caractère expressif indéniable. A côté de ces représentations humaines, une vingtaine d'objets attestent du savoir-faire des artistes paléolithiques dans le traitement des figures animales.

La décoration rubanée

La révolution du néolithique est particulièrement visible dans un petit village de la Hesbaye liégeoise, Omal, qui a donné son nom à la civilisation omalienne, caractérisée par l'industrie de la poterie ornementée, qui se rattache à la grande civilisation danubienne. Datable du Ve millénaire avant notre ère, cette céramique rubanée est décorée de lignes incisées dans la pâte encore fraîche, au moyen d'un peigne en os, la gradine. La décoration des vases consiste en spirales, en chevrons disposés en rubans piqués de pointillés, agrémentés de motifs hachurés au quadrillés.

 

Dolmens et menhirs

Dans la phase la plus récente du néolithique (3000-2000 ans avant J-C) le paysage de notre Wallonie se peuple de mégalithes - dolmens et menhirs - témoignages à la fois de rites religieux et de la volonté de nos ancêtres d'inscrire dans l'espace des éléments monumentaux, qui participent déjà de l'architecture. On les rattache à la civilisation dite de "Seine-Oise- Marne". En province de Luxembourg, les deux dolmens de Wéris sont manifestement des tombeaux à l'intérieur desquels une ouverture représente ce que les préhistoriens ont appelé la "fenêtre d'âme" qui permettait le passage de l'ombre du défunt d'une chambre à l'autre. Quant aux menhirs, que l'on relie parfois aux manifestations d'un culte solaire, ils sont disséminés, dans le territoire des provinces de Namur, Hainaut et Luxembourg.

Parures féminines et masculines

Avec l'âge du bronze, prolifèrent la confection et le port des bijoux : les colliers d'or d'Arlon et de Fauvillers, le collier de disques d'or au décor géométrique de la grotte de Han sont parmi les plus raffinés. Au cours de l'âge du fer, les chars à deux roues retrouvés dans les tombelles des environs de Neufchâteau, témoignent de l'ouverture progressive de l'Ardenne et de l'Entre-Sambre-et-Meuse, reliées à la Champagne et à la Sarre qui, elles se trouvent au coeur de la civilisation de la Tène. Les objets de parure en bronze, assortis d'éléments d'émaillerie champlevée sont nettement celtiques, comme par exemple, le bracelet d'Aix-sur- Cloix, dans la province de Luxembourg, qui comporte la stylisation d'un visage humain qui se rattache directement au culte de la bête. L'oeuvre d'art la plus représentative de la culture celtique en Wallonie est, sans conteste, le torque en or de Frasne-lez-Buissenal, en Hainaut. Conservé aujourd'hui au Metropolitan Museum de New York, ce collier datable du IIe siècle avant J-C, semble être l'insigne d'un guerrier de haut rang. Il est représentatif des torques dits "à tampon" aux extrémités renflées; une tête de bélier jaillit de volutes symétriques à arêtes vives.

II. La Pax Romana

La conquête romaine va offrir au pays des possibilités nouvelles grâce à l'établissement d'un cadastre, la création d'un réseau serré de communications, la fondation de centres administratifs, l'intensification des échanges commerciaux, l'implantation de grandes exploitations agricoles que sont les villae. Tous ces facteurs facilitent une création artistique très diversifiée.

Un des sites romains les plus impressionnants est, sans contredit, celui de Buzenol- Montauban, en province de Luxembourg, transformé en musée et parc archéologique, sur une colline boisée où l'on découvre d'imposants bas-reliefs des IIe et IIIe siècles réemployés dans une fortification du Bas-Empire. Ils évoquent des scènes de la vie quotidienne : idéalisation de la survie des défunts dans l'au-delà, promenade en charrette et, surtout, la fameuse moissonneuse des Trévires, sculptée dans le calcaire de Longwy.

A côté des villae, dont les plus intéressantes sont celles de Haccourt, près de Visé, de la place Saint-Lambert à Liège, de Basse-Wavre, des vici, petites agglomérations se sont groupées le long des chaussées ou des cours d'eau navigables. Ces différents lieux de peuplement et de culte ont livré un matériel archéologique d'une richesse et d'un intérêt considérables, à Liberchies, Tournai, Amay, Braives, Clavier-Vervoz, Blicquy, pour ne citer que celles-là.

Parmi les trouvailles les plus importantes, du point de vue artistique, figurent en bonne place, celles d'un lieu de culte, le mithraeum d'Angleur. Le bronze de La Danseuse du IIe siècle est un petit chef-d'oeuvre de souplesse et de grâce. Le masque en céramique de Bonsin, dans la province de Namur, frappe par son expressivité. La palme revient cependant aux bas-reliefs en pierre, allant du Iier au IIIe siècles, conservés au Musée luxembourgeois d'Arlon. La diversité de leurs thèmes en fait un véritable miroir de la vie quotidienne en pays wallon, au moment de la Pax romana. Le maître d'école, Deux voyageurs, Le satyre mangeant une grappe deraisins, le monument funéraire de Maximinus, Le marchand de drap, Un tisserand au travail, Le paiement du fermage : comme l'ont écrit le regretté André Marchal et Louis Lefebvre, "toutes ces oeuvres évoquent d'une manière étonnante les multiples aspects de la vie quotidienne", complétés par le délicat service à verres de douze pièces en trois formats du Musée Curtius, datable du Ier ou IIe siècle et provenant de Vervoz, en Condroz.

III. Art mérovingien et art carolingien

Dans nos régions, il n'y a pas eu de rupture brutale entre la civilisation du Bas-Empire et la civilisation mérovingienne. Les fouilles entreprises dans le coeur historique de Liège l'ont bien montré, en établissant que très tôt, sur les vestiges de la villa romaine de la place Saint- Lambert s'était greffé le noyau ecclésiastique d'un vicus mérovingien.

Civilisation, le terme convient parfaitement à cette haute époque du Moyen Age : elle a pratiqué un art et un artisanat qui comptent parmi les plus prestigieux et les plus intéressants de l'histoire médiévale. Armes, orfévrerie, bijoux ont été, en effet, traités ou forgés dans des matières nobles. Les territoires qui forment la Wallonie actuelle ont joué un rôle considérable dans leur création. Les techniques de décoration des armes ont été particulièrement raffinées et des ateliers spécialisés en damasquinure ont pu être localisés et identifiés à Namêche, près de Namur, et à Torgny, dans la partie méridionale de la Gaume. Parmi les ornements et les parures de costumes, la fibule arquée, les fibules à tête d'oiseau, celles en forme de bouclier sont les plus souvent présentes dans le mobilier funéraire. Certaines d'entre elles étaient serties de rubis, comme à Pry, près de Walcourt, dans le Namurois. Parfois, la richesse, le raffinement des parures, des bijoux, des bracelets, des broches, sont tels que l'on peut supposer que le défunt appartenait à l'aristocratie locale : c'est le cas du personnage féminin de la première moitié du VIe siècle dont la tombe a été mise à jour lors de la restauration de l'église Saint-Piat à Tournai. C'est d'ailleurs dans cette dernère ville qu'a été découverte la célèbre tombe de Childéric. Les éléments précieux qui la composaient sont cependant d'origine étrangère et proviennent, semble-t-il, d'ateliers situés en Europe orientale.

D'autre part, la christianisation de nos provinces va provoquer l'application de techniques de l'orfévrerie et de la sculpture sur pierre à des objets ou à des monuments du culte. En outre, les motifs décoratifs liés à des croyances païennes vont être utilisées dans leur ornementation. Pour la vénération des reliques saintes qui commence à se propager, des ateliers fabriquent châsses et reliquaires. Ces réceptacles sont quelquefois minuscules mais témoignent d'une habileté certaine. Témoin la petite châsse d'Andenne, du Musée diocésain de Namur, que l'on peut considérer comme la plus ancienne châsse de Wallonie. D'une hauteur de 4,6 centimètres, sur une longueur de 8 centimètres, et datable du milieu du VIIIe siècle, elle est constituée de lamelles de cuivre repoussé et doré recouvrant une âme de bois. Elle provient peut-être d'un atelier de la Meuse moyenne influencé, à la fois, dans ses entrelacs, par les manuscrits insulaires et, dans son ornementation zoophorme, par le style continental mérovingien.

Dans le domaine de la sculpture sur pierre, on relèvera l'ornementation raffinée de cinq claveaux du VIIe siècle, vestiges d'un arc triomphal provenant de l'ancienne église paroissiale de Glons, et décorés de rinceaux, d'entrelacs, de motifs floraux. Quant à la thématique des piliers de la chapelle de Sainte-Agathe de Hubinne, près de Hamoir, dans le Namurois, elle s'inspire de la grammaire décorative et de l'iconographie de Ravenne, de Rome et de l'Orient méditerranéen, avec ses serpents enroulés autour d'un palmier et la croix pattée à laquelle sont suspendus l'alpha et l'oméga.

Cependant, l'oeuvre d'art la plus spectaculaire du Haut Moyen Age conservée en Belgique est, sans contredit, le sarcophage en pierre de "sancta Chrodoara", exposé aujourd'hui à Amay et découvert en 1977 sous le choeur de la collégiale de cette petite ville mosane. Il s'agit, en effet, du seul sarcophage à figure humaine de l'époque mérovingienne que l'on connaisse en Europe. Il comporte deux inscriptions identifiant la défunte. C'est Chrodoara, veuve du duc Bodegisel, fils de Mummolinus de Soissons, et tante d'Adagisel-Grimo, clerc de l'église de Verdun et membre d'une famille noble franque du sud de Trève, les Chrodoin. Ce dernier, dans son testament daté de 634, mentionne que Chrodoara a reçu sa sépulture dans l'église d'Amay et l'une des deux inscriptions précise que la défunte a fait d'importantes donations à la communauté dont elle était vraisemblablement l'abbesse après le décès de son mari. Sur le couvercle du sarcophage, Chrodoara - qui jouit encore d'un culte local sous le nom de Sainte-Ode - est représentée dans une longue robe et tient dans la main un bâton pastoral, insigne de la dignité. Le reste du couvercle et les côtés sont ornés d'entrelacs de type insulaire et de rinceaux du style de l'hypogée des Dunes à Poitiers, datant du VIIe siècle. Exécuté au cours de ce siècle ou dans la première moitié du siècle suivant, le sarcophage de Chrodoara est chargé d'histoire et lourd de signification pour l'étude de l'évolution des clans d'Austrasie à l'époque mérovingienne.

De l'époque carolingienne, il est resté peu de traces en Wallonie, alors que la dynastie des Pinippides avait, en quelque sorte, fait du bassin de la Meuse son lieu d'élection. Cependant certains vestiges de l'architecture carolingienne sont encore perceptibles, noyés dans la masse des rénovations succesives de certaines églises. C'est le cas de la collégiale Sainte-Gertrude de Nivelles, fondée sous la forme d'un monastère de femmes par la veuve de Pépin le Vieux et aujourd'hui magnifiquement restaurée. Dans l'édifice subsistant, on peut déceler les traces d'un massif occidental dont la construction remonterait à la première moitié du IXe siècle. On se trouverait, suivant Raymond Lemaire, en présence d'une combinaison de plan et de structures associant les éléments comparables à la cathédrale carolingienne de Cologne, des églises de Saint-Gall, de Fulda et de l'ancienne abbatiale de Saint-Riquier.

En Hainaut, l'église Saint-Ursmer de Lobbes, consacrée en 823, a été remaniée à l'époque romane, mais son plan et son aménagement carolingiens sont encore décelables. L'avant-corps occidental, surmonté d'une tour massive, était flanqué de deux tours plus minces.

Dans le domaine du livre, un manuscrit, écrit après 814, du Carmen paschale, conservé au Musée Plantin Moretus d'Anvers, serait, selon Bernard Bischoff, le témoignage de l'activité de scribes et d'illustrateurs travaillant dans la cathédrale Saint-Lambert de Liège, sous l'influence d'un modèle de Northumbrie. A cet égard, le problème d'une activité régionale dans la décoration du livre à l'époque carolingienne reste ouvert. André Boutemy a supposé l'existence d'un centre d'exécution de livres liturgiques à l'abbaye ardennaise de Stavelot. Ce milieu artistique, quel que soit l'intérêt de ses productions ne peut, de toute manière, rivaliser avec les grandes écoles de Metz et de Reims.

IV. Un art mosan

En revanche, à partir de la seconde moitié du Xe siècle et jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, l'art mosan va s'imposer comme une des provinces les plus remarquables de l'art ottonien et de l'art roman.

Le terme "mosan" a été employé pour la première fois en 1858 par Adolphe Borgnet, futur recteur de l'Université de Liège, pour désigner les riverains de la Meuse intéressés par le passé culturel et les beautés naturelles d'une région correspondant au cours moyen du fleuve et à son bassin, de Verdun à Maastricht, à travers la Wallonie actuelle et comprenant son principal affluent, la Sambre.

En 1882, un archéologue français, Charles de Linas, frappé par l'homogénéité des oeuvres rassemblées à l'Exposition d'art ancien de Liège en 1881, fit du substantif une épithéte, pour l'appliquer à l'art qui a fleuri dans une région arrosée par la Meuse. L'appellation a donc une résonance affective et s'applique à toutes les manifestations de la sensibilité, par opposition au terme "meusien", qui concerne uniquement la géographie et la géologie.

Si l'on veut caractériser l'art mosan, on rappellera que c'est un art "impérial". Le diocèse de Liège fait partie de l'Empire, dont il occupe le nord-ouest et il n'aurait pas connu sa remarquable vitalité s'il n'avait été soutenu et sous-tendu, au moins pendant deux siècles, par un système politique : celui de l'Eglise impériale, en vertu duquel les évêques des diocèses de l'Empire sont les représentants directs du souverain germanique. Cependant, malgré son appartenance à l'Empire germanique et malgré qu'Aix-la-Chapelle, capitale de l'Empire, fût du ressort de l'évêque de Liège, le pays mosan et Liège, sa capitale, constituent un coin de romanité enfoncé en territoire germanique. L'art mosan a ses principaux centres de production dans ce qui est aujourd'hui la Wallonie.

Appartenance à l'Empire, attachement séculaire à la romanité, mais aussi et surtout, présence de la Meuse, véritable épine dorsale d'un diocèse et d'une principauté, axe à la fois économique et culturel, autour duquel se sont groupés les centres commerciaux et les établissements ecclésiastiques, dont le mécénat facilite l'épanouissement de l'art.

Car, et c'est aussi une autre caractéristique de l'art mosan, il est aussi un art d'Eglise, à laquelle il fournit les objets du culte, les châsses, les reliquaires, les autels portatifs, les bibles, les évangéliaires, les calices et les antependia. En dehors des établissements ecclésiastiques de la capitale liégeoise, les abbayes de Stavelot-Malmedy, de Saint-Hubert, de Lobbes, de Waulsort, d'Hastière, de Gembloux, de Nivelles, de Floreffe sont les principales clientes des ateliers d'orfèvres, de miniaturistes et d'ivoireries. Un de ceux-ci a exécuté le document le plus ancien de l'art mosan, vers l'an mil. L'ivoire qui occupe le centre de la couverture supérieure de l'Evangéliaire de Notger montre cet évêque agenouillé aux pieds du Christ siégeant en majesté et s'apprêtant à déposer le manuscrit sur l'autel d'un sanctuaire. Dans l'évolution stylistique de l'art ottoman, se situe le beau portrait de Saint Mathieu, décorant l'Evangéliaire de l'abbaye bénédictine de Saint-Laurent de Liège. Le caractère fortement schématisé de l'anatomie et de la draperie, l'obéissance à la loi de frontalité, la monumentalité de cette effigie, trouvent leur écho dans le Christ en majesté de la Bible de Stavelot (c. 10), qui se présente à nous comme l'image réduite d'une peinture murale, analogue à celles qui devaient décorer les sanctuaires mosans.

De ces églises, certains exemples typiques nous ont été heureusement conservés, à travers des transformations inévitables : le plan central de l'ancienne collégiale de Saint-Jean l'Evangéliste de Liège (vers 980-997), le massif occidental de l'abbaye liégeoise de Saint- Jacques et sa tour octogonale (seconde moitié du XIIe siècle), l'ancienne collégiale Sainte- Gertrude de Nivelles (XIe et XIIe siècles), Saint-Barthélémy de Liège (XIe et XIIe siècles), l'église paroissiale Saint-Pierre de Xhignesse-Hamoir et sa galerie ajourée (fin du XIe siècle), le splendide ensemble de Saint-Hadelin de Celles et son avant-corps occidental (XIe siècle), et, parmi beaucoup d'autres encore, la façade à deux tours de l'ancienne collégiale Saint-Georges et Saint-Ode d'Amay (XIe siècle).

La fondation de ces sanctuaires donne lieu à l'exécution de pierres de dédicace, dont certaines sont des chefs-d'oeuvre de caractère artisanal, comme celle de l'église de Waha, près de Marche, en 1050. Transposée sur le support souple du parchemin, cette calligraphie est, elle aussi, oeuvre d'art aux caractéristiques ornementales spécifiques.

Les établissements ecclésiastiques ne sont pas uniquement des centres d'activités artistiques ou économiques. Les plus importants d'entre eux, à Lobbes, Saint-Hubert, Stavelot, Liège, sont le siège d'écoles, dont l'enseignement va se propager et se diffuser dans toute l'Europe du XIe siècle et faire de Liège une des capitales intellectuelles de l'Occident médiéval. Aussi n'est-il pas étonnant que, dans cette atmosphère de bouillonnement érudit, où les mathématiques tenaient une place non négligeable, un certain Hézelon, naguère chanoine de Liège et devenu moine à Cluny, s'affirme en 1088 comme l'architecte inspiré de la grande abbaye bourguignonne.

Toute cette émulation intellectuelle et artistique prépare ce qui, au début du XIIe siècle, peut être considéré comme le chef-d'oeuvre le plus représentatif de l'art mosan, l'un des sommets de l'art roman : les célèbres Fonts baptismaux de Notre-Dame, conservés aujourd'hui à Saint-Barthélémy de Liège (1107-1118), et dont les thèmes iconographiques sont empruntés, entre autres, à la Bible, à Bède le Vénérable et à Rupert de Deutz. On ne se lasse pas d'y admirer l'extraordinaire richesse de son programme, l'assimilation des influences antiques et byzantines, la beauté de l'épigraphie, le rythme aéré des compositions, la perfection et la souplesse des formes, la virtuosité technique qui a présidé à l'exécution de l'oeuvre, l'harmonie de ses proportions, le classicisme de son style.

Peu avant le milieu du XIIe siècle, l'atelier de Godefroid de Huy se distingue à la fois dans la création de châsses et l'émaillerie champlevée. Il utilise dans ses thèmes iconographiques, ce qui va être un des signes de reconnaissance et d'identification des artistes mosans : le jeu subtile et suggestif des concordances entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Les miniatures de la Bible de Floreffe en offrent un magnifique exemple.

En même temps, la sensibilité mosane se donne libre cours, entre 1149 et 1158, dans la création d'une effigie sculptée dans la pierre qui traite un sujet exceptionnel dans l'art du XIIe siècle, celui de la Vierge allaitant, inspiré par les écrits d'un théologien liégeois Rupert de Saint-Laurent, plus tard abbé de Deutz près de Cologne.

Avec Nicolas de Verdun, orfèvre actif entre 1181 et 1205, qui a travaillé près de Vienne, à Cologne et à Tournai, l'on passe de l'âge roman au style gothique, grâce à l'ambon qu'il a émaillé avec raffinement vers 1181 pour l'abbaye de Klosterneuburg et surtout grâce à la châsse de Notre-Dame de Tournai, dont les figurines sont traités avec un accent qui annonce les conquêtes de la grande statuaire du XVe siècle.

Quant à Hugo d'Oignies, le dernier des grands orfèvres mosans, il représente brillamment l'école de l'Entre-Sambre-et-Meuse dans la première moitié du XIIIe siècle. Dans son oeuvre, la figure humaine s'efface devant la virtuosité technique avec laquelle l'artiste traite le décor à filigranes, le sertissage délicat des cabochons. Au revers de ses phylactères, tel Christ en majesté adopte de plus en plus le style de la statuaire des grandes cathédrales françaises.

V. Vers la France : une cathédrale, des sculpteurs tournaisiens et mosans

Dans le paysage de la Wallonie, que l'on aille de l'est à l'ouest, du nord au sud, la cathédrale de Tournai impose la monumentalité de ses volumes avec une maîtrise singulière. De l'avis d'un de ses meilleurs connaisseurs, L-F. Genicot, elle se range sans nul doute parmi les belles réalisations de la grande architecture de l'Occident médiéval. La chronologie de sa construction n'est pas facile à établir avec précision. Signalons simplement, avec l'auteur que l'on vient de citer, que "vers l'ouest, les nefs sont purement romanes; au milieu, le transept est de l'âge de transition, sommé des cheoncq clotiers dont les Tournaisiens ne sont pas peu fiers; à l'est, le long sanctuaire est nettement gothique". Consacrée, en présence de l'archevêque de Reims, en 1171, reconsacrée en 1213-1214, elle ne sera achevée qu'après le milieu du XIIIe siècle. De cette construction étalée dans le temps, les nefs du milieu du XIIe siècle sont incontestablement le chef-d'oeuvre. Certaines de leurs particularités, comme la superposition de quatre registres d'arcades et de fenêtres est considérée comme une création originale. A ce sujet, L-F. Génicot ne craint pas d'affirmer qu'elle constitue "un réel point de départ" qui inspirera, dans la seconde moitié du XIIe siècle, les architectes des grandes cathédrales gothiques de France. De ce point de vue, le mouvement ne se propage pas de l'Ile-de-France mais de l'Escaut vers le royaume. Et Simon Brigode de conclure : "La cathédrale de Tournai restera, dans le groupe de l'Escaut, un monument unique par le côté novateur de sa structure, par la qualité de ses proportions et la richesse de son décor architectonique et sculpté".

Au jugement des spécialistes, on ajoutera les réflexions si justes et si sensibles de Louis Pirard sur Tournai : "la ville est à la Wallonie, ce que Bruges est à la Flandre : son grand sanctuaire de beauté. C'est là qu'il faut chercher les premières grandes créations d'art, aux XIIIe et XIVe siècles, dans l'oeuvre de ces ymaigiers, de ces tailleurs de pierre qui sculptent tant de mausolées qu'on voit encore aujourd'hui, dans les églises de la ville et jusque dans Pampelune".

Effectivement, pendant les XIIIe et XIVe siècles, les ateliers de sculpteurs tournaisiens vont exécuter des commandes royales et princières, pour Louis IX en 1255, pour le duc de Brabant Henri Ier (+1235).

Parfois l'art tournaisien et l'art liégeois associent leurs efforts. C'est ainsi que Mahaut d'Artois, qui avait commandé à Jean Pépin de Huy peu avant 1320 la tombe du jeune Robert d'Artois, s'adresse au sculpteur tournaisien Guillaume Alou pour collaborer à cette oeuvre.

Ce Jean Pépin de Huy est l'auteur d'une Vierge debout à l'enfant, en marbre blanc, que la comtesse Mahaut d'Artois a donné à la chartreuse de Gosnay en 1329. Robert Didier, un de nos meilleurs spécialistes de la sculpture médiévale, ajoute : "Pour l'exécution de cette Vierge, le sculpteur qui, depuis de longues années déjà, travaillait en France et spécialement à Paris, s'est directement inspiré d'un type de vogue dans le milieu parisien, comme le témoignent plusieurs ivoires". Le même auteur a révélé l'activité d'un "Maître des Madones en marbre mosanes" travaillant à Liège vers 1330-1350.

Quant à Jean de la Croix, dit Jean de Liège, il est le sculpteur prestigieux des Gisants du roi Charles IV le Bel (+ 1327) et de la reine Jeanne d'Evreux (+ 1370), exécutés avant 1371-1372 et conservés au Musée du Louvre. Robert Didier estime que les réminiscences mosanes n'y sont guère perceptibles. L'artiste évolue dans le milieu parisien, mais il semble qu'il n'y ait pas exercé une influence déterminante.

Ce qu'il faut retenir, c'est que, tant en pays mosan que dans le bassin de l'Escaut, et spécialement à Tournai, une production artistique de haut niveau s'ouvre vers la France et le marché international. Robert Campin et Roger de la Pasture vont non seulement confirmer mais porter à un degré exceptionel le savoir-faire de nos artistes.

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(Jacques Stiennon, Les arts plastiques, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.)


 

 

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