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Les lettres latines et françaises - (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie - Quatrième partie - Cinquième partie

Jacques Stiennon
Professeur émérite à l'Université de Liège

2. Un bouquet de poètes

Il est temps de quitter la prose pour la poésie. Dans ce domaine, la Wallonie est tellement foisonnante qu'il faut bien faire un choix et tenir compte également du fait que de nombreux poètes se sont manifestés aussi comme romanciers.

Ouvrons cet éventail de poètes comme l'on ouvre dans la main les meilleures cartes d'un jeu et l'on s'aperçoit bien vite qu'il évente de ses effluves parfumés tout le terroir de Wallonie. A Tournai Géo Libbrecht et Pierre Nothomb, à Mons Charles Bertin, à Gilly Paul Champagne, à Thuin Roger Foulon, à Chimay Maurice Gauchez, à Couvin René Lyr, à Arlon Camille Biver et Anne-Marie Kegels, à Falmignoul Roger Bodart, à Braine-l'Alleud Armand Bernier, à Ohain Edmond Vandercammen, à Amay Francis Tessa, à Vaux-sous-Chèvremenont Berthe Bolsée et Marcel Thiry, à Liège Elise Champagne, Paul Dresse, Georges Linze, Marc Baronheid, à Angleur Arthur Haulot, à Chênée Robert Vivier, à Châtelet Auguste Marin, à Ransart André Miguel.

Il est temps d'abattre nos deux premières cartes-maîtresses et déployer encore davantage l'éventail, avec Thomas Braun et Maurice Carême.

Thomas Braun

Ce Bruxellois, né en 1876, est un patriarche dans tous les sens du terme, en famille comme en poésie. Chêne puissant de la forêt d'Ardenne, il a pourtant choisi la voie des poètes simples, comme il les appelle lui-même, et de lier amitié avec Francis Jammes, dont il partage les goûts, l'inspiration, et, aussi, les convictions chrétiennes. Le Livre des Bénédictions participe de la liturgie du poète d'Orthez, de Paul Claudel, et de François d'Assise. Bière, fromages, herbes, semences, oiseaux, pain, anneau nuptial et maison - même la mer - reçoivent leur part d'eau bénite. Sauf le vin évidemment, que ce soit le Moselle, le Margaux ou le vin blanc de Huy ! Mais le bon poète s'empresse d'ajouter une bénédiction dépréciatoire, un exorcisme "contre les souris, les taupes, les fouines, les vers et d'autres animaux nuisibles". On reconnaît là l'influence directe de Francis Jammes, dans une inspiration plus exubérante, puisque les presses d'imprimerie sont comprises dans cette bénédiction, avec une verve drue, un entrain que l'on a plaisir à savourer.

A travers toute l'oeuvre de Thomas Braun, l'Ardenne est sans cesse présente. Fumée d'Ardenne, au vent rapide éparse, odeur d'une terre rousse et schisteuse, de Transinne aux rives de la Lesse, de Saint-Hubert à la Semois, brouillard blanc qui s'élève du fond de la rivière, myrtillières de l'Ourthe et de Freyr, c'est tout un art poétique qui se déploie dans la calme simplicité des heures, des jours transparents, au milieu des trèfles et des blés.

Maurice Carême

Tout sépare physiquement Thomas Braun de Maurice Carême (Wavre 1899-1978). Le premier est un colosse, le fusil en bandoulière, la gibecière au côté, le second est d'aspect menu, presque fragile, et ce qu'il porte d'habitude, c'est le livre ou le cartable du maître d'école. Cependant, au plan de l'oeuvre littéraire, tous deux appartiennent bien à la catégorie des "poètes simples". On a suffisamment écrit que Maurice Carême était le poète du bonheur. Il a voulu surtout - que l'expression est belle - être un poète qui écrit avec de la lumière. Maurice Carême voit le monde baigné de la même clarté douce, et, quand il arrive que le ciel soit gris, Dieu lui apparaît sur le seuil de sa porte, la barbe mêlée de fils de soleil, de fils d'argent, et dans ses yeux il voit "passer des abeilles et des ramiers".

Sa production a été considérable et, à partir de 1925, recueils de poèmes se sont succédés à une cadence rapide, le plus souvent couronnés d'un prix, sans oublier les romans, les contes, les anthologies. Dans cette profusion d'images, de thèmes, de pensées, le monde reste immuablement simple : une table, deux ou trois chaises, un pain, une armoire, un bol, un couteau, un crucifix noir. Voilà qui suffit au poète pour posséder tout l'univers. Cet univers, il le voit rond comme une pomme. C'est la pomme du Paradis terrestre, "la pomme couleur du temps qui rend les gens intelligents", la pomme que l'on croque au Caire ou à Rome. D'ailleurs, comment évoquer l'amour sans penser que la terre est ronde ? Comme une pomme, bien sûr. Mais pourquoi parcourir le vaste monde, alors que le doux Brabant wallon vous accueille et vous berce comme une mère tendrement aimée ? Il suffit d'une "petite maison blanche aux volets verts, aux larges tuiles", un homme qui se penche au-dessus d'une haie, le vol de pigeons au-dessus des moissons dorées, un bois de pins bleus, une allée de peupliers marchant vers la lumière. Et l'on aura sans peine reconstitué le jardin où, sans se lasser, Maurice Carême aura soigné avec amour ses fleurs de poésie, comme pour nous donner confiance avec un sourire, et un clin d'oeil complice.

Renée Brock, Elise Champagne : deux visions antithétiques

Poétesse ménagère, et comme par accident. Ainsi se définissait Renée Brock : (Liège 1912- 1980). Elle a bâti une oeuvre entre les recettes de cuisines, les soins familiaux, l'accueil des amis. Elle aussi appartient à la catégorie des "poètes simples", mais avec quelle faveur elle a célébré le sang de la vie, le lait maternel, et cette extase de la cire "son odeur simple de poterie sa bonne odeur de brique lavée". Elle est mère avant d'entrer en poésie. Le meilleur de son oeuvre est enclose dans ces effusions tendres, brûlantes, inquiètes de l'amour maternel, l'angoisse et la joie de voir grandir les êtres qui sont nés d'un ventre comblé par le bonheur, un ventre "aimé du fruit". Aussi n'est-il pas étonnant qu'elle ait dédié son Poème du sang (1949) à ses fils, en multipliant tout au long de ses courtes médiations l'image heureuse, les trouvailles des mots, les visions de calme plénitude ? Noblesse d'une oeuvre qui, comme l'avouait l'auteur "pèse 750g, le poids de cinq tourterelles".

Ce monde paisible, Elise Champagne en refusera obstinément l'image avec une véhémence de femme meurtrie par la vie et la guerre. Seul un Ordre secret (1972) pourrait dissiper la tristesse poignante, apaiser le coeur et l'esprit : "Il faut tout mettre en ordre : un rêve dans l'armoire / Et la robe d'argent inutile en ses plis".

L'oiseau "ne chante plus que la douleur". La poétesse ne trouvera la paix de l'âme qu'en allant revoir l'Ardenne, le Mont des Brumes, paradis devenus inaccessibles à celle qui crie et qui souffre.

Poètes de la beauté du monde

Le Verviétois Lucien Christophe (1891-19 ) a été profondément marqué par les deux guerres mondiales. D'où son Ode à Péguy, d'où son apostrophe émue à Louis Boumal. Sa lyre a donc, le plus souvent, des accents plus graves que l'humour latent qui transparaît dans les vers de Thomas Braun et de Maurice Carême. Mais quelle tendresse délicate pour évoquer Liège "au matin sous ses collines dans une écharpe de vapeur" et pour saluer la présence d'Apollinaire "en Fagne où les vents tournent fous"! Le tout couronné par une confiance tranquille dans la vie : "Nous finirons la route ensemble".

Quant à Pierre Nothomb (Tournai 1887-1967) le chaleureux ermite du Pont d'Oye, l'homme politique ardent, le rêveur d'une lotharingie retrouvée, il associe bellement le poème à l'amour, dans une plénitude charnelle qui livre son parfum dans le tiède matin et l'odeur des beaux fruits mûrs. Mais ce sensuel, amoureux de la vie, sait aussi prier Notre-Dame, à l'aube, "parmi la bruyère et le thym" Notre-Dame du Matin (1912) et "s'offrir aux eaux torrentielles" devant celui qui sauve. Le souvenir d'une enfant trop tôt disparue (Maribelle, 1920) lui a inspiré un de ses plus beaux poèmes L'enfant morte (1920), ce croyant sincère et cet optimiste foncier, même si "cet avenir et ce passé" sont déchirants, il ne peut s'empêcher de crier; "Et pourtant j'aime / sentir ces jeux rêvés me piétiner le coeur".

Edmond Vandercammen (Ohain, 1901-1980) peut, lui aussi, être placé parmi les poètes de la beauté du monde, ne fût-ce que grâce au Sonnet du pain, dans le recueil Faucher plus près du ciel (1954). Le poète nous fait la confidence de la saveur détectable de cette "Ile dorée au milieu d'une table" qui lui rappelle son enfance, le geste de piété de la mère avant de couper "ce pain de froment".

Oui, il faut "saisir le bonheur". Cette préhension n'est-elle pas "fête sacrée" ? Et quand descendra le crépuscule des saisons, le poète ira à sa rencontre "sur la pointe des pieds : Tous deux nous parlerons encore de poésie !".

Robert Vivier

Louis Boumal, Lucien Christophe, Marcel Paquot, trois poètes dans la guerre. Le premier n'en est pas revenu, Robert Vivier, lui aussi combattant de 1914-1918, a évoqué l'étonnante parution, en pleine guerre, d'une revue littéraire Les Cahiers, destinée à aider les soldats à réagir contre l'enlisement intellectuel, à poursuivre leurs études, en même temps à défendre et illustrer la langue française.

"Vain Eté, cueilleur de roses", avait murmuré Marcel Paquot dans la boue des tranchées, tandis que Louis Boumal, promis à une mort prochaine songeait à un "avril plein d'herbes et de mousse". Robert Vivier fut le confident de ces effusions lyriques, dans le fracas des armes, et il témoigne : "A l'âge où l'on veut savoir ce qu'on est, ce que sont les autres, ce qu'est notre existence dans le monde, le pays du front nous a donné chaque jour et chaque nuit des réponses". Or, pendant sa très longue vie, Robert Vivier, poète, essayiste et romancier n'a cessé de continuer à méditer ces interrogations sur lui-même, sur les autres.

Le sort a voulu qu'il revive la terrible expérience de la guerre. Son recueil Tracé par l'oubli se termine par cinq poèmes rédigés entre mai 1940 et décembre 1944, qui sont comme autant de cris, "torche de cris à toutes les fenêtres" tandis que "l'arbre éclate / Absurde blancheur, pour le bois frais des cercueils".

Mais le doux Vivier, hésitant en parole, sûr de lui dans l'écriture, ce distrait attentif aimait se gaver de paysages, analyser leurs structures, faire, au fond, travail de géologue devenu poète. Ce même amour de la nature, il l'a transposé dans un amour des hommes qui ne s'est pas limité à l'expression poétique. Délivrez-nous du mal, étude consacrée à l'Antoinisme, n'en est-il pas la preuve ? Comme il l'a écrit dans l'avertissement de son Essai Frères du ciel, consacré à quelques aventures poétiques d'Icare et de Phaéton : "pour explorer l'empire de poésie (...), on peut prendre plus d'un chemin". Robert Vivier a choisi celui de la solidarité humaine, il invite la pluie à venir brouter l'odeur de l'homme "dans nos mains", il nous suggère d'être "l'arbre où le temps fait escale / Pour se charger de souvenir" et rentrer ainsi "dans un destin très vieux".

Marcel Thiry

"Toi qui pâlis au nom de Vancouver". Non, Marcel Thiry (Charleroi, 1897-1977) n'est pas le poète de ce seul vers, envoûtant dont le pouvoir onirique est tel qu'il a servi de titre au recueil qui rassemble l'oeuvre de l'écrivain, de 1924 à 1975. Cinquante années d'une production abondante, arrachée aux obligations professionnelles de cet amoureux des forêts, qui était tenu de "déplacer de l'Eiffel ou de Wallonie / Des peuples de sapins, pour les faire enterrer / la tête en bas dans les sables de Batavie".

Une solidarité d'armes, une amitié fraternelle liaient intimement Robert Vivier et Marcel Thiry. Quand l'un parlait de l'autre, l'autre écrivait sur le premier des pages sensibles et vraies. Sensibles, ils l'étaient tous deux, mais cette sensibilité s'est exprimée de façon très différente chez chacun de ces deux grands poètes. Plus que Vivier, médium de l'émotion nue, Marcel Thiry aime les jeux de mots, les rencontres faussement inattendues des images, l'exercice quelque peu mallarméen d'une rhétorique de la poésie. La civilisation industrielle l'envahit quelquefois, non pour l'anéantir, mais comme pour ajouter aux mots de la rime et la scansion, le bruit d'un avion, le glissement d'un train sur les rails, la cargaison d'un minéralier, le tout précieusement truffé de sous-entendus empruntés à la vie personnelle de l'auteur. Non dans le souci d'égarer le lecteur mais pour engager celui-ci à suivre le poète dans son itinéraire intérieur, sur les Plongeantes Proues, dans La Mer de la Tranquillité, et finalement déposer de "secrètes floraisons" au pied de la Statue de la Fatigue. Poésie d'industriel raffiné, épanchement pudique d'un étranger dans la Ville, divertissement d'esthète cueilli aux feuilles d'un agenda commercial ? On hésite d'abord, et puis l'on choisit tout dans chaque page que nous abandonne, par une feinte nonchalance, le poète. Par instant, il nous transforme en cet adolescent à peine pubère qui déambule parmi les villes sur "les trottoirs pleins d'aventures" et s'émerveille de la beauté des femmes. Mais c'est pour nous reprendre, l'instant d'après, comme par surprise, afin de nous initier au prix indicatif du froment tendre, aux écluses du prix du porc, au tarif des vins de Chypre. Car tout devient poésie sous la plume minutieuse de ce jongleur de mots et c'est la grande rumeur du monde qu'il apporte, que nous le voulions ou pas, dans nos chambres, nos studios, notre coeur impréparé.

Strasbourg, Knokke, Le Puy, Pérouse, Coblence, New-York, Bénarès se bousculent dans cet itinéraire de sensations, d'images, d'odeurs, de paroles et de vent, mais toujours Marcel Thiry nous ramène au bord de Meuse, ou sur la Vesdre, dans cette Wallonie qui l'a vu naître à Charleroi et se fixer plus tard sur les coteaux de Chèvremont.

Ce "cap le plus nord-nord-est de la France", "ce cap mis hors France, à ma France", "ce cap aux trois fronts de mer sur la mer Germanie", c'est bien notre terre wallonne, qu'il a défendue comme homme politique et qu'il aime lorsqu'il écrit "avec ma ville française à ma droite / La dernière ville française avant le ja", Liège qui, après deux guerres "s'est retrouvée à rechanter son chant, et à / Refaire heureusement le noeud de ses rivières".

Dialogue entre poètes

La guerre serait-elle toujours présente dans le sang d'un poète ? Arthur Haulot (1918) pourrait en témoigner, lui qui a connu la résistance et les camps de concentration. Mais ce grand lutteur a entrepris d'autres combats, dans le Journal de Poètes, dans les Biennales internationales de Poésie de Knokke et de Liège. Léopold Sédar Sanghor, qui apprécie son talent, l'a un jour désigné comme le "poète de la Vie" et il est bien vrai que ses énergies physiques et poétiques ont toujours été orientées vers la joie d'aimer. Une joie charnelle, qui se nourrit de pénétrations et d'orgasmes, célèbre les seins de la femme aimée, son odeur et ses gestes, son corps "plus précieux que la lumière du soleil".

Entre poètes, il est des rencontres imprévues, mais comme préparées en secret, et l'on peut choisir dans une oeuvre ce qui n'est peut-être que l'éclat d'un instant. Or, un certain moment, Arthur Haulot et Charles Berti (Mons, 1919) se sont rencontrés sur le fil aérien de la création poétique. On a dit du second qu'il était le poète de l'angoisse charnelle. "Volupté, ô bonheur plus puissant que la mer !"

Mais ce cri s'accompagne chez Berti d'un sentiment de péché auquel Haulot reste absolument étranger. D'où ce Chant noir (1949) qui s'élève, à la fois vainqueur et torturé.

La femme est également présente dans Le soir prolongé (1967) de René Lyr. Présente au-delà de la mort que refuse le poète, dans un émouvant sursaut de tout l'être : "et la table où j'écris m'interrompant soudain / douce et chantante me fait comme entendre ta main".

Est-ce l'heure de faire Le dénombrement des choses ?

Roger Foulon (Thuin, 1923) se livre à cet exercice avec une justesse de ton que soulignent les belles xylographies de Gustave Marchoul illustrant ce recueil publié en 1973. Pour ce poète inspiré "il n'y a pas au monde un pouvoir plus réel / Que la lumière d'un poème". D'ailleurs "on n'assassine pas un poète qui chante". Dans Jardins (1976), Roger Foulon ne se lasse pas de savourer le poids d'un poème, "son langage de caille éveillée avant l'aube", "son odeur de fruit mûr tiédi par le soleil". En vérité, ce beau recueil est un "paradis peuplé d'images et de signes".

Images et signes ont animé la longue carrière de Georges Linze (1900-1993), fondateur du Groupe moderne d'art de Liège, animateur de la revue Anthologie, infatigable pèlerin de la réconciliation entre l'art et la machine. Mais dans les abondants Manifestes qu'il a dispersés dans le monde entier, perce, d'une manière récurrente, l'interrogation, le doute sur le sens du monde actuel. Serions-nous en Danger de mort ? Pourrons-nous un jour résoudre l'Enigme des objets et du temps ? Nos bonheurs seraient-ils insolites ? Pour Georges Linze, "il est nécessaire / de tout oublier / oui, oui, / de changer / la poésie du temps, de changer même / celle des visages". D'où l'idée de "la Révolution extraordinaire" au cours de laquelle "l'art soit le premier à fissurer les murs de nos prisons".

L'appel de cet éveilleur tenace et chaleureux n'a pas été lancé en vain, si l'on en juge par les exercices de jeunes auteurs comme Gaspard Hons (La Calamine, 1937) qui désarticule mots, phrases et pensées dans Les résidences secondaires (1981) et le Voirdire (1982) où l'on retrouve d'étonnantes variations sur le thème des signes que l'on évoquait tout à l'heure. De leur côté, Christian Sautier et Marie-Claire Verdure se sont échangés Des serments qu'on adresse à la nuit (1993). Et l'oeuvre d'Eugène Savitzkaia (Liège, 1955), Le coeur de schiste (1974) et Bufo bufo bufo (1986), participe de la même volonté de démembrer l'ossature étrange des mots. Enfin, Jean-Luc Wauthier (Charleroi, 1950) n'est pas seulement une des chevilles ouvrières du Journal des Poètes.

Il est l'interprète profond et sensible de Mon Pays aux Beaux Noms (1975), de Morteville (1976), de La Neige en Feu (1979) et il fait resplendir les mots "dans la beauté secrète des signes dérisoires".

Un poète révolté : Achille Chavée

Rendre gorge au verbe, Achille Chavée (Charleroi, 1906-1969) l'a fait en suivant d'abord le message d'André Breton. Mais ce "Vieux Peau-Rouge, qui ne marchera jamais dans une file indienne", comme il l'a déclaré dans Décoctions (1964-1974) est avant tout lui-même, avec sa révolte, son anticonformisme, son engagement communiste, sa ferveur de militant wallon, sa crainte "de ne pas mourir sans une injure aux lèvres". Mais que d'émotion vraie dans cet adieu à une mère aimée (25 mai 1937), que de fierté unanimiste dans cet "immense drapeau rouge" qui flotte "sur les barricades", que de sensation dans cet appel à la jeunesse "inviolable et pure" au plus fort des événements dramatiques de mai 1940 ! Et pourtant, au cours de son existence fiévreuse, et parfois paroxystique, Achille Chavée a des instants de détente et d'abandon. Il aurait, confessa-t-il, voulu écrire un livre sur le bonheur de vivre (Cristal de vivre, 1954). En réalité, il n'a cessé de "dévorer le monde / en affamé de vérité".

Deux poètes devant la mort : Francis Tessa, Nicole Houssa

A l'ombre de la collégiale d'Amay, non loin du sarcophage mystérieux de Chrodoara, L'Arbre à paroles déploie ses branches.

C'est le beau titre de la société éditrice de la Maison de la Poésie que dirige Francis Tessa, non seulement chercheur de poètes, mais poète lui-même. De son oeuvre, on retiendra surtout Dans le tremblement du souffle (1980) rédigé parallèlement en italien et en français. La mort du père suscite en lui-même une méditation grave, faite de sensations tactiles, d'évasions vers le soleil méditerranéen, d'interrogations que répercutent les "dalles froides de la mémoire" qui rendent un son d'émouvante authenticité. Pour se terminer par des mots simples et vrais : "Je suis ton fils. c'est un peu moi qui meurs".

Il nous faut rencontrer une autre mort, une autre morte sur le chemin de poésie. Le destin de Nicole Houssa s'est brutalement arrêté dans une rue d'Herstal. Pieusement, Fernand Desonay a recueilli ses poèmes Comme un collier brisé (1960), qui ont retenu l'attention fraternelle de Jean Cocteau. En relisant ce recueil, d'une paisible et douce mélancolie, on ne peut s'empêcher d'en relever le caractère prémonitoire : "Morte, couleur d'aube, tu t'en vas, les pieds joints... Toute la nuit des temps s'est noyée en tes yeux... Mais vendanges sont faites".

Joueurs de mots : Jacques Izoard, Henri Michaux, André Blavier

C'est à d'autres vendanges que nous convie cet étonnant et grand poète. Jacques Izoard est liégeois, lui aussi, né dans le quartier de Sainte-Marguerite en 1936. On ne retiendra pas les contacts internationaux qu'il a noué avec peintres, sculpteurs et poètes, l'inlassable activité qu'il déploie en littérature, le rôle qu'il a joué dans le Journal des Poètes, le prix de l'Académie Mallarmé qu'il a reçu en 1979, pour nous attarder sur La Patrie empaillée et Vêtu, dévêtu et libre, republié en un recueil commun, en 1992.

Izoard manie avec une diabolique habileté la dérivation de sens, amenée par de subtiles affinités phonétiques : sourde épave évoque sourde oreille, la sainte épaule renvoie à la Sainte Face, et, comme par hasard - mais il n'y a jamais de hasard chez lui - s'associent vergers et vertèbres.

Jamais de hasard mais un choix mûrement pensé, une rencontre lente et sûre des mots qui, d'un coup, lorsqu'ils sont dits et écrits deviennent fulgurants, s'enflamment ou bien se fondent en miel, en sable, en odeur de menthe. Mais, le plus souvent, comme vitres et cuisses, les mots "volent en éclats". Magicien enivré du verbe, il opère à la façon d'un Houdini, ce prestidigitateur qu'il admire, et nous convie à la découverte d'une multitude d'univers parallèles, plus délicieux encore à savourer que celui de Lewis Carroll. Alice n'en finit pas de parcourir le labyrinthe des mots.

Henri Michaux (Namur, 1899-1984) trouverait plus facilement la clé et la sortie. Ce Français Namurois, ce Namurois Français Entre centre et absence aime la métamorphose, les acrobaties corporelles comme les acrobaties des mots et des situations. Sa célébrité est telle qu'elle n'a pas besoin d'être soulignée dans cet étroit carcan de pages.

Il suffit de saluer en lui l'heureux équilibriste de la pensée, jamais rassasié de néologismes, de mots- tiroirs, de bestiaires oniriques, de pieds-de-nez langagiers. On n'est pas loin, avec lui, de la pataphysique.

Mais cette forme d'expression allègre et débridée appartient surtout, en Wallonie, à André Blavier (1922), ce Verviétois égaré dans le monde de la bibliothéconomie, et qui nous rappelle à l'ordre : "Occupe-toi d'homélies"!

 

(Jacques Stiennon, Les Lettres latines et françaises, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.)

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