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Loisirs - Arts - Lettres

Les lettres latines et françaises - (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie - Quatrième partie - Cinquième partie

Jacques Stiennon
Professeur émérite à l'Université de Liège

3. Floraison de l'oeuvre historique

L'histoire en gésine ?

Ces vies de saints du haut Moyen Age par lesquelles nous avons amorcé ce chapitre, sont-elles de l'histoire ? On peut en discuter et simplement constater que, à travers une tradition légendaire, l'historien de métier peut y déceler une réalité cachée sous les voiles de la littérature parénétique ou du merveilleux. Dans un lent et constant effort, l'historiographie s'est progressivement dégagée de cette aura paranaturelle pour faire coïncider les faits historiques avec leur perception dans la mentalité collective et permettre une relative adéquation entre le vécu et son expression écrite. Tour à tour, les annales, les chroniques, les récits ont abordé la matière historique par le biais de la liturgie, de la vie quotidienne d'une communauté, des conditions matérielles d'une société. Le pays wallon n'a pas échappé à cette défense quasi instinctive de la mémoire du passé. Véhiculée par les établissements ecclésiastiques, cette prise de simples annotations dans un obituaire, un récit plus élaboré comme celui que nous propose Renier, prieur de Saint-Jacques à Liège [ ] pour aboutir à une notion beaucoup plus vaste, celle que nous offre, par exemple, la Chronique universelle de Sigebert de Gembloux.

Cependant, par rapport à cette expression, parfois figée ou tout au moins stéréotypée de la mémoire, telle ou telle chronique nous apporte une autre manière de témoigner, une vision plus personnelle du travail que l'on peut qualifier d'historique, dans le sens exact de ce terme.

Gislebert de Mons

C'est le cas, notamment, de Chronicon Hanoniense de Gislebert de Mons, terminé en 1196. Ce personnage fut successivement clerc du comte de Hainaut, son chapelain, son second notaire, pour finir sa carrière comme chancelier de Namur et de Hainaut, après avoir accompli des missions diplomatiques dans l'Empire, en Italie, bénéficié d'importantes charges ecclésiastiques - prévôt de Saint-Germain de Mons, prévôt de Sainte-Waudru de Mons, prévôt de Saint-Aubain de Namur, prévôt de Saint-Quentin de Maubeuge, chanoine tréfoncier du chapitre cathédral de Liège. Mais il a été surtout, continûment au service de Baudouin V, comte de Hainaut, et son proche conseiller. Cette position lui a permis de connaître intimement non seulement les actes posés par son maître mais aussi les motifs profonds et quelques fois cachés de ses décisions politiques, quand il n'a pas aidé lui-même à leur mise en oeuvre.

Il en est résulté une oeuvre qui n'est pas tant une chronique que le récit des actions d'un important dynaste de nos régions, insérées dans le réseau serré des alliances familiales, des accords politiques, des conflits juridiques ou armés, sur un fond d'histoire générale, coloré par l'exotisme des croisades. Le tout dans une langue latine dont la feinte facilité a encouragé sa lecture et son exégèse dans les exercices pratiques d'histoire de nos universités.

Comme l'a souligné son éditeur, Léon Vanderkindere : "Si l'on envisage ce vaste ensemble, on reconnaît immédiatement son unité; malgré l'extrême abondance des détails, le but n'est jamais perdu de vue. Ce n'est pas une compilation plus ou moins adroite, c'est une composition d'un seul jet, dont toutes les parties tiennent organiquement... La Chronique du Hainaut est entièrement originale; elle ne fait d'emprunt direct à aucune autre source; elle repose tout entière sur les souvenirs de l'auteur, sur les notes qu'il a recueillies personnellement, sur les documents d'archives dont il était dépositaire, sur la tradition de la cour du Hainaut". Et notre savant devancier de conclure : "La chose est inconstable : Gislebert est le chroniqueur officiel du Hainaut".

Tous ces élements réunis prouvent l'originalité de l'auteur. Il est un des fondateurs du travail historique en Wallonie.

Jean le Bel

A côté de différents notables, Jean le Bel a bien des points communs avec Gislebert de Mons. Bien sûr, il écrit en français alors que le second rédige en latin, il est un patricien fastueux, l'autre est de moindre estrace. Mais, comme le chancelier de Baudouin V, ce chanoine de Saint-Lambert de Liège amoureux du luxe, taquinant parfois la muse, se veut un narrateur véridique. Comme lui aussi, le Hainaut l'intéresse directement. N'est-il pas familier de Jean de Beaumont, fils cadet du comte de Hainaut, à qui il dédie sa Chronique qui va de 1326 à 1361 ?

Ne choisit-il pas de diriger l'attention de ses lecteurs sur l'époux de Philippa de Hainaut, le roi Edouard III d'Angleterre ? Ne se limite-t-il pas volontairement à une histoire centrée sur nos régions wallonnes, le nord de la France, une partie de la Grande-Bretagne ?

Ses ambitions sont modestes, tout au moins en apparence. il a été considérablement agacé par certain "grand livre rimé" qui prétend retracer le règne d'Edouard III en accumulant "grandes faintes et bourdes controuvées". Pour Jean le Bel "on doit parler le plus à point que on peut et au plus prez de la vérité". Il écrira donc un petit livre, en prose destiné aux "gens de raison et d'entendement". Pierre Jodogne a finement défini les qualités spécifiques de ce témoin de la scène d'un monde fait de contrastes, de hautes prouesses et de férocités : "Ethique et esthétique de la mesure. Refus des récits épiques de caractère fabuleux, des récits prolixes, régis par une rhétorique de l'amplification. Choix d'un langage clair, sobre et concis, aux formules synthétiques et cependant nuancées, exprimant une réalité "créable", la réalité même de l'homme contemporain".

On comprend mieux, dès lors, que toutes ces qualités aient attiré l'attention de Froissart qui n'hésite pas à le considérer comme son maître, à reconnaître la dette qu'il a contractée envers lui, puisque, en maints passages, il recopie son modèle ou s'en inspire. Et l'un et l'autre, qui expérimentent chacun le caractère malin et décevant de ce monde, ne sont-ils pas épicuriens et poètes ?

Jean Froissart

A première vue, l'oeuvre poétique de Froissart paraît indépendante de son travail d'historien. Meliador, L'Espinette amoureuse, Le joli Buisson de Juvence, La Prison amoureuse sont des divertissements de rhétorique courtoise qui se suffisent à eux-mêmes. Mais sous le voile des allégories et des songes, l'érudition du XIXe siècle, avec Kervyn de Lettenhove et Scheler, celle du XXe avec Anthime Fourrier ont découvert la trame historique, les personnages réels qui s'inscrivent en filigrane, pour constituer "le canevas sur lequel notre romancier brode ses arabesques".

Cependant, lorsqu'il entreprend à partir de 1357, dans sa vingtième année, de rédiger ses célèbres Chroniques, le chanoine de Chimay procède de toute autre manière. Pour "raconter" l'histoire, Froissart n'a que faire des ressorts propres à la fiction poétique. Il mène des enquêtes multiples auprès des témoins dignes de foi, il questionne "sur le fait des guerres et aventures qui sont advenues". Le combat amoureux cède la place aux "dures rencontres", aux "forts assauts", aux "fières batailles" : ces retentissants "maniements d'armes" sont là pour enflammer le coeur des jeunes chevaliers et mettre en valeur la vertu de prouesse.

A quelque cent cinquante ans de distance le miles probus de Gislebert de Mons est le preux chevalier de Poitiers ou de Crécy célébré par Froissart : "Le nom de preux est si haut et si noble, et la vertu si claire et si belle, qu'elle y resplendit dans ces salles et dans ces endroits où il y a assemblée et foison de grands seigneurs". La vision du monde de Froissart est essentiellement aristocratique. A la tripartition classique - celui qui prie, celui qui combat, celui qui travaille - notre auteur substitue une autre échelle de valeurs dans laquelle la chevalerie occupe le plus haut rang. c'est pour accroître leur bonheur que les preux se battent, leurs hauts faits sont transmis par le peuple et la mémoire collective. Au bout de la chaîne les clercs transcrivent et enregistrent cette tradition orale. C'est ainsi que du royaume de Chaldée jusqu'en Ecosse, en passant par les Romains et Charlemagne, Prouesse "a règné et tenu seigneurie et domination".

Né à Valenciennes en 1357, membre de la mesnie de Robert de Namur, seigneur de Beaufort-sous- Huy, chanoine de la collégiale de Chimay, curé des Estinnes, Froissart ne se plaît que dans la cour des grands et la rumeur des batailles. Sa prose est vive, ses annecdotes font images et tableaux, il restitue les faits sinon avec exactitude du moins avec un sens du récit qui captive l'attention et tient en haleine. Une de ses pages les mieux venues n'est-elle pas le récit de son voyage en Béarn, en 1388, lorsque muni de lettres de recommandation du comte de Blois, il est reçu par le comte de Foix, en son château d'Orthez ? Jusqu'alors, il y avait surtout traité des affaires de sa région, il était temps pour lui de se documenter sur les événements des "lointaines provinces". Et comment mieux faire, suivant la méthode chère à Froissart, que de mener enquête sur place, de s'informer sur le passé et le présent, de lier connaissance avec une personnalité du pays. C'est ce qui lui arrive à Pamiers où il rencontre messire Espan du Lion "vaillant homme et sage et beau chevalier" de 50 ans. Tous deux chevauchent de concert jusqu'à Foix et Froissart de noter : "En cheminant, le gentil homme et bon chevalier, après qu'il ait dit le matin ses raisons, devisait la plupart du jour avec moi en demandant des nouvelles. Je lui en demandais aussi, il m'en disait". Les confidences mutuelles étaient interminables et variées, comme le furent les conversations que l'historien eut avec le comte de Foix Gaston Fébus qui le retint en son château plus de douze semaines. Leurs propos étaient soigneusement notés par Froissart qui les mit en forme dans son Hainaut natal, en 1390. Ponctué par des descriptions de villes et de paysages sobrement mais fortement évocatrices, le résultat, comme l'a bien vu Marc Augé, est "une aventure, une histoire terminée et enregistrée"... L'aventure, pour le coup, c'est le texte lui-même. La route est faite pour aboutir à un beau livre". Oui, décidément, il faut relire Froissart : on n'en épuise pas les étranges richesses.

4. Fascination du voyage, exaltation d'une patrie

Jean de Mandeville

C'est à un tout autre voyage que nous convie Jean de Mandeville. Il nous fait, ni plus ni moins, pérégriner autour de la terre. Chevalier d'origine anglaise établi et mort à Liège en 1372, cet écrivain n'a pas encore fini d'alimenter les polémiques érudites. Ce qui devient de plus en plus évident, à mesure que l'on exploite ses sources, est le caractère de compilation de son ouvrage et cette découverte rend de plus en plus suspecte la réalité de ses longs voyages à travers le monde dont il nous narre les merveilles et les singularités. Mais il nous entraîne à sa suite dans un chatoiement de descriptions naturelles, d'événements extraordinaires, de coutumes singulières dans lesquels l'auteur parvient toujours à déceler une cohérence, une unité qui l'engagent à "ne mépriser aucun des peuples de la terre pour leurs diverses religions ni juger personne". Ce qui fait dire à Christiane Deluze que "cet authentique humanisme donne à ce livre tout son prix". Et explique du même coup, son énorme popularité à travers les siècles, ainsi que la multiplicité des versions de cet ouvrage "écrit en roman, pour que chacun le comprenne". Rita Lejeune a bien montré qu'"il a certainement entretenu des relations littéraires étroites avec Jean d'Outremeuse qui a utilisé les Voyages dans son Myreur des Histors et qui a introduit, dans une refonte de ces Voyages, des interpolations concernant Ogier le Danois, son héros de prédilection".

Jean d'Outremeuse

Jean d'Outremeuse, Ogier le Danois. Nous voici de nouveau plongés, avec ces deux noms, celui d'un écrivain prolixe et celui d'un héros mythique, dans l'univers haut en couleurs de l'épopée.

On doit à Jean d'Outremeuse une Chronique en prose, une Geste de Liège rimée et un Traité des pierres précieuses. Né à Liège en 1338, il y est mort en 1400. Les jugements sur la crédibilité de sa Chronique ont varié au cours des âges. C'est que Jean d'Outremeuse reste un personnage et un auteur qui échappe à une appréciation objective de la part des historiens et des spécialistes de la littérature médiévale. Aussi, me semble-t-il indispensable de reprendre ce que l'on en a dit naguère. En effet, peut-être n'a-t-on pas assez réfléchi sur la signification même du titre qu'il a donné à sa Chronique : Le Myreur des Histors. Le miroir comporte en lui- même la notion de reflet. Il contient également une bonne dose de narcissisme. Jean d'Outremeuse se complaît à se regarder dans ce miroir de l'histoire liégeoise en y faisant apparaître ses ancêtres mythiques ou non. La lumière des reflets frappe surtout les faits du passé, et les jeux du miroir transforment à leur gré les aspects variés que prend l'histoire. Jean d'Outremeuse se plaît manifestement à orienter ce miroir de différentes manières, sous différents angles, parfois inattendus, à le mettre parfois en abîme. Son lecteur se trouve, par le fait même, souvent pris dans ce palais des glaces, organisé en labyrinthe, et cherche désespérément une issue, autrement dit, une signification à l'oeuvre de Jean d'Outremeuse. Tant Louis Michel que Rita Lejeune ont mis en lumière la volonté de l'auteur de magnifier Ogier le Danois. Ce dernier est le héros national de la patrie liégeoise. Né sous Charlemagne, il parcourt l'histoire à travers maints avatars, maintes métamorphoses, mais il est le fil conducteur de toute la trame de l'histoire liégeoise, puisqu'il se perpétue au cours des siècles grâce à des chevaliers valeureux qui portent le même nom. Jean Lejeune a fort bien résumé le projet de notre chroniqueur : "Le sentiment national liégeois est devenu si vif et si conscient que Jean d'Outremeuse voit dans les annales de son pays le thème d'une Geste dont les héros ne sont ni Charlemagne ni ses preux ni les grands féodaux, mais la Cité et le Pays de Liège".

Il a travaillé une matière riche en événements colorés, en rebondissements inattendus, comme le ferait un metteur en scène de théâtre extraordinairement habile, mais souvent oublieux de la réalité historique.

5. Naissance du Théâtre

Vous avez dit théâtre ? Dans ce domaine aussi, le pays wallon n'est pas absent de la scène. Et cette scène, c'est d'abord l'église, sur son parvis, ou à l'entrée du choeur à l'occasion des grandes fêtes : Noël et Pâques. Le théâtre moderne a, en effet, des origines religieuses. Le témoignage le plus ancien que nous en ayons conservé pour la Wallonie, provient d'un manuscrit de l'abbaye de Malmédy, datable du XIe siècle. Il s'agit d'un Officium stellae, c'est-à-dire que le thème de l'action est centré sur l'arrivée des Rois Mages. Omer Jodogne a remarqué très justement que, contrairement aux passages de l'Evangile de saint Mathieu dont il s'inspire, l'adoration des mages s'effectue en l'absence de la Vierge. Ce sont des sages-femmes qui présentent le nouveau-né. Parmi les onze personnes qui participent à l'action, deux clercs voilés assument des rôles féminins et notre savant devancier de conclure : "Ceci n'est pas un mince détail : il atteste une dramatisation complète. Ce n'est plus une simple cérémonie liturgique... La conversation rédactionnelle du texte primitif et surtout la "personation" (des clercs voulant paraître des femmes) réalisent ce que nous appelons du théâtre".

Pour respecter un ordre chronologique, passons du théâtre religieux au théâtre comique, du XIe au XIIIe siècle, et de Malmedy à Tournai. C'est dans cette dernière ville qu'a été rédigé, vers 1277, le texte du Jeu du Garçon et de l'Aveugle. Mais l'argument est-il vraiment comique ? Il est plutôt le triste exemple de la méchanceté humaine puisque le jeune valet au service du non- voyant s'amuse à filouter son maître. Mais il devait susciter les rires du public par de nombreux sous- entendus érotiques et un vocabulaire quelquefois pimenté de termes obscènes.

Pour retrouver trace, en Wallonie, d'un théâtre d'inspiration religieuse, il faut aborder le XVe siècle, se rendre à Namur, à Mons et à Huy.

A Namur, les documents d'archives ont conservé la trace de plusieurs représentations du Mystère de la Passion, sans que l'on soit assuré qu'il s'agisse chaque fois du même texte, en 1450, 1451, 1452, 1455, 1456. Dans la période immédiatement postérieure, de 1458 à 1475, de tableaux vivants ont évoqué le martyre des Onze Mille Vierges, la résurrection de Lazare, le Martyre de saint Etienne et celui de saint Blaise. On devine, à l'énoncé de ces scènes, combien elles devaient provoquer, intérêt, émotion réelle, curiosité malsaine et réactions d'autant plus vives que le public était proche des acteurs.

Quant à Mons, comment oublierait-elle de célébrer sa sainte patronne ? Il en fût ainsi, à Pâques en 1433, grâce aux chanoinesses. La représentation de La Vie et Ystoire de Madame sainte Waudru leur procura, on n'en doute pas, occasion de divertissement et d'édification. D'autres mystères, d'autres spectacles, d'autres travaux vont ponctuer la vie théâtrale à Mons à peu près tous les ans. Mais, comme le note Omer Jodogne, cette abondance de documents d'archives n'est compensée par aucun texte.

Heureusement, ce n'est pas le cas à Huy. Dans le couvent des Dames Blanches, une novice Catherine Bourlet transcrit et, peut-être, adapta, entre 1478 et 1484, un Mystère de la Nativité qui retint l'attention de Gustave Cohen en 1920, et fut mis en français moderne par Rita Lejeune. Grâce à celle-ci, une première représentation eut lieu, la veille de Noël 1935, au Théâtre du Trianon, à Liège, en lever de rideau. La réussite fut telle que le Cercle de Philosophie et Lettres et la Revue "L'essai" de l'Université de Liège furent invités à donner une représentation en Sorbonne, au début de l'année suivante. Ainsi naquit, grâce à une romaniste déjà éminente malgré sa jeunesse, le Théâtre universitaire de Liège qui devait connaître, et continue à connaître un succès international. A travers le temps, voici que résonne la voix du meneur de jeu dans le Prologue :

Un l'honneur de Dieu tout puissant
Et sa mère, Marie, la reine des Anges
Je voudrais, devant vous, représenter un jeu
Qui puisse réjouir la bonne compagnie
Aussi vous prierai-je, mes soeurs, bien humblement
Pour qu'un petit peu de silence
Nous veuillez prêter jusqu'au bout
Et voici le jeu qui commence...

Comme l'a souligné l'adaptatrice du XXe siècle, l'auteur wallon de ce mystère a su dessiner les scène? avec beaucoup de finesse de trait : "Contemporain de Roger de la Pasture, le texte de Chantilly peut revendiquer, de ce peintre de chez nous, le réalisme qui n'exclut pas la grâce".

II. A la Renaissance

1. Ballades, rhétoriqueurs, poèmes

Au début du XVIe siècle, Liège a pansé les plaies affreuses du sac de la ville en 1468, par les troupes de Charles le Téméraire. Plusieurs poèmes de langue française, concernant à la fois les événements dinantais et liégeois, ont vu le jour au moment de ces heures tragiques. La Complainte de la Cité de Liège, éditée et commentée par Paul Zumthor et Willem Noomen, est le plus important. Les autres -treize en tout- de 1466 à une période immédiatement postérieure à 1468, ont été replacés par Claude Thiry dans l'effort de propagande bourguignonne "Liège devient alors un personnage à la fois tragique et effrayant" qui déclare Liège libre j'estoie, serve seray nommée. Mais bientôt, l'oeuvre restauratrice des Liégeois eux-mêmes et du prince-évêque Erard de la Marck va effacer ces cruelles blessures. Pendant ce temps, Namur mont? sur les tréteaux farces et soties. Une compagnie, dénommée les Enffans du Prince d'Amour acquiert une certaine notoriété de 1519 à 1525. A la même époque, on joue dans l'actuelle capitale de la Wallonie un Prince d'Amour acquiert une certaine notoriété de 1519 à 1525. A la même époque, on joue dans l'actuelle capitale de la Wallonie un Prince des Oignons. Mons continue son intense activité théâtrale pendant les quarante premières années du XVIe siècle : Passions, Nativités, Moralités se succèdent, mais aussi des farces. De cette floraison scénique, il nous est resté un document exceptionnel, édité par Gustave Cohen : Le Livre de Conduite du Régisseur et le Compte des dépenses pour le Mystère de la Passion joué à Mons.

Une personnalité hennuyère : Jean Lemaire de Belges

Belges, c'est Bavai, au moment où le Hainaut forme une forte entité culturelle, qui sera artificiellement déchirée au XVIIe siècle. Jean Lemaire de Belges (1473-après 1515) est le disciple de ce Jean Molinet qui fut un des premiers à utiliser l'adjectif "wallon". Une miniature illustrant un de ses poèmes, La Couronne margaritique (1505) le montre à sa table de travail, cherchant l'inspiration et écrivant tout à la fois. Une petite table ronde encombrée de livres - sans doute ceux qui contiennent ses compositions atteste la fécondité de celui que certains biographes hautement qualifiés considèrent à la fois comme romancier, poète, historien. Dans son studio, une horloge mesure le temps, un oiseau chante dans sa cage tandis qu'à l'extérieur un cavalier caracole devant un château.

Chant d'oiseau, chant de poète, chant d'hommage de Jean Lemaire à Marguerite d'Autriche que ces Chansons de Namur rimées pour célébrer "la victoire eue contre les Français à Saint-Hubert d'Ardenne".

Mais que les bruits de guerre se taisent pour faire place aux joies pastorales :

Taisez-vous or trompettes et clarons
Jadis forgez pour réveiller la guerre
Tenez-vous coys, tant que seigneurs barons
Et chevaliers aux dorez esperons
Vous feront bruire affin de los acquerre
Soit or ouy tant par mer que par terre
Le doulx recort des faictz de bergerie !

Et voici qu'à l'appel du poète, Namuroises et Bouvinoises de chanter à leur tour, de danser, de mener joyeuse fête. Pierre Jodogne a eu raison d'écrire à son propos : "Si le mot "wallon" se rencontre pour la première fois dans les Mémoires de Jean de Haynin, autre Hennuyer, c'est sous la plume de Lemaire que l'on trouve pour la première fois, à deux reprises, l'expression "nous autres Wallons", qui fonde authentiquement notre communauté".

Une personnalité tournaisienne : Louis des Masures

Une communauté qui a le regard volontiers tourné vers la France. C'est le cas de Louis des Masures, Tournaisien d'origine, qui, à Paris, se lie avec Clément Marot, rencontre Rabelais et noue avec Ronsard une amitié qui lui permet d'édicter à Lyon, en 1557, ses Oeuvres poétiques, en latin et en français, et la traduction française de l'Enéide. Ce soldat - il fut capitaine des armées françaises contre Charles Quint- embrassa la réforme et devint pasteur en Lorraine. Lorsque l'on fait le bilan de l'oeuvre poétique de Louis des Masures, on regrette, avec Marcel de Grève, qu'il n'ait pas fait partie de la Pléiade. Ses qualités littéraires auraient justifié cette consécration. Mais, comme l'écrit son exégète : "Que cet authentique homme de lettres, enfin, ait été un exilé, un réformé (depuis 1558), en rupture de ban avec son pays d'origine, voilà certes qui vient confirmer l'hypothèse avancée pour essayer d'expliquer l'étrange silence de la Wallonie de cette époque dans le domaine des lettres françaises".

III. A l'Age classique

1. Poésie édifiante, ouverture sur le monde Breuché de La Croix à Flémalle

Voilà un autre exilé, celui-là, mais il a choisi le chemin inverse, puisque, obligé de quitter la France pour des raisons politiques, il s'est fixé sur les rives de la Meuse liégeoise, les terres de la Principauté, et, plus précisément à Flémalle, pour "en ce lieu jouir d'une paix si profonde" qu'il finit par ne converser qu'avec Dieu.

A cette époque, cette agglomération située aux portes de Liège n'était pas encore envahie et défigurée par l'industrie.

Torrents, ruisseaux, canaux moussus, pittoresque d'une nature verdoyante font le charme de cette retraite agreste qu'Edmond Breuché de la Croix célèbre par des bergeries qui doivent, selon de bons auteurs, plus à Godeau qu'à Racan. Il fait plus, en fondant en 1653 sur les lieux mêmes de son exil, une Académie, sorte de pensionnat pour jeunes gens fortunés. Le Divertissement d'Ergaste (1642) est à la fois élégiaque, édifiant, et tout consacré à l'amitié. Dans ce recueil, les grottes de la Meuse retentissent d'étranges échos dans lesquels un prénom se mue en déclaration d'amour, à vrai dire universelle, tandis qu'un cadran solaire, illustrant l'opuscule, remercie le soleil de faire valoir son ombre. Maurice Delcroix, à propos de ce mystérieux poète, n'hésite pas à déclarer : "Il y a un secret Breuché. Cette poésie de l'innocente retraite glisse à la consomption".

Les oeuvres de dévotion

Quel que soit ce mystère, le solitaire de Flémalle nous introduit dans l'univers des écrits édifiants du XVIIe siècle. Univers singulier que celui-là qui transforme les visions surnaturelles en mignotteries précieuses, les élans mystiques en médiations baroquisantes. La Contre-Réforme ou Réforme catholique va encourager cette littérature, cette imagerie populaire illustrant des titres conformes à l'esprit du temps : L'encensoir d'or (1607), les larmes et regrets du très chrétien Héraclite (1613), Le plaisant verger d'amour spirituel (1621), Les pleurs de Philomèle (1926), Le postillon divin (1655). Tour à tour le Liégeois Jean-Baptiste de Glen, l'Ardennais Remacle Mohy, le Hutois d'adoption Georges Maigret font assaut d'ingéniosité pour conduire l'âme chrétienne vers des visions séraphiques, dans des voyages orientés vers l'au-delà, par le truchement d'une prose souvent malhabile.

Les récits de voyage

Mais, en même temps, comme l'a bien vu Rita Lejeune, l'édition en Wallonie multiplie les invitations à d'autres voyages, terrestres ceux-là. Depuis la découverte du Nouveau Monde, depuis les incitations de Jean de Mandeville, de nombreux auteurs convient leurs lecteurs à parcourir le vaste monde, soit en pèlerins, soit en simples curieux, avides de découvrir de nouveaux paysages, d'éprouver des sensations nouvelles au contact de cultures et de civilisations mal connues. Jean Zuellart, bourgmestre d'Ath, publie en 1608, Le très dévôt Voyage de Jérusalem. Plus aventureux, Jean-François Pyrard, de Stembert, arme deux navires à Saint-Malo, part pour les Indes et consigne ses observations dans un Discours du voyage des Français aux Indes Orientales, ensemble des divers accidents, aventures et dangers de l'auteur en plusieurs royaumes des Indes et du séjour qu'il y a fait par dix ans, depuis l'an 1601 jusqu'en cette même année 1611. Traité et description des animaux, arbres et fruits des Indes orientales observées par l'auteur.

Cet esprit de découverte est singulièrement incarné par Louis Nennepin, missionnaire franciscain natif d'Ath, compagnon, à partir de 1675, de Cavelier de la Salle dans ses expéditions américaines, la région des Grands Lacs. Sa description de la Louisiane (1683) "est le premier livre où se trouve la première vue connue des chutes du Niagara".

 

Jacques Stiennon, Les Lettres latines et françaises, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.

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