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Histoire économique et sociale


L'évolution des sciences et des techniques en Wallonie
- (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie

Robert Halleux
Directeur du Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège

Anne-Catherine Bernès
Directeur-adjoint du Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège

Luc Etienne
Conseiller au Cabinet du Ministre des Technologies

 

La recherche fondamentale

Lorsque Guillaume Ier fonda l'Université de Liège, on fut contraint de recruter sur place les premiers professeurs et perpétuer ainsi l'influence de la science française. L'enseignement médical se trouva réparti entre Jean-Nicolas Comhaire (1778-1837), Nicolas Joseph Ansiaux (1745-1825), Toussaint Dieudonné Sauveur (1766-1838). Les deux premiers avaient enseigné dans l'éphémère faculté impériale. Comhaire avait soutenu, sous Dupuytren, une thèse sur la néphrectomie dédiée à Xavier Bichat. Ansiaux avait appris la chirurgie à l'école de médecine de Paris, avec Dubois et Giraud, et soutenu une thèse sur l'opération césarienne. Quant à Sauveur, condisciple de Fouché à l'Université d'Angers, il avait dédié la médecine à Paris sous Portal, Dubois et Corvisart. La physique et les mathématiques furent confiées à Jean-Michel Vanderheyden (1767-1836), élève de Minckelers à Louvain, ancien professeur de l'école centrale, puis du lycée impériale. Un autre professeur du lycée impériale, Jean-Charles Delvaux de Fenffe (1782-1863) lui aussi médecin formé à Paris, enseigna la physique, la chimie appliquée, la métallurgie. Enfin, un polytechnicien français, Germinal Dandelin, enseigna peu de temps l'exploitation des mines. Mais très tôt, le gouvernement des Pays-Bas s'efforça de contrebattre l'influence française. Ainsi, en 1818 l'histoire naturelle était confiée à Henri- Maurice Gaëde, formé à Kiel et à Berlin. En 1825, la chaire d'anatomie était attribuée au Badois Vincent Fohmann, élève de Tiedemann à Heidelberg.

Les choix furent si contestés que le ministre jugea bon de s'en expliquer :

"Le gouvernement, disait-il, a donné trop de preuves de son désir de favoriser tout ce qui est vraiment national pour qu'on le puisse soupçonner d'avoir, sans de puissants motifs, confié quelques branches de l'enseignement supérieur à des étrangers. Ces motifs existaient en premier lieu, dans la difficulté de pouvoir faire de bons choix parmi les Belges. Mais indépendamment de la nécessité, le gouvernement a été guidé par d'autres considérations d'une nature plus élevée. Les sciences, de nos jours, ont cela de commun avec la civilisation du siècle dans lequel nous vivons, qu'elles ne sont plus le domaine d'une seule nation, mais qu'elles appartiennent à l'Europe entière. Si ce choix s'est principalement porté sur des savants allemands, c'est outre le motif que nous venons d'alléguer dans la vue de renouer les relations littéraires des provinces méridionales avec l'Allemagne. La littérature française exerçait une influence presque absolue sur ces contrées. Elle était devenue en partie la littérature de la Belgique. Quel moyen pouvait être plus efficace pour rétablir l'équilibre et faire connaître dans ce pays les écrits profonds de l'Allemagne savante, que d'appeler à professer chez nous quelques hommes de cette nation. [....] Sans les professeurs étrangers, les fortes méthodes de l'Allemagne ne se seraient point introduites dans notre pays; or ce sont ces méthodes, on peut le dire, qui nous ont décidément affranchis de la routine. Les Wallons ont quelque chose de l'esprit clair et analytique de leurs voisins du sud; mais leurs instincts réclament aussi cette forte discipline intellectuelle et cette coordination synthétique des idées qui sont les premiers besoins des races germaniques."

Malgré son agressivité et son persiflage, le texte vaut d'être médité. L'équilibre entre influence française et influence allemande sera maintenu par le gouvernement de la Belgique indépendante, combiné avec le recrutement local, voire dynastique. Il produira les plus heureux effets, en faisant de Liège un microcosme de la science européenne.

Influence française, d'abord, chez les mathématiciens. En 1835, au départ du mathématicien piémontais Pagani (1796-1855), l'université s'efforça d'attirer le Parisien Charles Sturm (1803-1855), mais la pression d'Arago lui fit décliner l'offre. A défaut, c'est le Lorrain Jean-Nicolas Noël (1783-1867) qui vint enseigner la géométrie analytique et la haute algèbre. L'influence française en mathématique culmine avec Eugène Charles Catalan (1814-1894) militant républicain exilé, qui va créer à Liège une brillante école de géométrie. Mais par ailleurs, en recrutant le naturaliste Jean Théodore Lacordaire (1801-1870) frère de l'illustre prédicateur, l'université vivifie l'enseignement de la zoologie par l'expérience d'un grand explorateur de l'Amazonie. Enfin, c'est en France que vont souvent se former les Luxembourgeois. Tel, Michel Gloesener (1794-1876) qui, après ses études à Liège, va se perfectionner à Paris, notamment auprès du grand Ampère. Sa thèse de 1824 s'attaque à la question controversée des affinités chimiques. Il en fournit une originale explication électromagnétique, où il combine l'influence d'Ampère, de Berthollet et de la Société d'Arcueil, avec l'hypothèse atomique de John Dalton. Gloesener poussera de hardies recherches en électricité théorique et surtout appliquée, construisant notamment des télégraphes et des horloges électriques.

L'influence allemande, quant à elle, imprègne l'enseignement des lettres, du droit et surtout de la médecine. Fohmann y sera suivi par Joseph Antoine Spring (1814-1872) élève de Von Ringseis à Berlin, par Théodore Schwann, élève de Müller à Bonn et à Berlin, puis par Gussenbauer, Fuchs et von Winiwarter. Or, toute cette génération est profondément influencée par la Naturphilosophie qui l'incite en même temps aux spéculations théologiques les plus élevées et à l'expérimentation la plus rigoureuse. Gaëde et Spring ont été disciples de Schelling.

En médecine, les méthodes allemandes vont permettre l'essor de la physiologie expérimentale. Elles porteront des coups très rudes au vitalisme de Xavier Bichat, en niant la notion de force vitale. Elles modifieront profondément l'enseignement médical.

Dans son grand ouvrage Symptomatologie ou Traité des accidents morbides, Spring restitue, face à la méthode anatomo-pathologique française, l'importance des éléments fonctionnels. "La médecine moderne, en concentrant l'attention sur les lésions anatomiques, s'est habituée à regarder les troubles des fonctions comme des reflets insignifiants. Mais quelque sincère que soit l'admiration des progrès réalisés par les travaux anatomiques, microscopiques et chimiques, les troubles fonctionnels demeurent toujours le sujet principal de la préoccupation du médecin comme du malade. J'ai cru qu'il était important de restituer au symptôme son importance."

L'empreinte de la Naturphilosophie conjuguée avec l'essor de la paléontologie houillère rendra la Wallonie accueillante à l'évolutionnisme. Gaëde, puis Spring mettent en cause la notion d'espèce en supposant une gradation insensible du vivant : Spring dégage la véritable signification des travaux de Schmerling. Les idées de Darwin rencontreront un accueil très favorable et une diffusion rapide, tant à Liège qu'à Louvain avec le hennuyer Henry de Dorlodot (1855-1929).

A l'époque du Kulturkampf, le modèle allemand s'impose pour l'organisation logistique de la recherche, sa méthode expérimentale rigoureuse, sa collaboration avec l'industrie, sa totale liberté.

En 1873 encore, dans sa brochure. "De l'état de l'enseignement supérieur en Belgique", Louis Trasenster écrivait :

"c'est principalement l'enseignement des universités qui a transformé et sauvé l'Allemagne; c'est lui qui a fourni cette forte génération de savants, d'écrivains, de professeurs, d'hommes d'Etat, de jurisconsultes, d'administrateurs et même de généraux, qui a donné à cette nation l'éclat dont elle rayonne aujourd'hui [...] Mais, à côté de la situation morale de l'enseignement supérieur, il y a beaucoup à faire pour la partie matérielle. Nous pouvons, aussi, sous ce rapport, demander à l'Allemagne des leçons tout aussi utiles que pour la partie intellectuelle.

Berlin, Heidelberg, Bonn, toutes les grandes universités allemandes consacrent des sommes considérables à des laboratoires de chimie, de physique, de physiologie, d'anatomie, aux bibliothèques, aux collections de tous genres. On érige, pour les écoles polytechniques, des palais splendides avec toutes les installations nécessaires. En Belgique, il n'est pas d'établissement qui, comparé à ceux d'Allemagne, ne soit, sous ce rapport, dans un état d'infériorité déplorable. Cependant, l'enseignement des sciences d'observation ne peut être sérieux, ne peut être vivant, ne peut développer l'esprit d'investigation qu'autant qu'il soit constamment appuyé sur des expériences et des faits et qu'on y associe les étudiants. D'un autre côté, les dépenses pour les locaux sont telles que les budgets des villes n'y pourraient suffire. L'Etat doit donc intervenir largement pour doter ses universités et ses écoles, de tout ce qui leur manque et les placer à la hauteur de la science moderne."

De fait, c'est sur le modèle allemand que seront organisés les grands laboratoires.

En 1866, le recteur de Cuyper brossait, dans son discours inaugural, un tableau passionné de l'ambiance scientifique à Liège :

"Jamais l'esprit de recherche n'a mis plus d'ardeur à la poursuite de la vérité. Voyez-le interroger notre globe sur sa constitution, son histoire dans le monde planétaire, sa place dans la création; rechercher l'origine des espèces, l'antiquité de l'homme; sonder l'immensité de l'espace à parcourir, la balance et le compas à la main, les mondes infinis qui le peuplent, analyser même la matière qui les compose; s'élever au-dessus des nuages dans les hautes régions de l'atmosphère, traverser les glaces polaires, les déserts et les forêts vierges; franchir les montagnes inaccessibles et plonger dans les profondeurs de l'océan, ou dans les entrailles de la terre; rechercher des millions d'êtres organisés dans un espace que l'oeil considérait comme un infiniment petit en étendue, et entrevoir dans la vibration lumineuse l'infiniment petit en durée."

C'est ce dynamisme initial qui permettra aux scientifiques wallons d'aborder, au tournant des deux siècles, le manque de moyens matériels; et d'autre part, le terrifiant défi des grandes mutations intellectuelles.

C'est devenu un lieu commun que le XXe siècle a connu plus de mutations scientifiques que tous les autres ensemble. De fait, le bouleversement des idées n'a d'équivalent que dans la Révolution scientifique du XVIIe siècle, où une nouvelle image du monde s'est imposée sur les déblais de l'ancienne. C'est bien de cela qu'il s'agit en physique où la relativité, la mécanique quantique ont mis en cause des notions aussi respectables que la masse, l'énergie, la lumière, l'espace, le temps. La physique désormais pénètre au plus profond de l'atome et dans l'infini du cosmos. Identique est le bouleversement dans les sciences de la vie. De la biologie cellulaire, de la physiologie expérimentale et des lois de l'hérédité naîtront la génétique, la biologie cellulaire, le génie génétique. En même temps, cette extension démesurée du savoir a conféré à l'homme un formidable pouvoir sur la matière et sur la vie, pour le meilleur et pour le pire. Analyser la part de nos savants dans les deux grandes révolutions de la physique et la biologie, c'est en même temps découvrir les origines de deux fers de lance de la technologie wallonne, le spatial et la biotechnologie.

 

Physique théorique et astrophysique 

Les grandes révolutions de la physique touchent à la fois les mathématiciens, les physiciens et les astronomes.

Pour un homme du XIXe siècle, l'astronomie n'est pas une recherche purement désintéressée. Elle sert la navigation au long cours. D'autre part, un réseau de chemin de fer, avec ses horaires, implique l'unification du temps sur l'ensemble du pays.

L'observatoire de Bruxelles est l'oeuvre de l'illustre Gantois Adolphe Quetelet. Il lui faudra dix ans pour le construire (1823-1833). Son successeur, le Montois Jean-Charles Houzeau de Lehaie (1820-1888) d'abord aide-astronome, sera révoqué en 1846 par Charles Rogier pour ses idées avancées. Il va parcourir le monde, cow boy au Texas, planteur à la Jamaïque, luttant contre l'esclavage à la Nouvelle Orléans, humaniste libre penseur, une personnalité chaleureuse. En 1874, il reviendra comme directeur à l'intervention personnelle de Léopold II. Sa Bibliographie de l'Astronomie est un outil encore utilisé. A Liège, c'est François Folie, correspondant de Clausius, qui crée l'observatoire de Cointe. Son successeur, Constantin Le Paige, y alliera la haute mathématique, l'histoire et la philosophie des sciences.

A Bruxelles, aux Conseils de Physique institués par Solvay, se débat, tous les trois ans, l'avenir de la physique. Il suffit de citer les participants du premier conseil en 1911 : Planck, Sommerfeld, Lindeman, de Broglie, Jeans, Rutherford, Kammerlingh Onnes, Einstein, Langevin, Nernst, Brillouin, Lorentz, Perrin, Wien, Marie Curie, Poincaré.

Dans les universités, quatre hommes vont prendre le relais : à Bruxelles, Théophile de Donder (1872-1957), à Liège, Henry-Janne d'Othée (1884-1966) et Léon Rosenfeld (1904- 1974), à Louvain, Monseigneur Georges Lemaître (1894-1966). Théophile de Donder suit de près les travaux d'Einstein sur la gravitation et prend part à l'élaboration de la théorie générale, tout en développant la thermodynamique. Il est ainsi à l'origine de la grande école de Bruxelles avec Glansdorff et Prigogine. A Liège, c'est Henry-Janne d'Othée qui en 1929 introduit la relativité et la mécanique quantique dans l'enseignement de la physique théorique. Léon Rosenfeld, docteur de l'Université de Liège en 1926, travaille à Paris avec Louis de Broglie et Langevin, à Göttingen avec Max Born, à Zurich chez Wolfgang Pauli avant de devenir en 1930 l'ami et le disciple de Niels Bohr à Copenhague. Pendant sa période de professorat à Liège, il exercera une influence décisive sur l'institut d'astrophysique. A la veille de la guerre, il quittera Liège pour Utrecht, puis Manchester, puis Copenhague où il poursuivra ses grands travaux sur l'interprétation physique de la mécanique quantique. Il se tournera ensuite vers le problème de l'irréversibilité, travaillant avec le groupe de Prigogine.

C'est dans la brillante école de mathématique de Louvain, auprès de l'illustre Charles de la Vallée-Poussin (1866-1962) que se forme Georges Lemaître. Très tôt familiarisé avec les idées d'Einstein, il travaille à Cambridge avec Eddington, puis à Mit. En 1925, il est chargé du cours de "Relativité" à Louvain. Il publie en avril 1927 dans les Annales de la Société Scientifique de Bruxelles une étude sur "un univers homogène de masse constante et de rayon croissant, rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extragalactiques". Il y exposait le modèle d'un univers en expansion. En 1931, il esquissait la théorie de l'atome primitif (le big bang) et les relations entre matière et rayons cosmiques.

L'astrophysique infuse ainsi un sang nouveau dans les vieux observatoires. C'est le cas à Liège, où l'observatoire de Cointe, pratiquement abandonné en 1893, est équipé de neuf par Marcel Dehalu (1873-1960) et se hisse au premier rang mondial grâce à Polydore Swings (1906-1983). C'est à Varsovie, puis à Chicago que Polydore Swings se persuade de la nécessité d'appliquer à l'astrophysique les progrès de la spectroscopie moléculaire. Avec lui, l'institut d'astrophysique de Cointe s'ouvre à la spectroscopie, Rosenfeld y contribue efficacement. En 1933, le spectroscopiste Boris Rosen les rejoint. Après un séjour forcé aux Etats-Unis pendant la guerre, Swings réorganise le laboratoire en 1948. Avec Swings, Marcel Migeotte et Paul Ledoux (1914-1988), le groupe d'astrophysique de Liège est au premier rang mondial. A partir de 1949, il organise les colloques internationaux d'astrophysique de Liège. La même année, Liège ouvre un laboratoire de spectrographie solaire à la Station scientifique internationale du Jungfraujoch (Suisse) et installe un télescope à l'observatoire de Haute- Provence.

Dans les années soixante, la recherche spatiale européenne débute avec la constitution de l'Esro (Organisation européenne de recherches spatiales). Swings s'associe à la proposition de H.E. Butler, astronome à Edimbourg, pour construire un satellite emportant un télescope destiné à réaliser un relevé complet du ciel dans l'ultraviolet. Le satellite TD1 fut lancé en 1972.

D'autre part, l'institut de Cointe n'a cessé d'avoir une part importante aux activités de l'observatoire européen austral (ESO) tant à La Silla (Chili) qu'à Garching.

En 1959, l'institut d'astrophysique créa un laboratoire spatial IAL Space, sous la direction du professeur A. Monfils. Dès 1977, reconnu par l'Agence spatiale européenne, IAL Space a le statut de centre de recherches en 1988. En 1992, IAL Space prit le titre de Centre spatial de Liège, spécialisé en optique, optoélectronique, et ingéniérie spatiale, avec les techniques annexes de cryogénie, technologie du vide et métrologie; chambre propre, avec trois chambres de simulation spatiale, où on peut reproduire des conditions spécifiques (vide, variation de température, illumination).

 

 

De la physiologie expérimentale aux biotechnologies

En mars 1839, l'université de Louvain nommait Théodore Schwann (1810-1882) professeur d'anatomie. En 1848, Schwann passait à l'Université de Liège. C'est l'origine d'un puissant courant de recherche biologique d'où les biotechnologies actuelles tirent leur origine lointaine.

Né à Neuss sur le Rhin en 1810, Schwann avait fait des études au Gymnase de Cologne dans une ambiance favorable aux sciences. A l'Université de Bonn, il étudie les sciences naturelles et la médecine et rencontre Johann Müller, pionnier de la méthode expérimentale en anatomie comparée et en physiologie. En 1833, il rejoint son professeur à Berlin et soutient en 1834 sa thèse de doctorat en médecine sur la nécessité de l'oxygène au développement de l'embryon de poulet. C'est dans le laboratoire de Müller qu'il fait ses plus belles découvertes.

En avril 1835, le Fundamentalversuch (la recherche fondamentale) détermine comment la force d'un muscle varie avec son degré de contraction : la force du muscle diminue avec son raccourcissement.

En octobre novembre 1835, il découvre la pepsine. On connaissait le suc gastrique et la présence d'acide dans celui-ci. Schwann établit que dans la digestion de protéines comme le blanc d'oeuf, une autre substance, la pepsine, agit avec l'acide, dans un processus de fermentation. Cette enzyme sera isolée par E.W. Brücke et cristallisée par Northrop en 1930. En 1836, il étudie les phénomènes de fermentation alcoolique et de putréfaction. Depuis le XVIIe siècle, on y voyait le rôle d'"animalcules nés par génération spontanée". Schwann démontre, avant Pasteur, que la putréfaction est due au développement des microorganismes, et que le chauffage de l'air détruit leurs germes. La génération des microorganismes dépend de l'introduction de leurs germes dans le milieu. D'autre part, il découvre la nature vivante de la levure et son rôle dans la fermentation alcoolique.

En 1838-1839, Schwann énonce dans ses Mikroskopiche Untersuchungen (Recherches microscopiques) la théorie cellulaire : l'être vivant - animal ou végétal - est constitué de cellules. C'est un agrégat de cellules différenciées, provenant d'une cellule initiale, un oeuf. "L'origine cellulaire est commune à tout ce qui vit".

Ainsi l'unité du vivant est établie, la biologie générale est possible, l'embryologie devient l'auxiliaire indispensable de l'anatomie, la physiologie et la pathologie expérimentales peuvent se développer; l'étude de la transmission de la vie et donc de l'hérédité, peut commencer.

A Louvain, Schwann étudie le rôle de la bile et du foie dans la digestion par une méthode originale, la fistule biliaire : la bile n'est pas un simple produit d'excrétion mais joue un rôle actif. Il fait des expériences sur la respiration et la nutrition. Il y lance l'étude de la cellule. Dans son sillage, un laboratoire de microscopie et d'étude des cellules ou cytologie fut créé à l'université catholique de Louvain par Jean-Baptiste Carnoy (1836-1899) fondateur de La Cellule, premier périodique consacré exclusivement à ce sujet.

En décembre 1848, Schwann, mal à l'aise à Louvain, est nommé à Liège sur les instances de Spring. Sans faire de nouvelles découvertes en physiologie fondamentale, il imprime à l'enseignement et à la recherche une orientation profondément expérimentale. Il crée un laboratoire de pointe où beaucoup d'appareils sont de son invention. Mêlé au milieu industriel liégeois, il se tourne vers la recherche appliquée, il invente avec Marcellis et Jaspar une pompe à hélice pour les mines. Après de longues recherches sur la physiologie de la respiration et l'absorption du gaz carbonique, il présente en 1876 et 1878 l'appareil respiratoire permettant de vivre en atmosphère irrespirable, particulièrement pour le sauvetage dans les mines. Enfin, Schwann ne cessa de travailler à sa grande synthèse biologique, la Theoria , qui resta inachevée, où il renouait avec les aspects théologiques de la Naturphilosophie.

Après Schwann, le mouvement d'études ainsi initié se diversifiera dans quatre directions :

- vers la physiologie expérimentale et la biochimie avec Fredericq, Florkin, Bacq et Schoffeniels;
- vers la bactériologie et l'immunologie avec Bordet et Gratia;
- vers la cytologie avec de Duve;
- vers l'embryologie et la génétique avec Van Beneden, von Winiwarter, Brachet.

1. L'essor de la biochimie

En 1879, Théodore Schwann appelait, pour lui succéder, le Gantois Léon Fredericq (1851-1935). Après ses études à Gand il avait, en Europe, fréquenté tous ceux qui s'occupaient de créer la physiologie expérimentale : à Paris, Paul Bert, Jules Murey, Claude Bernard; à Roscoff, Henri de Lacaze-Duthiers; à Strasbourg, Goltz et Hoppe-Seyler; à Heidelberg, Kühne, à Berlin, Emil du Bois Reymond. Il en était revenu avec une robuste méthode expérimentale et la conviction que le vivant est un chapitre de la physique et de la chimie. Sous l'influence du darwinisme, il cherche chez les animaux marins les mécanismes de base de la biologie. Il découvre ainsi chez le crabe l'amputation réflexe ou autotomie. Mais il découvre aussi que le sang du poulpe contient une substance qui bleuit à l'air, l'hémocyanine (du grec haima, sang et kyanos, bleu) qui joue le même rôle que l'hémoglobine chez les vertébrés. Elle contient du cuivre au lieu du fer et se combine également avec l'oxygène. Il étend ses recherches à la physiologie de la circulation et de la respiration. A partir des travaux sur l'équilibre du milieu intérieur, il aborde le concept clé de régulation.

L'institut de physiologie, qu'il construit de 1885 à 1888, possède un rayonnement international. Les années ne vont cesser d'étoffer ce réseau de relations, et même des amitiés vont se nouer, au fur et à mesure des travaux, des voyages, des lettres échangées ou de l'accueil chaleureux fait à Liège à ces chercheurs étrangers. Quelques entreprises officialisèrent ces relations.

Les congrès internationaux de physiologie ont été créés afin que les physiologistes - européens pour commencer - puissent se réunir autour de "démonstrations expérimentales". Le premier - où Fredericq était présent - se réunit à Bâle en 1888. Trois ans plus tard, 102 physiologistes étaient reçus à Liège par Fredericq, président du deuxiËme Congrès. A Boston, en 1929, il égrenait, pour les participants du treiziËme Congrès, ses souvenirs des neuf premiers.

A Cambridge (1898), on décida de la création d'une "Commission internationale pour l'unification et le contrôle des instruments inscripteurs en Physiologie". C'est l'origine de l'Institut Marey aux travaux duquel Fredericq devait participer. Du côté des publications, signalons le succès remporté à l'étranger par ses ouvrages didactiques, en particulier les Eléments de physiologie , rédigés avec Nuel (sept éditions, traduction russe). Epinglons sa participation au Dictionnaire de physiologie de Charles Richet. Son amitié avec le physiologiste français lui valut de contribuer à l'oeuvre collective d'une part par la rédaction de notices, d'autre part par le choix d'auteurs, ce qui se traduisit par une participation importante des physiologistes belges.

A son actif encore, la création et la direction d'une revue, les Archives internationales de physiologie . Elles étaient conçues au départ, avec Paul Héger, son collègue de l'Université de Bruxelles, pour remplacer leurs "Travaux de laboratoires" et voulaient les ouvrir aux travaux de laboratoires d'autres petits pays, comme la Hollande et la Suisse. Mais dès le premier numéro (1904), les Archives prirent une dimension plus largement européenne. Elles représentaient alors la seule revue en langue française consacrée entièrement à la physiologie. Il faut d'ailleurs souligner le rôle de trait d'union joué par Fredericq entre les physiologistes francophones et leurs collègues germanophones, notamment par ses innombrables comptes rendus d'ouvrages.

En physiologie, l'oeuvre de Léon Fredericq fut poursuivie par son fils Henri Fredericq, et par Zénon Bacq (1903-1983). Bacq consacra ses recherches à la physiologie du système nerveux, en particulier les mécanismes de la transmission neuro-humorale dans les synapses et les jonctions des systèmes nerveux autonomes. A la suite de l'explosion d'Hiroshima, Bacq étudia les effets de la radioactivité sur l'organisme et la pharmacologie des radio-protecteurs. De 1957 à 1959, il présida le Comité scientifique des nations unies pour l'étude des radiations ionisantes.

En biochimie, Léon Fredericq eut un successeur à sa mesure en la personne de Marcel Florkin (1900-1979) premier titulaire de la chaire de biochimie formée en 1934. La découverte par Fredericq de l'hémocyanine incita Florkin à étudier d'autres transporteurs d'oxygène chez les invertébrés, en particulier les hémérythrines des Sipanculides. A partir de 1935, il se pose le problème de la régulation de la pression osmotique du milieu interne chez des organismes qui ont des modes de vie très différents : animaux marins, dulcicoles, terrestres. Il pousse l'interprétation des phénomènes d'osmorégulation et d'ionorégulation jusqu'au niveau moléculaire.

Une longue réflexion, poursuivie pendant la guerre, amena Florkin ‡ créer, en 1944, le concept d'évolution biochimique, c'est-à-dire de penser l'évolution à l'échelle moléculaire. L'étude des caractères biochimiques permet de concevoir, autant que celle des caractères morphologiques la notion d'évolution des animaux. Les caractères biochimiques et les caractères morphologiques se sont modifiés au cours de l'évolution. A la suite de ce grand ouvrage, Florkin, son disciple Ernest Schoffeniels et leurs collaborateurs ont mené la biochimie comparée dans les directions les plus diverses.

C'est une caractéristique commune à Fredericq, Bacq, Florkin et Schoffeniels d'avoir intégré la recherche scientifique dans l'humanisme le plus large. Fredericq, aquarelliste de talent, fut aussi un vulgarisateur infatigable et un défenseur de la Fagne; Bacq un philosophe engagé dans la défense des idéaux laïques; Florkin un militant wallon, et une autorité en art contemporain. L'Apiaw est son oeuvre. Mais il exerça aussi une influence prépondérante dans l'organisation de la science et de la culture, tant au niveau national qu'international, notamment comme délégué de la Belgique aux 18 premières conférences générales de l'Unesco (1946- 1964). Ernest Schoffeniels a cultivé avec un égal bonheur l'art contemporain et la philosophie des sciences.

 

 

2. De l'embryologie à la biologie moléculaire

La génétique moderne possède une double origine : les lois de l'hérédité, calculées en 1865-1869 par le moine morave Gregor Mendel; la biologie cellulaire et l'embryologie avec la découverte des chromosomes et de leurs comportement lors de la fécondation. C'est Thomas Hunt Morgan (1866-1945) qui met en rapport chromosomes et hérédité en montrant que les chromosomes et leurs constituants les gènes sont les vecteurs de l'information héréditaire. En 1952, la "double hélice" de l'ADN permet de passer au niveau moléculaire.

C'est en embryologie, dans l'étude des premiers stades de la fécondation, que les pas décisifs sont franchis. A Liège, le zoologiste Edouard van Beneden (1846-1910) apporte une contribution fondamentale à la connaissance du mécanisme de la division cellulaire et de la fécondation de l'oeuf par le spermatozoïde. Il montre que l'oeuf vierge est bien une cellule vivante détachée de l'organisme maternel et rendu capable de multiplication par la fécondation. En 1883-1884, dans une mémorable étude des Archives de Biologie, Van Beneden met en évidence dans la cellule reproductive de l'ascaris (ver parasite de l'intestin du cheval) le phénomène de la méiose, c'est-à-dire la réduction des chromosomes des cellules sexuelles et le rôle du noyau dans la fécondation. Son disciple, Hans de Winiwarter (1875-1949) qui sera professeur d'histologie à Liège, étudie les stades qui précèdent la division de maturation des cellules sexuelles (ovogenèse et spermatogenèse) et le mécanisme par lequel se réalise la méiose. Ainsi, il décrit minutieusement l'accolement parallèle des chromosomes homologues, d'origine maternelle ou paternelle, puis leur séparation. De même, il détermine le nombre de chromosomes chez divers vertébrés, notamment l'homme. A Louvain, le chanoine Franciscus Janssens (1869-1924) découvre et interprète les figures chromosomiques qui, à la méiose, par le mécanisme connu sous le nom de crossing over, entraînent un brassage intrachromosomique des gènes.

L'influence de Van Beneden fut considérable à Liège, où une importante école d'embryologie comparée et expérimentale se constitue avec Charles Julin (1857-1930), Julien Fraipont (1857-1910), Paul Cerfontaine (1864-1917), Désiré Damas (1877-1959) et Hans de Winiwarter. Elle est tout aussi importante à Bruxelles avec Auguste Lameere, Albert Brachet (1869-1983), Polydore Francotte et Marc de Sélys-Longchamps.

De leur côté, les microbiologistes pénétreront peu à peu au niveau infracellulaire.

On sait que Louis Pasteur (1822-1895) initie, dans les années 1870, les recherches sur les microorganismes responsables des maladies contagieuses des animaux et de l'homme. Une nouvelle discipline, la bactériologie, voit le jour avec la création de l'Institut Pasteur en 1888. A Liège, c'est Charles Firket (1852- ) qui crée le premier cours de bactériologie pathologique en Belgique. Son assistant Ernest Malvoz créera l'institut provincial de bactériologie où il mènera une lutte sans merci contre des maladies fréquentes chez les travailleurs, comme la tuberculose ou l'ankylostomiase.

A Bruxelles, Jules Bordet (1870-1961) ira se former à l'Institut Pasteur de Paris avec un disciple de Pasteur, Elie Metchnikoff. Directeur de l'Institut Pasteur du Brabant, il tourne ses recherches vers la bactériolyse et l'immunité humorale, en particulier le mode d'union des anticorps et des antigènes. Ces recherches permettront l'application des techniques sérologiques in vitro si utilisées aujourd'hui pour le diagnostic et le contrôle des maladies infectieuses. Ces travaux lui vaudront le Nobel de médecine en 1919. A ses côtés, André Gratia (1893-1950), fils d'un professeur de Cureghem qui avait eu Pasteur pour maître, s'attaque au problème de la lyse bactérienne par le bactériophage, contribuant ainsi à élucider la nature des virus. Ses recherches sur la mycolyse sont parallèles à celles qui conduiront Fleming en 1929 à la découverte de la pénicilline. Successeur de Malvoz à Liège en 1932, il créera en 1945 le centre de recherches sur la pénicilline et les antibiotiques, ouvrant ainsi une orientation très féconde qui sera exploitée par son disciple Maurice Welsch.

Avec la découverte de la "double hélice" de l'ADN par Crick et Watson en 1952, la génération suivante sera confrontée, tant à Liège qu'à Bruxelles, au défi de la biologie moléculaire.

A Bruxelles, Jean Brachet (1909-1988) le fils d'Albert, devient un pionnier de la biologie moléculaire en étudiant le rôle des acides nucléiques dans la genèse des êtres vivants, tout particulièrement le rôle des acides ribonucléiques d'une cellule dans la synthèse des protéines de cette cellule. A Liège, l'équipe de Florkin s'attaque à la biochimie des acides nucléiques, constituant les gènes. Ils réussissent la première synthèse de la thymidine tritiée, et l'utilisent pour la réplication de la chaîne d'ADN dans des cellules en culture, une des techniques de base dans l'actuel génie génétique.

La floraison, ici, devient foisonnante. Pour en montrer la richesse et les diversité, un seul repère suffira.

En 1971, un disciple d'Henri Fredericq, Albert Claude, formé à l'institut Rockefeller de New York (1930-1949) installe un nouveau laboratoire de biologie cellulaire. Claude a l'idée de désintégrer des cellules et de soumettre leurs débris à la centrifugation différentielle. Il applique alors aux organites cellulaires isolés l'analyse de leur composition chimique. Il construit aussi un ultramicrotome qui permet d'utiliser avec fruit le microscope électronique dans l'étude des cellules. Son collègue Christian de Duve étudie parallèlement les lysosomes qui sont en quelque sorte l'estomac de la cellule. En 1974, Albert Claude et Christian de Duve obtiendront le Prix Nobel de Médecine, et de Duve créera, à l'Université de Louvain, l'institut international de pathologie cellulaire et moléculaire.

 

III. De quelques défis contemporains, en manière de conclusion

"L'histoire, écrivait Paul Valéry, est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines."

S'il est un lieu où ces propos amers ont quelque pertinence, c'est bien la Wallonie, que le spectacle des grandeurs passées détourne facilement des dures réalités du présent. Or, réfléchir sur l'histoire, c'est d'abord échapper au piège de la nostalgie. Car ce temps-là est mort, et il ne reviendra jamais. Comme l'a observé George Sarton, l'histoire des sciences et des techniques est la seule histoire cumulative. Le plus sot étudiant de candidature en sait plus que René de Sluse. L'histoire la plus intéressante, c'est celle qui se vit au présent, et la Wallonie mérite mieux que l'amertume d'un gentilhomme désargenté devant sa galerie d'ancêtres.

Le politique, astreint à scruter la brume du futur, attend de l'historien, à défaut de lois ou de prévisions, du moins le sens des mouvements, des vecteurs orientés, des lignes de force.

Le simple citoyen, face au spectre du chômage, de la prépension, des délocalisations, se demandera lui aussi où nous mène l'évolution des sciences et des techniques. Et l'historien, à moins d'être très jeune ou très vieux, refusera de répondre, puisque l'histoire donne des exemples de tout, de chaque chose et de son contraire. Il sera comme un clinicien habile dans l'anamnèse, circonspect au diagnostic, muet au pronostic.

Il n'est pas interdit cependant de confronter les temps, les expériences, les comportements des hommes face aux mutations du savoir et du savoir-faire. Les observations que l'on en peut tirer, même naïves, sont de nature à nourrir les débats du présent.

L'évolution des sciences et des techniques se fait par ruptures et refontes. Les modèles scientifiques et les systèmes techniques sont comme les produits commerciaux. Lorsqu'ils atteignent la stabilité, ils sont condamnés à mort. C'est ici le lieu de méditer une parole d'Emile Francqui "La prospérité est une situation exceptionnelle. La crise est l'état naturel des choses. On y revient toujours". Or, entre innovation et obsolescence, le temps est de plus en plus court. Rien n'est plus insécurisant. La nouveauté ne peut donc que buter sur ce que Jean Ladrière appelle "l'inertie du champ épistémologique". Pour dire la même chose, il y a en wallon une phrase à bannir désormais On z'a toudi bin fait comme çoula (on a toujours bien fait comme cela).Galilée fut condamné par des gens compétents et honnêtes, qui aimaient la stabilité et avaient peur de l'inconnu. Se maintenir sur la crête de la vague requiert désormais d'exorciser le mythe de la stabilité, professionnelle, financière, affective, intellectuelle, bref, d'être un éternel étudiant et de gérer l'imprévisible.

Ce qui fait basculer les systèmes, c'est l'innovation. Elle n'éclot jamais sans information en amont et sans diffusion en aval. La Wallonie fut toujours aux aguets de l'information internationale. C'est dire toute l'importance de la communication, non seulement des aéroports et du TGV, mais aussi du multilinguisme, seul moyen d'exploiter les avantages d'une position géographique exceptionnelle. A la différence de leurs aînés, obnubilés par une francolâtrie d'un autre âge, les jeunes Wallons d'aujourd'hui apprennent que la science s'écrit en anglais et en allemand, bientôt sans doute en arabe ou en russe. D'autre part les hommes se sont toujours exportés avec leur technologie. Le chercheur d'aujourd'hui invité à passer six mois à Kuala- Lumpur est le digne héritier des maçons d'Othée, qui allaient construire des cheminées d'usine au fond de la Russie. Encore faudrait-il que l'institution ne l'en pénalise pas. Inversement, les universités ont à redécouvrir combien un autorecrutement frileux est stérilisant.

Le mécanisme de la créativité, quant à lui, ne se laisse pas reproduire in vitro. Comment invente-t-on ? Le malicieux tot tûsant, Sire de Renkin Sualem à Louis XIV est encore la meilleure réponse. Il n'est pas sans profit, à cet égard, d'interroger l'histoire récente : depuis 1981, le ministre du Développement technologique de la Région wallonne décerne des Prix à l'Innovation technologique. L'innovation est bien présente, bien féconde, et appelle plusieurs remarques. Les lauréats se répartissent en divers secteurs : métallurgie, matériaux, biotechnologie, électronique, spatial. Il s'agit soit de secteurs traditionnels complètement repensés, soit des nouveau-nés des grandes familles scientifiques. Ainsi, la biotechnologie recrute sur place des chercheurs formés aux meilleures sources; le spatial est l'héritier de la recherche astrophysique. La tradition est ici ambivalente, elle fournit l'expérience mais en même temps limite la capacité d'innovation marginale.

D'autre part, si les innovations témoignent du légendaire savoir-faire wallon, celui-ci n'est guère plus qu'un slogan, car elles révèlent surtout une énorme valeur scientifique ajoutée. Le temps des bricoleurs de génie est lui aussi révolu et les synergies université-industrie sont la trame même du nouveau tissu industriel. La Wallonie, couverte d'un réseau dense de centres de recherche est ici dans une situation favorable, puisque la collaboration entre scientifiques et industriels est une constante de son histoire. L'investissement dans l'intelligence est l'alternative à une technologie de moyen niveau, pratiquée par tout le monde et donc délocalisable.

L'intelligence est indivisible et toutes les disciplines universitaires sont sollicitées, à condition d'oublier cette philosophie larvaire du non engagement qui cherche, pauvre mais digne, un oubli du présent dans la tour d'ivoire des valeurs éternelles.

L'intelligence est enfin au défi du partage. L'effondrement, par pans entiers, des industries traditionnelles a engendré, en Wallonie, une profonde crise morale. Les nouvelles technologies sont perçues comme en rupture avec les savoir-faire de toujours, comme imposées du dehors et réservées à une élite. Le fossé se creuse dès lors entre les spécialistes de plus en plus pointus et un public de plus en plus exclu, proie toute désignée pour toutes les frustrations et tous les intégrismes. A cet égard, notre ingéniérie sociale n'a pas encore suivi l'évolution technologique. Un partage du savoir par une politique de vulgarisation des disciplines avancées en est aussi importante que le partage du travail. Car en Wallonie comme ailleurs, il n'est richesse que d'hommes.

Robert Halleux, Anne-Catherine Bernès, Luc Etienne, L'évolution des sciences et des techniques en Wallonie, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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