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Histoire politique et institutionnelle

 
Histoire politique de la Wallonie 1970 - 1994
Du rêve autonomiste à la souveraineté internationale
- (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie - Quatrième partie


Philippe Destatte

Historien
Directeur de l'Institut Jules Destrée

 

III. Efforts d'autonomie et frustrations (1986-1991)

Une donnée politique supplémentaire s'est développée dans le contexte de rassemblement des forces politiques : la renaissance d'un mouvement wallon pluraliste et significatif. Sous l'appellation de Wallonie Région d'Europe, José Happart, fort de son image de résistance wallonne, est parvenu à rassembler autour d'une double ambition - une autonomie de la Wallonie dans une Europe des régions - la plupart des chefs historiques qui ont animé le mouvement wallon depuis la guerre : Fernand Massart, Robert Moreau, François Perin, Pierre Ruelle, Léopold Genicot, Jean Van Crombrugge, Germain Capelleman, Jacques Yerna, Jean-Maurice Dehousse, Yves de Wasseige. Parmi eux aussi, le député socialiste verviétois Yvan Ylieff, et l'Ecolo liégeois Raymond Yans. Fondé à Namur le 25 septembre 1986, Wallonie Région d'Europe a renoué avec la tradition de la pression wallonne sur les partis politiques, non sans parallélisme avec les situations vécues par le MPW, vingt- cinq ans auparavant.

Le 30 septembre 1986, la nomination de José Happart comme bourgmestre est annulée par la quatrième Chambre unilingue flamande du Conseil d'Etat en vertu de la loi sur l'emploi des langues dans l'administration. Le sénateur carolorégien André Baudson commente l'événement : "si les Wallons ne peuvent changer l'Etat, ils devront changer d'Etat". Quelques jours plus tard, c'est au pied du Perron liégeois que les militants wallons se réunissent pour apporter leur soutien à José Happart. Le plus remarqué ce jour-là est le député Paul-Henry Gendebien, ancien président du RW, animateur de l'Alliance démocratique wallonne, part incontestable de la légitimité et de la continuité du mouvement wallon, qui a rejoint le PSC en septembre 1985. Pour Paul-Henry Gendebien, fort de son mandat de chef de Groupe PSC au Conseil régional wallon, il ne fait aucun doute que José Happart doit être bourgmestre et que les Fourons doivent retourner à la Wallonie.

Le carrousel fouronnais est lancé : démission du collège, réélection de José Happart comme premier échevin, et tourne, tourne... Septembre 1987 : dans son interview de rentrée, le Premier Ministre Martens déclare : "Si le gouvernement devait tomber sur Happart, je ne vois pas qui au CVP prendrait la responsabilité de former un gouvernement avec le parti d'Happart". C'est pourtant le problème fouronnais qui, exaspérant les sensibilités communautaires au sein du gouvernement, provoque son implosion à l'automne 1987. Ces derniers mois, le PSC a fait une proposition : en échange d'un arrêté royal dépouillant José Happart de l'essentiel de ses fonctions administratives en tant qu'échevin faisant fonction de bourgmestre, une loi serait votée, donnant une sécurité juridique aux élus francophones des communes à facilités. Les Flamands ne veulent pas l'accepter et exigent la révocation de José Happart ainsi que l'envoi d'un commissaire spécial dans les Fourons. Le Président du PSC Gérard Deprez et le Vice-Premier Ministre Philippe Maystadt disent non à l'ultimatum du CVP, "non à ceux pour qui l'humiliation de la Wallonie et des francophones tient lieu de politique". Ainsi que l'écrit François Perin en ce mois de novembre 1987, "Nous avons, en Wallonie, depuis la Révolution française, et c'est incurable, la philosophie des Droits de l'Homme".

Les 17 et 18 octobre 1987, plus de quatre cents personnalités de tous les milieux se réunissent à Charleroi à l'initiative de l'Institut Jules Destrée et de son président, Jean-Pol Demacq, afin de tenter de définir un nouveau projet de société pour la Wallonie. Répartis en quatorze ateliers et deux carrefours de base, les participants au congrès La Wallonie au Futur, Vers un nouveau Paradigme, ont appréhendé l'ensemble des champs nécessaires pour construire l'avenir wallon, en articulant, par priorité, l'économie, la formation, la culture et les technologies. Le défi posé par le rapporteur général du Congrès, le Professeur Michel Quévit qui avait jadis brillamment disséqué les Causes du Déclin wallon, était clair : "l'essentiel est de savoir si la Wallonie est encore capable de se forger une identité susceptible de rassembler toutes les composantes de sa population autour d'un projet de société novateur". Ainsi était défini ce nouveau paradigme, "manière d'appréhender le futur qui traverse toutes les dimensions de la vie en société, émergence du qualitatif sur le quantitatif". Le Professeur Quévit clôturait sa synthèse par une question particulièrement pertinente puisqu'elle se situait à un moment clef de la fédéralisation du pays : de quels moyens financiers, de quel pouvoir de décision et de quels acteurs disposait-on pour mettre en oeuvre ce projet de société qui venait d'être esquissé ?

Après les élections législatives du 13 décembre 1987, qui débouchent sur une longue période de vide politique, sur fond de négociations et de missions d'information, les Exécutifs régionaux et communautaires se constituent indépendamment d'un gouvernement central et en l'absence d'un accord sur celui-ci. Comme l'a écrit Freddy Joris, "par l'affirmation tangible de l'autonomie du processus de leur formation, par leur installation bien avant le gouvernement, la mise en place des Exécutifs en 1988 aura fait progresser concrètement l'irrésistible processus fédéraliste". D'ailleurs, le nouveau Ministre- Président de l'Exécutif régional wallon Guy Coëme laisse entrevoir dans Le Soir du 16 avril 1988 - 124e jour sans gouvernement belge - une initiative des régions en cas d'échec de la mission du formateur Jean-Luc Dehaene : "si le gouvernement central devait rester bloqué, il faudrait s'interroger sur ce que devrait être l'attitude des exécutifs, car ils doivent veiller au développement de nos régions. N'y aurait-il pas des initiatives à prendre ?" L'Exécutif de la Région wallonne avait été mis en place le 3 février 1988. Le Conseil régional, et sa majorité, la coalition PS-PSC, lui avait accordé sa confiance le 12 février.

C'est dans ce contexte de crise de l'Etat que se réunit à l'Hôtel de Ville de Charleroi, le 16 avril 1988, le premier Congrès de Wallonie, Région d'Europe. Les nouveaux responsables politiques wallons sont présents et semblent partager l'enthousiasme des quinze cents à deux mille militants présents qui réclament pour la Wallonie "une maîtrise complète sur l'ensemble des décisions qui constituent une politique économique cohérente, répondant à la nécessité d'une reconversion économique et industrielle". De nouvelles compétences sont revendiquées avec force, accompagnées des transferts de moyens financiers adéquats : les secteurs nationaux, le commerce extérieur et la coopération au développement, les travaux publics, l'agriculture, la politique énergétique, la recherche, le crédit [...].

Lorsqu'un accord de gouvernement est enfin conclu, quinze jours plus tard, autour d'un nouveau programme de réforme de l'Etat qui associe le CVP, le PS, le SP, le PSC et VU, les partis francophones qui obtiennent un large accroissement des compétences des régions et des communautés sont toutefois obligés de sacrifier leur base wallonne la plus radicale. Les réactions seront d'autant plus vives que les concessions les plus tangibles qui ont été faites aux négociateurs flamands l'ont été sur le problème qui a fait chuter le gouvernement. Sur les murs de Liège apparaissent des affiches jaune et rouge qui rappellent que la démocratie n'est pas négociable à Fouron non plus. Alors que, quelques jours auparavant, Jean-Maurice Dehousse estimait que l'accord ne correspondait "ni aux aspirations wallonnes, ni aux exigences de la démocratie", Jean-Claude Van Cauwenberghe tient le même discours à Charleroi : "Dans ce délicat dossier fouronnais - symbole pour les Flamands aussi bien que pour les Wallons, mais pas moins pour eux - pour peu de satisfaction obtenue quant au droit des personnes, nous avons largement capitulé quant au principe fondamental de l'appartenance wallonne et surtout quant au droit des élus". Aussi, le lundi 2 mai 1988, le journal Le Soir peut-il titrer que "la Wallonie digère mal le largage de Happart". C'est néanmoins avec une confortable majorité que les Socialistes décident d'approuver l'accord de participation. Dix-sept ans après le vote du 107 quater, et même si cette région est plus que jamais strictement limitée aux dix-neuf communes, les Wallons paient le prix fort pour la création d'une région de Bruxelles- Capitale !

Le 10 mai 1988, la Présidence de l'Exécutif wallon est confiée à Bernard Anselme. Cette décision ancre définitivement le pouvoir régional en Wallonie, particulièrement à Namur. Le Ministre-Président et son équipe PS-PSC, élargie à un septième membre en janvier 1989, va pouvoir travailler sur de nouvelles bases grâce aux transferts impressionnants de compétences et de moyens financiers réalisés dans le cadre de la nouvelle révision de la constitution. La Wallonie, dont le budget fait un bond de 34 à 87 milliards, dispose dorénavant de la maîtrise de ses travaux publics, de ses communications (excepté la Sabena et la SNCB) et assume la tutelle sur ses communes. Le Fonds des Communes et le Fonds des Provinces sont transférés aux régions, ainsi que les programmes de résorption du chômage et les cinq secteurs économiques restés nationaux. Des accroissements de compétences sont prévus en matières agricole, énergétique ainsi que de relations et commerce extérieurs. L'accord gouvernemental prévoit aussi que, dans une phase ultérieure, les compétences résiduaires devront être accordées aux régions et communautés tandis que les conseils régionaux devront être élus directement et séparément.

Néanmoins, cette réalité régionale n'est tangible que si elle s'accompagne des moyens financiers nécessaires à la dynamisation de ses compétences. 1989 est à cet égard une année importante. En effet, le rapport entre les ressources propres de la Région wallonne et les transferts par dotation venant de l'Etat central s'est inversé catégoriquement à l'occasion de la mise en oeuvre de la Loi spéciale du 16 janvier 1989 organisant le nouveau régime de financement des dépenses régionales. Dès lors, au moment où sa dotation passait de 25 à moins de 19 milliards de francs, la Région multipliait ses ressources propres par dix en les accroissant de 5 à 66 milliards. Cette situation est la conséquence de l'application du principe de responsabilité financière qui se traduit par le recours aux ressources propres localisables de la Région (accès à l'impôt des personnes physiques et droit de lever des impôts régionaux). Ainsi, la Wallonie dispose, avec ses transferts de compétences, d'une virtualité d'action plus grande. Cette autonomie financière accrue constitue à l'égard de la Région wallonne le vecteur d'une confiance renforcée qui, comme l'a souligné Philippe Maystadt dès janvier 1989, repose sur la conviction "de voir se former, en Wallonie, une capacité de gestion publique qui allie la rigueur à l'imagination".

Au delà de la structure mise en place en 1983, l'accroissement des compétences régionales a impliqué de nouveaux efforts pour mettre en place une administration wallonne efficace. Le 20 juillet 1989, un arrêté de l'Exécutif régional wallon répartit les services en deux Ministères : Ministère de la Région wallonne (MRW) et Ministère wallon de l'Equipement et des Transports (MET). De plus, en application des lois de réformes institutionnelles, l'Etat central va reconnaître, en décembre 1991, une autonomie des régions pour élaborer un statut de Fonction publique. Avec la mise en oeuvre de ce nouveau statut, les fonctionnaires wallons devraient être mieux à même de répondre aux transformations structurelles et culturelles de la société wallonne.

La concrétisation de l'article 107quater par la création de la Région bruxelloise, combat politique largement mené par les Wallons, va provoquer un changement profond de l'équilibre de la Communauté française de Belgique et relancer le débat - déjà ancien - de l'existence de cette institution. Dès 1982, en prélude au Manifeste pour la Culture wallonne, le Professeur Quévit avait dénoncé le fait que la Communauté mise en place par la Loi du 15 juillet 1971 ignorait la Wallonie. Dans son livre La Wallonie : "l'indispensable autonomie", le Professeur de Louvain considérait en effet que "le vote de l'autonomie culturelle, loin de contribuer à l'expression d'une culture wallonne propre", l'avait, "au contraire un peu plus étouffée encore". L'année suivante, en 1983, le philosophe wallon José Fontaine estimait, lui aussi, que l'expression "Communauté française de Belgique" représentait "la consécration de notre inexistence".

Lors du colloque Demain, quelle Wallonie ?, tenu à Louvain-la-Neuve le 18 février 1989, José Happart fait de la régionalisation de la Communauté française son nouveau cheval de bataille. Le député européen pense en effet que cette institution est devenue inutile depuis le 9 janvier 1989, c'est-à-dire depuis que Bruxelles dispose de son autonomie régionale. A Liège, au mois d'avril suivant, le Président de Wallonie, Région d'Europe précise sa pensée à l'occasion du Deuxième Congrès de son mouvement : "J'ai dit qu'il fallait pour le développement de la Wallonie avoir des outils qui sont actuellement aux mains de la Communauté française, et que, ces outils, nous devions les transférer de la Communauté vers la Région wallonne."

Dès lors, le débat politique qui s'instaure à la rentrée politique de 1989 portera un titre : "Faut-il brûler la Communauté française ?" Renforcé par les 308.117 suffrages recueillis aux élections européennes de juin 1989, José Happart peut dénoncer le "ghetto" de la Communauté française et réclamer, pour la Wallonie, "le droit de disposer de ses propres moyens culturels" ainsi que la faculté "d'établir son propre programme d'enseignement, avec son caractère, ses spécificités".

Les autorités régionales wallonnes montrent elles aussi leur appétit de compétences nouvelles. Pour le Ministre-Président Bernard Anselme, "le problème de la régionalisation des compétences communautaires, comme la création d'instruments de concertations entre régions est désormais à l'ordre du jour". De son côté, André Cools exige le transfert vers la Région de "tout et tout de suite". La position du Ministre régional wallon des Affaires intérieures est approuvée par le président des Socialistes wallons, Robert Collignon, qui déclare que "les Wallons ressentent très difficilement le détournement culturel qui s'opère vers Bruxelles".

Avec la même force qu'un an auparavant, Charleroi s'affirme au travers de son bourgmestre comme un foyer de la nouvelle impatience wallonne. Plaidant pour le transfert à la Région wallonne de toutes les compétences communautaires non spécifiquement culturelles, Jean- Claude Van Cauwenberghe demande aux forces politiques d'"aller au bout de la logique fédérale. [...] Une Région ne maîtrise qu'imparfaitement les leviers de son avenir, quand il lui manque une compétence aussi essentielle que l'enseignement". Et le compagnon de route de José Happart de demander la convocation d'un congrès des Socialistes wallons. L'enjeu est de taille. Ainsi que l'écrit le journaliste Christian Binon dans La Nouvelle Gazette : "Parti largement dominant en Wallonie, le poids du PS est évidemment considérable dans le débat et, dès lors, c'est finalement de lui avant tout que dépendront les modifications institutionnelles, exigées par un nombre croissant de socialistes wallons, à la suite de José Happart".

De son côté, commémorant la Bataille de Jemappes, le Président de l'Institut Jules Destrée rappelle les paroles de Philippe Busquin qui disait en 1983 que "la pauvreté des flux écono- miques entre la capitale de la Belgique et la Wallonie nous interpelle, alors que notre solidarité linguistique, y compris en moyens culturels, est constamment sollicitée". Et Jean-Pol Demacq souligne que "les lettres françaises de Wallonie sont promues en Lettres belges de langue française pour annoncer la rentrée des auteurs belges. Les Wallons sont condamnés à la Belgique Malgré tout et peuvent continuer à se chercher de Belsud à Beaunord !" - concepts imaginés par la Communauté française pour désigner sa promotion touristique et son centre culturel à Paris -. "Quant à la RTBF", ajoute Jean-Pol Demacq, "elle laisse filtrer les plaintes de ses centres de production régionaux appauvris, et proclame bien haut la belgitude de ses programmes élaborés au Boulevard Reyers". Il est vrai, comme l'a montré le sociologue Michel Collinge dans une étude sur le sentiment d'appartenance analysé entre 1975 à 1986, que la mise "au frigo" de Bruxelles en 1980 a eu pour conséquence une réorientation des Bruxellois vers des positions nationales belges - dès 1981 -, au détriment des identités régionales et communautaires.

Ainsi, le débat est particulièrement vif entre socialistes wallons et bruxellois qui veulent le maintien de la Communauté française, défendue par ses ministres. Quant à l'écrivain wallon Thierry Haumont, il assure le 4 octobre 1989 que "la Wallonie n'est pas une menace pour les francophones de Bruxelles. Elle n'est une menace que pour l'intolérance et la petitesse d'esprit". Le même jour, c'est de Bruxelles que Jean-Maurice Dehousse confirme sa fidélité à une position intermédiaire qu'il a déjà défendue au sein de Wallonie, Région d'Europe : "le salut est dans la cogestion de la Communauté par les deux régions". Trois jours plus tard, Guy Spitaels annonce, au Congrès du Parti socialiste à Montigny-le-Tilleul, son souci de sauvegarder l'unité de l'enseignement et de la politique culturelle mais aussi son accord pour transférer des matières personnalisables de la Communauté vers la Région.

Paradoxalement - puisque son parti, comme le PRL, s'en tenait à la fusion de la Région wallonne et de la Communauté française - c'est Gérard Deprez qui va mettre en évidence les limites du débat d'identité entre Bruxellois et Wallons. En effet, au Congrès du 2 décembre 1989 à Louvain-la-Neuve, le Président des sociaux-chrétiens francophones, "Wallon serein et tranquille", émet l'idée de la construction d'"une communauté wallonne" dont Bruxelles serait la capitale. "Est-il saugrenu, est-il offensant de proposer que le nom wallon s'applique également, par convention pour certains, par convictions pour d'autres, à tous ceux qui, dans le sud du pays comme au centre, parlent le français ? Je demande à nos amis bruxellois [...] de songer à la place qu'ils pourraient reprendre, non seulement chez les Wallons mais aussi dans notre pays en acceptant d'être solidaires du destin culturel de tous les Wallons." Basée sur le constat par le Président du PSC d'une avancée de l'identité wallonne, cette "Révolution" de l'esprit, comme l'a appelée André Méan, sera l'objet de commentaires polis mais réservés ou de vifs rejets, surtout bruxellois.

Soigneusement préparé, le troisième Congrès de Wallonie, Région d'Europe se tient en avril 1990 à Ottignies. Sa position sur le débat est radicale : le mouvement de José Happart "réclame la dissolution de la Communauté française de Belgique et le transfert de toutes ses compétences vers la Région wallonne et vers la Région bruxelloise (ou sa Commission communautaire française, au choix des Bruxellois francophones)". Le Congrès - "un congrès d'identité", comme l'a appelé Vers l'Avenir - estime en effet que "la Wallonie et Bruxelles sont deux régions bien distinctes, qui possèdent leur personnalité propre et qui sont confrontées à des problèmes spécifiques".

Au débat d'identité s'ajoute la débâcle financière de la Communauté française qui, incapable de répondre aux attentes de ses enseignants, frustre ceux qui depuis de longues années avaient attendu la communautarisation comme une terre promise. Or, ainsi que le répète son Ministre-Président, Valmy Féaux, le costume de la Communauté a été taillé un peu court par la loi de financement. En effet, la Loi du 16 janvier 1989 a bloqué pour dix ans le budget de l'enseignement sur la base d'une enveloppe décidée en période de restrictions. Dès lors, le secours des Régions est sollicité pour clôturer son budget 1991 et un accord politique est conclu entre les Exécutifs le 21 mai 1990 sous l'égide des Vice-Premiers Ministres Philippe Moureaux et Melchior Wathelet. En Wallonie, l'effort bruxellois sera jugé bien vite inéquitable par rapport à celui fourni par la Région wallonne : 200 millions sont demandés à Bruxelles et 1,2 milliard à la Wallonie.

C'est la fête de la Communauté française - célébration particulièrement importante puisqu'il s'agit de commémorer ses vingt ans - qui va montrer l'ampleur du fossé séparant l'institution de ses enseignants.

Paradoxe, c'est au tour de Namur, siège des institutions régionales, d'accueillir cette année- là la fête de la Communauté. Le bourgmestre de la capitale de la Wallonie, Jean-Louis Close, est le premier à ouvrir le feu, dès le 26 septembre lors de son discours à l'Hôtel de Ville de Bruxelles : "Les Wallons", dit-il, "ont du mal à se reconnaître dans cette institution qu'ils jugent abstraite". Ainsi que l'imprimera La Dernière Heure, "la Communauté elle-même va être mise en cause".

Dérision : dans le journal La Wallonie, Urbain Destrée, nouveau président de l'Interrégionale wallonne de la FGTB écrit une lettre à sa fille, Barbara : "Ce 27 septembre 1990, je fête le 500ème anniversaire de la naissance d'Ignace de Loyola. Je fête en même temps, le 450ème anniversaire de la Compagnie de Jésus.[...] Aujourd'hui il reste indispensable de répéter que nous sommes Wallons! Wallons, pas francophones de Wallonie. Pas Wallons de la Communauté française de Belgique. Wallons de Wallonie".

Révolte : Régis Dohogne, Secrétaire général de la Fédération des Instituteurs chrétiens a parlé de "phase révolutionnaire". A Namur, la manifestation est violente. Dans un climat d'émeute, près de quinze mille enseignants empêchent, au prix de plusieurs blessés, la tenue des cérémonies officielles à la Maison de la Culture et au Centre Marcel Hicter. Sous les coups de poings et de matraques, c'est le miroir de l'institution qui est brisé.

Symbole : comme en Roumanie, les manifestants découpent le milieu du drapeau de la Communauté.

C'est à Namur que, les 12 et 13 octobre 1990, se tient le Congrès de l'Interrégionale wallonne de la FGTB Réussir la Wallonie. Renardistes, les délégués rappellent leur revendication d'un fédéralisme dont l'ossature repose sur les trois régions. En fait, le débat du rapport d'orientation porte sur un problème de syntaxe. Un grand congrès doctrinal s'interroge : les régions doivent-elles être chargées "de" compétences ou "des" compétences communautaires ? Le "des" l'a emporté : "La FGTB wallonne, favorable à un fédéralisme de coopération basé sur trois régions, se prononce pour le transfert négocié, mais sans exclusive à priori, des compétences et moyens de la Communauté vers les Régions". D'ailleurs, Urbain Destrée avait averti : "ce texte ne ferme pas la porte à la régionalisation de l'enseignement". En effet, c'est depuis 1984 que la CGSP liégeoise revendique ce transfert. Pour Urbain Destrée encore, la Communauté française, qu'il voit gérée par les deux régions, tombera toute seule. Quand à l'Union wallonne des Entreprises, elle s'inquiète (le 16 octobre) de la volonté de la Région wallonne de prendre en charge des dépenses qui incombent à la Communauté française, ce qui risque d'entraîner un déséquilibre du budget régional. L'accord entre les Exécutifs sera pourtant conclu un mois plus tard. Lorsque, enfin, le 7 février 1991 le Projet de décret portant approbation de l'accord de coopération entre les Exécutifs de la Communauté française et de la Région wallonne signé le 17 novembre 1990 sera voté, ce n'est pas sans que José Daras, pour Ecolo, Arnaud Decléty pour le PRL, et Jean-Maurice Dehousse, pour le PS, n'aient une fois de plus souligné la différence de niveaux d'interventions des deux régions. Pour l'ancien Ministre-Président, un changement de centre de gravité apparaît dans l'équilibre global de la fédéralisation de l'Etat. Ainsi, l'accord de coopération du 17 novembre 1990 ouvre une phase nouvelle dans les rapports entre la Région wallonne et la Communauté française.

C'est dans ce climat politique difficile que débutent, en décembre 1990, les travaux prépara- toires au Congrès des Socialistes wallons, sous la direction de Robert Collignon. Présidée par Jean-Maurice Dehousse, la commission Prospective et pratiques institutionnelles va revivre les débats animés des mois précédents. Mais, contre toute attente, un accord se dégage en commission, le 8 janvier 1991, sur un texte de compromis. Les socialistes wallons de toutes tendances y affirment que la Région wallonne constitue le principal pouvoir politique représentatif de la population wallonne. En conséquence, elle doit gérer seule ou en collaboration avec d'autres entités fédérées toutes les compétences qui déterminent l'avenir de la Wallonie. Ainsi, l'Etat central belge devrait être limité aux fonctions de sécurité et de solidarité, tandis que toutes les autres fonctions seraient régionalisées. De même, différentes matières relevant des communautés seraient rapidement transférées à la Région wallonne : la tutelle sur les Centres publics d'Aide sociale (CPAS), le tourisme, les transports scolaires, l'ensemble des matières personnalisables ainsi que les sports. Sur base d'une note du Professeur Michel Quévit, entendu comme expert par la Commission, cette dernière prône une gestion interrégionale des matières communautaires en fonction d'accords de coopération entre la Wallonie et Bruxelles. Dès lors, c'est une communauté française restructurée qui continuerait à gérer la culture, l'enseignement et la recherche scientifique. Toutefois un rééquilibrage politique et budgétaire en faveur de la Wallonie devrait être opéré avec application d'une formule inspirée des accords Dehousse- Persoons de 1978. Ceux-ci prévoyaient la répartition interrégionale de 25% des crédits pour Bruxelles et de 75% pour la Wallonie. Enfin, les socialistes wallons ont fixé à 1994 la tenue d'un nouveau congrès d'évaluation.

Influencés par les divisions des socialistes français lors du Congrès de Rennes, les socialistes wallons ont manifestement recherché un compromis qui préserve l'avenir. Néanmoins, dès le 10 janvier 1991, dans Le Peuple, Robert Collignon émet un regret : "La culture, c'est là que, dans la synthèse, je ressens ma seule frustration". Pour le Chef de groupe du Conseil régional wallon, "si le principe d'une solidarité entre les francophones doit être réaffirmé face à l'impérialisme et à l'agressivité flamande, l'identité de la Wallonie en tant qu'Etat fédéré doit être proclamée". C'est sans réel nouveau débat que, le 9 février 1991, le Congrès des Fédérations socialistes wallonnes réuni à Ans consacre l'accord institutionnel et approuve les rapports sur l'avenir économique et financier de la Wallonie, ainsi que sur son cadre de vie. Dans La Libre Belgique, Guy Daloze peut écrire que le Parti socialiste wallon a voulu multiplier les compétences d'une Wallonie qu'il cherche à rendre de plus en plus autonome. C'est la leçon du Congrès d'Ans. C'est aussi son avertissement.

Commémorant le 16 février à Amay le vingtième anniversaire de la disparition de Freddy Terwagne, Guy Spitaels confirme la volonté qui s'est exprimée à l'occasion de ce treizième congrès socialiste wallon pendant lequel il est resté silencieux : "notre engagement fédéraliste s'affirme chaque jour avec plus de force et de conviction... La Wallonie connaîtra une autonomie de plus en plus large que nous réaliserons suivant un double rythme : celui que nous choisirons, celui qui sera possible. Mais comment douter que nous sommes un peuple en marche, comme le sont à l'est et à l'ouest de notre vieux continent, d'autres peuples qui tantôt poussent le fédéralisme plus avant, tantôt s'érigent en véritables nations".

Les prises de positions du Congrès d'Ans ne sont pas passées inaperçues au PRL où le chef de file des libéraux wallons, Daniel Ducarme, réagit quelques jours plus tard en relevant des convergences entre les positions des socialistes et des libéraux. Ainsi, pour le bourgmestre de Thuin, "il appartient aujourd'hui aux Wallons de déterminer entre eux le projet libéral pour les Wallons". Considérant cet "ancrage wallon du PRL [...] absolument nécessaire pour la Wallonie", l'ancien ministre régional, s'inscrivant dans une véritable filiation libérale, wallonne et fédéraliste, émet le souhait de voir à son tour se réunir un congrès des libéraux wallons. Cette prise de position provoque de vives réactions d'Antoine Duquesne - le Président de ce Parti - et de l'ancien Vice-Premier Ministre Jean Gol. Pour Luc Delfosse, dans Le Soir du 25 février, [l'incident] révèle que le PRL, lui aussi, est traversé par une ligne de fracture. Et que l'épicentre d'un éventuel séisme est situé en Wallonie. Comme au Parti social chrétien, comme au Parti socialiste. Le Porte-parole d'Ecolo, Jacky Morael, confirme en septembre 1991 cette analyse qui constitue, depuis 1985, la position de son parti, en soulignant que si, à l'avenir, la Communauté française survivait, ce serait sur la base de compétences limitées : l'enseignement, certaines matières culturelles, l'audiovisuel. Tout ce qui relève du secteur non marchand, de l'éducation permanente, des affaires sociales pourrait aisément passer aux Régions.

D'autres préoccupations politiques vont mettre entre parenthèses le débat d'identité qui s'est instauré entre francophones. Ainsi, début octobre 1991, la crise sur l'exportation d'armes wallonnes à l'Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, va provoquer la chute du Gouvernement Martens-Moureaux. En effet, depuis la mi-septembre, les ministres flamands de la Volksunie et du Parti socialiste flamand refusaient le renouvellement de la licence d'exportation par le Conseil ministériel restreint, pour des ventes d'armes wallonnes produites à Herstal et à Petit-Roeulx, menaçant l'avenir des sociétés FNNH et Mecar. Pour le Président de la Fédération syndicale des Métallurgistes FGTB de la Province de Liège, s'exprimant dans les colonnes de La Wallonie le 21 septembre, le problème est politique : il s'agit de la maîtrise de son économie par la Wallonie.

Alors que Wallonie Région d'Europe réclame la régionalisation du Commerce extérieur et que l'Union wallonne des Entreprises parle de "discrimination abusive", c'est sans succès que l'Exécutif wallon lance un appel solennel au Premier Ministre belge, Wilfried Martens. Pourtant, moins de deux ans auparavant, le 2 décembre 1989, le Président du PSC, Gérard Deprez, avait adressé un avertissement clair aux Flamands : Le peuple wallon n'est pas un peuple mendiant. Il ne faut pas le forcer à choisir entre un confédéralisme de la dignité et un fédéralisme de la mendicité. Dès lors, le contre-feu de Guy Spitaels est bien accueilli par son partenaire au pouvoir wallon lorsqu'il écrit, le 26 septembre, au Président de l'Assemblée wallonne, Willy Burgeon, pour lui demander de convoquer de toute urgence le Conseil régional wallon pour délibérer et éventuellement prendre les mesures requises pour la sauvegarde des entreprises concernées de notre région. Gérard Deprez demande l'ajout à l'ordre du jour du problème de l'agriculture dont les libéraux, par la bouche de Daniel Ducarme, demandent la régionalisation. La menace est précise : convoqué pour le lundi, le Parlement wallon pourrait se transformer en Etats généraux. Le dimanche 29 septembre 1991, les Ministres Volksunie quittent le Gouvernement tandis que le Socialistische Partij accepte la création de trois comités ministériels régionaux pour les exportations d'armes. Présidé par Robert Urbain, le Comité ministériel wallon accorde immédiatement les licences contestées.

Lorsque, le lendemain, le Président du Conseil régional donne la parole à Monsieur le Premier Ministre de Wallonie, on mesure, à la réponse de Bernard Anselme, l'ampleur du coup de force qui vient de s'opérer : l'Exécutif, conscient de l'extrême urgence devant laquelle il se trouvait, était depuis plusieurs jours en état de délibération permanente et est prêt à prendre si nécessaire toutes - je dis bien toutes - les mesures utiles au sauvetage de nos entreprises et de nos emplois. Le choc a été rude, particulièrement en Flandre. Le 4 octobre, le Gouvernement belge se disloque. Les Chambres seront dissoutes, sans que la troisième phase de la réforme de l'Etat prévue en 1988 ait été menée à bien, mais après avoir déterminé une nouvelle série d'articles à réviser.

C'est sous l'impulsion du Professeur Georges Neuray, que deux ans auparavant, le Congrès permanent La Wallonie au Futur avait décidé de choisir comme nouveau vecteur de ses travaux le thème de l'éducation, compris dans une large conception qui englobe la culture familiale et locale autant que celle des médias et des industries culturelles, en passant par celle des entreprises ou des administrations. Véritable centre de prospective wallon interdisciplinaire associé à l'Exécutif wallon, le Congrès - animé par Michel Quevit - a défini l'urgence de l'enjeu que constitue l'indispensable mobilisation des potentialités humaines, intellectuelles, sociales et culturelles de la population de Wallonie au devenir de sa Région. Réuni à Namur les 4 et 5 octobre 1991, le Congrès a rappelé que bâtir un pays, c'est construire son éducation.

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Philippe Destatte, Du rêve autonomiste à la souveraineté internationale, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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