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Histoire politique et institutionnelle

 
Histoire politique de la Wallonie 1970 - 1994
Du rêve autonomiste à la souveraineté internationale
- (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie - Quatrième partie


Philippe Destatte

Historien
Directeur de l'Institut Jules Destrée

 

II. La Région : un pôle de rassemblement des volontés wallonnes (1979-1985)

C'est bien un gouvernement PSC-CVP-PS-SP-FDF comportant en son sein des exécutifs régionaux et communautaires, et dirigé par le CVP Wilfried Martens qui se met en place le 5 avril 1979. Il prévoit de réaliser la réforme de l'Etat en trois phases : d'abord la phase immédiate (Loi du 5 juillet 1979), ensuite la phase transitoire et irréversible (projets 260 et 261), enfin la phase définitive. L'accord porte sur la création des exécutifs régionaux et communautaires (avril-juillet 1979), la définition des compétences des exécutifs (Loi du 5 juillet 1979 sur les institutions communautaires et régionales provisoires) qui étend les compétences régionales et doit transférer aux communautés les matières personnalisables, la régionalisation et la communautarisation du budget, ainsi que le transfert et la création des ministères des communautés et des régions (17 avril 1979). Le 20 juillet 1979, la loi provisoire du 1er août 1974 est modifiée : les assemblées régionales consultatives où les socialistes n'avaient jamais voulu siéger sont supprimées. Les exécutifs régionaux subsistent sous forme de comités ministériels au sein du gouvernement : un pour la Flandre, un pour la Communauté française, un pour la Région wallonne. Toutefois, si la Région se voit attribuer de nouvelles compétences comme l'exploitation des richesses naturelles et le traitement des déchets solides, les importantes matières personnalisables qu'elle exerçait depuis 1974 sont transférées à la Communauté. Le premier Exécutif régional wallon se réunit à Namur le 25 avril 1979 sous la présidence du Ministre de la Région wallonne Jean-Maurice Dehousse. Y siègent les deux secrétaires d'Etat adjoints aux ministre de la Région wallonne : Bernard Anselme (PS) et Antoine Humblet (PSC). Ce dernier sera remplacé par Philippe Maystadt le 15 octobre. Le 14 mai 1979, se tient pour la première fois à Namur l'Assemblée des Parlementaires de la Région wallonne qui, sous la présidence de Léon Hurez, s'est réunie pour entendre la déclaration de politique régionale d'un Exécutif, "dont les membres n'exercent que des compétences exclusivement régionales". Cette réunion, informelle puisque le Conseil régional a été supprimé, se tient en l'absence des libéraux.

Par ailleurs, l'asymétrie des institutions née de la réforme exprime des différences de conception entre Flamands et Wallons, mais aussi des tensions entre fédéralistes wallons et partisans francophones d'une communautarisation à deux, basée sur la solidarité culturelle française. Le Président de l'Exécutif wallon, Jean-Maurice Dehousse, le souligne dans La Dernière Heure le 10 décembre 1979 : "La poussée vers le fédéralisme ou la régionalisation à deux [...] met en cause la Wallonie. Car dans le système simplifié dont on vante les mérites, en fait on soustrait la réalité wallonne. Cela les Wallons ne l'admettent pas et surtout les socialistes wallons..."

Les blocages succèdent aux tensions. Après le départ forcé des ministres FDF du gouvernement, un nouvel accord politique est conclu les 18 et 19 janvier 1980, ouvrant la voie à Martens II. Lors de la discussion du projet 261 (mars 1980), le Sénateur François Perin démissionne : "Il est difficile", s'écrie-t-il, "de rester parlementaire d'un Etat auquel on ne croit plus et dont le système politique paraît absurde, et représentant d'une nation - selon les termes de la Constitution - qui n'existe plus". Le 2 avril, l'article 5 du projet de loi spéciale des communautés n'obtient pas la majorité des deux tiers au Sénat à cause de la rébellion de deux parlementaires CVP concernant la création du conseil régional bruxellois. Le gouvernement chute une nouvelle fois. Il faut un mois et demi pour essayer de démêler le noeud. Finalement, on le coupe : les 14 et 15 mai 1980, les partis concernés approuvent un accord de gouvernement associant libéraux, socialistes et sociaux-chrétiens, sur base des propositions Martens sur la réforme de l'Etat, sauf Bruxelles, qui est écartée de la révision. Elle restera soumise à la loi des dispositions transitoires du 5 juillet 1979. L'accord semble le plus difficile à obtenir chez les socialistes francophones où une opposition wallonne au Congrès du PS se manifeste. Elle est animée par Ernest Glinne et Jacques Yerna, ainsi que par une série de députés. Elle sera minorisée. Les critiques essentielles portent sur la réduction des compétences - insuffisantes pour mener une véritable politique économique - le transfert de moyens financiers dérisoires dépendant du pouvoir central, le risque d'intégration des organes régionaux dans la communauté. Dans le cadre de cette participation du bout des lèvres, le PS annonce qu'il quittera le gouvernement si la régionalisation n'est pas votée avant les vacances parlementaires. L'Exécutif wallon mis en place le 18 mai est composé de Jean-Maurice Dehousse (PS), Pierre Mainil (PSC) et André Bertouille (PRL).

La quatrième révision constitutionnelle de l'histoire de l'Etat belge permet un accroissement des compétences des communautés et des régions, qui disposent dès lors d'Assemblées législatives délibérantes et d'Exécutifs responsables devant ces assemblées. Le Projet de loi de réformes institutionnelles à majorité spéciale est voté le 5 août 1980 (loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980) et à majorité simple le 7 août 1980 (loi ordinaire de réformes institutionnelles du 9 août 1980) . Le principe de l'équipollence absolue des normes adoptées par les pouvoirs national, régional et communautaire est reconnu, même si le pouvoir résiduaire n'est plus accordé aux Régions, comme le prévoyait le projet 461. Les décrets ont désormais force de loi. Les Communautés consacrent la division en deux entités principales plutôt qu'en trois régions comme le voulaient les fédéralistes wallons et bruxellois. Les compétences régionales définies sont assorties de nombreuses exceptions, elles portent sur l'aménagement du territoire, l'environnement, la rénovation rurale et la conservation de la nature, le logement, la politique de l'eau, la politique économique, la politique de l'énergie, les pouvoirs subordonnés, la politique de l'emploi ainsi que la recherche scientifique appliquée liée à ces matières. Résultat, comme l'indique l'éditorialiste de Pourquoi Pas ? : "une décentralisation teintée de fédéralisme. On a créé des pouvoirs autonomes, mais avec des compétences restreintes et des moyens financiers et fiscaux très limités. Quant aux tâches qui sont confiées, elles sont principalement d'exécution. En plus, on s'est bien gardé de supprimer les provinces".

Installé au Novotel à Wépion, le nouveau Conseil régional wallon, siège pour la première fois le 15 octobre 1980. Le 6 novembre 1980, Léon Hurez, qui vient d'être élu président du Conseil, souligne que, comme dans tout système parlementaire, il existera sans aucun doute une minorité et une majorité au Conseil. Néanmoins Léon Hurez souhaite "qu'il n'y ait jamais une opposition à la Wallonie". Le 9 décembre 1980 , le Conseil approuve pour la première fois son budget. En ce commencement de l'histoire politique du pouvoir wallon, l'ouverture sur le monde français, notamment par la mise en place d'accords avec le Québec dès 1980 (Déclaration de Namur du 13 décembre 1980) et l'intégration directe à l'Europe, par la collaboration interrégionale, ont constitué deux atouts considérables d'affirmation de la Région wallonne.

Pourtant la Wallonie ne peut encore disposer de son destin. Des secteurs économiques entiers sont restés nationaux en 1980 : les charbonnages, la construction et la réparation navale, l'industrie du verre creux d'emballage, l'industrie textile et la sidérurgie. Les aciéries wallonnes, dont les structures sont anciennes, sont touchées de plein fouet par la crise mondiale. Le plan de restructuration industriel et financier des industries sidérurgiques adopté en 1978 par le gouvernement n'est pas appliqué : à l'aube de 1981, aucun investissement à moyen terme n'a été réalisé dans l'acier wallon. Fin 1980, les présidents des deux grandes sociétés wallonnes, le Carolorégien Albert Frère et le Liégeois Julien Charlier annoncent leur volonté de fusionner Cockerill et Hainaut-Sambre. Aux dires du PDG de Cockerill, ces deux sociétés sidérurgiques étaient celles qui avaient fait le plus de progrès de productivité en Europe, de 1975 à 1980. Le 15 mai 1981, sur base d'une étude de la Nippon Steel, le gouvernement belge, suivant la résolution de mars 1981 du Conseil européen, préconise à son tour la fusion des bassins de Charleroi et de Liège. Pour le nouveau Cockerill-Sambre, le plan japonais, modifié à Bruxelles, est draconien : il prévoit la réduction de 20% de la capacité de production du groupe et la suppression de 5000 emplois. Plus de 20 milliards doivent être investis. La fusion officielle a lieu le 26 juin 1981. Les moyens financiers se font pourtant attendre. Le mot d'ordre de l'ACV flamande devient "plus un franc flamand pour la sidérurgie wallonne", tandis que les holdings répugnent à tenir leurs engagements. Les socialistes wallons qui craignent un transfert de capacités de production européennes vers la Flandre et qui ont encouragé la fusion, lancent un ultimatum le 15 septembre 1981, menaçant de boycotter le gouvernement de Mark Eyskens dont ils font partie. Un débat Tindemans-Spitaels est organisé en direct et conjointement par la Rtbf et la Brt, le 20 septembre 1981. Devant l'incompréhension de son partenaire pour les problèmes wallons, Guy Spitaels, exaspéré, se demande "s'il ne vaut pas mieux que chacun soit maître chez soi". Le gouvernement Eyskens avait vécu. Le 3 octobre 1981, l'approbation par le Bureau du RW d'un sigle commun avec le FDF, dans l'espoir, pour le parti bruxellois, de devenir, aux élections de novembre 1981, la seconde force politique de la Communauté française, provoque un nouveau déchirement dans le parti wallon : le député européen Paul-Henry Gendebien quitte la formation avec ses amis, en dénonçant l'alliance "paralysante avec le FDF". Le sénateur Yves de Wasseige refuse lui aussi de suivre le courant majoritaire animé par Henri Mordant, Robert Moreau et Pierre Bertrand. Pour les nouveaux dissidents, le FDF, s'il souhaite un rééquilibrage entre Flamands et francophones dans l'Etat belge, n'est pourtant pas prêt à faire une place à une Wallonie autonome. La formation du Rassemblement populaire wallon (RPW) par Yves de Wasseige et son alliance avec un Parti socialiste affirmant à nouveau très haut sa volonté fédéraliste apparaît comme un véritable "rassemblement des progressistes" autour de l'idée wallonne. Le RPW, artisan de la victoire du PS dans les arrondissements où il se présentait en cartel avec lui aux élections de novembre 1981 - tout comme l'étiquette "Wallon" dans le Hainaut - constitueront en fait un véritable sas pour les militants wallons vers le Parti socialiste. Après l'échec de l'Action politique wallonne, ultime tentative par Etienne Duvieusart de reformer un parti wallon RW-RPW-FIW, Yves de Wasseige, coopté sénateur par le Parti socialiste dès 1981, rejoindra José Happart au PS.

Le 1er septembre 1981, l'Exécutif wallon est composé de Jean-Maurice Dehousse, Ministre de la Région wallonne et Président de l'Exécutif, de Melchior Wathelet, Secrétaire d'Etat à l'Economie régionale wallonne et au Logement, et de Guy Coëme, Secrétaire d'Etat à l'Environnement, à l'Aménagement du Territoire et à l'Eau pour la Wallonie. Le 23 décembre 1981, le Conseil régional élit en son sein les six membres qui formeront l'Exécutif régional wallon, composition à la proportionnelle, pour que le pouvoir régional ne soit pas identifié à une famille politique. Trois PS, deux PRL, un PSC le constituent. Abandonnant leur hôtel de Wépion, les 106 parlementaires wallons se réunissent pour la première fois à l'ancienne Bourse du Commerce de Namur le 23 décembre 1981. André Cools, nouveau président du Conseil, invite les élus à "rebâtir la terre wallonne". Le 24 janvier 1982, le libéral verviétois André Damseaux est choisi comme président de l'Exécutif. Celui-ci va pouvoir organiser son fonctionnement.

Le chemin est tracé par le Conseil économique de la Région wallonne. Le CERW estime, en février 1982, qu'un des objectifs prioritaires de l'Exécutif doit être la mise en place d'une administration wallonne capable de compléter et d'intégrer les cellules provisoires existantes et d'établir des liaisons nécessaires avec les organismes publics et parapublics mis en place dans la Région. Le Conseil économique réclame la localisation rapide du pouvoir régional et de son administration en Région wallonne. Parallèlement, dans sa Déclaration de Politique régionale, l'Exécutif wallon s'engage à mettre en place "une administration souple, dynamique et attentive à tous les souhaits du public, en ayant recours à la délégation fondée sur la responsabilité, à la compétence des agents et aux méthodes modernes de gestion". C'est la tâche prioritaire que s'assigne Jean-Maurice Dehousse, qui prend en charge la présidence de l'Exécutif régional wallon le 21 octobre 1982. Il s'agit de constituer le Ministère de la Région wallonne au départ du transfert, à partir de janvier 1983, de personnels relevant de ministères nationaux et de la Société de Développement régional pour la Wallonie.

Le problème de l'acier wallon reste entier malgré le secours des organismes publics de crédit. En ce début 1983, Jean Gandois, appelé par le gouvernement central au chevet de Cockerill-Sambre, présente un nouveau plan de restructuration : réduction de la capacité de production de 7,6 à 4,5 millions de tonnes, fermeture de Valfil, licenciement de 8000 travailleurs supplémentaires. Dès janvier 1982, Jacques Vandebosch, nouveau patron de Cockerill-Sambre, a prévenu que "notre activité sidérurgique disparaisse aujourd'hui et la Wallonie devient un désert économique[...]". Au même moment, le Rapport Mac Kinsey, demandé par la Communauté européenne, a rendu des conclusions très pessimistes, notamment sur la coulée continue et donc sur toute la ligne à chaud de Seraing, et menace "le train de 900" à Charleroi. Après une première marche des "Métallos" wallons sur Bruxelles le 11 février 1982, une grève très dure a éclaté dans les deux bassins au cours de la dernière semaine de février et s'est poursuivie en mars.

L'accord gouvernemental du 26 juillet 1983 décide la régionalisation du financement de la sidérurgie wallonne par retrait des droits de succession de la liste des impôts ristournables, en échange d'une intervention de l'Etat central dans les charges du passé des régions et des communautés. L'opération se fait au détriment de la Wallonie, qui a géré sa région de manière parcimonieuse alors que la trésorerie flamande est largement déficitaire. Cette décision prive en outre la Région wallonne de 3,5 milliards de revenus par an. Le Ministre régional wallon Philippe Busquin s'irrite de cette régionalisation "préparatoire" des secteurs nationaux, imposée par les Flamands : "La Wallonie ne retrouve plus aujourd'hui, au sein de l'Etat, les mécanismes de solidarité qui ont présidé dans les années passées, au transfert de ses propres richesses vers l'autre Communauté". Après un premier avis négatif du Conseil d'Etat, le projet remanié est inscrit dans la Loi du 5 mars 1984. Quant à Valfil, à peine mis en route depuis 1980, il a dû arrêter sa production. Avec sa capacité d'un million de tonnes par an, le train à fil du Val-Saint-Lambert était le plus moderne d'Europe, sinon du monde...

Malgré ses intentions, le gouvernement Martens-Gol, mis en place en novembre 1981, n'a pu éviter les difficultés communautaires sur la frontière linguistique, essentiellement dans les Fourons où la population refuse depuis vingt-cinq ans de se reconnaître flamande. Les tensions y sont particulièrement fortes en 1983, et atteignent le paroxysme cette année-là lorsque trois militaires flamands, proches du mouvement nationaliste flamand d'extrême- droite Vlaamse militanten Orde (VMO) tirent, le 29 juillet 1983, sur les clients d'un café francophone à Fouron-le-Comte, faisant six blessés, dont un grave. Après les élections communales de 1982, José Happart, jeune agriculteur et président de l'Action fouronnaise depuis 1976, n'a pas été nommé bourgmestre par le roi, malgré sa présentation par la liste Retour à Liège comme élu avec le plus de voix de préférence. Cette liste a obtenu dix sièges sur les quinze du Conseil communal. José Happart est désigné Premier Echevin par le Conseil. Il prête serment le 1er janvier 1983 et fait fonction de bourgmestre, en vertu de la loi communale. Un mois plus tard, José Happart est nommé bourgmestre avec entrée en fonction... le 1er janvier 1984.

En avril 1983, l'Exécutif wallon définit la structure de son administration : quatre directions générales (Aménagement du Territoire, Pouvoirs locaux, Ressources naturelles - Eau - Environnement, Economie et Emploi) et quatre directions d'administration (Affaires générales et Personnel, Budget et Finances, Relations extérieures, Energies et Technologies nouvelles). Le 12 juillet 1983, le schéma d'organisation du Ministère de la Région est adopté tandis que l'Exécutif wallon vote son transfert à Namur par quatre voix (les trois socialistes et André Damseaux) contre deux. Le siège principal du rapatriement sera Namur (la première réunion officielle de l'Exécutif s'y tiendra le 12 mars 1985), le Logement ira à Charleroi, l'Economie à Liège, l'Eau à Verviers. Dès lors, l'Exécutif entame une véritable politique de restructuration de l'économie régionale par l'intervention de la Région dans les investissements des entreprises wallonnes en difficulté. Même si les moyens restent modestes, de 1982 à 1985, c'est près de 10 milliards de francs qui sont ainsi injectés par la Région dans les entreprises. Le 26 juillet 1983, Jean-Maurice Dehousse peut annoncer : "[...] Au milieu de notre malheur, nous avons réussi à créer la Région qui n'est pas terminée, qui n'est pas complète, qui est appelée à se développer, mais qui peut être et qui doit être un pôle de rassemblement des volontés wallonnes".

C'est cet effort de conception de leur région que produisent à ce même moment de nombreux intellectuels wallons. "Sont de Wallonie sans réserve tous ceux qui vivent, travaillent dans l'espace wallon. Sont de Wallonie, toutes les pensées et toutes les croyances respectueuses de l'homme, sans exclusive." En affirmant leur volonté de relever le défi de la construction d'une société wallonne qui intègre la dimension culturelle au projet économique, les signataires du Manifeste du 15 septembre 1983 ont, comme l'a écrit Michel Molitor, posé un acte politique important : "La Wallonie, est une société à faire : c'est en la faisant que les Wallons prendront conscience de leur identité". Avec l'objectif avéré de bâtir un Etat wallon se déployant au sein d'une confédération, les promoteurs du Manifeste sont partis à la recherche d'une cohérence qui coordonne la capacité de décider des politiques économiques et sociales et celle de gérer la politique culturelle de la Wallonie. Ce cri sera rejoint par l'infinie grandeur du geste de la jeune sociologue Véronique Oruba, le 22 mai 1985 à Louvain-la-Neuve, qui, s'adressant au Pape en visite, s'écarte de la démarche convenue pour lui dire la difficulté d'être ici : "Etre jeune, Wallon, et, pour moi, être femme [...] surtout dans une Wallonie frappée particulièrement par la crise, parent économiquement pauvre de la Belgique".

Fin septembre 1983, réunie en Congrès à Feluy, la Fédération socialiste de Charleroi vote une résolution inspirée par Philippe Busquin se prononçant pour l'autonomie de la Wallonie. Se plaçant résolument au delà du Congrès de Montigny-le-Tilleul, le Ministre carolorégien déclare : "nous ne devons pas craindre de négocier une autonomie maximale qui touche, même éventuellement, la sécurité sociale. Ce n'est qu'alors que nous pourrons, à partir de la réalité concrète de la Wallonie, redonner un sens au combat des travailleurs wallons. Redonner un projet, un dynamisme dont nous avons grand besoin". Le Congrès du PS, à Wavre, le 2 octobre 1983, s'en tient néanmoins à la plate-forme du fédéralisme intégral définie précédemment : régionalisation des compétences des cinq secteurs économiques nationaux et constitution d'un important secteur public de crédit régionalisé. Pour Guy Spitaels, c'est Montigny, tout Montigny, rien que Montigny. Quelques jours plus tard, le 8 octobre, le Congrès du Rassemblement wallon fait le choix de l'autonomie et de l'indépendance de la Wallonie comme axe principal de son action. "C'est dans les grandes détresses", proclame Fernand Massart, nouveau président qui succède à Henri Mordant, "que souvent se forge le sursaut d'un peuple". Et de fixer le nouvel objectif du parti : "Une Wallonie indépendante, généreuse, solidaire, réaliste, raisonnable et qui assure, dans différents secteurs, la réouverture de ses chantiers". Présentant le budget de la Région wallonne le 15 novembre 1983, Philippe Busquin, ministre de tutelle, regrette et dénonce le fait que les moyens financiers de la Région wallonne ne cessent de s'amenuiser. Ainsi, pour le Ministre du Budget, "responsable de cette situation, le Gouvernement central a, de ce fait, détourné la régionalisation de son objectif qui était précisément de favoriser au départ du pouvoir régional une véritable politique de reconversion économique".

C'est dans le cadre de l'ouverture de son parti aux militants wallons que, le 16 février 1984, Guy Spitaels offre la quatrième place sur la liste européenne du Parti socialiste à José Happart en déclarant : "Nous n'avons pas sorti aujourd'hui le coq wallon pour les élections européennes pour l'oublier demain". Le choix était pertinent : le 17 juin 1984, les 234.996 voix de José Happart, ajoutées au transfert de voix du Parti communiste, permettent au PS de réaliser un de ses meilleurs résultats depuis 1965. José Happart, parlementaire européen, adhère au Parti socialiste lors de la Fête du peuple fouronnais du 16 septembre 1984. Les socialistes wallons réunis en congrès à Gembloux le 24 mars 1984 - le premier congrès depuis 1976 - lancent un avertissement agacé : "La Wallonie ne restera partie prenante dans l'Etat que si celui-ci remplit pleinement son rôle de combler les différences croissantes entre les régions ainsi que les inégalités sociales. Si des décisions concrètes ne sont pas rapidement prises à cet égard, les socialistes wallons en tireront les conséquences quant aux moyens et aux méthodes à mettre en oeuvre pour libérer la Wallonie de l'emprise de l'Etat belgo-flamand".

Promoteur d'un certain gaullisme wallon qui met le salut de la région au-dessus de l'intérêt des partis, Jean-Maurice Dehousse assume à la fois la tradition du mouvement wallon - parvenant enfin en vue de ses objectifs historiques - et la relance d'une revendication wallonne renouvelée dans un contexte particulièrement difficile pour l'économie wallonne. "Quand nous pourrons dire notre sidérurgie, notre chimie, notre agriculture, nos infrastructures, nos finances, notre énergie, nos chemins de fer, nos autobus, nos communications et télécommunications, notre Europe : alors, mais alors seulement, nous pourrons redire à chacun et à tous : prends ta place et travaille". La création du Conseil puis de l'Assemblée des Régions d'Europe, association constituée à Louvain-la-Neuve le 14 juin 1985 par soixante-cinq régions, s'inscrit dans cette perspective.

Deux menaces pour l'identité wallonne apparaissent clairement à l'approche des élections législatives de 1985 : celle de la localisation du pouvoir régional et celle de la fusion des organes de la Région wallonne avec ceux de la Communauté française. C'est in extremis que Jean-Maurice Dehousse, Président de l'Exécutif installe, après Valmy Féaux, son cabinet à Namur en septembre 1985, déposant symboliquement des fleurs sur la tombe de François Bovesse.

Après les élections, deux stratégies se dégagent au PS. Jean-Maurice Dehousse, fermement appuyé par le député namurois Bernard Anselme, refuse toute idée de fusion Communauté- Région et s'oppose avec succès à un premier courant qui marquait son accord de principe pour négocier même si les éventuels partenaires posaient le problème de la fusion. La négociation n'aura pas lieu. Pour le Député de Namur, "installer le pouvoir wallon en Wallonie, c'est affirmer l'identité wallonne, c'est aussi affirmer la réalité bruxelloise". La proposition de décision fixant le siège du Conseil régional wallon à Namur et le projet de décret instituant Namur capitale de la Wallonie introduit, en novembre 1985, par Bernard Anselme, ne trouveront plus de majorité nécessaire pour aboutir. L'Exécutif reprendra le chemin de Bruxelles pour une parenthèse de trois ans. En décembre, un nouveau manifeste wallon, qui réunit plusieurs milliers de signatures, répond à ce repli sur Bruxelles : "Nous de Wallonie, sommes inquiets et choqués [...] par les perspectives de fusion de la Région wallonne et de la Communauté française [...]. Que signifie cette impatience à déporter la capitale de la Wallonie hors du territoire ? Que signifie cet empressement à démanteler les institutions wallonnes que nous venons à peine de construire ? Pourquoi briser ainsi notre nouvelle dynamique ?"

Pour ouvrir la nouvelle législature, fin 1985, le Conseil régional wallon peut élire son nouvel exécutif à la majorité simple. Le coup de force qui suit l'exclusion illégale, le 27 novembre - malgré l'absurdité de la situation - d'un élu Volksunie au Conseil régional wallon, domicilié en Flandre et apparenté dans l'arrondissement de Nivelles, ainsi que l'attitude vaudevillesque de l'opposition le 16 janvier, donnent pendant de longs mois une image dérisoire de l'institution wallonne. Mais, comme le souligne François Perin, "les irrégularités commises dans les Assemblées ne sont sanctionnées par personne". Ainsi, la coalition PRL-PSC, qui soutient l'équipe du Ministre-Président de l'Exécutif régional wallon, Melchior Wathelet, le fait avec 46,8% de l'électorat et 52 sièges sur 104, si on comptabilise l'élu flamand, ce que Guy Spitaels dénonce comme une "forfaiture" en estimant que la majorité ne représente pas la population wallonne.

L'union sacrée du Conseil régional wallon se reconstitue néanmoins contre la politique d'austérité du gouvernement central qui, dans le cadre de son plan de Val Duchesse, a diminué la dotation de la Région wallonne de quelque 6,5 milliards. Une motion est votée à l'unanimité, le 20 juin 1986, pour engager l'Exécutif "à mettre tout en oeuvre pour sauvegarder les moyens financiers de la Région wallonne déjà limités pour exercer pleinement ses compétences et les fonctionnements essentiels de la régionalisation, en particulier le principe des dotations tels qu'inscrit dans les lois de régionalisation d'août 1980". Melchior Wathelet peut souligner un peu plus tard que "La Wallonie est plus grande, plus belle et plus riche que ses problèmes".

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 Philippe Destatte, Du rêve autonomiste à la souveraineté internationale, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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