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Photo Institut Jules-Destrée (Droits SOFAM) - Joseph Hanse Joseph Hanse
Grammairien
Floreffe 05.10.1902 - Watermael - Boitsfort 07.11.1992

Allocution de Monsieur Daniel BLAMPAIN, continuateur du « HANSE »,
Professeur à l’Institut supérieur des traducteurs et interprètes de Bruxelles
Directeur de TERMISTI, centre de recherche en terminologie

Hommage à Joseph HANSE
Palais des Académies
 18 mars 2002

Index

Mesdames,
Messieurs,

Joseph Hanse avait une haute conception de la langue française. Joseph Hanse avait une haute conception de l’homme.

L’incroyable volonté de connaissance et de rencontre de Joseph Hanse se marque dès sa lecture de La légende de Thyl Ulenspiegel de Charles De Coster. Le jeune philologue de 22 ans est d’emblée séduit par l’art très personnel et le style non conformiste de De Coster. Il met en évidence les mécanismes subtils de la langue de La légende, balayant toutes les vues simplistes qui assimilaient cette langue à une expérience philologique ou à une habile imitation de Rabelais. Il révèle les nuances de la « belle langue » de De Coster, qu’il embrasse des premiers écrits où l’écrivain travaille à acquérir la « difficile » maîtrise d’une langue et d’un style jusqu’à l’achèvement de la légende. Suivons-le dans son approche :

« La langue de De Coster est souple, un peu disloquée, riche en couleurs et en notations pittoresques, vivante, tantôt rude et sauvage, pleine de rythmes rapides, se pressant par saccades et trébuchant parfois dans sa course, tantôt paresseuse et caressante, évoquant les tendresses et les douceurs du beau pays de Flandre après les cris d’angoisse et d’affolement. Elle est crue, insouciante des pruderies, elle heurte les convenances, de temps à autre, car elle a l’ingénue brutalité des simples et des rustres. D’ailleurs, auprès des audaces de Rabelais ou de Montaigne, ces hardiesses semblent timides. Et en revanche quelle fraîcheur poétique et quelle captivante douceur ! Cette langue, par ses répétitions de phrases et de mots, par ses inversions, par ses nombreuses images, est enveloppante et insinuante ; elle produit l’effet d’une musique dont le thème, peu à peu, enlace l’auditeur. Elle nous porte au comble du comique et du ridicule, elle nous secoue d’un angoissant frisson de crainte tragique, ou bien, aussitôt après le rire d’une grosse plaisanterie, elle nous glace de sa cruelle ironie. »

« Ce coup d’essai était un coup de maître », dira Raymond Trousson. Le ton était donné. Joseph Hanse a sympathisé avec De Coster, un écrivain qui se forge une langue bien à lui, un homme « qui aimait tant la liberté et l’indépendance », qui « a libéré notre littérature prisonnière et en vain désireuse de s’affranchir ».

Le jeune professeur de trente ans, épris de liberté, va, avec la même heureuse détermination, poser les jalons de sa deuxième œuvre. Il se déclare particulièrement déçu à la lecture de la Grammaire publiée par l’Académie française en 1932. L’esprit indépendant et contestataire va ici se glisser dans une lutte ininterrompue pour la qualité et aussi pour la différence. L’expérience s’est enrichie. Joseph Hanse s’attaque à la réalité mouvante et complexe du langage. Il cultive son art du détail et de la nuance tout en ne retenant, comme le fit le peintre De Coster, que l’essentiel et tout en accordant une place aux problèmes syntaxiques les plus délicats. Le mot « acribie », appliqué à Joseph Hanse, aura sa juste place dans le dictionnaire.

En 1949, il publie le Dictionnaire des difficultés grammaticales et lexicologiques. Son projet est clair : un dictionnaire « libéré des cadres normaux de la grammaire », « une langue accessible à tous ». L’ouvrage traitera également du lexique, de la vie des mots, de la précision et de la variété du langage. Il sera érigé « contre les puristes, les prétentieux et les censeurs mal informés ». Une parole singulière va se déployer dans les plis d’une langue collective. Elle contribuera à développer, comme le disait Michaux, « le plaisir qu’il y a, en l’homme normal, à conduire la langue ».

Ce dictionnaire s’installe d’emblée dans la différence, par rapport aux dictionnaires, aux grammaires et aux ouvrages du même type. Il vise à remédier aux insuffisances des uns et des autres. Toutefois, l’humilité du « serviteur de la langue française » – ainsi Joseph Hanse a-t-il coutume de se présenter – demeure grande. Il n’a jamais prétendu dispenser d’un bon dictionnaire ou d’une bonne grammaire.

En 1983, date de la 1re édition du Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, Joseph Hanse a quatre-vingt-un ans et n’a rien perdu de sa pugnacité. En trente ans de travail, il n’a cessé de nuancer sa palette, un peu comme De Coster, dont il disait qu’il était toujours « à la recherche de l’effet de lumière, de contraste ou de grandeur. ». Son souci de la nuance n’a cessé de s’affirmer. On se rappellera son analyse de repartir à zéro et de repartir de zéro. On se rappellera avec quel plaisir malin il voulait retrouver le détail ou l’exemple lorsqu’il disait : « Attendez, il faut que je me consulte ». On se rappellera avec quelle habileté il installait la cohérence logique ou la cohérence analogique.

La langue sera un tableau vivant. « On a trop souvent fait état sans discernement suffisant d’exemples qui, sous la plume d’écrivains restés fidèles à un usage périmé, ne correspondent plus à un usage normal ». On sait aujourd’hui combien il est important de rendre sensible à cette variété pour favoriser une représentation positive de la langue.

Les variations de la langue, historiques, sociales – la gamme des registres, de la langue familière à la langue soutenue –, et les variations géographiques – de la Belgique au Québec, les « usances » de la francophonie comme disait Maurice Piron à la suite de Damourette et Pichon, seront à l’avant-plan. Ainsi n’hésitera-t-il pas à juxtaposer des exemples situés dans les registres les plus contrastés. Analysant les emplois de car et de parce que, il va de la déclaration du cycliste lue dans le journal Le Soir au monologue du cinquième acte du Mariage de Figaro : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! »

Le trait sera simple : les propositions orthographiques de Joseph Hanse sont toujours allées dans le sens de la simplification. La hardiesse sera pourtant de mise : nous fesons avec e, supprimer les 7 pluriels en -oux et le comble, accordons toujours le participe passé des verbes pronominaux avec le sujet. Sous sa direction, le C.I.L.F. tentera d’harmoniser les dictionnaires lorsqu’ils présentent des formes doubles, triples ou quadruples d’un même mot. Les errances de l’Académie française seront fustigées… La modernité sera omniprésente : des mots naissent, des mots vieillissent, des anglicismes tendent à occuper les premières places. Il s’agira toujours d’adapter la langue française aux réalités du monde moderne, d’en faire une langue à large éventail fonctionnel, plutôt qu’une langue sur la défensive.

A aucun moment la conception du dictionnaire ne signifiera l’assujettissement des usagers. Toute la nuance est là. L’art de rendre compte de la complexité repose sur la haute idée que Joseph Hanse avait de l’homme.

Communiquer avant toute chose. Partager. « L’effet Hanse ». Expliquer pour le plus grand nombre, pour les francophones comme pour les allophones. Le ton de la proximité. A l’écart des « lincuistres ». Aujourd’hui, plus que jamais, il est important de renforcer la confiance de l’usager dans sa langue. « Je dois beaucoup à mes amis, à mes lecteurs, de toutes conditions et de tous pays ». L’humilité va de pair avec la reconnaissance. « Mon travail est un travail d’artisan », déclare-t-il, mais si « l’Académie se flatte d’être le greffier de la langue, je ne veux pas être comme elle ».

La tolérance prend les allures de la tendresse quand elle se confond avec l’écoute paternelle mais elle connaît ses limites et prend les allures de la sévérité quand il signale les dangers de « réduire l’action et l’influence des francophones de Bruxelles » (1962). Enfin et toujours, le souci de liberté, qui se mue souvent en « souci de libérer le lecteur de ses scrupules ».

En matière de langue, comme en politique, et je le déplore, on diabolise un peu l’autre pour se donner une identité. Pourtant, certains, comme Alain Rey, le successeur de Paul Robert à la tête du dictionnaire du même nom, apprécient notre façon de jouer la norme et la souplesse. Tout jeu a ses règles et les possibilités d’action, de décision et de choix, plutôt que d’être limitées, n’en sont que plus épanouissantes. Il y eut bien « la chasse aux belgicismes », mais elle ne dura qu’un temps. Certes, les mots ont vieilli et on n’oserait plus parler aujourd’hui de « langue pure » ou de « l’universalité » de la langue française. Les conceptions essentialistes ou esthétisantes de la langue sont aujourd’hui revues, mais tout est question de contexte historique. Vous avez dénoncé les « Dites, ne dites pas » ainsi que les « puristes » qui, plutôt que de regarder la langue comme un ensemble structuré, égrènent des listes. Vous avez pourfendu des expressions telles que « solécisme ignoble » et autres conceptions culpabilisantes de la faute qui se sont développées à partir de la France dans le sillage de la « règle infaillible »  et de la « faute sans réplique »  de Malherbe. Vous vouliez montrer que « l’usage est plus souvent variable ou instable que ne le prétendent la grammaire scolaire ou les puristes ». A aucun moment, la représentation de la langue ainsi donnée ne correspondait à celle, particulièrement destructrice, que véhicule un certain élitisme hexagonal.

Mais il est vrai que la langue française est aussi celle dont on parle beaucoup. Elle est de plus en plus aujourd’hui l’objet de discours, tant elle est sur la défensive : la langue française dans la francophonie, dans le monde, la langue française dans tous ses états, la langue française de l’état au citoyen. On en oublierait presque que c’est en permettant d’apprendre le français dans le plaisir que l’on a le plus de chance de le promouvoir. Quand j’entends un collègue de Madrid, de Berlin, de Tallinn, de Moscou, de Gand ou de Charleroi me dire avoir recours au dictionnaire pour préparer tel ou tel point de ses cours – comprendre la nuance pour enseigner la nuance, en toute simplicité, quand de jeunes étudiants autrichiens, finlandais ou québécois, constituent, sur la base de corpus nouveaux, leur propre dictionnaire des difficultés grâce au support électronique, je dis : « Réjouissez-vous, Monsieur Hanse, nous avons triomphé des limites du temps ».

Vous demeurez au plus proche de ceux qui apprennent le français, de ceux qui parlent le français dans le monde, de ceux qui veulent jouir de la gamme infinie des nuances de la langue. Mais aujourd'hui, vous êtes surtout dans le cœur de ceux qui, pour rendre hommage à l’homme de cœur que vous étiez, se sont joints à votre fille, Ghislaine, pour qui vous fûtes un modèle et à qui vous avez transmis cette extraordinaire volonté de toujours aller au-delà, au-delà des mots et des faits.

De l’homme que vous avez été, de votre apport à la vie de la langue française, Monsieur Hanse, chacun, en ces temps choisis de fête de la langue française, chacun d’entre nous, se souvient, avec le sourire.

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Cent Wallons du siècle, Catalogue de l'exposition, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1995. Graphisme couverture : Roger Potier

 

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